Chapitre 16
Un souffle d'air glacé flottait dans ma « chambre ».
Dex, Kelly et Emilie m'avait rejoint et au vu des circonstances, j'étais heureux de ne pas passer cette nuit tout seul. Emilie avait eu la bonne idée de faire un plateau avec quelques restes, et assis aux quatre coins du lit, nous piochions de temps en temps dans le plateau. J'aurais cru que mon estomac serait tellement noué que je n'aurais rien pu avaler, mais à ma grande surprise, la faim me tiraillait. Et je devais avouer qu'on réfléchissait mieux après l'une des fameuses cuisses de poulet rôti de ma mère.
J'observais mes acolytes qui se muraient dans un silence difficile à déchiffrer.
Dex lisait un livre aux allures de carnet. Je me rappelai qu'il l'avait depuis la veille. Kelly par contre, grignotai du poulet en évitant de regarder qui que ce soit dans les yeux. Je ne comprenais pas quel était son problème. On aurait dit qu'elle était en colère. Emilie enfourna un morceau de gâteau avant de se lever et d'arpenter la pièce. Elle se mit à fouiner dans les cartons et à soulever les draps recouverts de poussière.
- Qu'est-ce que tu cherches ? me décidai-je à lui demander.
- Tu n'es pas curieux, Nath ?
- Curieux à propos de quoi ? Mamie aime entasser tout un tas de vieilles choses : des jouets, des vêtements, des meubles et autres. Elle est légèrement maniaque. Je ne sais pas ce que tu espères trouver, conclus-je avec un brin de sarcasme dans la voix.
Emilie me jeta un regard par-dessus son épaule.
- L'attrait du mystère, Nath. Peut-être que la solution à tous nos problèmes est plus proche qu'on ne le croit.
A ce moment, la voix de Kelly sonna :
- Le plus grand mystère dans cette pièce, c'est toi, à mon avis.
Son frère et moi nous tournâmes vers elle, interdits. Que voulait-elle dire par là ? Ma cousine ne tarda pas à m'apporter une réponse. Elle se redressa sur le lit et pointa un doigt accusateur sur la fille Fisher.
- Tu es bizarre et je ne te fais pas confiance.
Emilie fit lentement volte-face et pencha la tête, l'incrédulité se lisant sur son visage. Kelly continua :
- Tu affirmes que les voix te parlent, mais concrètement, quelles preuves a-t-on ? Tu n'es surprise de rien et j'ai même l'impression que tu apprécies le spectacle. De quel côté es-tu réellement ?
J'avais une chips dans une main, tout près de ma bouche entrouverte, mais je n'arrivais pas à compléter sa trajectoire. Les propos de Kelly étaient insensés. Je me rappelai de ma rencontre avec Emilie, dans la forêt, ses mots sur ce qui hantait la maison. Elle m'avait toujours mis en garde, aidé, et protégé jusqu'à maintenant. Et il s'était avéré qu'elle avait eu raison à de nombreuses reprises concernant les événements récents. Ma cousine délirait.
Je reposai ma chips en secouant la tête.
- Je sais que tu es encore bouleversée par ce qui est arrivé à Phil, Kelly.
Celle-ci se raidit.
- Mais ce n'est pas parce que tu n'aurais pas fait certaines choses comme elle que tu dois penser de cette façon. Demande-toi une seconde comment j'ai fait pour m'en sortir jusque-là, pour savoir ce que je devais faire, pour sauver ceux que j'ai pu sauver ? Tout ça, c'est grâce à elle. Sans elle, votre mère serait peut-être morte à l'heure qu'il est.
Les jumeaux se tournèrent vers moi d'un même mouvement. La peur brillait dans leurs yeux, mais dans ceux de Kelly, se rajoutait quelque chose d'autre : la colère et la méfiance peut-être. Elle se recroquevilla sur le lit et son frère lui caressa doucement le dos. Le silence s'était abattu et avec lui, toute velléité de paix que j'aurais souhaité avoir dans ce cocon.
Emilie n'avait pas fait de remarque. Elle était restée là, les sourcils légèrement froncés en signe d'une réflexion innocente. Elle semblait à la fois surprise et curieuse face aux propos de Kelly.
Je quittai le lit et la bouffe pour la rejoindre.
- Ne fais pas attention, elle est juste sous le choc.
- Oh, ne t'en fais pas pour ça. J'ai l'habitude qu'on me trouve un peu étrange.
- Oui, mais au vu des circonstances, je ne suis pas sûr que ce soit toi la chose la plus étrange ici.
- Pour les gens normaux, peut-être. Mais personne dans cette pièce, n'est vraiment normal.
Je pesai ses propos, pour me rendre compte qu'elle avait raison. Nous quatre vivions des choses étranges et avions consciences de ce qui était en train de se passer. Pourquoi mettre en doute la parole de l'un d'entre nous.
- Normal ? Venant de toi, j'aurais plutôt pensé que tu emploierais le mot « banal ».
Son rire léger emplit la pièce.
- Ce qui fait de nous des personnes spéciales, hein ? Avec des super pouvoirs.
- Avec des super pouvoirs, oui, confirmai-je en riant.
Je ne me rappelais même plus ce que ça faisait de rire avec insouciance. Depuis la veille, je n'avais fait qu'angoisser, tergiverser et vomir et pleurer. Rire comme ça était presque un miracle. Et c'était grâce à Emilie. Elle me fixa intensément et je me dis que ça faisait longtemps que ses deux pupilles ne m'avaient pas observé comme ça.
Ça m'avait presque manqué.
Sa main se leva soudain et elle la glissa sur mon épaule dans un geste à la fois doux et négligé.
- Je vais me remettre à chercher. Des trésors se cachent dans tout ce fouillis, j'en suis persuadée.
Ses cheveux me chatouillèrent le nez lorsqu'elle se détourna de moi. Une sourde frustration pointa le bout de son nez. Etais-je vraiment en train de bouder ? Je m'éloignai d'Emilie qui ne m'accordait plus aucune attention pour rejoindre les jumeaux. Dex était occupé à rassurer sa sœur. Ils ne parlaient pas, mais je sentais presque cet étrange lien dont il m'avait parlé tantôt.
- Comment ça marche exactement ? leur demandai-je, curieux.
Je n'eus pas besoin d'en dire davantage. Dex sembla réfléchir quelques secondes, mais sa sœur le devança en disant.
- Il n'y a pas de truc. On le ressent, c'est tout.
- Tout le temps ? Je veux dire, il n'y a pas un bouton on/off, des conditions à remplir ? Vous êtes liés en permanence ?
- Nous ne pouvons te dire que ce que nous vivons, continua Dex. Peu importe la distance, nous sommes liés. Bien sûr, nous n'avons jamais été bien loin l'un de l'autre, alors on ne peut pas vraiment en mesurer la portée. Mais nous ressentons tout à peu de chose près. Joie, tristesse, colère, amertume, peur, etc.
- Nous pouvons atténuer cette connexion, diminuer légèrement leur intensité, mais ça me semble à chaque fois contre-nature, alors je ne le fais pas.
- Ce n'est pas gênant au quotidien ?
Je m'imaginais mal agir normalement en sachant que quelqu'un saurait ce que je vis, et peut-être pense, à chaque fois. Même s'il s'agissait de mon frère jumeau.
- C'est mon frère, ma moitié, qu'il sache tout de moi est normal, assura-t-elle avec ferveur. Par contre, lorsque l'émotion est vive, ça peut faire un peu mal.
J'hochai la tête. Je pouvais le concevoir. Je frissonnai en imaginant ce qu'elle avait pu ressentir lorsque l'arbre s'était écroulé sur lui. La sensation n'avait pas dû être plaisante, en effet. Le silence retomba à nouveau, uniquement troublé par les fouillis d'Emilie et les faibles craquements de cristaux de glace sur la maison. Lorsque Dex reprit son livre entre ses mains, bien décidé à continuer sa lecture, j'en déchiffrai le titre, me rappelant que ça faisait un moment que je n'avais pas lu un bouquin :
- « Mémoire » d'Andréa Moreno. C'est quoi ce livre, Dex ? C'est intéressant ?
- Je ne sais pas trop. Mamie me l'a remis quand nous sommes arrivés. Ce n'est pas vraiment un livre. C'est plus une sorte de carnet avec un assemblage de pensées ou plutôt...
- Un journal intime ?
Il hocha la tête.
- Fais voir.
Dex me lança le carnet et je l'attrapai au vol. Une fois en main, je compris qu'il s'agissait réellement d'un carnet adapté. La couverture avait été agrémentée à la main. Le titre et le nom de l'autrice figuraient en lettres stylisées découpées dans du papier feutre rouge vermeille et fixée à la colle. Un court message avait été inscrit en guise de préface : « Pour toutes les erreurs ». Pour toutes les erreurs ? Les siennes ?
La curiosité me submergea, sentiment qui m'émoustilla au plus haut point. J'étais vraiment en manque de lecture.
Les pages étaient marquées d'une écriture ronde et belle, agrémentées parfois d'un gribouillage sur les coins. Le premier constat que je pouvais faire était le mélange de langues. Un paragraphe pouvait commencer en français, continuer en anglais, et se terminer en italien, rendant son décryptage assez difficile. Cependant, en faisant fi de l'italien, j'arrivais à en lire une partie.
Le début parlait de voyages et de découvertes de mille merveilles, d'une vie bien remplie en somme. J'aurais pu croire que ce carnet n'avait pas un grand intérêt, mais sans pouvoir l'expliquer, une sourde appréhension s'insinua en moi. Mon rythme cardiaque augmentait sa cadence lentement mais sûrement, dans l'attente de quelque chose dont j'ignorais tout mais que je savais inévitable, comme au début d'un film d'horreur.
Quelque chose me gênait, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.
Je sentis à peine Emilie reprendre place près de moi. Elle avait sûrement fini son expédition du sous-sol. Elle me regardait lire en silence, soupçonnant peut-être que j'étais sur le point de mettre la main sur quelque chose. Je continuai ma lecture, plus perturbé par cette sensation que par ses yeux scrutateurs. Plus je lisais, plus ce pressentiment augmentait. Je sautai quelques pages, cette fois à la recherche de quelque chose de précis. Le bruit de froissement se faisait plus bruyant. Mon cœur battait avec frénésie.
Mes yeux surlignaient certains mots, comme avec une liseuse. Lorsque je les reliai les uns aux autres, j'étouffai une exclamation qui attira l'attention d'Emilie et des jumeaux qui piquaient du nez. Je comprenais à présent d'où venait ce malaise.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Dex en se frottant les yeux.
Les mots me manquaient. Je levai des yeux sans doute ahuris vers eux. Ce que je tenais entre mes mains n'étaient pas n'importe quel livre, carnet ou journal intime. C'était les mémoires de son autrice, un avertissement pour nous qui nous trouvions dans cette maison.
- Bah, vas-y, Nathan, m'exhorta Kelly.
Je refermai le carnet et le posai au milieu de nous quatre.
- Ce carnet a été écrit par Andréa Moreno... commençai-je.
- Oui, je sais, répliqua Dex, intrigué, et alors ?
- Andréa a utilisé son nom de jeune fille ici. Nous avons déjà entendu parler d'elle, mais sous le nom de Hoüser. Il s'agit en réalité d'Andréa Hoüser.
Tout d'abord perplexe face à ma déclaration, il fallut un moment pour que l'information remonte. Dex fut le premier à montrer une réaction. Cela ne me surprit pas qu'il ait fait le rapprochement. Ce qui me surprenait en revanche était qu'il ne l'ait pas fait bien plus tôt. Apparemment, j'avais été le seul à écouter attentivement l'histoire que nous avait racontée Mamie la veille au diner.
- Je n'ai pas fait attention, lâcha-t-il dans un souffle.
Je pouvais le comprendre. J'observai les filles qui semblaient elles aussi avoir compris où je voulais en venir. Maintenant, tout le monde regardait le carnet avec appréhension.
- Il s'agit d'un journal tenu par la femme de Frédérick Hoüser, l'ancien propriétaire de la maison. Et je suis sûre qu'à l'intérieur, se trouve une solution pour combattre les esprits qui la hante et peut-être, nous sortir de là.
Emilie avait eu raison, une fois de plus. La solution était peut-être plus proche qu'on ne le croyait...
A suivre...
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Que contient le Mémoire d'Andréa Hoüser ? Est-il vraiment la solution pour les sortir de là ? Qu'arrivera-t-il une fois le soleil levé ? La suite au prochain chapitre 😉😉
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