Chapitre 6

N'hésitez pas à commenter pour que je me fasse une idée de s'il y a des choses qui vont ou pas 😊 Et puis ça fait toujours plaisir ! Passez une bonne lecture !

Abandonner n'était pas dans ma nature. Ça ne l'avait jamais été. Shane aurait beau me repousser de toutes ses forces, tant que je ne jugerais pas sa raison valable, je ne comptais céder si facilement. Alors je poursuivais ma vie comme si rien n'était arrivé. Chaque jour, je m'occupais de la maison, puis me rendais à pied au garage vers le milieu d'après-midi, accompagné de trois cafés et de quelques gâteaux.

Au début, Shane s'était assuré de m'ignorer de nouveau, et même si cela m'avait profondément blessé, le voir me suffisait amplement. J'étais simplement resté à ses côtés, profitant de la sérénité que sa seule présence m'octroyait. Plus les jours passaient, plus Walter et moi discutions de tout et de rien, qu'il s'agisse de sa famille, son travail ou bien même de Shane qui écoutait sans réagir. Nous avions fini par lier une amitié.

Lorsqu'il s'absentait et que le silence revenait, je m'asseyais proche de Shane, sortais mon calepin et commençais à dessiner. Des portraits qui le concernaient, ou bien des paysages que je reproduisais sur peinture pour les vendre par la suite. Il restait malgré tout ma plus grande source d'inspiration, car je ne pouvais m'empêcher de retracer son quotidien. Le nombre de croquis que j'avais de lui si concentré sur des réparations de véhicules semblait démesuré. Mon carnet en était saturé, pourtant j'étais incapable de m'arrêter.

Le premier soir, Shane m'avait jeté son casque avant de se détourner vers sa moto. Je l'avais suivi avec une chaleur au creux de la poitrine, heureux de partager son trajet malgré son silence obstiné. Me ramener après ses journées de travail avait fini par devenir une habitude dont je ne pouvais me passer. Son mutisme à mon égard n'avait plus d'importance, car je voyais sa lutte s'affaiblir un peu plus chaque jour.

Il fallut un petit moment avant que ses cafés, à la base ignorés, finissent entre ses mains. Les gâteaux disparaissaient lorsque je ne le regardais pas, ce qui me faisait toujours sourire quand je m'en rendais compte. Ses coups d'œil dérobés ne m'échappaient jamais, même s'il me pensait trop concentré pour les notifier.

C'était comme essayer d'apprivoiser un animal sauvage qui refusait de se laisser approcher, mais restait malgré tout curieux. Cette situation était étrangement amusante. Elle me plaisait comme un jeu qui nous était propre.

Lorsque la semaine s'acheva avec la réparation complète de mon véhicule, je pus enfin réaliser de nouveaux achats pour rénover la maison. Ça ne m'empêcha en rien de revenir chaque soir à pied, afin de rentrer avec lui au dos de sa moto. Walter avait ri de tout son soûl lorsqu'il avait distingué le visage ébranlé de Shane qui ne s'attendait plus à me revoir. Il avait tort s'il pensait que je lâcherais l'affaire.

Une certaine routine s'était ainsi installée, où il ne se passait pas un jour sans que je ne le voie. L'ignorance avait laissé place à un signe de tête, puis à des salutations de vive voix chaque fois que débarquais. Des remerciements lui échappaient lorsque je lui tendais son café, réchauffant davantage ma poitrine de bonheur.

Quand je parlais, il m'écoutait et me répondait même de temps en temps ! Tout cela pouvait paraître minime, mais c'était énorme pour moi. Nous avancions doucement, mais sûrement, et cela faisait battre mon cœur toujours plus fort.

Ce jour-là, Jay me donna rendez-vous au café habituel. Je m'y rendis de bonne humeur, pensant déjà à retrouver Shane après notre conversation. Cependant, à l'instant même où je passai le seuil, le visage sombre de Jay m'indiqua que quelque chose le tracassait.

— Salut.
— Hey.

Je m'assis face à lui sans avoir besoin de passer commande étant donné que Sheila savait désormais ce que je prenais.

— Ça va ? m'inquiétais-je.

Il me dévisagea avec intensité avant de soupirer.

— Écoute, je ne vais pas passer par quatre chemins. Est-ce que tu traînes avec Shame ?

L'entente de ce nom me fit froncer les sourcils, pourtant je m'empêchai de le rectifier.

— Pourquoi ?
— Il y a des rumeurs qui commencent à courir. Elles disent que vous passez votre temps ensemble.

L'élan d'irritation qui me submergea fut si virulent qu'il me prit au dépourvu.

— Qu'est-ce que ça peut faire ? J'ai encore le droit de faire ce que je veux à ce que je sache.

Le soupir de Jay sembla aussi désespéré qu'énervé.

— Ne t'avais-je pas averti de ne pas t'approcher de lui ? Il est dangereux Aedan.
— Il ne l'est pas. Il ne me fera pas de mal.
— Et comment peux-tu en être si sûr, hein ?
— Parce que je le sais, répondis-je buté.
— Tu ne sais rien du tout, tu as tout oublié !

Sa voix commença à s'élever, ce qui fit hausser la mienne en écho à ma colère.

— De quoi est-ce que tu te mêles au juste ? Je suis adulte, tu n'as pas à me dire ce que je dois faire ou non !
— J'essaie simplement de te protéger !
— Eh bien abstiens-toi ! J'ai écouté tes conseils, maintenant laisse-moi gérer cette situation comme je l'entends.

Je me levai pour partir lorsqu'il me retint par le poignet.

— C'est un meurtrier Aedan ! Je ne lui permettrai pas de te faire du mal à nouveau ! Je me suis promis que ça n'arriverait plus.
— Quoi ?

Je fronçai les sourcils en m'arrachant à sa poigne.

— C'est à cause de lui que tu as tout oublié, à cause de lui que tu as été blessé. Il a tué sa propre mère bordel !

Ce fut comme s'il venait de me frapper en pleine poitrine. J'en eus le souffle coupé.

— La seule raison pour laquelle il n'est pas en prison est parce qu'il était mineur ! Il n'est pas stable Aedan, à tout moment il pétera encore un câble et s'en prendra à toi !

Je reculai en tentant de me calmer. Mes jambes tremblaient, cependant je refusais de m'effondrer. Je sentais le poids du regard des autres sur moi, écrasant, étouffant. Tous me fixaient d'un air peiné ou coupable. Personne ne défendit Shane, ils semblaient tous implacables quant à ces faits. Shane avait tué sa mère et j'avais été présent avec lui ?

— Pourquoi aurait-il fait cela ?
— Ça on se l'est tous demandé. Céleste était une femme incroyable, tout le monde l'adorait. Elle était la gentillesse incarnée, toujours aimable, serviable et altruiste. Elle s'investissait pour la ville et organisait souvent des activités et œuvres de charité. Lorsqu'il l'a tuée... Tu aurais vu l'état de son corps on aurait dit qu'un monstre venait de la ravager.
— Comment peux-tu le savoir ? Nous n'étions que des adolescents.
— Je suis shérif Aedan, j'ai accès à une partie du dossier.

Je secouai la tête en reculant. Mes mains tremblaient tant que je sentais une crise pointer à l'orée de ma conscience.

— S'il te plaît, je ne dis ça que pour ton bien. Pourquoi crois-tu que tes parents ne soient jamais revenus ? Pourquoi penses-tu qu'ils ne veulent pas que tu t'en remémores ? Tu étais présent lorsque c'est arrivé Aedan, tu as sûrement tout vu alors il s'en est pris à toi. Dès qu'il se rendra compte que tu t'en souviens, il n'hésitera pas à te tuer aussi.

Ma tête me faisait mal. Je reculai et me tournai pour partir, incapable d'en entendre davantage. Une fois à l'extérieur j'inhalai une grande bouffée d'oxygène en sortant mes anxiolytiques d'une main tremblante. Je les avalai rapidement avant de commencé à marcher dans l'objectif de me calmer, tout en réfléchissant à ce que j'avais appris. Donc Shane avait tué sa mère et j'avais été présent ?

Il était difficile de croire qu'un adolescent était capable d'un tel acte, pourtant tous semblaient d'accord sur ce fait. Ce qui, en un sens, expliquait la raison de leur aversion envers Shane. Je levai les yeux vers le ciel en tentant d'ignorer la douleur grandissante dans ma poitrine. Pourquoi aurais-tu fait ça Shane ?

***

Il m'avait fallu du temps pour y songer. Cela s'était traduit par plusieurs heures de déambulation dans la ville avant de rejoindre la plage. J'avais alors retiré mes chaussures pour plonger les pieds dans l'océan et j'avais marché. Marcher et marcher des kilomètres durant sans jamais m'arrêter jusqu'à ce que mes jambes se rappellent à moi par des élancements douloureux. Cela m'avait contraint à m'asseoir sur le sable afin de réunir le peu de souvenirs qui m'étaient revenus. Puis j'avais fait ce que j'aurais dû faire depuis le début : prendre mon téléphone et effectuer des recherches. J'eus seulement à marquer le nom de Céleste et Waldport pour y découvrir de nombreux sites, articles et journaux en lignes.

« Assassinée par son propre fils, Céleste Turner alors âgée de trente-cinq ans décède des suites d'une dizaine de coups de couteau. La scène de crime d'une violence inouïe a vraisemblablement choquée les policiers lors de la découverte du corps mutilé. [...] Témoin oculaire du meurtre, victime A est transférée à l'hôpital de Newport suite à de graves blessures qui le laissent dans un état critique. [...] Shame Turner, également sévèrement  mutilé pour des raisons à  déterminer, sera transféré à l'hôpital de Newport sous étroite surveillance policière. [...] Après plusieurs mois d'attente, un procès prendra place en huis clos ce jeudi dix-huit mars. Le témoin ayant des troubles de la mémoire, sa déposition ne pourra pas être prise en compte. »

Je continuai de lire en sentant mon cœur se serrer à chaque information qui me parvenait. Tous les articles déclamaient que Céleste était une jeune mère aimante et souriante, connue pour être toujours d'humeur joyeuse. Pourtant le verdict de Shane s'était montré favorable envers lui, le libérant de l'ensemble de ses charges sans en divulguer les détails. Étant donné que le procès s'était tenu en huis clos, ce qui s'était déroulé à l'intérieur y restait, tandis que la justice faisait opposition à la communication de certaines pièces du dossier.

Le public demeurait donc dans l'ignorance quant aux réelles raisons de sa libération. Plusieurs interviews avaient été effectuées auprès aux habitants de la ville et chacune de leurs paroles me donnait envie de vomir.

« Comment un adolescent de quinze ans peut-il faire preuve d'une telle cruauté ? Il a déchiqueté sa propre mère bon sang ! Dix coups de couteau est-ce que vous vous rendez seulement compte ? Ça m'en donne des frissons rien que d'y penser ».

« Quelle horreur ! Céleste était toujours si charmante lorsque nous l'invitions chez nous. Qui aurait cru qu'une telle monstruosité se produirait dans notre propre quartier ? »

Je fermai les yeux en tremblant, et inspirai profondément. Malgré mes tentatives pour me remémorer de ce moment, rien ne me vint en dehors d'un mal de crâne accentué. Mon téléphone s'éteignit sur les paroles de journalistes qui analysaient la scène comme s'ils avaient été présents, jugeant sans l'ombre d'un doute des faits dont ils n'avaient pas été témoins.

Ça me rendait malade. Je ne savais plus quoi penser de tout cela, ni en qui je pouvais croire ou non. Mon téléphone m'échappa des doigts lorsque je m'allongeai sur le sable en posant mon avant-bras contre mes yeux. J'étais fatigué de toutes ces informations, las des spéculations de tous ces gens qui pensaient tout savoir. Ils m'en donnaient la nausée.

Refusant d'y songer davantage, je cessai de réfléchir et laissai le temps m'emporter. Le monde aurait pu s'effondrer que je n'y aurais pas prêté plus d'attention. Je dus m'endormir, car lorsque je m'éveillai, la douleur dans mon crâne avait été reléguée en second plan, infime face celle qui m'avait martelé les tempes un peu plus tôt.

De légers bruits de pas s'approchaient de moi. Je les reconnus instinctivement comme étant les siens sans même avoir à me retourner. Son seul regard me brûlait comme jamais aucun ne l'avait fait.

Je retirai mon bras et me tournai vers lui lorsqu'il s'installa à mes côtés.

— Tu n'es pas venu aujourd'hui.

Mon sourire me trahit avant même que je ne puisse le retenir.

— Tu t'es inquiété ?

Il ne répondit pas, son attention polarisée sur l'horizon. Alors je sus que c'était le cas. Ne pas me voir l'avait préoccupé, si bien qu'il avait fini par me chercher. Cela réchauffa profondément mon cœur.

— Jay m'a averti de ne plus m'approcher de toi.

Chacun de ses muscles se tendit à ces mots.

— Il m'a dit que tu avais tué ta mère et que j'en avais été témoin.

Ses lèvres se pincèrent et son regard devint vague. Il semblait revivre la scène, et ce que j'y vis me tordit l'estomac.

— Il a raison.

Je secouai la tête en me redressant. Sa soudaine froideur me glaçait le sang. Je ne voulais pas tout recommencer à zéro, je ne voulais pas qu'il s'éloigne à nouveau.

— Pourquoi l'as-tu fait ?

Son sourire de dérision me fit frissonner.

— Parce que je suis un psychopathe.
— Je ne te crois pas.

Et cela sortit avant même que je n'y réfléchisse. C'était une affirmation qui venait du plus profond de moi.

— Tu devrais.

Sans plus attendre, il se redressa et commença à s'en aller. J'en fis de même en le rattrapant d'une poigne ferme autour de sa main.

— Pourquoi fuis-tu constamment ?
— Je ne fuis pas.
— Alors pourquoi est-ce que tu t'éloignes de moi ?
— Parce que tu n'es rien pour moi.

Ses mots me blessèrent d'une façon si brutale que j'en eus le souffle coupé. Il récupéra sa main sans douceur puis s'approcha de mon oreille afin d'y murmurer d'une voix glaciale.

— Disparaît une bonne fois pour toutes ou je m'en chargerai.

Sur ces paroles, il s'éloigna, emportant à chacun de ses pas un morceau de mon cœur éclaté.

***

J'avais beau feuilleter inlassablement les photos des albums, rien ne me revenait en mémoire. Seule celle du barbecue m'obnubilait pour la simple et bonne raison que la femme qui m'avait tant intrigué n'était autre que la mère de Shane. Ce que je ne comprenais pas en revanche, c'est pourquoi lui ne s'y trouvait pas. Nous avions plusieurs images de Céleste, mais aucune de son fils. N'y tenant plus, je m'emparai de mon téléphone et appelai ma mère. Les tonalités résonnèrent un instant jusqu'à ce qu'elle décroche.

— Shame Turner. Pourquoi n'a-t-on aucune photo de lui ?
— Bonjour mon fils, je vais bien et toi ? dit-elle avec ironie.
— Maman, s'il te plaît, c'est important. Pourquoi n'apparaît-il jamais sur les photos ?

Elle soupira profondément.

— Cet enfant était souvent malade. Il ne sortait que rarement de chez lui parce qu'il était très fragile.

Shane fragile ? Son corps se manifesta dans mon esprit, et je pus jurer qu'aucun de ses muscles n'avait l'air foutrement fragile. Peut-être sa santé avait-elle été défaillante lors de son enfance, néanmoins il semblait en bien meilleure forme aujourd'hui.

— Est-ce que nous l'invitions parfois à la maison ?
— Tu essayais de le faire, mais comme je te l'ai dit, c'était un enfant fragile. Le moindre contact avec les bactéries extérieures pouvait lui nuire et le faire chuter. Sa mère l'emmenait régulièrement à l'hôpital, elle nous avait expliqué qu'il était immunodéprimé.

Mon sang se glaça. La peur qui me submergea fut telle que je dus me tenir à quelque chose pour ne pas sombrer.

—    Est-ce que c'était seulement ça ou... a-t-elle parlé du VIH ?

Pitié, tout sauf ça.

—    Je ne crois pas non. C'était juste un problème de génétique.

Le soulagement fut si violent que j'eus un vertige qui me força à fermer les yeux et déglutir fortement. Tout va bien, il va bien. Une pensée me traversa alors, si imposante que je ne pus l'ignorer.

—    Maman, est-ce que vous étiez au procès toi et papa ?
— Écoute Aedan, je suis en plein rendez-vous, on peut s'appeler plus tard ?

Cela me surprit tant que je mis quelques secondes avant de répondre.

— Oui, oui bien sûr, acquiesçais-je en fronçant les sourcils.
— Fais attention à toi mon chéri, je t'en prie. Je t'aime.

Elle raccrocha si vite que j'en fixai mon téléphone un moment. D'accord. Il y a quelque chose qu'elle ne me dit pas. Puisque personne ne voulait me le révéler, je n'avais plus qu'à forcer le concerné à dévoiler ses secrets.

***

Cette fois-ci je me rendis au garage à bord de ma voiture, déterminé à obtenir les réponses à mes questions. Cependant, ce que j'y vis en arrivant me glaça le sang. Je freinai d'un coup sec alors qu'un groupe de personne s'enfuyait à toute allure, batte de baise-ball en main. Des cagoules et foulards dissimulaient leur visage, rendant leur reconnaissance impossible. Mon regard s'attarda sur eux tandis qu'ils disparaissaient à l'angle d'une rue. Devais-je les poursuivre ? Je cherchai l'endroit qu'ils venaient de délaisser, et me forçai à quitter rapidement la voiture. De la fumée sortait du garage. Je courus à l'intérieur, angoissé à l'idée d'y découvrir ce qu'il s'était déroulé. Un véhicule était en feu, intoxiquant les lieux d'un lourd nuage noir irrespirable. Je toussai tout en cherchant activement un extincteur. Je ne perdis aucune seconde à m'en emparer, dégoupillant aussitôt l'objet afin de pulvériser la mousse sur le départ d'incendie.

Seule sa faible intensité me permit d'en venir à bout à temps. Une fois persuadé que ça ne risquait plus rien, j'attrapai mon téléphone et appelai les pompiers en examinant les dégâts environnants. Alors que je les informais de la situation, je remarquai la vitre pulvérisée du bureau de Walter. Les bris de glace gisaient au sol, annonciateurs d'un désastre plus effroyable à l'intérieur. Tout avait été retourné et détruit. Le bureau se trouvait dans un état épouvantable. Des papiers étaient éparpillés partout sur le carrelage, l'écran d'ordinateur fissuré pendait par les câbles, de multiples dégâts avaient été causés sur le mobilier et certains véhicules étaient endommagés. Les pompiers confirmèrent leur arrivée prochaine accompagnée du shérif. Je raccrochai et entrai rapidement dans le bureau à la recherche de Walter.

— Walter ? Shane ?

L'inquiétude me tordit l'estomac. Je fis un tour complet de la zone pour m'assurer que personne ne s'y trouvait avant de sortir.

— Walter ! Shane !?

Personne ne répondit. L'angoisse vrilla mes sens à tel point que j'en tremblai davantage. Je toussai à cause de l'odeur de carrosserie brûlée et découvris la Harley de Shane dans un piteux état.

— Oh merde...

Ils s'étaient complètement défoulés sur elle à coups de batte, si bien que plusieurs pièces s'en étaient détachées. Je grimaçai en sachant que Shane l'appréciait énormément, et cela accentua d'autant plus ma peur. Shane. Dans quel état se trouvait-il, si sa moto était ainsi ?

— Shane ! ?

Les pulsations de mon cœur s'accélérèrent si brusquement que je m'en sentis nauséeux. Je fouillai le garage malgré mon anxiété grandissante, jusqu'à entendre de faibles gémissements étouffés. Mes pas se stoppèrent tandis que je tendais l'oreille, à l'écoute du moindre bruit persistant. Ils m'amenèrent dans les zones accessibles uniquement au personnel, face à une porte que j'ouvris avec inquiétude. J'y découvris alors Shane, affalé contre le mur d'une pièce privée de lumière.

— Shane !

Je bloquai l'entrée afin de laisser filtrer celle du couloir. La lampe semblait exploser, cependant cela retint à peine mon attention. Tout ce que je vis fut Shane, couvert de blessures au visage alors qu'il maintenait ses côtes en grimaçant. Du sang coulait du coin de ses lèvres et de sa jambe droite, formant une large tache sur son jean déchiré.

Son image se superposa à celle d'un enfant perclus d'ecchymoses, me suppliant de demeurer silencieux. Je déglutis fortement en secouant la tête, le cœur au bord des lèvres. Tentant de repousser mes souvenirs pour rester lucide, je m'agenouillai et tendis une main vers lui. Je ne savais pas où le toucher sans l'affecter.

— J'ai appelé les pompiers, ils ne vont pas tarder à arriver.

Ma voix tremblait.

— Est-ce que tu es gravement blessé ?

Il sourit amèrement avant de secouer la tête.

— Ça ira.
— Si tu le dis à quelqu'un elle me tuera.
— Mais...
— S'il te plaît Aedan, ne dis rien. J'ai l'habitude, ce n'est rien.

Les larmes me montèrent si brusquement aux yeux que cela me déconcerta. La colère qui me submergea par la suite fut si écrasante que je dus serrer les poings pour tenter de la maîtriser.

— Pourquoi ont-ils fait ça ? Où est Walter ?
— Walter s'est absenté, il ne devrait pas tarder à revenir, souffla-t-il.

La douleur qu'il éprouvait était perceptible au son de sa voix.

— Je vais les tuer si je les croise, grognais-je avec humeur.

Cela le fit rire, avant de grimacer.

— Est-ce qu'ils ont fait beaucoup de dégâts ? demanda-t-il d'une voix démoralisée.
— Le bureau est en ruine. Ils ont cassé quelques véhicules et ta Harley est dans un piteux état...

Il soupira profondément, puis laissa tomber sa tête contre le mur en fermant les yeux. Je drapai délicatement ma main contre sa joue et caressai doucement l'hématome qui s'y formait. Il tressaillit, mais ne dit rien.

— Ce n'est pas la première fois n'est-ce pas ?

Le désespoir et la fatigue qu'il démontrait l'attestaient.

— Ce ne sera pas la dernière.

Je me penchai afin de poser mon front contre le sien.

— Je ne les laisserai pas faire.

Ma fureur était telle que mes mains tremblaient de rage. Je n'aurais pas hésité une seule seconde à le défendre de mes poings s'ils étaient encore présents. Qu'ils soient dix ou cent, je me serais battu pour lui jusqu'à mon dernier souffle.

Nos regards se croisèrent. Je ne m'en détournai pas, lui assurant que mes paroles ne se déroberaient pas à la réalité. Qui qu'ils soient, je ne les laisserais plus jamais lui faire de mal. J'étais prêt à tout pour le protéger.

Les pompiers finirent par arriver, suivi de peu par Walter qui s'empourpra de rage à la vue des dégâts et des blessures de Shane. Je m'éloignai à contrecœur pour effectuer ma déposition à eux et Jay, précisant qu'ils étaient cinq hommes cagoulés, mais de forte corpulence. Je les méprisais pour s'être attaqué à une personne seule en si grand nombre. Lorsque je terminai, je jetai un coup d'œil à Shane qui était pris en charge pour ses blessures à l'arrière du camion. Walter s'approcha de moi, attirant mon attention d'un signe de tête. Je le suivis au cœur du garage, dans une salle de repos où il s'assit sur le canapé en m'indiquant de le rejoindre.

— De quel côté es-tu Aedan ? Es-tu ici pour lui faire payer ou lui pardonner ?

Je fronçai les sourcils en le regardant.

— Ai-je vraiment besoin de répondre à cela ?

Il sourit et tapota mon épaule.

— Désolé, je suis un peu sur les nerfs. Ça faisait un moment que ça n'était pas arrivé. Je suppose que ton retour à rappeler son existence à tout le monde...
— Comment ça ?
— Tu sais, S est comme un fils pour moi. À l'époque ce n'était qu'un gamin qui venait tout juste de commettre un crime que personne n'allait pardonner. Céleste était réellement appréciée, nous la voyons partout et discutions tous avec elle. S n'a jamais révélé les raisons qui l'ont poussé à lui prendre la vie, mais depuis ce jour tout le monde s'est retourné contre lui. Il a été innocenté, tu sais ? Seulement personne n'a accepté le jugement qu'ils estimaient tous inacceptable. Personnellement je me suis toujours fié à la justice, mais comme le procès s'est tenu en huis clos, nous n'avons pas tous les éléments pour comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Ce qui a donc laissé place à nombre de suppositions et aucune explication pour les contrer.

Il soupira en se frottant le visage d'une main.

— S n'avait que quinze ans quand c'est arrivé. À la fin du procès, et n'ayant plus aucune famille, il s'est vu envoyé en foyer. Je ne sais rien de cette époque, car il n'en a jamais parlé. Tout ce dont je suis sûr, c'est qu'il est soudainement revenu à ses dix-huit ans pour reprendre la maison qui lui appartenait. Je ne pense pas que son retour se soit passé positivement. Même s'il se faisait discret, je suis persuadé que les habitants lui en ont fait baver un moment. Lorsqu'il s'est mis à chercher du travail, personne ne l'a accepté.

Je serrai les poings en fixant la table de billard sans vraiment la voir.

— Un jour, il a frappé à ma porte. Ce gamin était... si enragé et si fier à la fois. Malgré son œil au beurre noir, ses bleus et ses phalanges ensanglantées, son regard... Son regard m'a réellement marqué ce jour-là. Je n'avais jamais vu autant de fureur et de détermination mêlée en une personne. Il m'a alors demandé si je recrutais, qu'il apprenait vite et ferait n'importe quoi sans discuter, même récurer les chiottes s'il le fallait. Qu'aurais-je pu faire à part l'accepter ? Il semblait si courageux malgré ses blessures que je m'en serais voulu à vie de le rejeter.
>> Et tu sais quoi Aedan ? Je ne l'ai jamais regretté. Ce gamin n'a reculé devant rien, il apprenait réellement vite et ne rechignait jamais devant quoi que ce soit. Même si sa présence m'a fait perdre quelques clients, cela n'avait aucune importance pour moi, car cet enfant était extraordinaire. Son potentiel était immanquable, il est aujourd'hui meilleur que moi et je le considère comme mon propre fils. Certains connards tentaient de s'en prendre à lui, mais je m'étais assuré qu'ils cessent à force de menaces.
— Mais je suis revenu, dis-je amèrement. Je le mets en danger.
— Je pense que les gens essaient de te protéger de lui. Tes parents étaient également appréciés, leur départ en a affecté plus d'un. Je suis persuadé que ce n'est pas le premier avertissement qu'il a reçu, bien qu'il n'en parlera jamais. Ce gamin a toujours tout gardé pour lui d'aussi loin que je le connaisse, c'est difficile de savoir ce qu'il pense réellement. Néanmoins, cela fait une éternité que je ne l'avais pas vu avoir un profond intérêt pour quelque chose.

Il se tourna pour me fixer dans les yeux.

— Depuis que tu es là, il semble de meilleure humeur, plus serein même si pour une raison que j'ignore, il fait tout pour le dissimuler. Chaque jour où tu étais là et qu'il te regardait... il y avait quelque chose dans ses yeux Aedan qui ne trompe pas.
— Je sais.

Je l'avais toujours senti. Cette connexion qui nous liait.

— Si tu décides de lui donner une chance, ce sera sûrement difficile, mais sache que je serai de votre côté.
— Merci Walter.

Je me levai en lui souriant.

— Je ne l'abandonnerai pas une seconde fois, vous pouvez en être certain.
— Tu m'en vois ravi.

Sur ces paroles je quittai les lieux afin de rejoindre Shane. Les pompiers semblaient lui avoir prodigué les premiers soins et tentaient de le retenir sans y parvenir.

— Je n'irai pas à l'hôpital.
— Mais...
— Je peux prendre soin de lui et le surveiller si besoin, les coupais-je.

Le pompier soupira, mais finit par acquiescer.

— Très bien.

Je me tournai vers Shane qui se releva en s'époussetant. Son jean avait été découpé pour pouvoir y apposer un bandage qui encerclait désormais sa cuisse.

— Tu vas bien ?
— Ce n'est rien, marmonna-t-il nonchalamment en haussant les épaules.

Son regard semblait lointain, comme s'il n'était pas réellement ici. Je mordis mes lèvres en m'approchant avec hésitation afin d'agripper son t-shirt du bout des doigts. Cela le fit revenir au présent tandis qu'il polarisait son attention sur moi.

— Je suis désolé.
— Tu n'y es pour rien.

Je haussai les épaules, me sentant mal malgré tout.

— Je les ai vus s'enfuir, j'ai hésité à les poursuivre, mais il y avait cette voiture en feu...

Il glissa un doigt sous mon menton pour me faire lever les yeux.

— C'était la meilleure chose à faire. Si l'incendie s'était développé, le véhicule aurait explosé en emportant l'ensemble du bâtiment avec lui. Walter aurait alors tout perdu.

Je soupirai doucement en m'agrippant un peu plus à son haut. Ce qu'il ne disait pas, c'est que lui aussi ne s'en serait pas sorti, et cela me rendait malade d'angoisse.

— Me laisseras-tu prendre soin de toi ce soir ?

Son léger sourire en coin m'envoya des frissons dans tout le corps. Néanmoins, il secoua la tête et se recula.

— Ce n'est rien de grave, je n'ai pas besoin qu'on me surveille.

Ma main retomba contre ma hanche tandis que j'observais sa jambe.

— Que s'est-il passé ?

Il haussa les épaules.

— Règlement de compte.

J'étais persuadé qu'ils avaient utilisé quelque chose de tranchant comme un couteau pour blesser sa cuisse. J'espérais qu'il s'agissait du seul endroit touché, en tout cas je n'avais pas repéré d'autres zones potentiellement meurtries. Heureusement, cela ne semblait être qu'une entaille pas assez profonde pour le mettre en danger ou l'empêcher de marcher. Walter nous rejoignit en serrant son épaule.

— Tu peux rentrer te reposer gamin, prends quelques jours s'il le faut.

Il secoua la tête.

— Je viendrai demain pour réparer les dégâts.
— Moi aussi.

Mon ton ne leur laissait aucune chance de refuser, ce dont ils s'abstinrent en croisant mon regard déterminé. Shane se tourna ensuite vers sa Harley pour l'examiner avant de soupirer profondément. Il faudrait beaucoup de travail dessus pour la remettre en état.

— Je pourrais t'emmener en attendant, ça ne me dérange pas.

Il l'avait bien fait, toutes ces soirées où nous regagnions nos foyers ensemble.

— Alors allez-y. Je m'occupe de tout ici, déclara précipitamment Walter pour empêcher Shane de répliquer. Du balai !

Je lui souris en guise de remerciement et fis un signe de tête vers ma voiture garée à l'extérieur.

— Rentrons à la maison.

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