Chapitre 5

Si vous avez des hypothèses quant à ce qu'il s'est passé n'hésitez pas à commenter, j'ai hâte de voir ce que vous pensez du passé d'Aedan 👀

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis, tous aussi similaires que les précédents. Se lever, restaurer la maison et peindre le reste du temps. Ces habitudes constituaient mon quotidien depuis une semaine. Parfois, Jay m'invitait à sortir afin que nous nous remémorions le bon vieux temps. Ou plutôt il le faisait et je l'écoutais en essayant de me rappeler. Quelques bribes de souvenirs m'étaient revenues depuis qu'il m'avait montré des photos de nous enfants. Chacun d'eux me donnait un affreux mal de crâne, mais si cela me permettait de les retrouver, alors j'étais prêt à surmonter la douleur.

Calypso et Ekaitz m'appelaient régulièrement pour prendre des nouvelles. Parfois nous échangions par vidéo pendant des heures, et cela me remontait le moral de converser avec des personnes chères à mon cœur. Ils me manquaient terriblement, alors j'étais profondément heureux d'entendre leurs voix comme si nous n'étions pas séparés par des centaines de kilomètres.

Mes pas m'avaient souvent mené en bord de plage néanmoins, depuis qu'il m'avait repoussé, Shane ne s'y trouvait plus. En fait, je ne le voyais quasiment jamais. Je distinguais seulement les puissants grondements de sa moto lorsqu'il partait ou revenait du garage.

Ma voiture avait de sacrés dommages, ce qui nécessitait une semaine supplémentaire pour la remettre en état. Ça commençait à être long, car j'avais besoin d'un véhicule afin d'effectuer des achats complémentaires pour la maison.

J'étais aussi étrangement démoralisé par l'ignorance de Shane à mon égard. Les rares fois où nous nous croisions me laissaient un arrière-goût amer dans la bouche. Chaque tentative de discussion que j'entamais se faisait aussitôt souffler par le silence et une porte se clôturant derrière lui.

Le message ne pouvait être plus clair, cependant je n'arrivais pas à me détourner de lui. Je préférais affronter les problèmes plutôt que de les ignorer. Alors j'avais décidé de régler celui-ci d'une façon ou d'une autre.

Et pour cela, je devais me souvenir un peu plus de ce qui nous liait. J'avais beau me tenir face aux marches des escaliers menant au grenier, l'idée de m'y rendre me pétrifiait. Je savais qu'il n'y aurait aucune fenêtre, et cela m'angoissait réellement.

Pourtant, j'inspirai un grand coup afin de me donner du courage, et grimpai en haut. Les médicaments que j'avais pris ce matin devraient suffire à contrer une crise, si ce n'est me calmer.

Je pris soin de laisser la porte ouverte en enclenchant la lumière sur un grenier poussiéreux et encombré de vieux meubles. Si mes parents étaient partis ce jour-là sans jamais revenir – si c'est n'est pour récupérer le strict minimum – , alors il devait forcément rester des souvenirs de notre vie ici quelque part. J'avais fouillé toutes les pièces sans rien trouver. Cet endroit était le seul que je n'avais pas encore examiné.

Je jetai un dernier coup d'œil anxieux à la porte afin de m'assurer qu'elle n'avait pas bougé, puis commençai à explorer la salle. Quelques meubles étaient bâchés sous un drap blanc que je soulevai pour découvrir ce qu'ils dissimulaient.

Ma respiration était légèrement plus erratique et mes mains tremblantes, mais j'ignorai au mieux ma peur afin de me diriger vers les cartons. J'en ouvris quelques-uns, y dénichai des sets de vaisselles et babioles en tout genre, de vieux objets de décorations ou d'autres qu'on n'utilisait plus sans pour autant les avoir jetés.

Cela me prit un long moment, mais je finis par tomber sur un carton contenant tout ce que je recherchais. Des albums photo. Plusieurs d'entre eux étaient réunis à l'intérieur, abrités de la poussière qui s'était emparée des lieux.

Je l'écartai et fouillai les autres afin de m'assurer que je ne manquais rien. Lorsque tout fut examiné, je saisis mon trésor et quittai cette horrible pièce qui me donnait des sueurs froides dans le dos.

Dès que je fus dans le salon, mon anxiété reflua vivement, ce qui me permit de respirer un bon coup. C'était bien mieux ainsi. Prenant place sur le canapé, je sortis tous les albums et les triai par années, réduisant leur nombre de huit à trois. Je commençai par celui de mes huit ans, soit la période où nous avions emménagé ici.

J'y découvris alors des photos de la maison en meilleur état, plusieurs de mes parents et moi, quelques-unes où j'allais à l'école et d'autres avec les élèves de ma classe. Il y en avait beaucoup de Jay et moi, jouant ensemble. Nous étions visiblement inséparables.

Certains visages me paraissaient inconnus, d'autres plus familiers. Je continuai de feuilleter chaque album avec minutie, soutenant ma tête d'une main après quelques heures tant elle me faisait mal.

Lorsque enfin je les terminai, mon crâne pulsait tant de douleur que cela m'obligea à aller chercher un doliprane. Je l'avalai et massai mes tempes un instant avant de soupirer profondément. Quelques flashs m'étaient revenus, mais rien en lien avec Shane. Parce qu'il n'y avait tout simplement aucune photo de lui.

Je retrouvai celles de mes classes et les observai minutieusement. Shane n'apparaissait sur aucune d'elles, mais peut-être que nous n'étions pas dans les mêmes. Jay en revanche, s'y trouvait régulièrement, son bras étendu sur mes épaules et un sourire immense aux lèvres.

Je retirai une photo afin de l'examiner avec plus d'intensité. Je ne savais pas pourquoi elle m'intriguait tant, mais m'en détourner me paraissait insurmontable. Ce n'était qu'une simple journée barbecue, rien de plus banal étant donné que nous en organisions régulièrement.

Le seul élément qui différait était la présence de cette femme au visage angélique encadré par de longs et soyeux cheveux châtains. Elle semblait joyeuse, mais nous l'étions tous en cette journée ensoleillée.

Mon père se chargeait de la cuisson de la viande tandis que je l'admirais dans sa tâche avec de grands yeux enfantins. Ma mère ne s'y trouvait pas, car elle prenait la photo. Quelque chose me troublait, cependant je n'arrivais pas à en déterminer la raison.

La douleur vrillait tant dans ma tête que je fus contraint de faire une pause. Je reposai tout ce que je tenais et massai mes tempes. Les élancements se faisaient si virulents que c'en était presque insupportable. J'en profitai pour m'allonger sur le canapé et posai mon avant-bras contre mes yeux en prenant de grandes inspirations.

Après quelques instants, des bruits distincts résonnèrent contre les murs, me faisant sursauter. J'ouvris une paupière sans bouger, écoutant le silence qui fut brisé par de nouveaux coups. Je les reconnus aussitôt pour ce qu'ils étaient : du morse.

Je me levai rapidement et fixai le mur en me concentrant attentivement sur les sons, incapable de discerner la réalité du fictif. Était-ce ma tête qui me jouait des tours, ou bien ces sons étaient-ils réellement présents ?

J'attrapai une feuille et un stylo afin d'y retranscrire l'ensemble des vibrations. Lorsqu'elles s'arrêtèrent, je traduisis chaque point et trait en lettres sans la moindre hésitation.

— Tiens, apprend le morse. Papa me l'a enseigné quand j'étais petit, il m'a dit que ça pourrait toujours servir un jour. Il l'utilisait souvent lorsqu'il était à l'armée.

Shane prit mon carnet avec incertitude et hocha la tête.

— Comme ça nous pourrons parler quand nous le voudrons.

« Urgent. Demain vingt-trois heures »

Je fronçai les sourcils en étudiant la phrase traduite. Ça n'a aucun sens. Je m'emparai brusquement de la feuille et toquai à la porte de Shane. Était-ce lui qui venait de m'envoyer ça ? Pour quelle raison me le transmettrait-il ainsi ? Cela faisait des jours qu'il m'ignorait.

Évidemment, personne ne me répondit. Je toquai à nouveau et reculai en cherchant du regard sa moto. Elle n'était pas là. S'il n'est pas présent alors qu'est-ce que c'était ? Un souvenir ? Bordel je devenais complètement fou.

Un vertige m'obligea à m'asseoir sur les marches du perron tandis que je tenais ma tête entre mes mains. La douleur se faisait si intolérable que j'en grimaçai. Je ne comprenais pas ce qu'il venait de se passer. Est-ce que nous communiquions par morse ? Mais pourquoi ?

Ma tête allait exploser, il fallait que je retourne me coucher avant de m'effondrer dans la rue. Des taches noires apparurent sur le chemin, néanmoins je parvins à rejoindre mon lit à temps pour m'écrouler dedans. Je frottai mes yeux avec force en gémissant, et les fermai en voyant toutes les taches de couleurs brouiller la réalité.

Merde.

***

— Shane ?

Mon murmure s'effaça dans le souffle de la nuit. Je tremblais de froid en m'élevant sur la pointe des pieds afin de regarder à travers la barrière, cependant personne ne s'y trouvait.

Après plusieurs minutes à l'attendre en vain, je décidai de rentrer et grimpai silencieusement au grenier. Papa et maman dormaient alors je fis attention à ne faire aucun bruit, me figeant chaque fois que les escaliers se mirent à grincer. Une fois en haut, je fermai la porte et m'approchai du mur pour y taper « ça va ? » en morse.

Il fallut plusieurs minutes pour qu'une réponse me parvienne. Je notai tout dans mon petit carnet et traduisis :

« Je suis désolé. »

« Tu ne peux pas sortir ? »

« Malade. »

Je pinçai mes lèvres en ignorant la déception que cela me provoquait.

« OK, repose-toi bien. »

Quand je fus sûr que nous avions terminé, je soulevai la planche du parquet et y dissimulai mon carnet. J'espère qu'il ira mieux demain.

***

Mon réveil s'effectua avec la même brutalité dont j'avais fini par m'habituer. Cela ne le rendait pourtant pas plus facile à surmonter. Ma respiration sifflait à mes propres oreilles tandis que mes mains tremblaient. Il me fallut de nombreuses inspirations pour me calmer et quelques instants de plus pour attraper mes anxiolytiques sur la table de chevet. Je les avalai et fermai les yeux, tentant de comprendre d'où provenait cette peur viscérale qui me tordait l'estomac.

Après quelques minutes, je me levai, pris une douche rapide pour effacer ma sueur et allumai l'écran de mon téléphone. Il n'était que quinze heures. Je tournoyai dans la maison en cherchant des occupations, mais fus incapable de rester concentrer sur quoi que ce soit suffisamment longtemps.

J'avais besoin de le voir.

Il fallait que je le voie.

Je sortis après m'être préparé, jetant un coup d'œil vers chez lui afin de m'assurer de son absence. Lorsque j'en fus convaincu, je me dirigeai vers le garage à pied. Cela me prit une trentaine de minutes, mais une fois que je le vis, l'angoisse qui m'avait accompagné jusqu'ici s'estompa petit à petit.

Je m'approchai doucement, sachant sans même apercevoir son visage qu'il s'agissait de lui sous ma voiture. Walter se trouvait dans son bureau et me fit un signe de main à travers la vitre pour me saluer.

Je le lui rendis et pointai Shane du doigt, ce qui lui fit hocher la tête. Il retourna à sa conversation téléphonique, ce qui me permit de recentrer mon attention sur l'objet de ma présence, ainsi que celles de mes angoisses. Je m'assis proche de ses jambes, adossant mon dos contre la portière de mon pick-up et soufflai :

— Salut.

Son corps entier se tendit, ce qui me fit étrangement sourire tandis qu'il se reculait pour me dévisager.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

J'aurais pu dire n'importe quoi. Prétexter que j'avais envie de savoir où il en était avec la réparation, mais tout ce que je fus capable de lui répondre fut la vérité.

— J'avais besoin d'être à tes côtés.

Nos regards se croisèrent sans se détourner. Ses mains étaient aussi tachées que sa tenue de travail, néanmoins cela lui octroyait un air sauvage indomptable qui lui allait plutôt bien. Ses yeux verts étaient si percutants que je rêvais de m'y perdre à tout jamais.

— Est-ce que ça avance ?

Il sembla reprendre contenance et souffla légèrement.

— Ouais. Ça ne devrait plus tarder.

Glissant de nouveau sous la voiture à l'aide de son chariot de visite, Shane reprit ses réparations comme si de rien n'était. Je posai la tête contre la carrosserie et fermai les yeux.

— J'ai rêvé de toi, mais tout est encore tellement embrouillé que je n'arrive pas à m'y retrouver.

Aucune réponse ne me parvint, mais je n'en attendais pas.

— La plupart du temps nous jouons ensemble. D'autres fois je te fais découvrir des lieux, et tes yeux émerveillés me procurent un tel sentiment de joie que je veux toujours t'en montrer davantage.

J'ouvris les paupières et me tournai vers lui.

— Est-ce que nous étions dans la même école ?
— Non.
— C'est ce que je me suis dit. J'ai trouvé des albums dans mon grenier, cependant il n'y a aucune photo de toi. Pas même sur celles des classes. Est-ce que tu étais scolarisé dans une autre ville ?
— Non.

Je restai silencieux un instant en triturant mon jean.

— Nous étions amis, pas vrai ? Est-ce que je t'ai manqué ?
— Non.

Je souris, car son ton bourru me prouvait le contraire.

— Je... Je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé aujourd'hui, si... s'il s'agissait d'un souvenir ou juste d'une sorte d'hallucination éveillée, mais...

Les dernières heures étaient si floues dans mon esprit. Ma tête avait été tellement douloureuse que je parvenais à peine à distinguer la réalité du fictif. Je n'étais sûr de rien, car tout s'embrouillait.

— J'ai rêvé que nous communiquions en morse. Et je ne sais pas pourquoi j'étais aussi effrayé quand je me suis éveillé, mais j'avais besoin de te voir.

Il souffla brusquement en reculant pour s'asseoir devant moi, nous étions si proches que son souffle se répercutait contre ma joue.

— Tu n'abandonneras jamais, pas vrai ?
— Est-ce que tu m'as déjà vu abandonner ?

Son regard était si intense que je m'y perdis l'espace d'un instant. Il soupira profondément avant de se relever. La soudaine distance qu'il instaura affola mon cœur tandis que je me redressais à sa suite.

Il essuya ses mains, jeta son torchon au loin puis entra dans le bureau de Walter pour échanger des paroles que je n'entendis pas. Celui-ci acquiesça, balayant l'air d'un signe de main afin de le virer pour se reconcentrer sur ses dossiers.

Shane disparut derrière une autre porte pendant plusieurs minutes où je ne sus comment agir. Devais-je rentrer ? Le suivre ? Était-ce une nouvelle forme d'ignorance ? Lorsqu'il réapparut sans sa tenue de mécano, ses mains et vêtements étaient dénués de toute trace d'huile. Il me lança son casque que j'attrapai par pur réflexe à la dernière seconde, puis fit un signe de tête vers sa moto.

Je le suivis, hébété, mais heureux qu'il me permette de rester à ses côtés. Après avoir enjambé sa Harley, il enfila son casque et démarra le moteur qui rugit avec fureur. Je souris et grimpai à l'arrière, serrant sa taille avec un sentiment d'allégresse qui me submergea instantanément.

Nous roulâmes ainsi au gré du vent, porté par la vitesse et la sensation de liberté que nous procurait la Harley. Ses grondements s'apparentèrent à ceux du tonnerre. Ils vibrèrent contre ma poitrine de toute leur puissance tandis que Shane accélérait sur une longue route peu desservie.

Je resserrai ma prise autour de lui et posai ma tête contre ses omoplates, apaisé comme je ne l'avais jamais été depuis que je m'étais réveillé de ce coma. J'avais le sentiment absolu de pouvoir lui attribuer toute ma confiance.

Qu'importe la vitesse qui redoublait, qu'importent les dangers qui nous entouraient, tout ce en quoi je croyais, était qu'il me garderait en sécurité.

Le temps défila ainsi sans même que je ne m'en rende compte. Nous passâmes des heures sur la route, à simplement rouler et profiter. Je ne savais pas où nous étions, ni où nous allions, mais en cet instant, plus rien n'avait d'importance.

Il était là, et c'était tout ce qui comptait.

La nuit dominait le ciel de son voile obscur lorsque nous nous arrêtâmes enfin au bord de la plage près de chez nous. Les vagues semblaient apaisées tandis que le soleil se levait de l'autre côté du monde. Nous quittâmes nos casques et abandonnâmes la moto afin de rejoindre le sable en silence.

Tout était si calme que j'avais la sensation d'avoir traversé l'espace-temps. D'être dans un monde différent où nous existions tout simplement. Comme dans une bulle hors du temps, loin de tous et de tous nos problèmes. C'est alors que je nous vis, enfants, jouant au bord de l'océan malgré l'obscurité. Deux jeunes silhouettes qui s'éclaboussaient tout en riant à gorge déployée, libres et heureux.

Ma vision redevint claire lorsque Shane s'allongea et que les gamins disparurent, telles des ombres empruntées à la nuit. Nous avions grandi, nous étions désormais adultes. Je m'installai à ses côtés et observai le ciel étoilé comme si la paix m'était enfin apportée.

— Merci Shane.

Il fixa l'horizon sans me répondre, mais je savais qu'il m'entendait, qu'il écoutait et faisait attention même s'il s'efforçait d'être indifférent.

— Je ne sais plus quoi faire pour t'en empêcher.

Il semblait réellement démoralisé. Je me redressai sur un coude et croisai son regard.

— J'ai pris ma décision, rien ne me fera changer d'avis.
— Tu vas le regretter Aedan. Ce que ta mémoire t'a fait est un cadeau.
— C'est un cadeau empoisonné.

Je posai sa main sur son cœur, et m'efforçai de rester calme en tentant de lui expliquer.

— J'ai oublié sept ans de ma vie Shane. Sept. Sais-tu ce que ça fait de se réveiller un jour et de croire que tu as huit ans au lieu de quinze ? Sais-tu ce que ça fait de devoir être un adolescent alors que tu réfléchis comme un enfant ? D'agir comme tel et de sentir les regards des autres juger chacun de tes mouvements ? De voir la peur et la culpabilité traverser chaque jour celui de tes parents ? Je me suis efforcé de grandir plus vite que je ne l'aurais pu, mais rattraper sept ans, Shane, c'est impossible. Tu ne fais que suivre ce que te disent les autres et observer le comportement de ceux de ton âge afin de prendre exemple sur eux. Rattraper sept ans d'éducation partie en poussière parce que j'étais incapable de poursuivre le programme de mon âge. J'ai essayé Shane, mais je n'ai pas tenu une semaine avant d'enchaîner les crises de panique.

Je secouai la tête.

— Je n'ai jamais pu continuer les cours, et encore moins obtenir un diplôme. Je ne sais même pas comment j'ai réussi à me faire des amis alors que je me noyais dans un océan abyssal, déchiré entre ce que j'étais et ce que je devais être. Si ça ne tenait que de ça alors ça aurait été supportable, mais ce n'était pas le cas. Quand tu oublies tant d'années, toute ta vie s'en retrouve chamboulée. C'est comme si elle s'était tout simplement arrêtée, mais qu'elle continuait sans toi. Alors tu t'efforces de courir encore et encore jusqu'à en cracher tes poumons sans jamais réussir à la rattraper.

Je serrai sa poitrine, sentant les pulsations de son cœur effrénées.

— Oublier sa vie, c'est avancer aveuglément. Chuter constamment, faire face à tant d'attente et de crainte dans les yeux de tes proches qui veulent que tu te souviennes et qui sont pourtant terrifiés à l'idée que ça arrive. C'est comme marcher sur le fil d'un funambule, et s'attendre à chuter à chaque instant. Tu sais au fond de toi, alors même que tu essaies de t'adapter à ce nouveau monde qui n'est plus le tient, qu'il te manque quelque chose de crucial.

Je serrai plus fort sa poitrine en retenant mes larmes.

— Que tu as oublié quelque chose d'important dont tu ne te souviendras peut-être jamais. Et ça fait mal. Ça fait terriblement mal. Pendant des années j'ai vécu avec la sensation d'avoir un trou au fond du cœur. Une brèche que je savais être présente, mais que rien ne pouvait compenser.

Une larme s'écoula de ma joue pour s'écraser contre sa poitrine. Je levai ma main et la posai sur sa joue, caressant ses lèvres de mon pouce.

— Toutes ces années à avancer comme un estropié, à souffrir en silence et tenter de se réadapter sans jamais vraiment réussir. Et pourtant chaque fois que je te vois, j'ai l'impression de combler ce trou qui n'a de cesse de grandir. Chaque fois que je suis avec toi, tout est soudainement moins terrifiant et j'ai la sensation de redevenir moi-même, de me retrouver en toi. Parce que je sais désormais que tu es la clé de ce qui m'a toujours manqué.

Ses yeux brillaient, pourtant il ne se détourna pas un seul instant. Au contraire, il glissa sa main contre ma joue avec une douceur qui me fit fermer les miens de bien-être.

— Je ne te mérite pas Aedan.

Son murmure rauque fut à peine audible. Je m'approchai lentement de lui, jusqu'à sentir son souffle brûler mes lèvres. Je voulais l'embrasser. Je le désirais tellement que j'en eus la respiration coupée.

C'était un besoin viscéral dont je ne pouvais me détourner. Mes mains tremblaient autant que mon cœur qui s'acharnait contre ma poitrine, exalté à l'idée de combler ce qu'il lui manquait.

Alors je m'avançai, réduisant peu à peu les centimètres qui nous séparaient, sans même imaginer qu'il puisse se refuser à moi. Parce que cela me semblait tellement vital, tellement naturel. C'est pourtant ce qu'il fit en tournant la tête pour s'échapper à mes lèvres.

— Je ne peux pas.

Il se redressa brusquement, ce qui me déstabilisa tandis que je tombais sur le côté, hébété par ce qu'il venait de se passer. La fureur qui brilla dans ses yeux m'empêcha de réagir alors qu'il tournait comme un lion en cage, créant une tranchée dans le sable.

— Shane...
— Non Aedan. Ne dis rien.

Il se détourna vers l'océan et s'enfonça dans l'eau sans même retirer ses boots. Elle atteignit la hauteur de ses genoux lorsqu'il s'arrêta enfin, telle une statue immobile perdue au cœur des éléments. Je voulais le rejoindre, lui assurer qu'il n'avait rien à craindre, mais il semblait tellement enragé que je me forçai à rester à distance.

De quoi as-tu si peur Shane ?

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