Chapitre 4
— Aedan ne traine pas trop dans le jardin, tu as des devoirs à faire mon chéri.
— Oui maman !
Je repris en main mon bâton magique en bois et lançai un sortilège contre le dragon qui tentait de détruire mon château. Ma puissance le repoussa vers le ciel dans un cri de douleur assourdissant.
— Défendez les murs chevaliers ! Nous vaincrons l'ennemi !
Je quittai ma forteresse pour aider mon armée à renvoyer les soldats. J'en terrassai des dizaines sans défaillir, chaque coup se faisant plus spectaculaire que le précédent. Le roi se devait d'être le symbole de son armée, alors je comptais bien me montrer digne de mon rang.
Lorsqu'il ne resta plus grand monde, je m'arrêtai brusquement en sentant un regard sur moi et me retournai. Derrière la barrière du jardin se trouvait une paire d'yeux braquée sur moi. Je m'en approchai en levant mon bâton.
— Es-tu un allié venu sauver mon château ou un ennemi ?
L'enfant me fixa d'un air intrigué avant de répondre.
— Un allié ?
Il n'avait pas l'air très convaincu, mais peu importe.
— Oh je sais ! Tu dois être le mage envoyé pour mettre un terme à l'attaque ! Nous devons réunir nos pouvoirs avant que les dragons ne reviennent, vite ! Celui que j'ai blessé est allé chercher ses amis pour nous détruire.
Je tendis ma main au-dessus de la barrière tout en surveillant mes arrières.
— Oh non, vite ! Regarde, les trois dragons s'approchent de ma forteresse ! Nous devons fusionner nos pouvoirs.
Il reproduisit mon geste avec hésitation puis posa sa paume contre la mienne.
— Par le pouvoir de la lumière, l'ennemi sera réduit en poussière !
Un grand flash apparut, faisant hurler les soldats restants ainsi que les dragons à proximité. Tous furent réduits en cendres, ne laissant que mon armée qui cria de joie face à la victoire.
— Ouais !! Nous avons gagné !
Je souris et récupérai ma main.
— Merci pour ton aide, mage !
— De rien ?
Je devais faire mes devoirs, mais n'en avais aucune envie. Jouer était tellement plus amusant que de réfléchir à des calculs de maths ennuyeux. J'aurais pu me cacher dans la cabane en bois, mais maman savait toujours où me retrouver, peu importe où je me rendais. C'était vraiment frustrant, mais ça devait être un de ses super pouvoirs dont elle refusait de me dévoiler les secrets. Je recentrai mon attention sur le garçon et remarquai alors de légères traînées de larmes effacées.
— Est-ce que ça va ? m'inquiétai-je en revenant à la réalité.
L'enfant hocha la tête. Les barrières ne nous permettaient pas de nous voir intégralement. Elles étaient si hautes qu'il fallait que je me mette sur la pointe des pieds pour que ma tête dépasse entièrement.
— C'était toi pas vrai ? Caché dans les escaliers quand on est venu se présenter il y a une semaine.
Il acquiesça de nouveau d'un signe de tête.
— Tu voudras encore jouer avec moi la prochaine fois ?
— Je ne pense pas que je pourrais.
— Pourquoi ?
Il haussa les épaules.
— Je n'ai pas le droit de sortir normalement.
— Oh...
C'était vraiment dommage.
— Aedan ! Tes devoirs !
— J'arrive maman !
— Désolé, je dois y aller, dis-je avec un sourire contrit. Est-ce qu'on se reverra ?
— Je ne sais pas.
— Soyons amis ! Comme ça on sera obligé de se revoir.
Il me fixa un instant avant de hocher la tête.
— Cool ! Je m'appelle Aedan et toi ?
— Shame.
***
Shame. J'ouvris les yeux sur le plafond et soupirai profondément. Se réveiller sans paniquer était devenu si rare que cela me paraissait étrange lorsque ça ne se produisait pas. L'heure en revanche demeurait similaire, bien que j'aurais apprécié m'éveiller après cinq heures du matin. Je m'étirai un bon coup tout en repensant à ce souvenir qui, pour une fois, n'avait rien d'effrayant. C'était même plutôt agréable.
Je me levai, entamai ma routine habituelle et m'occupai en attendant que le monde normal s'éveille. Il se signala vers huit heures par un appel que j'identifiai avant même d'en découvrir le destinataire. Mon instinct se révéla juste lorsque je vis le nom s'afficher sur mon écran. Les problèmes arrivent.
— Salut maman.
— Quarante-trois. C'est le nombre d'appels que tu as ignoré espèce de fils ingrat.
Je grimaçai en frottant l'arrière de mes cheveux.
— Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix.
— Qui a laissé le choix à qui ?
— Je ne m'excuserai pas maman. Et je ne poursuivrai pas cette conversation si c'est pour qu'on retourne sur ce sujet. J'ai vingt-quatre ans, il est temps d'accepter mes décisions que cela te plaise ou non, que j'en souffre ou pas. Je ne peux pas passer ma vie à fuir et faire semblant que ces sept années d'existence n'ont jamais eu lieu.
— Je ne fais ça que pour ton bien Aedan, tout ce que je veux...
— Maman, arrête. S'il te plaît. Je suis fatigué de me répéter.
Un lourd soupir résonna à travers la ligne.
— D'accord. Est-ce que tu vas bien au moins ?
Je me relaxai enfin, sentant à quel point je m'étais tendu sans m'en rendre compte.
— Oui tout va bien. La maison n'est pas dans un super état, mais j'ai prévu de la rénover. Oh et j'ai dû emmener la Toyota au garage, elle a fini par lâcher.
— Je me doutais que ça finirait par arriver, elle est plutôt vieille.
— Ouais. Et toi comment vas-tu ?
— J'étais inquiète parce que tu refusais de répondre au téléphone.
Je me mordis les lèvres pour m'empêcher de répliquer. Son instinct protecteur était définitivement trop envahissant, même si je le comprenais. Elle l'avait toujours eu, et cela s'était aggravé après mon accident.
— Je le serai tant que tu seras là-bas, alors s'il te plaît, si ça devient trop difficile à gérer, reviens ici d'accord ? Il y a des choses dont il vaut mieux ne jamais se souvenir. Personnellement j'aurais préféré tout oublier.
Je serrai les poings en tentant de réprimer au mieux ma colère. Si elle avait conscience de ce que cela signifiait réellement, jamais ces mots n'auraient quitté la barrière de ses lèvres.
— J'y penserai maman.
Ma voix s'était assombrie malgré moi. Cela dut s'entendre, car elle se racla la gorge.
— N'hésite pas à appeler si tu as besoin de quoi que ce soit, mon chéri. Tu sais que je serai toujours là pour toi, même si tu fais ta tête de mule.
— Je sais maman.
— D'accord, je t'aime. À plus tard.
— À plus tard.
Je raccrochai et soupirai en frottant mes cheveux. Le fauteuil m'accueillit dans toute ma grâce tandis que je m'affaissais sans douceur dedans. Je m'y enfonçai en laissant dériver mon attention vers le plafond, tout en jouant distraitement avec mon téléphone qui tournoya entre mes doigts. Je comprenais son inquiétude, vraiment. Mais je voulais tout de même me souvenir, parce qu'oublier me paraissait tellement plus difficile que d'affronter les choses. Peut-être alors que j'en souffrirais, mais j'apprendrais à vivre avec. Sur cette résolution, j'envoyai un message à mes amis pour les rassurer quand quelqu'un toqua à la porte. Surpris, je me levai et la déverrouillai sur une silhouette qui se révéla être le shérif.
— Bon sang Aedan, c'est vraiment toi !
Je reculai brusquement en fronçant les sourcils lorsqu'il s'apprêta à me prendre dans ses bras. Mon mouvement le déconcerta, cependant il se ressaisit en s'éloignant avec un sourire contrit.
— Tu ne te souviens pas de moi, pas vrai ?
— Je suis désolé.
Il ne me disait absolument rien, bien que quelque chose en lui me semblât familier.
— D'accord, que dirais-tu d'aller boire un café ? Je pourrais te raconter comment nous nous sommes rencontrés.
Je haussai un sourcil avant d'acquiescer.
— Je n'ai plus de voiture, elle est au garage.
Il fit un signe vers la sienne, dévoilant un véhicule de police garé sur le bas-côté. La voir me retourna l'estomac si violemment que je me forçai à déglutir.
— Prenons la mienne.
Je hochai la tête en réprimant l'anxiété qui voulait me submerger.
— Je récupère deux trois trucs, j'arrive.
Je le laissai rejoindre le siège conducteur et embarquai mes médicaments avec moi au cas où une crise surviendrait. Les voitures de police me rendaient toujours à fleur de peau pour une raison que j'ignorais encore. J'enfilai une veste légère, attrapai mon portefeuille ainsi que mon téléphone puis le rejoignis.
— J'ai été surpris d'apprendre ta présence ici. Je ne pensais pas te revoir un jour après avoir disparu si soudainement.
— Vraiment ?
Il me lança un léger coup d'œil avant de mordre ses lèvres.
— Nous étions meilleurs amis tu sais ? Depuis le premier jour où nous nous sommes rencontrés à l'école. Tu es arrivé en plein milieu de l'année et j'étais si curieux qu'on s'est facilement lié d'amitié.
— Jay ?
— Tu te souviens de mon nom ?
Je secouai la tête.
— Sheila l'a mentionné quand je suis allé au café. Elle m'a parlé de toi.
Je redirigeai mon attention sur lui tandis que nous nous arrêtions face au fameux bâtiment. Ses cheveux blonds étaient coupés court sous son chapeau de shérif. Il avait remis ses lunettes de soleil sur le nez, mais j'avais aperçu ses yeux verts lorsqu'il les avait retirés au pas de ma porte.
— Sheila adore discuter de tout avec tout le monde, rit-il. Qu'a-t-elle dit ?
— Que tu serais heureux de me revoir. Que nous mangions régulièrement des sucreries ici et que mon absence t'avait attristé.
Une ombre traversa son visage à ce fait. Il serra le volant puis me sourit tristement.
— J'ai assez mal vécu ton départ en effet. Nous étions très proches et traînions souvent ensemble. Je n'ai pas compris à l'époque pourquoi tu avais si brutalement disparu.
— Eh bien, j'étais à l'hôpital.
— Oui, je sais. Seulement, tes parents refusaient de rester une seconde de plus ici. Ils ont tout abandonné derrière eux comme s'ils avaient le diable aux trousses. Nous pensions que vous reviendriez, mais ils ne voulaient plus entendre parler de Waldport.
L'idée de lui demander ce qu'il s'était réellement passé me traversa l'esprit, cependant je m'en empêchai. S'il ne savait pas pourquoi j'avais si soudainement « disparu » alors il n'avait sûrement pas été présent le jour de l'accident. D'après mes parents j'avais passé un mois dans le coma avant de me réveiller sans l'ombre d'un souvenir, pensant encore que j'avais huit ans alors que j'en avais quinze. La gravité de mes blessures avait nécessité un transfert à l'hôpital de X. Mes parents avaient ensuite décidé de m'envoyer à San Francisco où ils connaissaient personnellement de grands médecins auxquels ils m'avaient confié. Depuis, nous n'avions plus quitté la ville.
— Ce jour-là, je m'étais promis de protéger mes proches pour que ce genre de choses n'arrive plus jamais. Je suis devenu shérif pour cette raison en quelque sorte, et j'ai surveillé ta maison dans l'espoir que tu reviennes un jour.
— C'est... Eh bien, merci beaucoup.
J'appréciais réellement.
— Allons boire ce café.
Une fois à l'intérieur, les clients nous saluèrent en insistant davantage avec Jay qui répondit à chacun d'eux comme un rituel dont il ne pouvait se déroger. Cela ne semblait pourtant pas l'incommoder. Habitude de shérif je suppose, il devait connaître toute la ville. Elle était déjà si petite. À peine fut-on installé que Sheila se présenta à notre table, un grand sourire aux lèvres.
— C'est tellement bon de vous voir ensemble ! Si j'avais su que j'aurais l'occasion de vous revoir ainsi adulte, je n'y aurais pas cru ! Tu n'as pas perdu de temps Jay.
— Eh bien, comment aurais-je pu ignorer la nouvelle de son retour ?
— Tu as bien raison mon garçon ! Qu'est-ce que je vous sers ?
— Un café pour moi.
— Deux, rétorqua-t-il. Avec cette incroyable tarte aux mûres que tu fais si bien.
— Toujours aussi gourmands à ce que je vois !
— Qui peut résister à ta tourte sérieusement ?
Elle rit en s'éloignant pour préparer nos commandes.
— Tu vas voir, tu adorais ça à l'époque, je suis sûr que c'est toujours le cas. Nous en mangions presque tous les jours.
Nous continuâmes à discuter de nos vieilles habitudes passées dans l'espoir que je me remémore certaines d'entre elles. Ce ne fut pas le cas, mais un sentiment de nostalgie me parcourut lors de quelques anecdotes. Parler de tout et de rien était agréable, j'appréciais beaucoup ce moment. D'après lui, nous avions commis beaucoup de bêtises ensemble à l'école, ce qui avait manqué de nous faire renvoyer à une période de l'année. Les profs ne s'attendaient pas à ce qu'il devienne shérif étant donné que nous agissions parfois comme de vraies têtes brûlées têtues. Apprendre cela me fit sourire, car je n'avais rien d'un élève dissident lorsque j'avais essayé de reprendre mes études depuis San Francisco.
La tarte avait effectivement été plus que délicieuse, au point qu'il n'en restait plus une miette sur la table. Il était presque midi lorsque nous quittâmes finalement les lieux. Jay me raccompagna chez moi et se gara sur le côté du trottoir.
— Aedan ?
— Oui ?
Il posa un regard si sérieux sur moi que je m'arrêtai presque de respirer.
— Fais attention à Shame. Ne t'approche pas de lui, ne reste jamais seul avec cet enfoiré compris ?
Je fronçais les sourcils.
— Pourquoi ?
— Parce que tout ça, c'est à cause de lui. Il t'a fait tout ça Aedan, il a même fait pire que cela. À la moindre erreur de sa part, je ne me gênerai pas pour l'expédier en taule. Il a eu la chance d'être mineur pour l'éviter à l'époque, mais à son prochain faux pas, je jure que je l'enverrai pourrir là-bas.
La haine qui le traversa alors qu'il fixait la maison voisine me hérissa. Je ne savais pas quoi penser de ses avertissements, alors je les gardai dans un coin de mon esprit.
— Je ferai attention.
— Appelle-moi au moindre problème d'accord ? Je viendrai quoiqu'il arrive.
— Ouais merci. À plus tard.
— À plus tard.
Sur ce, je quittai sa voiture et me dirigeai vers mon foyer en jetant un dernier coup d'œil intrigué à la maison d'à côté. Alors comme ça Shame était présent ce fameux jour ?
***
J'avais réfléchi toute la journée. À ce que je devais faire. À ce que je devais penser. À ce souvenir qui me hantait. Shame était d'une façon ou d'une autre lié à moi. S'il y avait bien une seule chose dont j'étais persuadé dans ce brouillard qui constituait ma mémoire, c'était bien de cela. Savoir s'il l'était de façon positive ou non demeurait cependant une inconnue.
Tout ce que j'avais pu effectuer le reste de l'après-midi, fut d'arracher les planches moisies de la terrasse dans l'objectif de les remplacer par de plus solides. Recommencer sur une nouvelle base plus saine afin que les fondations ne s'effondrent pas. Mes pensées n'avaient eu de cesse de tournoyer autour de lui sans que rien ne puisse les dévier. J'avais la sensation d'être un papillon qui se ruait vers la lumière, sans s'inquiéter des dégâts qu'elle engendrerait. Je n'arrivais tout simplement pas à m'en empêcher. Cela me fit jeter mon marteau tandis que je soupirais fortement, las de ressasser les mêmes préoccupations.
Je m'installai sur les marches du jardin et observai les barrières en me remémorant cet agréable souvenir de la nuit précédente. Nous n'étions que des enfants envieux de jouer, débordant d'une imagination sans précédent. J'aimerais tant me rappeler de ces années, retrouver tous ces moments qui nous caractérisaient.
Mon château avait aujourd'hui la piteuse allure d'une cabane sur le point de s'effondrer. Cela me fit sourire, car cette maison me ressemblait en quelque sorte ; instable, brisée, et vide. Le soleil commençait déjà à décliner, signe que j'avais travaillé tout le reste de la journée, perdu dans le flot incessant de mes pensées.
— J'ai quelque chose à te montrer, viens.
— Je ne peux pas.
— S'il te plaît, allez, personne ne le saura.
Je fronçai les sourcils et me levai brusquement, me concentrant sur ces bribes de paroles qui résonnaient dans mon esprit. Sans réfléchir, je retournai à l'intérieur, pris ma veste et quittai la maison. Mes pas me guidèrent sans même que j'y songe, vers une destination qu'eux seuls connaissaient à la perfection. J'accélérai pour ne pas perdre le fil et me retrouvai rapidement à la bordure d'une vaste plage où déferlaient des centaines de vagues. Le ciel déployait la magnificence de ses couleurs rouge orangé tandis que le soleil, d'une taille démesurée, semblait s'immerger au cœur des profondeurs océaniques.
Le sable s'enfonça avec douceur sous mes pas tandis que je m'approchais inconsciemment de la silhouette assise au centre de la plage. Il était seul, semblant si calme dans ce décor aux allures spectrales. Tel le personnage principal d'un tableau somptueux qui esquissait ses traits rien que pour lui.
— N'est-ce pas magnifique ?
Il en avait les yeux écarquillés, baignés par l'émerveillement qui les illuminait.
— Je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi beau.
— Nous sommes déjà venus ici n'est-ce pas ? dis-je en m'arrêtant à ses côtés.
La surprise modifia ses traits lorsqu'il m'identifia. Les pulsations au niveau de mes tempes s'intensifièrent, pourtant je ne m'étais jamais senti aussi serein depuis bien longtemps. Son attention se redirigea vers le soleil couchant sans m'octroyer de réponse. Il n'en avait pas besoin, car cela me paraissait si évident.
Je m'assis à ses côtés, admirant la beauté que le monde nous révélait. La somptuosité d'un lieu qui nous appartenait, d'un lieu que je lui avais dévoilé. Tel un cadeau à offrir. Le silence qui nous enveloppait n'avait rien de désagréable, il semblait, au contraire, profondément relaxant. Le bien-être qui s'empara de moi fut pareil à un baume qui recouvrit l'ensemble de mes angoisses. Comme une bouffée d'oxygène que je pouvais enfin inhaler après avoir si longtemps maintenu ma respiration. Le soleil acheva finalement sa course à l'orée du monde en s'emparant des derniers faisceaux de lumières restants. Peu à peu, la nuit reprit ses droits sans qu'aucun de nous n'ait prononcé le moindre mot. Malgré cela, tout semblait à sa place, je le sentais au plus profond de moi. Nous étions à notre place.
Alors que je me tournais vers lui et que son regard happa le mien, je nous vis, enfants, assis dans cette même position, à ce même endroit.
— Je n'aime vraiment pas ce prénom.
Un léger sourire effleura ses lèvres en me voyant bouder à sa place. Il aurait dû être furieux d'avoir été nommé ainsi, d'être traité ainsi. Pourtant il ne s'en plaignait jamais. Et ça me mettait tellement en colère.
— Shane. Dorénavant je t'appellerai Shane, parce que tu n'as rien d'une honte à mes yeux.
Son sourire s'élargit tandis qu'il fixait le soleil couchant. J'aurais pu jurer que ses pupilles brillaient, et tout ce dont je désirais fut de le prendre dans mes bras.
— Merci Aedan.
— Pourquoi agis-tu ainsi Shane ? murmurais-je en reprenant le pas sur la réalité.
Ma tête était sur le point d'imploser, pourtant j'étais incapable de détourner les yeux des siens. L'affliction qui les traversa ne fut pas assez fugace pour m'échapper. Cependant, ses autres émotions furent barricadées avec une telle autorité qu'il m'était impossible de les identifier.
— Pourquoi fais-tu cela ?
Je glissai ma main contre la sienne, mû par un geste que je ne pus réprimer. C'était instinctif, comme un besoin aussi insatiable qu'incontrôlable. La caresse qui effleura mes doigts élança un lent frisson le long de ma colonne vertébrale, tout en accentuant violemment les battements de mon cœur assoiffé. Il les relâcha malgré tout, faisant aussitôt naître un manque en moi. Ce fut comme s'il abandonnait sans même se battre. Comme s'il refusait à ses propres désirs d'être exhaussés.
— Parce qu'il le faut.
Je secouai la tête, sans comprendre la raison des larmes qui brûlaient mes yeux.
— Ne fais pas ça, s'il te plaît.
Il reprit un air implacable et se redressa sur ses pieds.
— Tu ne devrais pas être là. Tu n'aurais jamais dû revenir.
— Que s'est-il passé ce jour-là ? Tu le sais n'est-ce pas ?
Ses poings se serrèrent tandis qu'il scrutait furieusement l'horizon. Je me relevai, empêchant de justesse tout geste trop intime que je m'apprêtais à faire pour effacer sa colère.
— Dis-le-moi, j'ai besoin de savoir.
— Va-t'en Aedan, il n'y a rien de bon pour toi ici.
— Je ne peux pas.
Sa colère se dirigea alors sur moi lorsqu'il me poussa brutalement.
— Tu ne veux pas savoir ce qu'il s'est passé, tu m'entends ? Rentre à San Francisco, cracha-t-il en s'approchant de mon visage.
Son souffle furieux se répercutait contre ma peau, pourtant je refusais de céder.
— Je ne partirai pas Shane.
Ma voix était ferme, intraitable. La sienne basse et grondante de rage. Il ferma brutalement les yeux avant de crier :
— Ne m'appelle pas comme ça !
Il me repoussa à nouveau, m'obligeant à reculer tandis qu'il s'avançait d'une démarche menaçante.
— Va-t'en ou tu le regretteras toute ta vie.
— Je ne le ferai pas tant que je ne saurai pas la vérité.
— La vérité ?
Le sourire sournois qu'il renvoya me glaça les os. Il attrapa brusquement mon bras et tira sur la manche pour révéler la longue cicatrice qui ornait mon avant-bras sur une trentaine de centimètres.
— La vérité c'est que je t'ai fait ça Aedan. Et que je le referai si tu t'approches trop près de moi.
Il se pencha vers mon oreille pour y murmurer :
— Je te détruirai.
Je secouai la tête, inflexible malgré la crainte qui fit pulser mon cœur.
— Je ne te crois pas.
— Si tu ne le fais pas qui croiras-tu, hein ? Demande-leur à tous, eux qui savent si bien ce qu'il s'est passé. Ils se feront un plaisir de tout te raconter, toi qui désires tant savoir.
Sur ces mots, il me repoussa d'un coup d'épaule en s'éloignant sans se retourner. Je restai tétanisé alors qu'il s'en allait, comme pris dans une toile d'araignée qui entravait le moindre de mes mouvements. Je voulais lui hurler qu'il avait tort, qu'il mentait volontairement pour m'effrayer.
Mais qu'en savais-je après tout ?
Je ne me souvenais de rien.
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