Il s'était toujours senti très à l'aise ici. Cette ambiance familiale et bon enfant lui rappelait celle qu'il retrouvait dans sa propre famille lorsqu'il était plus jeune. Malheureusement ils s'étaient beaucoup éloignés avec le temps.

Appartenir à deux mondes différents avait transformé leurs relations. Le jour où ses parents avaient appris qu'il était un sorcier, ils avaient été absolument ravis. Mais le temps passant, ils étaient devenus de plus en plus distants avec lui.

Les choses s'étaient faites assez naturellement et avant qu'il ait pu se rendre compte de quoi que ce soit, ils étaient presque devenus des étrangers. Les choses ne s'étaient pas arrangées lorsqu'il avait fait son coming out. Sans le rejeter totalement, ils n'avaient pas non plus sauté de joie à l'annonce de la nouvelle.

Si bien qu'à la fin de sa scolarité à Poudlard, lorsqu'il avait décidé de s'installer à Londres avec Allan pour continuer ses études de médicomagie, il s'était résigné à ne plus avoir véritablement de famille.

Sa famille c'était Allan. C'était aussi pour cette raison qu'il ne voulait pas prendre le risque de le perdre. Parce que s'il perdait Allan, il perdait tout ce qu'il avait. Et pas seulement son meilleur ami.

Il n'arrivait toujours pas à croire sa chance de l'avoir toujours auprès de lui alors que n'importe qui d'autre serait parti sans un regard en arrière. Allan était vraiment quelqu'un d'étonnant.

« Fernando ! s'exclama Allan à l'approche du patron, ben tu sais avec le boulot on a été pas mal pris ces derniers temps. Mais ce soir on avait envie de venir vous faire un petit coucou. Puis tes tacos nous manquaient !

- J'espère bien que mes tacos vous manquaient. C'est quand même les meilleurs tacos de Londres que vous avez la chance de manger ! »

Après avoir échangé quelques banalités supplémentaires avec le restaurateur, ils s'assirent à une table près de la fenêtre. Si jamais le silence venait prendre un tacos avec eux, ils pourraient au moins se perdre dans la contemplation du lampadaire de l'autre côté de la rue.

« T'as décidé de ce que tu voulais manger Kinours ?

- Comme d'hab un Fernando et toi ?

- Je vais prendre un RoyalTac, ça fait longtemps que j'en ai pas mangé et je meurs de faim. »

Ils se rendirent au comptoir pour passer commande et revinrent avec deux Corona offertes par le patron. Lorsqu'ils se rassirent, Frank leva sa bière vers Allan pour trinquer avec lui, en bu une gorgée, et se décida enfin à engager la conversation. Il n'allait pas laisser Allan patauger toute la soirée.

Puis il fallait qu'ils brisent cet étrange mur qui s'était dressé entre eux sans qu'ils s'en aperçoivent. Ou en tout cas sans que Frank ne s'en rende compte. Lui qui pensait que rien n'avait changé, il s'était leurré.

« Ça fait du bien de revenir ici. Ça faisait une éternité qu'on n'y avait pas mis les pieds.

- Ouais. Je me rappelle même plus quand c'était la dernière fois. Mais rien n'a changé. C'est ce que j'aime ici. C'est presque comme si le restaurant était figé dans le temps. Je suis sûr que depuis qu'il a ouvert, le Royal Tacos n'a pas bougé d'un pouce.

- C'est fort possible.

- Et puis... je suis content qu'on fasse un truc tous les deux. Ca faisait aussi super longtemps que c'était pas arrivé.

- C'est vrai... je suis désolé c'est de ma faute. »

Et voilà, ils venaient de déraper sur la pente glissante. Frank n'avait pas spécialement envie de parler de ce qui s'était passé ces dernières semaines et de casser l'ambiance déjà bien fragile.

« Non t'excuse pas Frank. C'est comme ça c'est tout. Mais je suis vraiment content d'être là avec toi ce soir. »

Un sourire timide étira les lèvres d'Allan et Frank se sentit chavirer. Il n'avait jamais été aussi beau qu'en cet instant. Et son coeur se serra à cette pensée. Parce que de son côté, Frank restait simplement son meilleur ami, qui à présent avait des sentiments autres que fraternels.

« Moi aussi je suis content d'être là. J'aurais vraiment pas cru que ce serait possible. J'aurais même pas osé l'imaginer. »

Il attrapa une serviette posée sur la table et commença à la plier machinalement, fuyant le regard d'Allan, alors qu'il lui disait enfin à demi voix ce qu'il pensait depuis des jours.

« Non c'est vrai, c'est totalement impossible, t'es juste en train de délirer. Faut que tu te réveilles Frank. »

Relevant brusquement la tête, il tomba sur le visage goguenard d'Allan. Frank fronça les sourcils pour lui signifier que ce n'était absolument pas drôle, ce qui ne fit qu'accentuer son sourire.

« Comme ça on est quitte.

- On est quitte ? Quitte pour quoi ? demanda Frank sans comprendre.

- Quitte pour ta blague pas drôle dans la cuisine tout à l'heure. »

Il l'avait momentanément oublié celle-là. Il hocha la tête en signe de reddition. Ok ils étaient quittes. Mais fini les blagues dans le genre. Il ne voulait plus entendre Allan lui dire qu'il était en train de délirer et que rien de tout ça n'était réel. Déjà qu'il peinait à ne pas le croire.

« Et voilà pour vous les enfants ! Bon appétit.

- Merci Fernando. »

Ils attaquèrent rapidement leur tacos, l'odeur leur mettant l'eau à la bouche. Il était tout bonnement délicieux. La viande cuite à la perfection, la sauce parfaitement dosée, et la galette de maïs faite maison, un vrai délice.

Peu à peu, l'étrange malaise qui s'était installé entre eux se dissipa et ils recommencèrent à discuter de tout et de rien comme ils l'avaient toujours fait. Fernando prit le temps de venir boire une bière et de discuter avec eux avant d'être à nouveau rappelé pour des commandes.

Frank était plus qu'heureux de se trouver ici, dans ce lieu qu'il appréciait tant, en compagnie de la personne qui comptait le plus à ses yeux. Cependant, le restaurant se remplissait de plus en plus et ils étaient ici depuis un bon moment déjà.

Ils se virent donc dans l'obligation de quitter les lieux pour laisser un peu de place dans le minuscule restaurant. Après les avoir raccompagnés et fait promettre qu'ils reviendraient très bientôt, Fernando retourna s'occuper de ses commandes et les deux garçons se retrouvèrent à l'extérieur.

Frank n'avait pas spécialement envie de rentrer. Il passait une très bonne soirée et il n'avait pas envie qu'elle se termine. Il n'était d'ailleurs pas très tard, seulement 21h. Ils avaient encore du temps pour en profiter.

« Kinours, ça te dit qu'on sorte quelque part ? J'ai pas envie de rentrer à l'appart. ça fait tellement longtemps qu'on n'a pas fait un peu la fête tous les deux. ça te dit d'aller boire un verre ? »

Il lisait dans ses pensées. Leur connexion mythique semblait être miraculeusement réapparue. Frank ne se fit pas prier et s'empressa d'accepter. Restait à savoir où ils comptaient se rendre.

« Tu veux qu'on aille où pour boire un verre Allan ?

- Peu importe. On peut aller dans le bar irlandais au centre ville. Ou alors au chaudron baveur. Ou non tient au Joyeux Niffleur ! Enfin si tu veux, après moi je m'en fiche du moment qu'on passe une soirée tous les deux. »

Était-il conscient de la portée de ses paroles ? Probablement pas. Le cœur de Frank effectua une sorte de salto contracté, qui le rendit heureux tout en lui serrant le cœur.

Parce qu'il avait beau souhaiter passer du temps avec lui, ce que voulait Allan avant tout c'était une soirée en compagnie de son meilleur ami. Alors que Frank, lui, voyait en Allan bien autre chose. Et s'il était heureux de passer du temps avec lui, il ne pouvait empêcher son esprit de divaguer. Surtout lorsqu'il entendait ce genre de phrases.

« Va pour le Joyeux Niffleur.

- T'as envie de danser ?

- Danser je sais pas, mais passer la soirée dans un endroit agréable avec de la bonne musique, oui.

- Alors c'est parti pour le Joyeux Niffleur. On y va en transplanant ou tu préfères y aller à pied ?

- A pied on en a pour une demi-heure au moins. On y va en transplanant. Mais d'abord faut qu'on trouve une petite rue déserte. J'ai pas super envie qu'un moldu nous voit disparaître soudainement. »

Il marchèrent quelques minutes jusqu'à tomber sur une petite ruelle bien sombre, sans âme qui vive. Le coin parfait pour tout sorcier souhaitant passer inaperçu. D'un commun accord ils transplanèrent. Une fois la sensation d'étouffement disparue, Frank chercha Allan des yeux. Il se trouvait à quelques pas et se rapprocha de lui.