Sixième Nouvelle Lune

Appuyée contre la rambarde du toit de l'immeuble, je regardais la ville agitée de ce début de soirée. J'étais sortie prendre l'air, un peu pour fuir la famille parfois étouffante de ma meilleure amie.

Je peinais à réaliser que les premiers examens du bac étaient passés. J'avais eu l'impression de me noyer à chaque heure passée à relire mes notes. Et pourtant, assise dans l'immense salle silencieuse, j'avais eu cette sensation d'être seule au monde. Devant la copie, j'avais d'abord perdu mes mots, avant de finalement laisser mon stylo glisser sur le papier. J'avais laissé ma main écrire et mon esprit vagabonder librement. Face à des exercices plus difficiles, j'avais dû me concentrer davantage, et je pense que ça m'avait fait du bien. Penser à autre chose en ces temps troublés, redevenir "normale" pour quelques heures...

Il ne restait plus grand chose à faire pour terminer l'année. Je commençais à penser que j'avais raté tous les examens passés et que les suivants ne seraient pas plus réussis. Je n'avais pas envie de me laisser abattre mais je ressentais la fatigue, d'un seul coup, de ces derniers jours passés.

Toujours sur le toit, je soupirai. Je fermai les yeux et repris une profonde inspiration. Le vent encore frais du soir soufflait légèrement sur mon visage, comme une caresse. Je repensais alors au contact de la main de Kei sur ma joue. Il me manquait. Je savais qu'il allait bien, mais il me manquait. Et à cet instant, je me sentis terriblement seule. Et vide. Je sentais un étau de ténèbres qui enserrait ma poitrine. Je me reconcentrai sur ma respiration. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Inspire... J'ouvris à nouveau les yeux, sur la cité lumineuse qui s'étalait loin à l'horizon.

Les étoiles étaient sur terre. Je levais les yeux vers le ciel nocturne. Aucune étoile. Elles étaient sur terre, après tout. Il ne restait de la voûte céleste plus que l'obscurité. Comme un lac de mer noire qui s'étendait à l'infini. J'eus un vertige. Ce devait être loin, l'Infini. Finalement, je m'assis à même le sol, perdue.

Au bout d'un temps, peut-être d'une éternité, sûrement moins, j'entendis la porte d'accès s'ouvrir. Des bruits de pas se rapprochèrent et Loana s'assit à côté de moi.

– Hé... Ça va ? Comme tu revenais pas et que Cam' était bruyante, je me suis dit que... Tu avais peut-être besoin de savoir que tu n'étais pas seule...

– ... Merci... Je...

Je tournai la tête vers elle, ses yeux sombres semblaient sonder mon âme, une fois de plus je sentais qu'elle était prête à lire en moi. Alors je me confiai.

– J'ai peur, Loana.

– Tout ira bien...

– J'ai peur de ne pas réussir les exams...

– Tu as des facilités, tu devrais pas t'inquiéter pour ça...

– Je... Je sais pas, et si... Et si je m'étais plantée ? Genre, complètement ? Si je faisais des hors sujets ? Si... Je sais pas...

– Il y a autre chose, non ? Tu dis que t'as peur, mais... Ça n'a rien à voir avec le bac, pas vrai ? C'est cette espèce de secte de Chasseurs ?

– Qu-Quoi ?

– Bah, j'ai un peu approfondi les recherches que tu avais faites et... Il y a longtemps, ils avaient un autre nom, c'était "la Citadelle", ils avaient le contrôle d'une ville entière ! Et peut-être même d'autres... C'est très dur de trouver des renseignements sur eux, je pense qu'ils font disparaître leurs traces... Ils sont sûrement partout, c'est vraiment flippant, je veux dire... C'est pas qu'une simple secte, c'est juste... Énorme...

Je la regardais avec des yeux ronds. Je ne la savais pas aussi investie dans les recherches. J'essayais de lui répondre mais aucun son ne sortit.

– Je... Désolée, ça doit vraiment être mauvais pour toi... Enfin, je veux dire... Ils en ont sûrement après ton père et toi... Et Kei... Et je... J'imagine que tu sais qui ils chassent vraiment, n'est-ce pas ? Tu m'as dit que c'était des gens particuliers mais... J'ai trouvé de vieux journaux aux archives...

– Tu... Tu es allée là-bas ?! Mais attends, c'est fermé au public ! Enfin, il faut une autorisation spéciale et tout...

– Hmm... Comment dire... Sans vouloir te vexer, j'ai des connaissances qui ont accès à ce genre d'endroits facilement... Genre un étudiant-chercheur... Tu te souviens d'Antoine ?

– Heu... C'est pas l'un de tes ex ?... Vous êtes restés amis ?...

– Ouais. Enfin bref, pour en revenir à ce qui nous intéresse... Lynae. La vérité, c'est que... La magie existe, hein ?

– ...

– Et donc Kei et toi... Vous... Hmmm... Vous n'êtes pas tout à fait humains ?

Elle avait murmuré sa dernière phrase, comme pour s'assurer que personne n'entende notre conversation. Nous étions pourtant seules sur le toit, mais elle cherchait à garder un secret, à ne pas l'ébruiter, qu'il soit véridique ou non.

– ... C'est vrai, Loana.

J'observais sa réaction en silence, avec appréhension. En même temps, je me rendais compte qu'elle posait des questions auxquelles elle avait déjà les réponses. Alors je décidais de lui raconter tout ce que je savais. Les êtres magiques pourchassés par les Chasseurs ou quel que soit leur nom depuis la nuit des temps. Qui était Kei. Comment nous nous étions rencontrés il y a des siècles. Les bribes de souvenirs qui me revenaient parfois, d'anciennes vies. Pana, Gwenaël, Lyra. La résistance. Leur volonté de mettre un terme à cette guerre cachée.

Et mon père, qui savait tout depuis des années. La raison pour laquelle il avait quitté ma mère, et celle de son récent départ. Ma mère qui ignorait tout et que je voulais protéger à tout prix. Et finalement, mes doutes. Je lui confiai mes inquiétudes : ils refusaient de tuer tandis que les autres n'hésiteraient pas. Quel que soit leur plan, il était probablement voué à l'échec, je le pensais d'autant plus après ce qu'elle m'avait dit sur la Citadelle. Loana avait sans doute raison : ils étaient partout. Et ils ne portaient pas tous un costume reconnaissable. Je lui parlais aussi de ma vision, si réaliste, de la mort de ma mère.

Je sentis un poids s'envoler de mes épaules au fur et à mesure que je lui parlais. Loana m'avait écouté calmement, sans m'interrompre. Quand j'eus terminé, elle prit ma main dans la sienne. Elle n'avait pas besoin de mots. Elle serait là pour moi. Et à ce moment-là, c'était tout ce qui importait. Ma meilleure amie se fichait pas mal que je ne sois pas "humaine". Elle se fichait complètement que des gens me pensent dangereuse au point de vouloir m'éliminer. Tout ce qu'elle voyait en me regardant, c'est ce qu'elle avait toujours vu : moi, Lynae, son amie. Ce qu'elle voyait également, c'était que j'étais perdue, déboussolée. Elle comprenait l'impact que la mystérieuse rencontre du Mont Saint Michel avait eu sur ma vie. Kei, et tous les souvenirs qui l'accompagnaient, avaient bouleversé mon existence, remettant en question toutes mes certitudes. Je crois, qu'à cet instant, Loana admirait la force dont j'avais dû faire preuve. Je ne pensais pas réellement m'être montrée si forte. Mais à bien y réfléchir, n'importe qui serait probablement devenu fou.

Nous passâmes une bonne partie de la soirée et de la nuit ensemble, dehors, sous le ciel d'encre. Nous parlions des possibilités, des êtres magiques. Il y avait probablement des sirènes, des fées, des lutins... Il y en avait sûrement qui étaient terrifiants, comme des trolls ou des gobelins... Puis, peu à peu, le sujet dériva, sur mon couple, qui vivrait éternellement.

– Vraiment, éternellement, Lyn ?! J'ai cru comprendre qu'il aurait une longue vie, et que tu reviendrais sans doute après celle-ci mais...

– C'est mon âme-soeur, Loana. Je le sais, je le sens. Et je crois qu'il... Je crois que lui aussi est revenu. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'ai cette sensation parfois, quand je le regarde qu'il... Eh bien, il n'a pas toujours été vampire, ça c'est sûr mais je crois qu'il n'a pas été seulement humain...

– Woah. Tu lui en as parlé ?

– Non, pas encore... Enfin... Je crois que je devrais pas. Je veux dire, c'est pas forcément facile à vivre, les souvenirs qui reviennent alors... Enfin... Je sais pas trop...

– ... Tu veux lui éviter d'avoir à vivre ça ? Mais si c'est bien ton âme-soeur, vous avez toujours été ensemble non ? Pas seulement dans cette campagne perdue...

– J'en suis pas si sûre... Après tout, quand j'étais comtesse, on ne s'est jamais rencontrés !

– D'accord mais... T'as jamais eu personne d'autre que lui, tu... Es morte trop jeune...

– C'est vrai... Mais je crois surtout que... Comment dire... Il se peut qu'on se soit manqué, parfois. Certaines nuits, je rêve d'un désert immense, sans fin, où j'avance sous un soleil de plomb et... Il m'apparaît, et il me guide... Mais je n'ai toujours pas réussi à traverser cette immensité... Pourtant, au fond de moi, je sens qu'il y a quelque chose de merveilleux au bout. Comme quand on lit une histoire dont on connaîtrait déjà la fin.

– Tu penses que c'est un souvenir ?... J'ai beaucoup de mal à t'imaginer dans un désert, à vrai dire...

– J'ai l'impression que c'est vraiment très ancien... Comme un vieux livre poussiéreux de temps immémoriaux. Mais bon, j'aimerais pouvoir être sûre que tout ira bien, à l'avenir...

Le silence qui suivit mon souhait en disait long. Tout était si incertain.

De retour dans une réalité des plus ordinaires, je me relevai en m'étirant et Loana en fit de même, il était tard. Il était temps de se coucher, nous avions besoin de repos pour la dernière ligne droite de nos examens. Demain marquerait le début de la fin.

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