Chapitre 2 du 7ème Cycle Lunaire
Tous les regards étaient tournés vers moi et la pièce était si silencieuse que j'entendais les battements de mon coeur. Je déglutis, être au centre de l'attention ne m'avait jamais plu.
– L'une des utilisations de la poussière d'étoile permet de... Comment dire... D'ouvrir les yeux ?
– Tu veux dire que les chasseurs ne nous verraient plus comme des monstres à anéantir mais comme des gens ordinaires bien que différents des humains ?
– J-Je crois, oui. Je crois que c'est aussi pour ça qu'ils ont tardé à mettre à exécution Aellys, que tu as finalement délivrée, Kei. E-Et je crois que c'est pour ça que j'ai été comtesse pendant un certain temps... Inconsciemment, les humains se refusent à... tuer les étoiles.
– Donc... Tu saurais te servir de la poussière... C'est ça ? Mais... On n'en a pas...
– Je dois pouvoir en fabriquer mais... Enfin, je sais que j'ai appris mais... J'ai oublié...
Patrick regarda sa femme et ses amis avant de se tourner vers moi.
– L'âme et le sang se souviennent. C'est ainsi que nos jeunes apprennent notre histoire, à travers un rituel qui lie notre espèce. Il pourrait fonctionner avec toi. Maeva te préparera. Si ça ne fonctionne pas, nous trouverons une autre solution pour faire face aux Chasseurs.
Maeva se leva et vint vers moi, nous sortîmes du salon pour me préparer. Après un petit déjeuner rapidement englouti, l'elfe m'expliqua le déroulement du rituel.
– Tout peut être trouvé dans la forêt. Mais si cela marche dans la clairière pour nous, ce ne sera peut-être pas ton cas.
– Pourquoi ? C'est un peu un lieu magique, non ?
– Oui, bien sûr, mais nous y sommes liés, notre peuple y vit depuis des générations. Il faudrait que tu trouves un lieu ancien qui à un lien avec toi, avec ton ancienne vie, celle où tu es devenue étoile, par exemple...
– Je crois que ça s'appelait la forêt du Monstre...
– Surprenant ! Il y avait bien longtemps que personne ne m'en avait parlé.
– Vous savez où elle est ? Je pourrais y faire le rituel et...
– Malheureusement, ce ne sera pas possible, c'est une forêt-chantante, il est difficile de savoir où elle se trouve à l'heure actuelle...
– Sérieusement, les forêts-chantantes existent ?! Ça doit être tellement fou, une forêt qui bouge toute seule ! Mais comment je peux faire sans ça ?
– Je crois savoir qu'il y a la ville fantôme où tu as vécu avec Kei, à une petite heure de marche... Il y a peut-être un lieu particulier là-bas ?
– ... La maison de Hilda... C'est... Un sanctuaire à ma mémoire... C'est terrifiant mais...
– Je comprends. Ce sera dur pour toi, tu sais ? Il n'y a pas que tes premiers souvenirs qui reviendront si le rituel fonctionne. Il y aura tout. Par vague, dans le désordre, ou peut-être dans l'ordre. Des images, des sons. Il faudra que tu te concentres pour ranger ton esprit. Il faudra que tu te concentres pour ne pas perdre pied. Il faudra que tu te concentres pour trouver ce que tu cherches.
– Ranger... Mon esprit, hein... Je commence... À m'habituer à ça...
Je secouais la tête, chassant aussitôt les pensées négatives qui me venaient. Chassant ce moment à la gare, où ma mère s'était effondrée devant moi. Deux fois. La voix douce de Maeva fit partir ces affreuses images.
– Nathaëlle t'accompagnera cet après-midi dans la forêt, vous trouverez ce qu'il faut et vous irez au vieux port. Je vais la prévenir et te faire un sac. En attendant, essaie de te reposer un peu, d'accord ?
– Oui... Merci... Pour tout.
Je repartais dans la chambre et me laissais tomber sur le lit. Je pris ma tête dans mes mains et soupirai. Je savais que je devais rester concentrée. Si j'échouais... Il n'y aurait pas que ma mère... Kei entra dans la pièce et s'assit sur le bord du lit alors je me redressai. Sans un mot, nous nous enlaçâmes comme si le monde était sur le point de s'effondrer, ce qui était peut-être le cas.
– Kei... Je dois savoir... Est-ce que ma mère est en vie ?
– Je suis désolé Lyn, je ne sais pas... C'était si confus, je n'ai pas réussi à sentir ni à entendre si elle respirait encore... Mais Peter rentre bientôt, il est là-bas, il saura.
– Alors... Il reste un espoir ?
– Je ne voudrais pas te mentir...
Je le serrais davantage dans mes bras sans rien dire. Je ne voulais pas qu'il m'échappe. Je ne voulais pas le perdre. Nous restâmes ainsi le temps d'une éternité. Puis vint l'après-midi, et avec elle, Nathaëlle. Elle était plutôt jolie, incroyablement grande et élancée. Elle me gratifia d'un merveilleux sourire avant de me tendre les affaires que Maeva m'avait préparé.
Sur le chemin vers la forêt, Cyril nous rejoignit, prétextant qu'il avait lui aussi des choses à récupérer dans la forêt. Je crus comprendre que les adultes refusaient qu'il prenne part au combat s'il avait lieu et lui avaient confisqué sa tenue de guerrier.
La forêt était belle, mais je ne m'attardai pas sur ce qu'elle avait à offrir, me contentant de ramasser ce que Nathaëlle m'indiquait. Après plusieurs heures à crapahuter entre les branches et grâce à l'aide du porcelet, nous avions tout le nécessaire au rituel. Cyril retourna au village tandis que l'elfe et moi partîmes en direction de la ville fantôme.
Elle me semblait plus éloignée que la dernière fois. Plus nous nous approchions, plus j'avais une boule au ventre. Nous étions encore à bonne distance de la vieille ville quand je sentis une forte appréhension monter en moi. Si les lieux étaient bel et bien hantés, que diraient les esprits à nous voir débarquer pour faire un rituel de mémoire ? Me tournant vers ma guide, je remarquais qu'elle était tendue. Elle devait ressentir, elle aussi, le trouble des environs. Finalement, ce fut moi qui fis le premier pas pour entrer dans la cité.
Comme si j'avais toujours vécu ici, mes jambes me guidèrent à travers les rues, jusqu'à la maison abandonnée de Hilda. Devant la porte, j'hésitai un instant avant de finalement pousser le bois grinçant et de pénétrer dans la poussière. Nathaëlle me suivit, les sens aux aguets. Ses oreilles pointues frissonnaient sous l'atmosphère étrange des lieux. J'entrai dans le salon et commença sans attendre à faire un peu de place au sol pour le rituel. La jeune elfe s'arrêta à l'entrée de la pièce et y jeta un regard circulaire d'étonnement.
– Je comprends mieux pourquoi tu parlais de sanctuaire... C'est vraiment... Oppressant...
Je relevai la tête, observant les broderies autour de moi. C'était pire qu'oppressant, c'était véritablement effrayant, toutes ces oeuvres de ma mort... C'était comme si, en les réalisant, Hilda avait cherché à invoquer mon esprit. Je chassais ces spectres et sortais finalement le matériel. J'entrepris de faire le cercle, comme on me l'avait indiqué, j'y disposais les herbes, les éléments de la nature recueillis avec soin, ainsi que mon collier, celui que portait Kei. C'était un objet ancien et qui m'avait appartenu, selon les elfes, ça ne pouvait que renforcer le lien que j'allai ouvrir entre mon moi présent et mes vies antérieures. J'allumai les bouts des tiges et me laissai imprégner de leur vapeur.
Assise en tailleur face à mon cercle de pierre, je fermais les yeux, me concentrais sur ma respiration. Nathaëlle postée dans un recoin de la pièce ne faisait aucun bruit, et pourtant, très vite, dans ce silence qui commençait à alourdir mon corps, il me semblait entendre les battements de son corps faire écho au mien. Au bout d'un temps qui parut une éternité, j'entendis un cri puis tout s'enchaîna.
Un tourbillon d'images incohérentes défilèrent sous mes yeux. Il y avait les arbres d'une forêt dense, peut-être la Forêt du Monstre, le port de la ville fantôme mais plein de vie, les rues étroites d'une immense ville grise, des maisons-fleurs immenses et colorées, un désert brillant sous un soleil de plomb, un hôpital, une baleine volante... Les cris et les voix résonnaient dans ma tête à n'en plus finir, je sentais que j'allais exploser. J'essayais de ne me concentrer que sur une seule chose, comme on me l'avait conseillé mais je n'y parvenais pas. Puis une voix douce s'ajouta par-dessus ces échos.
– Tourne, tourne, tourne et virevolte... Doucement, tourbillonnant...
Une à une, je faisais taire les voix. Petit à petit, j'intimais le silence à mon esprit agité.
– Roule, roule, roule, jusqu'au rocher... Et rejaillit parmi les tiens...
Je connaissais ces mots. Je reconnaissais cette voix. J'ouvris les yeux. Ou peut-être pas.
– Le plus beau feu d'artifice du monde... N'est-ce pas, Lyn ?
– Hilda !
Ma vieille amie se tenait debout devant moi. Je me levai et me jetai dans ses bras.
– Hé là, doucement ma belle... Tu sais, ça faisait longtemps que j'espérais que tu viennes me voir... Suis-moi, tu dois voir ça...
– Attends... Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui m'arrive ?
– Tu es là pour retrouver la mémoire, non ? Les enseignements de Dame Lune... Je vais te montrer.
Hilda sortit de la pièce et je remarquai alors que le salon était différent. Il n'y avait plus de broderies me représentant, sa maison était redevenue la même que lorsque je vivais à cette époque... Nathaëlle n'était pas présente non plus. Logique, elle devait être dans la réalité. Enfin, tout autour de moi semblait si réel que c'était déroutant. Je suivis Hilda jusqu'au grenier. Il y avait là des broderies que je n'avais jamais vues. Elles représentaient mes morts. Elles représentaient mes vies. Hilda m'indiqua l'un des cadres et je m'en approchai lentement. Je reconnaissais cette scène pour l'avoir revue récemment. La petite fille sur la lune et son ruban...
Mini-Lynn se releva et se mit à courir, danser et sauter en faisant voler son long ruban d'argent. De minuscules grains de poussière en jaillirent, s'envolant tout autour de la petite fille qui s'envola et devint lumière. Elle repartait sur terre. La poudre d'étoile ne se fabrique pas. Il n'y avait aucune issue. Ma vue se brouilla, je perdais pied. Hilda s'agitait devant moi, je parvenais à peine à la voir et je ne l'entendais plus. Je sombrai dans les ténèbres, me laissant aller à ma propre obscurité.
...
Où suis-je ? Qui suis-je ?
J'ai froid. Je suis seule. Il fait nuit. Où sont les étoiles ? Qu'est-ce que c'est cette lumière dans le ciel ?
Elle est si ronde, si grande, si belle, si douce. Je sens sa chaleur. Elle m'apaise.
C'est Dame Lune.
Bien sûr, je le savais. Je la connais. Elle me connaît, surtout. Elle m'observe depuis que je suis née. Je suis née dans cette forêt. Je ne m'en souviens pas. Qui se souvient de sa naissance, après tout ?
Les arbres sont grands et les ombres sont parfois effrayantes, mais sa lumière les chasse depuis toujours. Elle me protège. Enfin, au début, je croyais qu'il n'y avait qu'elle qui me protégeait. Mais j'ai compris qu'elle n'était pas la seule, sinon, quand le jour vient, comment pouvais-je être protégée ?
La forêt bouge, elle vit. les arbres dansent avec moi quand je danse. Ils s'écartent pour que je me fraye un chemin à travers leurs branches. Les épines hérissées se rétractent pour ne pas me blesser ; je les ai vues.
Pourquoi toute cette attention pour moi, Dame Lune ? Pourquoi me protèges-tu ? Où est ma mère ? Ma première mère, celle avant toi... M'a-t-elle abandonnée ? Non. Ne me le dis pas. Je ne veux pas le savoir.
C'est Dame Lune.
Qui me parle ?...
Une petite fille aux cheveux d'argent s'approche de moi. Elle vient du futur. Je le sais. Je sais qu'elle n'est pas encore née. Mais je ne sais pas comment elle est là, ni comment je le sais.
Je ne le savais pas avant, mais elle me l'a dit. Je pensais qu'elle était la deuxième mère que tu as eu.
Je ne comprends pas. Qui es-tu ? Je te connais. Je te connaîtrais. Peu importe, tu es une amie. Je te fais confiance. Je ne comprends pas. Qui est ma mère ?
Qui peut briller dans le ciel nocturne quand la lune disparaît ?
Je ne sais pas. Les étoiles ? Les étoiles brillent...
Oui, les étoiles brillent. Mais la plus brillante de toutes, la première. La toute première étoile... La toute, toute petite étoile... Où est-elle ?
Comment puis-je savoir ? Je ne sais plus rien. Tout est si confus. Et j'ai froid. Je sens la lumière lunaire disparaître, et sa chaleur avec.
Ne te perds pas dans le noir. Continue d'avancer.
Brille.
Je ne comprends pas. Les gens ne brillent pas, ce sont les étoiles qui...
Sois ta propre lumière, éclaire ton chemin.
Brille.
Comment ? Tout est fini. C'est la fin. Je le sais. Je tends ma main vers le ciel, dans l'ultime espoir d'attraper la lune, cette jolie balle si claire, si brillante. Elle s'éteint doucement. Je m'éteins doucement.
Réveille-toi, ouvre les yeux. Ils t'attendent. Ils ont besoin de toi. Les elfes, Gwenaël, Lyra, Pana, Kei, Peter... Lys. Ils ont besoin de toi. Tu dois les sauver.
Sois leur guide. Sois leur lumière.
Sois leur lune quand elle n'est plus là.
...
J'ouvris mes yeux. Je sentis des larmes sèches sur mes joues, j'étais allongée au sol dans le salon de Hilda. Nathaëlle était penchée sur moi et soupira de soulagement.
– J'ai bien cru que tu étais partie pour de bon... Qu'est-ce que tu as vu ?
J'avais un mal de crâne épouvantable, je me sentais incapable d'aligner deux mots. Je me sentais épuisée, vidée de mes forces... Dans un ultime effort, je murmurais avant de sombrer dans un sommeil sans rêve.
– La poussière d'étoile ne se fabrique pas...
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