Chapitre 2 du 5ème Cycle Lunaire

Un matin, je me réveillais l'air hagard, les yeux encore flous de visions étranges. Il me semblait avoir parlé à Aellys cette nuit. Mais je ne savais pas de qui il s'agissait. J'avais la sensation que je la connaissais depuis longtemps. Et quelque chose en moi me disait que c'était la petite fille aux cheveux d'argent, mais je ne me souvenais pas avoir entendu son nom. Je frottais mes yeux pour chasser les restes de ce drôle de rêve. Voyant la petite lumière clignotante sur mon portable, je l'attrapai dans l'espoir de lire un message de Kei. Pas de chance, c'était Gwenaël. Enfin, il était sympa mais... J'espérais avoir des nouvelles de mon âme-soeur...

Il m'écrivait qu'il avait retrouvé le fameux tableau de la comtesse et que celui-ci était exposé exceptionnellement au musée du château de ma ville. Je n'arrivais pas à savoir s'il s'agissait d'une drôle de coïncidence ou d'un dangereux rappel du destin. Peu m'importait, je sentais que je devais le voir et décidai alors de faire un tour au château l'après-midi même.

Alors que je me préparais pour la journée, je reçus un message de Loana qui semblait s'inquiéter pour moi. J'avais appris à lire entre les lignes quand il s'agissait d'elle. Après tout, elle avait l'air de lire dans les pensées des gens, il était normal que je fasse pareil avec ses messages... Je la rassurais tant bien que mal mais elle insista pour qu'on fasse du shopping ensemble. Je dus lui avouer que j'avais prévu d'aller au musée et, bizarrement, elle tint à m'accompagner. Les musées, ce n'était pas tellement son truc mais elle prétextait, ou peut-être était-elle sincère, qu'elle avait entendu parlé de l'expo temporaire qui lui semblait intéressante pour son projet de bac.

Nous nous rejoignîmes alors au parc du château, le temps était gris mais il ne pleuvait pas. Des jeunes, étudiants et lycéens, s'étaient installés sur les pelouses, comme si l'été était déjà là. Ils avaient bien raison de profiter, la fraîcheur de l'hiver était déjà loin. Loana arriva à ma hauteur, un large sourire aux lèvres. Je me fis la réflexion que ses lèvres étaient beaucoup trop rouges avant de réaliser qu'elle avait simplement changé de rouge à lèvres.

– Lyn ! J'ai trop hâte de voir cette expo ! Il paraît qu'il y a des œuvres de fou ! Genre des tableaux d'artistes dont personne ne se souvient alors qu'ils avaient un talent énorme ! Et puis y'a toute l'histoire de l'endroit aussi ! Genre c'était une forteresse ou je sais pas quoi du coup un peu des militaires mais ils avaient quand même un côté noble, c'est complètement dingue !

– Heu... Oui, d'accord... Allons-y...

J'avais beaucoup de mal à réagir face à l'enthousiasme de ma meilleure amie. Je me demandais depuis quand elle s'intéressait à tout ça. En me dirigeant vers l'entrée, je commençais à ressentir une pointe d'appréhension à l'idée de possiblement me retrouver face à un portrait de moi... Et si c'était vraiment le cas, comment Loana réagirait en le voyant ? Elle se dirait que j'étais peut-être la descendante d'une comtesse ou alors sa... Réincarnation... Mince.

On alla directement à l'exposition temporaire et Loana s'extasiait devant chaque oeuvre. J'en venais à me demander si un double maléfique n'avait pas remplacé ma Loana. Mince, si les êtres magiques existaient, les doubles maléfiques existaient peut-être aussi ? Je l'observais un moment avec inquiétude avant de m'apercevoir que c'était bel et bien toujours la Loana, seule et unique, que je connaissais.

– Ce motif est génial ! Il me faudrait trop un sac à main avec ça dessus ! Oh et ce diadème, trop classe ! Je veux le même à mon mariage avec Loïc !

On approchait dangereusement de la salle principale où devait être exposée la fameuse toile, pièce la plus importante de cette collection... Je commençais sérieusement à me sentir mal. Et si l'elfe avait raison ? Et si c'était vraiment moi ? Loana passa devant, s'intéressant d'abord aux plus petits tableaux. Je fis quelques pas de plus et je me retrouvai face à face avec... Moi-même.

La jeune comtesse peinte devait avoir quelques années de plus que moi. En fait, je m'en souvenais. Elle avait un tendre sourire, semblable à celui que je voyais parfois dans ma glace quand je pensais à ceux que j'aimais. Sa robe était plutôt simple mais élégante et la couvrait jusqu'aux pieds. Elle portait des manches longues garnies de légères dentelles au bout. Autour de son cou pendait un collier. Je le connaissais bien. Très bien. Kei portait le même...

Je faisais jouer mon collier entre mes doigts avant de le passer à mon cou. J'étais prête à sortir de ma chambre. Quelqu'un frappa à ma porte, une servante. Elle apportait un mot de Père. C'était... mon gardien. Il ne serait pas présent aujourd'hui. Je décidai alors de ne pas rester enfermée dans la bibliothèque toute la journée mais de la passer dehors. J'avais soif de liberté. Je rêvais de voir ce qu'il se trouvait derrière les murailles. Il y avait une ville fortifiée, bien sûr. Mais au-delà encore, ce n'était que liberté. Mon gardien était très fâché depuis quelques années maintenant. Un incident s'était produit et ça l'avait rendu fou. J'avais entendu dire qu'un malfrat s'était glissé dans nos murs et avait fait libérer des prisonniers très dangereux. Ma surveillance avait été redoublée depuis lors. Mais j'étais tout de même parvenue à descendre dans les cachots pour constater par moi-même ces dires. Et la fillette que j'allais voir régulièrement depuis son arrivée n'était plus là. J'espérais que c'était elle, la dangereuse criminelle évadée. L'autre option était beaucoup trop sombre. Si elle n'était pas sortie, elle aurait été exécutée... Je secouai la tête, rien que d'y penser, ça me faisait froid dans le dos. Comment pouvaient-ils faire du mal à une enfant ?

Assise sur un banc du jardin, je défis mon pendentif pour l'observer. Je me souvenais que ma mère me l'avait offert mais... Quelque chose me chiffonnait. Un début de souvenir vint se superposer à cette image. Mais avant de prendre tout l'espace, j'entendis des bruits de pas derrière moi, en partie étouffé par l'herbe grasse. Je me retournai et vis l'un des gardes, épée sortie, s'avançait. Je ne comprenais pas. Avant même d'avoir pu lui demander s'il se passait quelque chose de grave au palais, il abattit sa lame sur moi, me tranchant la gorge. Je sentis le goût de mon propre sang dans ma bouche et gardais cette expression d'incompréhension sur le visage. Pour toujours. J'étais morte. Une fois de plus. Puis ce fut le noir complet.

Une dame de lumière se pencha sur moi alors que je tenais une sphère brillante entre mes mains. Je relevai la tête vers elle et lui souris. Je la connaissais depuis toujours. C'était Dame Lune. Je me perdis un instant, ou une éternité, dans un monde de lumière douce. Puis Dame Lune vint me voir et me tendit le collier. Il était l'heure de mon nouveau départ. C'était un souvenir précieux qu'elle me laissait. Mais je savais déjà que je finirais par le perdre. Car je l'avais perdu en mourant pour sauver Kei. Ils l'avaient récupéré. Les Chasseurs avaient pris le collier. Et ils me l'ont donné. Père me l'a laissé. S'ils voulaient me voir morte, pourquoi avaient-ils pris toutes ces années avant de m'abattre ? Pourquoi mon gardien ne m'avait pas mis dans ces geôles ? Pourquoi m'avoir élevée comme petite comtesse ?...

Je me réveillais avec les larmes aux yeux. Je n'arrivais pas à me souvenir de son visage. Le visage de mon meurtrier. Le visage de Père. Le visage de Dame Lune.

La lumière de la chambre m'éblouissait. Avant que je ne parvienne à me situer, Loana se précipita sur moi, complètement affolée.

– Lynae ! Bon sang ! Tu t'es évanouie devant le tableau au musée ! Et je savais plus quoi faire ! Et le tableau c'est... C'était... On aurait dit que c'était toi ! Et... Bon sang Lyn ! Je me suis tellement inquiétée ! Comment un tableau aussi vieux peut être ton portrait craché ?!

L'hôpital. J'étais à l'hôpital. Quelle odeur épouvantable, je détestais ça. Et le fait que je venais de revivre l'une de mes morts ne m'aidait pas à me sentir mieux. J'essayais de rester concentrée sur Loana. Elle avait vu le tableau. Elle s'interrogeait. Elle m'interrogeait. Et je repensais à tous les secrets que je lui cachais. Les vampires, les elfes, les différentes vies, les Chasseurs, Peter... Je me mis à pleurer, pour de bon cette fois. Elle posa sa main sur la mienne, doucement et souffla.

– ... Désolée... Ça va aller, Lynae. Ça a dû être éprouvant pour toi aussi...

J'ignorais à quel point elle pouvait deviner ou s'imaginer des choses. Peut-être qu'elle avait simplement pensé que je m'étais évanouie à cause de la ressemblance plus que frappante entre le modèle et moi ? Ou peut-être qu'elle en comprenait davantage que ce qu'elle ne laissait entendre ? Au bout de plusieurs longues minutes, je finis par me reprendre et ma mère arriva en panique. Elle était venue dès qu'elle avait su ce qui m'était arrivée. Je ne voulais pas l'inquiéter et je ne voulais pas qu'elle sache à propos du tableau alors je prétextais que je n'avais peut-être pas assez manger et que la fin d'année commençait à me stresser, que les professeurs mettaient la pression pour le bac... Loana ne lui parla pas du musée en détail et je la remerciai silencieusement pour ça.

De retour à l'appart, je restai le plus possible dans ma chambre, officiellement pour me reposer. En vérité, j'avais besoin de me confier à ma meilleure amie. Et je savais que cette fois, elle ne me lâcherait plus, pas après ce qu'il s'était passé sous ses yeux. Je réfléchissais alors à un moyen de lui dire simplement, calmement, de façon à ce qu'elle ne doute pas de la vérité. Et en même temps, je savais que je ne pourrais pas tout lui dire, c'était... Beaucoup trop.

On frappa à ma porte alors je répondis machinalement. Peter entra et s'assit au bord de mon lit. Il me regardait d'un air inquiet.

– J'ai appris que tu... Tu étais à l'hôpital ? Est-ce que tu vas mieux, maintenant ?

– Je... Ça va...

Hésitante, je finis par me redresser sur mon lit alors qu'il s'apprêtait à sortir.

– Attends... Je dois te dire. Ce qu'il s'est passé.

– Ce n'était pas dû au stress ?... Lynae ?

– ... Non, pas exactement. On était au musée, avec Loana. Dans l'exposition temporaire... Il y a un tableau... D'une comtesse, mais elle... C'est moi.

– Quoi ? Comment ça ? Que veux-tu dire ?...

Je sentais qu'il avait peur de se que je m'apprêtais à lui dire. Je me mordis la lèvre et finalement, je lui racontai que des souvenirs d'une ancienne vie étaient revenus.

– Donc... J'étais là-bas et... Cette forteresse appartenait aux Chasseurs... C'est l'un d'eux qui m'a tué.

– Ce n'est pas...

– Possible ? Tu n'as qu'à aller voir le tableau... Même Loana l'a remarqué : c'est mon portrait craché.

– S'ils savent... S'ils le voient... Ils...

– Ils me tueront encore ?... Sans doute...

Je soupirai. Cette fois, j'étais vraiment épuisée. Je me rallongeais lentement et demandai à Peter s'il pouvait me laisser. Je ne voulais pas vraiment le faire partir mais... Il comprit que j'étais fatiguée et il n'insista pas. Je fermai les yeux, espérant ne pas mourir une nouvelle fois. J'avais l'impression que ça m'arrivait beaucoup trop souvent ces derniers temps.

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