Chapitre 1 du 6ème Cycle Lunaire
Je frappai doucement à la porte de la chambre de ma mère. Une nouvelle fois, elle refusait de m'ouvrir. Je m'assis par terre, dos à sa porte, en soupirant. Cela faisait deux jours que Peter était parti et je n'arrivais toujours pas à passer du temps avec elle. Entre mes cours, mes révisions et le fait qu'elle restait enfermée, j'avais peur qu'elle ne se laisse mourir de faim. Je sortis finalement pour faire des courses. J'espérais trouver quelque chose qu'elle adorait pour la faire sortir. Pour la faire manger. Même si ce n'était pas nutritif. Histoire qu'elle oublie ne serait-ce qu'un instant que son coeur avait à nouveau était brisé. Je passais entre les rayons, la tête remplie d'incertitudes. Les couleurs flashy d'une énième promotion attirèrent mon attention. D'un oeil distrait je regardais de quoi il s'agissait. Des donuts. Des tas et des tas de donuts, de toutes sortes. Avec des couleurs, des vermicelles, des grains de sucre, des mini-guimauves, et parfois même fourrés au chocolat... C'était pile ce qu'il me fallait. Je remerciais intérieurement une quelconque force supérieure qui aurait entendu ma détresse et pris ces précieux trésors.
De retour à l'appartement, ma mère était toujours dans sa chambre, mais cette fois-ci, sa porte n'était pas entièrement fermée. Je la poussai doucement et pénétrait dans l'obscurité de la pièce. Elle s'était enfermée dans le noir. Je m'avançai doucement vers elle, encore allongée sur son lit et posai ma main sur son épaule en murmurant.
– Maman... Il faut sortir de ta chambre... Il faut manger...
– ... J'ai pas faim...
– Même pas pour un donut ou deux ?...
Elle se retourna vers moi, je distinguai à peine ses traits tirés dans la pénombre. Je lui pris la main et l'aidait à se lever. Ses yeux étaient bouffis d'avoir trop pleuré, elle n'avait sûrement plus de larmes à écouler depuis longtemps. La voir ainsi m'attristait. Je l'installais confortablement au salon et lui apportais un verre d'eau avant d'approcher une assiette encombrée de donuts. J'avais peut-être exagéré d'en prendre autant mais... Elle sourit légèrement à leur vue, alors ça en valait la peine. Elle commença par en prendre un simple, saupoudré de sucre. Je lui rappelai alors la dernière fois que nous nous en avions mangé ensemble. Nous étions en vacances et j'avais eu une soudaine envie de donuts. Nous avions fait le tour de la ville pour en trouver finalement dans une toute petite boulangerie, cachée dans une ruelle. Ils ne leur en restaient qu'un mais nous l'avions partagé en riant. Ce n'était pas nourrissant, sa recherche avait été épuisante et un demi-donut n'aurait jamais pu nous redonner le sucre que nous avions perdu, mais c'était plaisant. Nous étions si proches à l'époque. Peut-être plus que maintenant.
Je voyais que notre complicité lui redonnait un léger sourire. Je pensais que j'arriverais peut-être à la faire sortir prendre l'air avant la fin de la semaine. Elle prit un donut au glaçage rose, recouvert de petites guimauves et elle retrouva un peu plus de couleur.
Elle recommença à pleurer peu après, alors que je m'étais éloignée dans la cuisine. Je revins vers elle et je la pris dans mes bras. Il n'y avait pas besoin de mots. Je devais simplement être là pour elle, je le sentais. J'aurais voulu la rassurer, lui dire que tout irait bien. J'aurais voulu lui dire qu'elle reverrait Peter, qu'ils seraient ensemble pour toujours, qu'ils seraient heureux. Mais je n'en avais aucune certitude.
Elle ignorait tout des Chasseurs. Mais moi, j'en savais assez pour penser que cette histoire finirait mal. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée qu'il n'y avait pas de dénouement heureux possible. Il n'y aurait pas de vainqueurs. C'était une bataille, une guerre, qui durait depuis bien trop longtemps, et qui durerait longtemps encore. Peut-être même mourrai-je une fois de plus et reviendrai-je pour les combattre à nouveau.
Sans l'avoir remarqué, des larmes s'étaient mises à couler sur mon visage. Ma mère me regardait en silence, les yeux encore humides. Elle posa sa main sur ma joue, récupérant une goutte du bout du doigt. Elle m'enlaça et embrassa mon front.
– Je suis désolée, ma chérie... Toi aussi tu dois être inquiète...
J'avais tort. Ma mère n'avait pas seulement besoin de moi. Nous avions besoin l'une de l'autre. Nous restâmes ainsi un long moment, jusqu'à ce que l'un de nos estomacs se fasse entendre. Nous cuisinâmes ensemble, rappelant à nos mémoires des souvenirs de jours heureux de mon enfance. Quand nous étions heureuses. Nous riions aussi. Les quelques jours qui suivirent furent à la fois plus simples et tout aussi compliqués. Nous étions toujours tristes, car la douleur ne part jamais en une nuit. Mais nous étions à nouveau proches, à nouveau complices. Alors c'était plus simple de tenir. Tant que nous étions ensemble. Tant qu'elle ignorait l'existence des Chasseurs et des êtres magiques. Tant qu'elle ignorait la menace qui planait sur nous. Moi, je la sentais. Je ne la voyais pas encore, mais je savais qu'elle arriverait. J'essayais tant bien que mal d'en faire abstraction mais même ma meilleure amie avait remarqué que quelque chose avait changé.
– ... L'air est... Différent.
– Loana ? Qu'est-ce que tu... De quoi tu parles ? Je t'ai jamais vu aussi... Philosophe ?
– Tu ne trouves pas ? C'est comme si le temps s'était figé... On approche de l'été à grand pas, les choses devraient aller de plus en plus vite... C'est bientôt le bac... Et même les gens de notre classe sont agités mais... Il y a autre chose, non ?...
– Je... Ne sais pas...
– J'ai vu ces types... Tu sais, en costume sombre. Ceux qui bossaient avec Peter.
– Quoi ?! Tu les as vu ? Où ça ? Quand ?
– Heu... C'était hier soir, je suis passée par le parc du château... Je croyais que tu savais qu'ils étaient encore là ? Tu sais, le tableau de la comtesse a disparu. J'ai pensé que peut-être, ils enquêtaient dessus, c'est possible ?
– Oh non ! Ça craint !
– Tu veux dire... Qu'ils ne sont pas en courant que le portrait te ressemblait trait pour trait ?... Et s'ils l'apprennent... Ils vont venir te voir...
Je pris ma tête entre mes mains. J'étais désespérée. Je n'avais aucune idée de ce qui était arrivé au tableau mais s'ils le trouvaient... Ou s'ils apprenaient que j'étais le modèle... Ils avaient sûrement des archives des êtres magiques qu'ils avaient anéantis. Peut-être même avec des descriptions, ou des détails de lieu... Ils sauraient faire le rapprochement. Avec de la chance, ceux que Loana avait vus étaient de simples membres, de ceux qui ne savent rien ou peu, qui n'avaient pas accès à tout. Peter m'avait vaguement expliqué leur fonctionnement. Très peu étaient dans la confidence à cent pour cent. La plupart savaient qu'ils cherchaient de dangereux fugitifs. Quelle ironie, dans cette histoire, il n'y avait qu'eux qui étaient vraiment dangereux ! La plupart était pacifiste... Je l'avais bien remarqué dans le village de Gwenaël.
Je devais m'assurer de ne pas me faire remarquer. Je songeais à en parler à ma mère. Les Chasseurs avaient peut-être notre adresse et notre nom. Je décidai de rentrer précipitamment chez moi. Je voulais convaincre ma mère de prendre du temps pour elle, peut-être des vacances en Bretagne, sans pour autant éveiller les soupçons. J'avais longuement réfléchi à comment lui dire, alors le soir à table, je lançais le sujet, peut-être maladroitement.
– Maman... Tu te souviens de... Cette petite ville en Bretagne où nous sommes allées il y a quelques mois ?
– Oui, bien sûr, tu voudrais que nous y allions après ton bac ?
– À vrai dire, j'ai beaucoup de mal à me concentrer sur mes révisions en ce moment mais j'arrive un peu à bosser avec Loana... Ça m'embête de ne pas pouvoir être là pour toi... Je veux pas te laisser seule mais... Enfin, tu t'entendais bien avec la dame là-bas alors peut-être que tu devrais prendre un peu de temps pour toi ? Et après mon bac, on partira en vacances !
– Oh... Oui je comprends... Ça m'inquiète un peu de te laisser seule, tu sais ?
– Je sais mais... Je pourrais demander à Loana de rester chez elle ? Je sais que c'est pas très grand et qu'ils sont plutôt nombreux mais ses parents sont sympas... Ils comprendront.
– D'accord, mais s'ils sont d'accord, il reste le chat et ton poisson ! Tu ne vas pas leur imposer ça non plus ?
– Heu... Je pensais demander à la voisine, madame Rémine... Tu crois qu'elle serait d'accord pour venir les nourrir ?
– Oh... Oui bien sûr, je pourrais lui en parler. Mais appelle ta copine d'abord, d'accord ?
Elle avait l'air de bien prendre cette idée de se mettre au vert jusqu'à la fin de l'année scolaire alors je n'attendis pas et appelai Loana. Cela ne la dérangeait pas que je reste chez elle et ses parents furent faciles à convaincre également. Ils pensaient que c'était bien mieux pour nos révisions d'être à deux. Et puis, selon eux, ça pouvait aider notre moral et notre motivation. Ma mère partit voir la voisine dès le lendemain matin alors que je rangeais mes affaires pour mon propre départ. En attendant ma mère afin de m'assurer qu'elle n'oublie rien pour ses vacances quelque peu forcées, j'envoyais un message à Kei pour le prévenir de la situation. J'essayais de minimiser la nouvelle concernant la présence des Chasseurs, en espérant qu'il ne s'inquiète pas plus que nécessaire...
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