Le père de Louino

Solis était rentrée chez elle après cette discussion avec Moutier et Gaund. Elle observa sa fleur se remettre de ses émotions, elle était vraiment mal en point.

- J'ai aperçu cette aura bleue autour de toi, ce n'est pas la première fois que je vois de la magie comme ça, libre dans la nature, mais en ce moment, je la vois de moins en moins, expliqua Flosia.

- Comment ça ?

- Solis, si tu veux enfermer de l'eau dans un ballon, alors celui-ci va gonfler, gonfler, gonfler, se déformer et exploser, c'est une métaphore. L'emique a essayé de contenir la magie bleue trop longtemps.

La jeune fille se redressa dans son lit, observant avec inquiétude l'extérieur et le soleil couchant. Un nouveau jour allait-il bientôt se lever sur Edia ? Solis l'espérait.

- Alors le ballon a explosé ?

- Non, fort heureusement non ! Pas encore... Pour l'instant, il se déforme. Mais, il faut agir vite, sinon ça en sera fini de nous, expliqua la fleur.

Après cela, elle ne dit plus un mot, trop fatiguée. Solis la posa sur son bureau, loin de la fenêtre, au cas où. Il fallait agir ! Elle voulait avoir un autre avenir que ce qu'il lui était destiné. Elle voulait un peu de rebondissements dans sa vie, elle voulait se révolter. Montrer de quoi elle était capable à ce gouvernement qui les prenait pour pas grand-chose.

Solis avait lu le journal, dedans, ils y rappelaient les différentes règles à suivre. Et puis apparemment, Alphred Crigno s'était réveillé de son coma après avoir raté sa téléportation. Pourtant, c'était un elfe très doué pour se téléporter, tout ça était trop étrange pour le contexte actuel.

C'était le père de Louino, un élève de sa classe, et cela semblait avoir trop de coïncidences avec la prise au sérieux du dérèglement par le conseil. Que leur avait raconté le père de Louino ?

Elle commença à prendre un bout de parchemin et écrit quelques mots à la seule personne pouvant lui venir en aide pour l'instant : Louino. Elle pourrait aller voir le père de son camarade de classe.

Elle voulait comprendre et elle allait comprendre.

Elle posa le papier sur un cercle dessiné sur sa commode. Elle positionna sa main légèrement au-dessus et ferma les yeux. Deux secondes après, le papier disparaissait. Louino devait l'avoir reçu maintenant.

Très vite, un nouveau papier apparut dans le cercle. De son écriture en pattes de mouche, le garçon lui avait donné rendez-vous le lendemain matin. Alors, après une nuit encore pleine de cauchemars, Solis se leva à huit heures, fatiguée, mais motivée.

Elle enfila un short cargo marron avec des collants noirs. C'était rare de voir des filles avec autre chose qu'une robe ou une jupe. Ce n'était pas interdit de porter des pantalons, mais dans la croyance générale, ce n'était pas pour les filles. Solis n'en avait que faire ! Avec ça, elle enfila une chemise beige et sa veste en cuir. Dehors, le temps était maussade et le moral des habitants de la capitale était au plus bas.

L'elfe marcha à travers les champs garnis de fleurs géantes se tournant sur son passage. Elle voyait au loin, les immenses arbres qui bordaient la cité commençaient à perdre leurs feuilles violettes. Elle arriva finalement dans un petit village en contrebas. Louino habitait plutôt loin de l'école.

- Je suis content de te voir ! dit Louino en faisant entrer sa camarade de classe.

- Ça ne te dérange pas que je pose des questions à ton père ? s'étonna la jeune fille.

- Non, enfin, pour tout dire, le conseil nous surveille depuis que mon père s'est réveillé. Il sait des choses que l'on ne doit pas savoir. À moi, il n'a rien dit, je crois que le conseil l'a soumis au silence, expliqua Louino à voix basse tout en servant un verre d'eau à son amie.

La maison du garçon était une chaumière. Son père était fermier et les temps étaient durs. Heureusement, malgré son absence, sa mère avait réussi à faire tourner par magie les différentes machines pour travailler la terre, mais plus rien ne poussait. Par le passé, Alphred le père de Louino, avait gagné beaucoup d'argent grâce à ses cours de téléportation et avait pu acheter ses machines. Mais maintenant, ses capacités étaient aussi communes que de boire un verre de jus de marguerites à la taverne du coin. Il ne gagnait donc plus rien dessus et depuis le temps, l'argent avait été dépensé.

- Et je me suis dit, reprit Louino, que si le directeur t'a convoqué, ce n'est pas pour rien. J'ai entendu Lolima et Radja parler de ta rencontre avec des ombres.

Solis le regarda, incrédule, c'était la première fois qu'elle parlait autant avec cet elfe et elle s'avoua à elle-même qu'il était plus intelligent qu'il n'y paraissait. Louino avait un air nonchalant et ses vêtements étaient toujours sales, et puis il restait souvent dans son coin. Il n'avait donc pas réellement d'amis, Solis le voyait toujours seul. D'ailleurs, il faudra qu'elle dise à ses propres amies de parler moins fort la prochaine fois ! Elle n'avait pas envie que toute la ville soit au courant de sa mésaventure. Enfin, ils pourront être au courant, quand elle aura réussi à trouver la vérité.

- Et... Si personne ne peut rien tirer de mon père, toi peut-être, tu pourras, dit le garçon avec hésitation. Mon père m'a dit que l'on pouvait te faire confiance ! Il a presque insisté pour que tu viennes... dit le garçon devant l'air interrogateur de Solis. Il connaît bien Moutier ! La vérité, c'est que je m'inquiète pour l'avenir. On a reçu une lettre de ma tante qui habite dans le Sud-Ouest, c'est partout pareil dans le pays. Tu sais, nous, on voit ça au premier plan. Je veux dire, nous les fermiers. Il n'y aura bientôt plus rien à manger.

Solis resta perplexe, pourquoi le père de Louino voulait tant la voir ? Elle ne le connaissait même pas. Elle se sentit agréablement privilégiée.

Louino était à présent assis sur une chaise en bois. Solis était étonnée de sa confiance. En même temps, il fallait agir, le temps se dégradait trop vite. Alors, on s'aidait un peu les yeux fermés, en espérant que ça marche.

Louino lui avait dit que la chambre de son père était juste à droite après l'escalier. Solis entra dans la pièce, intimidée par ce lieu inconnu. Le plafond de la chambre était assez bas, les murs étaient en pierre et des coquillages disposés en guirlande venaient s'entrechoquer avec le vent. Tout était calme, même la respiration de l'homme allongé dans le lit.

Solis saisit un tabouret qu'elle rapprocha du malade. Elle n'osait pas le réveiller, heureusement l'homme ouvrit les yeux après l'avoir entendue rentrer. Son état de faiblesse attrista Solis et elle voulut tout faire pour l'aider, mais elle savait au fond d'elle qu'elle en était incapable.

- C'est toi, Solis Lisblum ? demanda-t-il d'une voix faible.

- Oui...

L'homme eut envie de dire quelque chose, mais il se retint à la dernière minute. Il réfléchit un instant.

- Louino m'a prévenu que tu allais passer. Je préfère te prévenir, après avoir entendu ce que j'ai à te dire, tu pourras être en danger. Mais, je fais le pari que le conseil ne va pas se soucier de toi. Tu n'es pas proche de notre famille. Alors après cette entrevue, ne parle que très peu à Louino, pour écarter les soupçons, compris ?

Solis acquiesça, cet homme semblait donner toutes les forces qu'il lui restait pour parler autant.

- D'accord, promis monsieur et merci... répondit Solis en relevant les coussins du malade. Que s'était-il passé pour que vous ratiez votre téléportation ?

L'homme tourna sa tête vers la fenêtre.

- C'était une simple téléportation. Je ne pouvais pas la rater ! s'énerva presque l'homme à ce souvenir. Mais, alors que j'étais dans l'espace noir, l'espace entre deux destinations, j'ai vu des ombres, des créatures terrifiantes. J'étais coincé dans le vide et... comment expliquer...

- Dites avec vos mots, je comprendrai, rassurant la jeune fille en lui refaisant boire de l'eau.

- Il y a comme des nuages, de la poussière bleue qui empêche ces monstres de venir dans notre monde. Mais, elle semblait s'évaporer, ne plus être contrôlée. Ces ombres que tout le monde paraît voir dehors, elles viennent du vide comme je l'appelle, de l'entre deux mondes. Tout se dérègle avec cette magie bleue qui s'en va.

Solis commença à faire le lien avec l'aura bleue qui l'avait entourée. Mais, Moutier et Gaund avaient dit que c'était de la magie divine !

- Et vous avez raconté tout ça au conseil ?

- Oui ! s'exclama l'homme en se frappant lui-même, heureusement sans force. J'ai été si bête ! Quand je suis revenu de ce vide, j'ai tout raconté immédiatement ! Je pensais que L'emique pourrait faire quelque chose, lui qui contrôle la magie divine. Mais apparemment, il ne la contrôle plus et il ne veut pas que ça se sache !

Solis resta muette, ses mains posées sur celles de l'homme qui les avait maintenant saisies.

- Solis, si je te raconte tout ça, c'est que quelqu'un doit être au courant. Je vais partir bientôt, je le sens. Je ne veux pas mettre ma famille en danger, or, je n'emporterais pas ce secret dans ma tombe. Le destin semble t'avoir choisi pour nous sortir de cette affaire petite, fait attention.

La jeune fille redescendit de son petit interrogatoire, l'esprit embrumé. Que devait-elle dire à Louino à présent ? Il était clair que leur futur était menacé, mais L'emique ne savait plus contrôler cette magie bleue. Se faisait-il trop vieux ?

Solis paniqua. Le fils de L'emique, désigné comme successeur du pouvoir divin, n'avait que trois ans !

En bas, Louino ne lui demanda rien, Solis voyait qu'il avait compris. Alors simplement, il se leva et prit la jeune fille dans ses bras.

- Merci, il devait parler à quelqu'un. Je veux t'aider et je crois savoir comment faire. Il faut aller voir madame De Foucio, c'est une temponia, elle doit bien savoir quelque chose aussi !

- C'est une excellente idée, mais comment savoir si nous pouvons lui faire confiance ? Ensuite, c'est trop dangereux, ton père ne veut pas vous mettre dans une mauvaise impasse. C'est ma mission...

Louino croisa les bras.

- Qui t'a dit que c'était ta mission ? De toute façon, on n'arrive jamais à rien seul.

Solis voyait bien qu'elle ne pourrait pas faire reculer son camarade. Alors après une mise en scène extravagante à faire croire qu'elle venait chercher ses devoirs chez le jeune garçon, Solis s'en retourna chez elle. Aucun risque que le conseil devine ce qu'elle était venue faire réellement. Ils s'étaient donnés rendez-vous l'après-midi, devant le bureau de Foucio. Elle était sur le bon chemin. Alors, comme ça, la magie Divine était sous forme d'aura bleue, dans la nature ?

De Foucio était, disons, assez vieille, à l'âge de 90ans, on devrait être à la retraite depuis longtemps ! Mais, son professeur était une Temponia, elle vivait plus longtemps que la norme générale, et son âge pouvait aller jusqu'à deux cents ans. Avec ses quelques rides et sa chevelure rose bientôt argentée, on ne lui donnerait que 40 ans.

Solis avait longtemps pensé à aller voir une Temponia assez vieille pour qu'elle ait connu l'ancien monde, et ainsi la raison pour laquelle on ne leur apprenait pas l'histoire avant soixante dix ans. Mais, la seule qui aurait pu répondre à ses questions était morte à deux cent onze ans, quand Solis était encore dans le ventre de sa mère.

Madame de Foucio est née une petite dizaine d'années avant que l'histoire avait recommencé de zéro. Le nouveau monde avait 80 ans...

« Une éternité pour se souvenir, se dit Solis en faisant la grimace. Alors, on vit avec son temps, pour le meilleur et pour le pire. »

À quinze heures précises, les deux étudiants se retrouvèrent devant une porte blanche et élégante.

- Allons-y ! Dit Solis, peu rassurée, elle n'aimait pas beaucoup son professeur.

Dans la pièce, Foucio était installée derrière son bureau, la tête dans une tonne de copies à corriger. Son nez crochu touchait presque la table tellement elle était penchée sur son travail. Ses cheveux, bientôt gris, retombaient en boucles sur ses épaules, et ses lunettes d'une taille minuscule étaient rabattues sur sa tête. Solis se demanda bien à quoi elles servaient.

- Bonjour madame, se lança Louino en premier.

Le professeur leva les yeux, les indiquant de s'assoir.

- Madame, nous venons vous voir pour vous poser quelques questions, enchaîna Solis, vous êtes une temponia et votre expérience nous intéresse beaucoup.

Les deux étudiants s'étaient mis d'accord pour jouer la carte des compliments. Foucio aimait beaucoup être au centre de l'attention, et elle n'hésitera pas à tout leur expliquer si c'est pour montrer ses grandes qualités.

- C'est pour un devoir en histoire, mentit Louino, on a directement pensé à vous !

Un petit sourire se dessina sur le visage de leur professeur. Les deux adolescents savaient qu'ils avaient déjà gagné.

- Aucun souci les enfants ! Que voulez-vous savoir ?

- Avant L'emique, qui était au pouvoir ? demanda Solis.

- Jardon Kerkson, son père bien sûr ! Foucio avec de grands gestes.

- Et vous connaissez le premier dirigeant ?

- On travaille sur les Emiques et leur conseil, c'est pour ça, précise Louino, voyant que sa professeure devenait suspicieuse.

- Pas très bien, je n'ai pas connu cette période. Mais il me semble que c'était Matew Gardon. Ma grand-mère me racontait que Jardon Kerkson reconstruisait ce pays sur de nouvelles bases au nom de son grand-père, Gardon, qui était déjà mort dans les catastrophes de l'avant monde. Ne parlons pas de plus de lui ! Ma grandoo-mère ne l'aimait pas du tout.

- Les catastrophes de l'avant monde ? laissa échapper Solis.

Louino lui donna un coup de pied, elle avait été trop loin.

- Je ne peux pas vous parler de l'avant monde, même moi, j'en sais peu ! Il ne fallait pas être louche à cette époque. On vit très bien aujourd'hui, et c'est la seule chose à retenir, s'exclama Foucio.

- Oui, bien sûr ! Vous semblez connaître tellement de choses, rattrapa Solis ce qui fit immédiatement effet. Le professeur avait retrouvé son sourire.

- Votre grand-mère devait être quelqu'un de très bien ! Une simple question madame, la magie divine a toujours appartenu à L'emique ?

Foucio fronça les sourcils, plus pour elle-même cette fois.

- Ma grand-mère m'a raconté qu'au début, il ne paraissait pas contrôler grand-chose. Ça s'est fait petit à petit. D'ailleurs, elle faisait parfois référence à des ombres, comme aujourd'hui... murmura Foucio.

Le reste de la conversation s'enchaina sans en tirer plus que des informations pour un simple devoir d'histoire qui n'était pas réel.

Les deux étudiants ne se dirent pas un mot avant d'avoir atteint un endroit à l'abri des regards et des oreilles.

- Alors ? demanda Louino.

- Si tu veux mon avis, je crois que l'emique n'est pas le seul à pouvoir contrôler la magie divine. Je crois... Il nous le fait que croire pour rester au pouvoir.

Solis n'était pas certaine de la conclusion qu'elle tirait, mais c'est ce qu'elle espérait secrètement. Maintenant, l'emique n'était pas le seul à être exceptionnel, elle aussi avait sa chance.

Louino parut réfléchir, il pensait cela également. Solis se souvint qu'il n'était pas au courant de tout. Il respectait ce mutisme.

- De ce que j'ai pu tirer de mes sources, l'emique contrôle approximativement cette magie, et une amie m'a dit, quand on remplit trop le ballon, un jour, il explose.

- On doit en déduire que nous aussi, nous pourrions contrôler cette magie ?

Solis acquiesça, elle-même avait réussi à l'utiliser. Puis la magie divine semblait les protéger, elle n'était pas un ennemi.

- Tu te souviens de ce qu'elle a dit ? Il y avait des catastrophes avant le nouveau monde. Et, ce Gardon... marmonna Louino.

- Tu crois que la magie divine n'étant pas pratiquée pour une quelconque explication, il y a eu le même problème qu'aujourd'hui ? Puisque Gardon a réussi à la maîtriser et son petit-fils s'en est servi pour prendre le pouvoir en rétablissant l'ordre ?

Louino la regarda avec incompréhension, ne possédant pas toutes les informations nécessaires. Solis lui dit qu'elle lui expliquera tout, avant elle devait réfléchir. La jeune fille s'en alla vers un endroit calme. Sa tête lui faisait mal. Alors depuis tout ce temps, on leur cachait une magie, leur dirigeant n'était qu'un charlatan ? Solis savait bien qu'il n'était pas net, mais pas comme ça ! Tout un tas de suppositions se bousculaient dans sa tête. Elle sentait qu'elle perdait toutes ses forces.

Solis se rendit compte que la société était basée sur une histoire bancale. La jeune fille était en colère, elle sentait que son monde basculait et qu'il faudrait faire quelque chose. Comment faire avancer le monde si elle ne savait même pas comment était le passé !

Elle se mit à pleurer, perdant tous ses moyens. Plus rien n'allait, même cette société commençait à l'oppresser. Elle ne s'y sentait pas à sa place.

Alors soudain, elle se sentit partir en arrière. Autour d'elle, c'était maintenant le noir complet. Le vide comme l'avait dit Alphred, mais Solis n'avait pas le temps de distinguer des silhouettes l'observant qu'alors ses pieds heurtèrent un sol dur et que la lumière se mit à l'éblouir.

Jamais elle n'aurait cru trouver les réponses à ses questions, si loin de chez elle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top