Prologue

            Mes membres tremblaient, mais pourtant, je ne devais pas faiblir. Non, j'avais trop besoin de ce moment de paix. Et c'est pourquoi je me trouvais ici, devant son appartement. Prenant mon courage à deux mains, je frappai à sa porte.

Je n'eus à attendre que quelques secondes avant que le battant ne s'ouvre. Il apparut dans toute sa splendeur, une expression ébahie peinte sur son visage.

— T'es sûre que tu devrais être ici ? demanda-t-il le regard grave.

— C'est ici que j'ai envie d'être. 

Sa façon de me regarder me fit bondir le cœur.

— C'est bientôt le couvre-feu... dit-il en fronçant les sourcils. 

Et à ce même instant, le son caractéristique se fit entendre. Sourd. Puissant. L'alarme nous vrillait inlassablement les tympans, dévastant tous nos espoirs sur son passage, de la même manière qu'une petite mort.

— On dirait bien que tu vas devoir me garder cette nuit. 

Ne prenant pas la peine de cacher son sourire, il me fit signe d'entrer. Et à peine avais-je franchis le seuil de son appartement, qu'il me prit dans ses bras. Bordel, qu'est-ce que cet homme m'avait manqué !

Ses mains passèrent sous mon t-shirt pour enlacer ma taille, et mon corps prit feu.

— Je savais que tu reviendrais, murmura-t-il contre mon oreille. 

Me détachant de lui, je croisai les bras sur ma poitrine, faussement désabusée. Souriant de toutes ses dents, il reprit : 

— Peut-être pas aussi vite, mais je savais que nos chemins se recroiseraient.

Il avait beau paraître serein, je pouvais aisément voir le mensonge briller dans la lueur de ses yeux, mais je choisis de l'ignorer.

— Toujours aussi optimiste à ce que je vois.

— Ai-je eu tort ? me demanda-t-il avec un rictus errant sur ses lèvres. 

Je me contentais de lever les yeux au ciel. Dieu qu'il pouvait être agaçant !

Constatant mon silence, il m'entraîna jusqu'au salon où il me fit asseoir sur l'un de ses canapés. Je le vis hésiter une seconde avant de s'installer tout près de moi. Aucun de nous ne parlait à présent. Nous nous contentions de nous dévorer du regard, alourdissant l'atmosphère autour de nous. N'y tenant plus, je le vis effacer les derniers centimètres qui nous séparaient pour sceller ses lèvres aux miennes. Un océan de sensations m'assaillirent, mon âme s'embrasa et oubliant tout autour de moi, je lui répondis avec ferveur. Dans ses bras, j'avais l'impression d'exister vraiment, d'être à nouveau moi-même et pourtant à cet instant, je ressentais un poids énorme se former dans ma cage thoracique. Celui de la culpabilité.

Prenant conscience que je ne répondais plus à son baiser, l'être de tous mes fantasmes s'éloigna de moi pour mieux m'observer, plongeant ainsi son regard dans le mien. Son visage se mua en interrogation.

— Hey, ça va ?

Le cœur au bord des lèvres, je m'entendis lui mentir.

— Oui, tout va bien maintenant, soufflai-je en me calant contre son corps. 

Je lui devais la vérité, mais j'étais faible. Je ne pouvais me résoudre à lui dire car cela changerait tout. C'est nous deux contre le reste du monde avait-il l'habitude de me susurrer au creux de l'oreille. Mais ça ne serait bientôt plus le cas. Oui, le chiffre allait changer, indéniablement.

— Raconte-moi une histoire, une belle histoire. 

Étonné, il vrilla ses yeux océans dans les miens, mais n'y voyant qu'une détermination farouche, il acquiesça. Se raclant la gorge, il commença.

— Il était une fois, dans un monde très lointain, une jeune femme qui cherchait désespérément la justice et la liberté, mais cette jeune femme était perdue dans ce gouffre qu'était sa vie. Un gouffre qui lui semblait sans fin, et pourtant, chaque jour de son existence, elle luttait pour rendre les choses meilleures, assoiffée dans sa quête infinie. Et un beau jour, alors que vivre lui semblait si terne, elle rencontra un homme, et elle comprit. Elle comprit qu'elle ne pouvait changer les choses seule, et qu'elle ne pouvait essayer de modifier l'avenir qui semblait si noir en ressassant le passé. Alors elle choisit le présent. 

Il s'arrêta et je lus dans ses yeux une lueur d'hésitation. Les oreilles bourdonnantes, je lui fis signe de poursuivre. Une expression téméraire se peignit alors sur son visage.

— Et c'est lorsqu'elle se laissa porter qu'elle vit tout ce qu'elle avait raté, la paix et l'amour.  La paix qui était revenue dans le monde, un monde certes imparfait, mais un monde où la guerre ne régnait plus en maître et qui était devenu respirable. Et enfin l'amour, l'amour qu'elle aurait dû porter à la vie, à sa vie, mais aussi aux personnes qui tenaient à elle. Ainsi, elle regarda d'un œil nouveau ce qui l'entourait, pour y découvrir que le monde n'avait pas cessé de tourner, que les gens souriaient à nouveau et dansaient sous la pluie. Et surtout, qu'elle n'était plus seule.

Je sentis ma gorge se resserrer.

J'aurai tellement aimé que les choses se déroulent de cette manière. Mais le futur ne ressemblerait en rien à une fin heureuse, du moins, pas pour tout le monde et encore moins pour les personnes comme moi. Non, il y aurait forcément des dommages collatéraux. Alors d'ici, les étincelles d'espoir me semblaient plus proche d'une opaque fumée, emplissant mes poumons à chaque inspiration. Le changement ne s'opérait pas sans douleur et celle-ci était mienne.

L'air siffla, nous faisant sursauter tous les deux. Il s'agissait d'un coup de feu, une deuxième détonation résonna. Le bruit semblait venir du quartier voisin. Encore un qui n'avait pas respecté le couvre-feu et qui ne verrait plus jamais le jour se lever. Gabriel dut en venir à la même conclusion car je le vis frissonner.

Seul le bruit de nos respirations entrecoupaient le silence sinistre qui régnait de nouveau dans l'atmosphère.

— On devrait partir, souffla-t-il la voix rauque.

Je me séparai à regret de son corps avant de plonger mon regard dans le sien. 

— Pour aller où ?

— J'ai entendu parler d'un endroit, où les personnes coexistent loin de tout ce merdier. On pourrait tout recommencer à zéro. Vivre une vie simple, une vie de paix.

Sous le choc, les mots restèrent coincés dans ma gorge, qui elle, était devenue désespérément sèche. Le silence envahit la pièce quelques minutes. Alors que je commençais à croire que je venais de rêver cette scène, il prononça ces mots vibrant de détermination, ceux qui pourraient tout changer.

— Pars avec moi, me supplia-t-il en effaçant la distance qui nous séparait.

Quand on y pensait, la vie était une putain de blague. J'avais toujours eu en horreur les personnes qui fuyaient leurs engagements, leurs devoirs et pourtant, des années plus tard, je me trouvais face à cette alternative. Et contre tout attente, j'y songeais sérieusement.

Ses mots laissant une trace indélébile en moi.

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