Chapitre 1
Année 2027.
Le monde avait sombré dans une grande détresse causée pour le pouvoir et l'enrichissement. Du sang et cette odeur putride. Du sang et des chairs mortes partout. Les cadavres en décomposition jonchaient le sol à perte de vue. Mon attention fut retenue par une femme tenant son bébé de quelques mois dans ses bras, leurs corps rongés par les vers.
Je me réveillai en sursaut, trempée et mes longs cheveux bruns collant à mon visage comme la plupart des nuits. Et moi qui pensais échapper au cauchemar cette fois... Mais il était plus difficile de se soustraire à ses songes lorsqu'ils étaient l'écho d'un souvenir. Me sortant de cette réflexion, je descendis du lit tel un automate, attrapai mon vinyle d'Orelsan et le glissai sur le tourne-disque. La chanson ''Suicide Social'' fit vibrer l'air autour de moi. Rien de mieux que de la musique illégale pour commencer sa journée. Mes pas me portèrent jusqu'à la glace de mon salon.
Mon reflet dans le miroir me renvoyait l'image d'une jeune femme vide de toute émotion. Je soufflai un coup et pris l'expression d'une personne sûre d'elle, condescendante. Expression que j'arborais en permanence.
Après cette introspection, mon regard se porta sur la fenêtre qui siégeait fièrement au milieu de la pièce. D'une démarche lente et mesurée, je m'avançai jusqu'à celle-ci. Je pus observer la rosée du matin embuer mes vitres, puis les premières gouttes d'eau tombèrent. Mes yeux se plissèrent sous la contrariété, ils n'avaient pourtant pas prévu de pluie pour cette semaine. Cela ne signifiait qu'une chose, encore une matinée sans sortir. Bien que les sources officielles affirmaient que nous nous trouvions à l'extérieur du périmètre de contamination, je préférais m'exposer le moins possible à la pluie, afin d'éviter les retombées radioactives. J'avais pour habitude de suivre mon instinct et ma raison, et ceux-ci me dicter une certaine défiance envers les médias.
La Troisième Guerre Mondiale, voilà dans quel contexte évoluait le monde actuel.
Cela faisait maintenant cinq ans, et la situation actuelle laissait présager la pire des issues. De toutes les guerres, celle-ci était sans doute la plus épouvantable pour l'espèce humaine car elle montrait le vrai visage de l'être humain, son égoïsme, son profit et surtout sa monstruosité. Le capitalisme avait déclenché cette guerre, sombre et insidieuse. Malgré tout, c'était grâce à elle que j'avais un but. Une raison de vivre.
Je faisais partie de ce qu'on appelait plus communément les résistants, mais eux nous nommaient les nuisibles. Cette pensée me fit sourire. Oui, j'étais tordue sur certains points, enfin, j'avais une manière de concevoir les choses bien différente de celle du commun des mortels. Pourtant, c'est ce qui faisait de moi l'un des membres les plus redoutables de notre organisation.
Mais hélas, à la manière du temps, nous ne représentions qu'une goutte d'eau face au déluge.
La terre baignait dans le sang, que l'humanité avait elle-même fait couler. Et rien ne pouvait éponger la triste désuétude des murmures d'antan. Ceux évoquant la paix, la coexistence et les petites joies de la vie, bien que toutes ces données n'aient été que relatives. Non, car rien ne serait plus jamais comme avant. Plus rien ne l'était déjà, en réalité.
Comme pour confirmer mes dires, des hurlements se firent entendre. Me penchant à la fenêtre, je les vis apparaître au bout de quelques secondes. Trois soldats embarquaient une femme en larmes et son enfant, et ils... Oui ils les emmenaient dans leur fourgon. Je restai figée à les regarder partir, tout en sachant pertinemment qu'ils ne rentreraient jamais chez eux. Mon sang bourdonnait dans mes tempes, parfait écho de ma frustration et de ma colère.
Presque six mois qu'ils se pavanaient dans les rues en terrain conquis. Baisser les yeux, hocher la tête et faire tourner le pays à la sueur de notre front. C'était ce que l'on était censé faire...
Cette situation me dévorait les entrailles. Mon cerveau bouillonnait sous la contemplation de leur agissement et sous le poids du souvenir.
Il était temps de faire mon deuil, de laisser le passé au passé. Seul l'avenir comptait.
Je m'approchai alors de ma vieille bibliothèque, et le cœur sombre, je me saisis du bloc de périodiques. Abandonné au fond de mon meuble, mais omniprésent dans mon esprit. Je devais brûler chaque journaux que j'avais jusque-là gardé soigneusement, comme un vestige d'antan.
Je ne voulais plus me souvenir.
Pourtant, les mots résonnaient dans mon crâne. Inlassablement.
Enhardie par ma décision, j'entreposai toute l'actualité au pied de la cheminée dont l'âtre crépitait déjà.
J'attrapai le premier journal. Il contenait alors l'indice liminaire de cette immense guerre. Le titre annonçait le plus grand krach boursier jamais connu. Après cet événement, les tensions n'avaient fait que s'exacerber.
Fixant une dernière fois les lignes du journal, je le laissai tomber dans les braises. Dans un parallèle révélateur, le papier s'embrasa immédiatement.
Le grand tournant n'arriva que quelques semaines plus tard, comme le confirma le titre du journal suivant. « Une Troisième Guerre Mondiale en préparation ? » Et cela ne manqua pas, deux jours après cette publication provocatrice, les Etats-Unis entrèrent en conflit avec la Chine. La guerre froide se transforma en guerre totale, condamnant le reste du monde à choisir son camp.
La Chine, si avide de pouvoir, s'était alliée à la Corée du Nord. Et contre toute attente, la Russie, si indépendante, les avait rejoints. L'Europe et les États-Unis se firent attaquer simultanément. En ce qui concernait la France, nous avions subi l'invasion des Russes. Ils avaient tout prévu. Bombardant stratégiquement nos sources d'énergies, nos forces armées se firent rapidement décimer. Mais les groupuscules dissidents et notre faible armée résistaient coûte que coûte.
Mes yeux se posèrent sur les revues de presse suivantes, totalement écornées à force d'être feuilletées. Ces trois-là informaient successivement de l'explosion de bombes nucléaires. La première sur Los Angeles. La deuxième sur Pyongyang. Et la dernière sur Londres.
D'un geste du bras, les flammes les avalèrent. Mais le pire était encore à venir.
Mal à l'aise, je me remis à ma lecture. Le titre accrocha mon regard, je rentrais dans le cœur de l'abomination. Il s'agissait de l'acte odieux qui avait frappé les Etats-Unis, celui qui changea ma vision du genre humain. Les chinois avaient usé d'une méthode bien plus radicale. Une arme bactériologique qui s'apparentait à une nouvelle forme de peste, totalement résistante aux antibiotiques et mortelle dans quatre-vingt-dix-neuf pourcent des cas. Le mot massacre prenait ici tout son sens...
J'interrompis ma lecture et me relevai, les nerfs à vif. Comme un vieux carrousel, je tournai en rond dans une boucle infinie. La colère s'accrochait à mon âme, mais je ne pouvais lui céder du terrain. Se défaire de ses émotions faisait de moi une meilleure personne, ou du moins quelqu'un de plus viable pour le combat. Car c'était bien de ça qu'il s'agissait, de lutter.
Alors, prenant sur moi, je me réinstallai et poursuivis mon entreprise. Je lisais, puis je brûlais. Encore et encore, tel une œuvre purificatrice.
De nouveaux cris perçants jaillirent de l'extérieur. Je me forçai à rester immobile, le regard dressé sur le feu. Je ne devais surtout pas agir, pas maintenant et encore moins comme ça.
Le cœur au bord des lèvres, je revins au texte, mais les derniers journaux en ma possession ne révélaient que notre soumission face à l'oppresseur. Malheureusement, les États-Unis avaient déjà abdiqué, et ce n'était qu'une question de jours avant que la totalité de l'Europe ne les suive.
Je terminais de donner au feu ce qu'il désirait consumer, les derniers journaux.
Le compte à rebours s'incrusta dans mon esprit, une question de jours, c'était tout du moins ce que j'imaginais en partant me recoucher.
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Un coup de téléphone me réveilla. Repoussant la couverture du pied, je sortis difficilement du lit. L'esprit encore à mille lieues d'ici, j'attrapai l'appareil posé sur ma commode et j'aboyai dans le téléphone.
— Quoi ?
— Toujours d'aussi bonne humeur le matin à ce que je vois, ricana Alexandre, qui représentait sans doute ce qu'on pouvait qualifier d'ami.
De meilleur ami même. Ce grand métis était le seul que je laissais approcher, il était l'exception confirmant la règle. Ma règle.
— Bon, tu m'expliques pourquoi tu m'as réveillé ?
— Tu devrais regarder les informations...
Je ne pris pas la peine de répondre que je raccrochai directement et saisi ma télécommande pour comprendre de quoi il en retournait. Je vis directement apparaître la tête de ce collabo de présentateur télé, mais plutôt que de me concentrer sur son sourire factice et ses yeux enfoncés dans ses orbites, je me focalisai sur ses propos. Rien d'autre n'avaient d'importance, si ce n'était ce mauvais pressentiment.
Je n'eus à attendre que quelques secondes pour découvrir ce que je craignais. « Retour sur le flash info : L'Europe a capitulé, de ce fait, demain sera signé un traité de paix et la France sera annexée officiellement par la Russie, un... ».
Dépitée par cette nouvelle, je coupai immédiatement la télé, attrapai mon PC et me connectai au réseau sécurisé pour contacter la résistance. Merde, tous les supérieurs devaient se rendre au point de ralliement à 10h, il ne me restait que 27 minutes, fis-je rapidement le calcul. Ne perdant pas une seconde de plus, je me préparai aussi vite que possible, me précipitai dehors et m'engouffrai dans mon véhicule pour rejoindre notre Base.
Les kilomètres filaient à vive allure, exhibant ses différents paysages. La ville debout, mais néanmoins sordide, puis la destruction d'anciens quartiers. Et enfin, hormis la route que j'empruntais, le désert de civilisation.
Une énième fois, je regardai le cadran indiquant l'heure. Plus que 15 minutes. Et encore un kilomètre me séparait de la zone où je devais laisser ma vieille Titine. Notre Base étant dans les bois, le reste du chemin devait se faire à pieds. J'allais indéniablement être en retard. Fait chier !
Comme un ennui n'arrivait jamais seul, un éclat métallique attira mon regard. Fixant mon rétroviseur central, je le vis fondre dans ma direction. Une ombre plana au-dessus de ma voiture. Après avoir jeté un rapide coup d'œil à mon boîtier, je repris confiance et accélérai. Le drone continua sa route et moi la mienne.
Nous avions vite compris qu'il n'était pas nécessaire de les canarder, cela attirait trop l'attention... Les drones n'étaient pas si difficiles à tromper, il suffisait juste d'avoir les bons instruments. Il ne nous avait fallu que quelques mois pour changer de méthodes et faire appel à nos ingénieurs. Nous possédions tous désormais un brouilleur que l'on activait lors de nos sorties, nous rendant ainsi invisibles à leurs yeux. Cela nous avait permis de souffler. Un peu. Mais pas suffisamment pour ne plus être sur nos gardes, car bien que les machines étaient mises en avant de bien des manières, il n'en demeurait pas moins qu'elles n'étaient pas les seules à quadriller les zones. Il y avait les patrouilleurs. Et même nos voisins pouvaient nous dénoncer pour une récompense. Oui, les vrais ennemis étaient encore et toujours les êtres humains.
Garant ma vieille voiture à l'entrée des bois, je continuais mon chemin à pieds.
Les souterrains menant à la Base passés et le code donné, j'entrai. D'au moins quarante mètres carrés, cette pièce comprenait trois ouvertures vers les boyaux composant les couloirs internes. Ne m'attardant pas à saluer mes comparses, qui devaient être au bas mot une douzaine, je pressai le pas. Au fil du temps, l'entrée était devenue l'un des lieux de réunion privilégiée. Et nul doute que son atmosphère y contribuait. Des poufs multicolores encerclaient les vieux fauteuils en cuir totalement défoncés qui trônaient contre les murs. Sur ces mêmes murs étaient accrochés de larges tentures aux allures marocaines. Ce mélange de style dénotant avec le reste de la Base était un souffle de vie pour ses habitants. Prenant le couloir à gauche, aussi terne et froid que tous les autres, je fus tout de suite interceptée par une jeune recrue.
— Le Conseil vous demande.
Je tournai vivement la tête vers lui, mais il était perdu dans la contemplation de ses pieds. Visiblement, je le rendais extrêmement mal à l'aise. J'étais plus jeune que la plupart, mais je produisais toujours ce genre de réaction.
— Tu m'excuseras, je suis attendue à une réunion, lui dis-je en reprenant ma marche.
— Ils ont dit que quelqu'un se chargerait de vous faire un compte-rendu, mais qu'ils devaient absolument vous voir.
Réfléchissant enfin à ce qu'il venait de dire, je me figeai.
— Attends, tu as dit le Conseil ? demandai-je quelque peu perplexe, en me tournant vers le garçon.
— Oui, madame.
Cette réplique me fit lever les yeux au ciel. Bordel, j'avais quoi, trois ans de plus que lui ? Avais-je l'air d'une vieille ?
— Ah... Maintenant ?
— Oui.
Perplexe, je me résolus à le suivre.
Le Conseil représentait la tête de la résistance, composé de quatre hommes et de quatre femmes, ils dirigeaient notre organisation. C'était ce même Conseil qui m'avait recrutée quelques années auparavant. Il m'avait fait surveiller pendant quelques mois, remarquant mes actions dissidentes. Lorsque l'armée russe tua une famille entière devant mes yeux, les conseillers décidèrent de m'embrigader, se servant de ma rage envers eux. Je savais qu'ils m'utilisaient, mais pour être honnête, je le faisais aussi, alors je m'en accommodais parfaitement. Avec le temps, j'avais fini par y trouver ma place. Le réseau de résistance s'était infiltré partout, mais seuls les plus prudents et les plus intelligents ne s'étaient pas fait rafler et exécuter. C'était pour cela que la majorité des résistants vivaient en marge de la société, dans les forêts et nos sous-terrains aménagés. Ils se confondaient avec la population seulement pour réaliser des actions résistantes.
Pour en revenir aux membres du Conseil, il fallait savoir une chose primordiale sur eux, ils ne convoquaient que très rarement et qu'en deux circonstances. Étant l'un de leurs meilleurs éléments, la première m'était inconcevable puisque je ne faisais pas parti des traîtres ou des lâches. De ce fait, si le Conseil sollicitait ma présence, il ne pouvait s'agir que d'une mission de la plus haute importance.
Et c'était sur ces nouvelles réjouissantes qu'on me fit entrer, comme toujours sous bonne escorte, dans la salle de Conseil.
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