1942
Les températures massacrantes de l'hiver, cette année là, s'infiltraient insidieusement à travers les frêles parois de bois mal agencées, apportant avec elles l'humidité le long des murs.
Quelques gouttes d'eau fraiche rampaient sur les planches couvertes de moisissures, s'invitant pour certaines jusque sur le sol, mouillant les lattes du plancher craquant.
Les courants d'airs polaires qui s'insinuaient dans la minuscule pièce, et les cris du vent sous la charpente en bois fragile perturbaient leur sommeil, qu'ils tentaient de trouver en vain, leurs corps recouvert d'un tas de couvertures humides pour se protéger du froid.
Couchés directement sur les lattes froides du plancher, et serrés les uns contre les autres pour éloigner l'hypothermie de leurs corps grelottants, ils passaient une nuit de plus dans ce grenier sans isolation.
Le confort n'existait pas sous la charpente, le froid et l'humidité régnaient, apportant avec eux la toux qui leur déchirait la gorge, les gerçures sur les lèvres et les crevasses douloureuses sur les mains.
Mais à l'époque, le simple fait de respirer encore relevait du luxe, et cet endroit généreusement prêté par un homme souhaitant leur venir en aide constituait leur seul repère.
Ils dormaient peu en général, et pourtant, les nuits se faisaient interminables et angoissantes, agitées par les plaintes du vent contre les poutres, les questions sans réponses et l'avenir incertain.
Chaque nouveau jour qui se levait sonnait à la fois comme un cadeau et une punition, l'opportunité d'être encore en vie, et la peur exponentielle du lendemain.
Le simple fait d'exister faisait d'eux des hors la loi et, Katsuki s'en souvient encore aujourd'hui, il leur arrivait de se demander si le combat prendrait réellement fin un jour.
Fuir et se cacher constituait leur quotidien sans but, si ce n'est celui de ne pas mourir, rien de plus et rien de moins.
Aucune perceptive pour demain, aucune destination, et plus le moindre espoir.
Pourtant, ils persistaient malgré tout, peut-être entraînés par un banal instinct humain, ou par la volonté discrète de se battre pour un futur aussi incertain soit-il, de faire confiance aux efforts de la résistance.
Alors, malgré leurs dos meurtris, à force de dormir sur le sol et de vivre courbé, malgré les maladies à répétition et leurs ventres affamés, ils ne se plaignaient pas.
Ils respiraient, et pour l'époque, c'était déjà un exploit.
Depuis le début des grandes rafles, de celles qui ont emporté ses parents un matin de novembre 1941, Katsuki vivait chaque journée en pensant qu'il s'agissait potentiellement de la dernière.
Rien ne garantissait jamais qu'il ne succomberait pas le lendemain, de la maladie mal soignée, ou fusillé sur place, et la fuite demeurait sa seule échappatoire en cas de problème, alors que la mort lui courrait après sans cesse depuis des mois.
Et elle portait un nom, cette mort, qu'il n'est pas prêt d'oublier.
La Gestapo.
C'est au mois de novembre 1941 que sa fuite avait commencé, quand il lui avait fallu quitter sa maison familiale sur les ordres de sa mère, juste avant que celle ci ne se livre pour le protéger alors que les S.S envahissaient leur quartier.
Chassé de chez lui pour sa sécurité, et alors âgé d'à peine dix-huit ans, il a couru sans but pendant de longues heures à travers les bois et les champs.
Seul et démuni de toute forme de bien matériel, orphelin et le cœur déchiré, sans rien manger pendant près de quatre jours, il est tombé par hasard sur un vieil homme au détour d'un petit chemin de calcaire en périphérie d'un village inconnu, a bord d'une voiture presque aussi vieille que son occupant.
Il se souvient encore de son nom, il s'est juré de ne jamais l'oublier.
Sorahiko Torino.
Derrière son volant, le monsieur était si petit que seul son front dépassait du tableau de bord, et Katsuki se demandait sincèrement par quel miracle il parvenait à conduire dans ces conditions.
Mais il se souvient surtout de sa grande bienveillance, quand il a tendu sa main vers lui à travers la vitre ouverte.
_ Tu es tout seul mon garçon ?
Complètement affamé, la poitrine tordue par la blessure encore fraiche d'avoir vu ses parents disparaitre à l'arrière d'un camion de la Gestapo sans pouvoir leur venir en aide, Katsuki mordait sa lèvre inférieure pour ne pas pleurer.
Ses yeux brûlant de fatigue et de larmes menaçantes trahissaient son silence, alors qu'il dévisageait l'homme sans lui répondre.
_ Je ne vais pas te livrer. Je peux t'aider, il y a deux autres garçons comme toi dans mon grenier, c'est pas grand chose, mais tu peux venir t'y cacher aussi. Tu y seras toujours plus en sécurité que sur les routes.
Il restait sur ses gardes, le dos et les jambes crispés, malgré le sourire qui se voulait réconfortant du vieil homme.
Mais la faim et la fatigue parlèrent plus fort que ses craintes et, bien que nerveux, il monta dans la petite voiture exténuée d'exister.
C'est après un court trajet d'une dizaine de minutes, en arrivant dans la petite maison aux façades abimées où vivait le vieux Torino, qu'il a découvert le grenier sous les combles.
En plein milieu de la cuisine, juste au-dessus de la petite table en bois tout juste capable d'accueillir deux personnes, une trappe discrète se dessinait dans le plafond.
Il fallait alors y accéder avec l'aide d'une échelle aussi vieille que tout le reste et, au cœur de cette cachette, se trouvaient effectivement deux personnes, d'à peu près le même âge que lui.
Eijiro Kirishima, un garçon aux cheveux bruns qui chatouillaient presque la naissance de ses épaules, et au sourire rassurant et encourageant.
Et Denki Kaminari, ses cheveux blonds et son sourire plus enfantin lui donnaient des airs quelque peu puérils, mais il n'en restait pas moins sensé et courageux pour autant.
Planqués ici depuis environ trois semaines, après s'être enfuis du même quartier sans vraiment se connaitre avant cela, ils vivaient désormais sous la charpente de la maison.
Le vieux Torino faisait de son mieux pour les nourrir à peu près convenablement, et pour les protéger du froid malgré l'isolation inexistante des combles.
Cela paraitrait cruel aujourd'hui, de savoir trois gamins tout juste majeurs dans un grenier humide, dormant sur le sol et nourrit de trois fois rien.
Pourtant, le geste du vieil homme leur sauvait la vie, la charpente leur offrait une cachette discrète, et ils ne mourraient pas de faim.
C'était déjà du luxe dans le contexte de l'époque.
Katsuki s'est alors installé dans les combles, avec les deux autres.
Il fallait se faire discret là bas, éviter de se déplacer pour ne pas faire craquer le plancher, ne jamais parler trop fort, n'allumer une lampe torche qu'en cas d'extrême urgence, attendre la nuit pour descendre dans la cuisine et accéder aux toilettes de la maison.
Parfois, ils se retenaient pendant des heures, jusqu'à en avoir mal au ventre, jusqu'à ne plus pouvoir rester debout, mais il fallait toujours se taire et attendre.
Alors, pour passer le temps, tuer les heures avant qu'elles ne les tuent en premier, ils occupaient leurs esprits, d'abord en faisant connaissances à travers quelques murmures discrets, puis en improvisant des activités sans matériel.
Ils jouaient, à des jeux de gamins, calmement et en silence, se retenant de se faire rire même quand ils mourraient d'envie de s'amuser en peu.
Rien de transcendant, mais c'était toujours mieux que rien.
Parfois, Sorahiko leur prêtait un bouquin, ils le lisaient à trois, entassés dans un coin du grenier.
Katsuki râlait après Denki parce qu'il lisait trop lentement, et Eijiro souriait en les regardant se batailler du regard sans se parler pour ne pas faire de bruit.
Katsuki se souvient de cet ambiance si particulière là-bas, à la fois oppressante, angoissante, et en même temps, la sensation d'appartenir à un semblant de famille, de se sentir presque chez soi même dans le froid et l'humidité.
Le grenier devenait alors un foyer, le vent hurlant dans la charpente accompagnait leur nuit, un peu comme un ami trop bruyant mais à qui on en veut pas, et le vieil hôte de la maison prenait la place d'un tuteur, qui remplaçait comme il pouvait leurs parents, supposés morts depuis leurs arrestations.
Jusqu'à ce soir là.
Collés les uns aux autres pour se tenir chaud, grelottants malgré les quatre couvertures entassées sur leurs corps, ils s'apprêtaient presque à trouver le sommeil quand un bruit sourd les fit sursauter contre le plancher.
Près d'Eijiro, avant que ce dernier n'ait vraiment le temps de réagir, la trappe s'ouvrit brutalement, et le visage affolé de Torino leur apparut comme un premier avertissement.
Perché sur la petite échelle, le bras en l'air pour maintenir la plaque de bois ouverte, le vieil homme sembla crier et chuchoter en même temps.
_ Ils arrivent ! Ils vont fouiller toutes les maisons ! Vous devez partir les enfants, vite levez vous !
A travers le corps de Katsuki, ce fût comme une violente décharge électrique.
Un élan soudain d'angoisse et de panique lui secoua l'estomac comme un coup porté en dessous des côtes, et son corps s'agita par réflexe.
Sans y réfléchir, juste animé par l'urgence et son instinct, il sauta directement sur ses pieds en chassant les couvertures.
Il savait ce que ça signifiait, si la Gestapo les trouvait ici, ils seraient emportés tous les trois.
Le temps leur faisait sûrement déjà défaut, et il leur fallait fuir immédiatement, courir plus vite que leurs jambes le pouvaient, et disparaitre le plus rapidement possible.
Au beau milieu de la nuit, dans l'hiver assassin de l'année 1942, sans argent, sans destination, sans arme.
Sans rien.
Alors, sans allumer les lumières, minimisant les échos de leurs pas agités, ils sautèrent tous les trois par la trappe sans même prendre la peine d'utiliser l'échelle.
Avec rien d'autre que les vêtements qu'ils portaient sur eux, sans aucune certitude concernant leur survie dans les prochaines heures et les prochains jours, ils leur fallait sortir par la fenêtre de la cuisine, atterrir dans le petit jardin puis escalader la clôture.
Et courir.
Sans avoir le temps de dire au revoir à Sorahiko, sans pouvoir le remercier pour ce qu'il a fait pour eux, sans pouvoir s'assurer qu'il ne lui arrivera rien quand les militaires trouveraient la trappe mais le grenier vide.
Katsuki n'oubliera jamais son nom, et regrettera toute sa vie de n'avoir jamais pu le retrouver après la guerre pour lui dire merci.
Leurs pas résonnaient sur le goudron, parfois masqués par les échos plus ou moins lointain de l'armée qui hurlait et défonçait des portes.
Les cris de quelques villageois affolés, de ceux qui, n'ayant pas eu le temps de s'enfuir, se faisaient attraper, et ceux des soldats qui braillaient des ordres.
Dans l'obscurité, privé de visibilité, Katsuki courait sans regarder derrière lui en priant pour ne pas s'entraver dans quoi que ce soit, la moindre seconde de temps perdue pouvait leur couter la vie.
Il ne remarquait même pas le froid sur sa peau, ni le vent qui cognait son visage et emmêlait ses cheveux, seulement le martellement bruyant des battements de son cœur qui frappait ses tempes, la brûlure de l'air dans sa gorge et le point de côté qui tordait son abdomen sans qu'il ne puisse s'autoriser à s'arrêter pour autant.
Son instinct le faisait avancer toujours tout droit, guidant les deux autres qui le suivaient sans émettre d'objections quelconques.
De toute manière, ils ne pouvaient pas se permettre de gaspiller l'oxygène en essayant de se parler, il fallait juste courir.
Un peu partout, les lumières s'allumaient dans les maisons, traversant les fenêtres pour éclairer des petits morceaux de chaussée, le vrombissement des camions de déportés les menaçaient sans les rattraper complètement et, en suppliant la nuit de lui porter chance, Katsuki courait pour sa vie alors que la douleur dans ses muscles sollicités trop vite et trop fort lui donnait envie de hurler.
Les lacets de ses chaussures qu'il n'avait pas eu le temps de nouer frappaient ses chevilles à chaque enjambée, sa poitrine semblait se refermer sur elle-même à mesure que l'air peinait à y entrer, et il sentait sa respiration se dérober.
S'ils ne se décourageaient pas, ils pouvaient atteindre un champs, puis un bois pour s'y cacher, mais il fallait d'abord quitter le village, sans se faire attraper, ni dénoncer.
Chaque fenêtre qui s'illuminait, chaque porte qui s'entrouvrait, représentait une menace supplémentaire, certains villageois n'auraient eu aucun scrupule à indiquer leur position et leur direction au premier S.S venu.
La peur mordait son ventre avec une telle violence qu'il sentait la bile remonter son œsophage, brûler sa trachée et baigner le fond de sa bouche.
Ses genoux pleuraient de douleur, ses chevilles se tordaient à chaque nouvel élan, et les cailloux sur le sol, qui traversaient les semelles fines et abîmées de ses chaussures, blessaient ses pieds en se plantant dedans.
Il ne réfléchissait plus vraiment, il n'y avait plus que son instinct et sa douleur.
C'était une nuit de janvier 1942, et Katsuki se souvient encore de chaque sensation à travers son corps.
De l'adrénaline, la peur, l'angoisse, l'envie de crier et de pleurer, de se coucher par terre et de disparaitre contre un trottoir.
De retrouver ses parents, de chercher l'affection de sa mère pour s'y réfugier, ne plus jamais fuir.
Avoir le droit d'exister, surtout.
En atteignant la sortie du petit village, une minuscule onde d'espoir naquit sous sa poitrine maltraitée par l'effort et le froid, le champs se profilait juste face à eux, et ils ne leur restait plus qu'à le traverser pour rejoindre la forêt juste derrière.
Ce n'était pas une destination, mais ils pourraient au moins s'y cacher un petit moment, reprendre leurs souffles, et décider du prochain itinéraire.
Même sans but, il leur fallait un itinéraire, une route à suivre, quelque chose pour se donner l'impression d'avoir une chance.
A travers le grand pré, la terre imbibée d'eau ralentissait leurs pas, aspirant leurs chaussures dans des crevasses boueuses, ou leur faisant perdre l'équilibre sur des mottes à moitié gelées par la nuit.
Mais le but était proche et, à la force d'un élan surhumain, il accéléra presque miraculeusement jusqu'à passer entre les deux premiers arbres.
Quelques branches vinrent cogner leurs visages et leurs bras, heurter leurs jambes et griffer leurs mains alors qu'ils s'enfonçaient un peu plus dans la végétation puis, entre trois arbustes sans feuilles, ils s'échouèrent en même temps, les uns sur les autres.
A plat ventre, sentant le poids de Denki et Eijiro peser sur son dos et ses jambes, et le front presque planté dans le sol froid, Katsuki récupérait son souffle comme il pouvait.
Sa poitrine brûlait si fort, il lui semblait que ses côtes prenaient feu, tout son torse s'embrasait douloureusement, et les pulsations de son cœur contre ses os calcinés faisaient tellement mal qu'il en venait à espérer qu'il s'arrête de fonctionner.
Sa gorge bien trop sèche pour articuler un mot, il ouvrait grand la bouche sans parler, seulement pour tenter d'inspirer de l'air.
La peur qui noyait son estomac clouait son nombril contre le sol et paralysait désormais ses jambes.
Couché par terre, il ne se sentait maintenant plus capable de se remettre debout, ils avaient courut peut-être dix minutes, mais il lui semblait avoir traversé tout un pays.
Il savait qu'ils ne pouvaient pas juste rester là, la forêt ne les protègerait qu'un temps, et il leur fallait repartir dès que possible.
Mais son corps hurlait d'une telle douleur, ses poumons souffraient tellement, qu'il ne parvenait plus à bouger le moindre muscle.
_ Katsuki. la voix faible et haletante d'Eijiro résonna doucement dans son dos. Ils vont faire des rondes autour du village, c'est certain.
_ Je sais ...
Son souffle lui échappait tellement qu'il ne pouvait rien dire de plus, il voulait les guider, discuter ensemble d'une direction, mais les mots s'asséchaient dans sa gorge avant de pouvoir en sortir.
Contre ses jambes, Denki demeurait silencieux et immobile, s'il ne l'entendait pas respirer, il aurait presque pu le croire mort.
Alors, peut-être parce qu'il constatait l'incapacité des deux autres, paralysés et terrifiés, Eijiro se redressa légèrement sur ses genoux, surélevant son corps pour les surplomber, et prendre les devants.
_ On est loin des zones libres, de toute façon on a pas d'argent pour payer un passeur, mais on aura quand même plus de chance si on se dirige vers là-bas. Le mieux c'est de suivre le sud.
Suivre le sud ne les mènerait sûrement pas à grand chose, mais pas plus que le nord ou n'importe quelle autre direction.
Alors, puisqu'ils n'avaient de toute manière rien de mieux à faire que d'avancer, quitte à n'aller nulle part, autant suivre le sud ...
Les genoux affaiblis et les chevilles encore douloureuses, ils se sont redressés sur leurs pieds, s'efforçant de faire un pas après l'autre malgré le martellement de l'angoisse au creux du ventre.
La nuit, l'agitation des branches dans le vent et les bruissements de la vie animale les faisait sursauter en quasi permanence, sentant la menace dans leurs dos.
Paradoxalement, ils se trouvaient plus en sécurité là dedans qu'à l'intérieur d'une maison.
Ils ont marché ainsi toute la nuit, puis jusqu'au lever du soleil et, quand la lumière baigna à nouveau l'horizon, ils quittèrent le bois pour tracer le chemin le long d'une petite route déserte.
La fatigue pesait sur chacun de leurs muscles, alourdissant leurs jambes et leurs dos, et ils marchaient finalement plus par automatisme que par réelle volonté.
L'effort et l'adrénaline redescendus, le froid les agressait de nouveau, s'infiltrant sous le tissu fin de leurs vêtements, irritant leurs visages et leurs yeux à chaque souffle du vent, et un calme morbide s'installa en maitre au milieu d'eux.
Il n'y avait rien à dire de toute façon, ils se retrouvaient à nouveau livrés à eux mêmes, sans cachette, sans nourriture, sans soutien extérieur.
Ca faisait peur, bien trop peur pour en parler.
Le silence avait au moins le mérite de ne pas ajouter d'angoisse à leur angoisse.
...
Trois jours et deux nuits, c'est le temps qu'ils ont passé sur le bord des routes, à dormir dans les fougères gelées à tour de rôles, à rêver d'un simple morceau de pain, à se sentir mourir de froid à chaque instant, grelottant contre la terre quand le vent secouait leurs cheveux, à se jeter dans le bas côté à chaque fois qu'une voiture passait, craignant de se faire dénoncer ou attraper.
Katsuki se souvient que son ventre se tordait de douleur tant la faim le tiraillait, l'eau leur manquait et les gerçures de ses lèvres lui faisaient si mal qu'il n'osait plus ouvrir la bouche.
Ses mains se craquelaient davantage, ouvrant des plaies brûlantes sur sa peau, et ses chevilles souffraient tellement qu'il lui arrivait parfois de perdre l'équilibre.
Et puis, comme une oasis au milieu du désert, une bâtisse est apparut au milieu du rien, un peu avant le coucher du soleil le troisième jour.
Une grange, pour être tout à fait exact.
Juste derrière, semblait se trouver une petite maison, mais surtout, il y avait une poule, un peu zélée, qui gambadait loin de ses congénères alors occupés à picorer du grain près d'un petit poulailler accolé à la grange.
S'approchant lentement, les yeux presque remplis d'étoiles, c'est Denki qui prit la parole en premier, murmurant tout en évitant les gestes brusques.
- Si on arrive à faire du feu et à attraper ce maudit poulet, on pourra le bouffer.
Pour être honnête, ils n'avaient presque aucune chance de réussir à allumer un feu dans des conditions pareilles, mais la faim parlait avant la raison et, sans réfléchir davantage, ils ont poursuivis la pauvre bête sur plusieurs mètres.
Cette saloperie courait vite, mais Katsuki finit par la piéger entre ses deux mains, recevant au passage un coup d'aile en plein visage avant de resserrer sa prise.
Mais un nouveau problème se posait tout à coup, maintenant qu'il tenait l'animal.
Ils n'avaient rien pour la tuer et, malgré la famine qui tiraillait son estomac, il se voyait mal buter la pauvre bête à grand coups de pompes.
Il n'était pas un monstre, lui.
_ Hum- Bonsoir.
La voix inconnue, qui venait de résonner subitement sur sa droite, le fit sursauter et, échappant sa proie sous la surprise, il ne put que regarder, impuissant, le poulet s'enfuir à toutes jambes vers le reste de son groupe.
Craignant tout à coup les représailles du propriétaire de ces lieux, son corps se figea sur place, tournant simplement et lentement sa tête vers l'origine de cette voix.
Derrière lui, Eijiro et Denki se planquaient dans son dos comme deux trouillards et, face à lui, se tenait maintenant un homme.
Pas plus âgé que lui s'il se fiait à son allure, et qui les dévisageait à tour de rôle sans plus bouger.
Katsuki se souvient de la tenue qu'il portait, une fine chemise mal boutonnée sur le bas, un pantalon clair taché par le travail, rentré dans une paire de bottes couvertes de terre et, autour de son cou, une fine chaine en argent supportait une petite pierre d'ambre enfoncée dans un pendentif.
Dans sa main droite, il tenait un panier semblant contenir des œufs, et Katsuki se demanda s'il s'agissait là du propriétaire de la ferme ou bien de son fils.
Il était jeune à vrai dire, son visage paraissait presque enfantin, couvert de multiple tâches de rousseur, illuminé par un regard profond aux couleurs d'émeraude et par un fin sourire timide et bienveillant.
Il ne semblait ni méchant ni dangereux, mais la méfiance demeurait de mise dans ce contexte et, sans lui répondre, Katsuki recula d'un pas, emportant avec lui ses deux compagnons dans son dos.
Posant lentement son panier avant de présenter ses mains vides comme un appel au calme, le garçon inconnu ouvrit lentement la bouche, semblant vouloir s'assurer que sa voix ne les surprendrait pas.
_ Vous risquez rien, pas avec moi.
En pinçant ses lèvres, il porta un regard discret sur l'étoile cousue à la chemise de Katsuki, avant d'ajouter tranquillement :
_ Je ne vous livrerai pas.
Puis, faisant très prudemment un pas en avant, il s'avança vers eux sans les lâcher du regard, visiblement soucieux de les rassurer sur ses intentions.
Malgré un léger mouvement de recul, Katsuki s'efforça de ne pas bouger outre mesure, relevant le menton et les épaules pour se montrer sûr de lui.
Il ne tenait pas à paraitre faible, ou apeuré par ce simple garçon.
Toutefois, il resta silencieux quand même, attendant qu'il lui en dise un peu plus.
_ Je suis tout seul ici, personne ne vous fera quoi que ce soit. Mais il ne faut pas traîner par ici, ils font souvent des rondes dans le coin. Vous avez faim ?
Faim, c'était un bien faible mot.
_ Ma maison est juste derrière la grange, c'est pas grand, mais .. vous pouvez venir, je vous aiderai.
Et puis, juste avant de leur sourire pour de bon, il ajouta doucement :
- Je m'appelle Izuku.
...
Derrière la grange, dans la petite maison d'Izuku, ils découvrirent une pièce sobre, un carrelage foncé et tâché par les années, et des murs sans peinture.
Au centre de la petite cuisine trônait une table en bois qui prenait presque toute la place, bien assez grande pour six personnes, mais entourée de seulement trois chaises.
Contre un mur, siégeait un large buffet, juste à côté d'un tout petit réfrigérateur, d'un évier à l'émail agressé par le temps et les fissures, et d'une cuisinière à bois, qui semblait servir autant à cuisiner qu'à réchauffer l'air.
A droite de la pièce, deux petites portes en bois semblaient mener à une chambre et une salle d'eau, que Katsuki devinait petite.
Mais il rêvait d'un gant de toilette et d'un peu de savon pour laver la boue dans son cou et les résidus de transpiration le long de ses bras.
Une odeur de persil et de bouillon baignait la pièce, accentuant les appels au secours de leurs estomacs et, brisant le calme, le ventre d'Eijiro grogna bruyamment.
Et le rire d'Izuku résonna juste derrière.
Katsuki se souvient très clairement de ce rire, il était doux et sincère, il chantait entre les murs comme une caresse bienveillante et rassurante.
Il aurait même voulu lui demander de recommencer, juste pour le plaisir de l'entendre encore.
Il faisait du bien, ce rire, à son cœur et à ses oreilles.
_ Je vais faire à manger. Vous pouvez utiliser la salle de bain - pointant du doigt la porte la plus à gauche, il précisa : - Cette maison est atrocement vieille, la douche ne fonctionne plus depuis un moment, mais il y a un lavabo, et tout ce dont vous avez besoin dans le placard en dessous.
Puis, détaillant du regard leurs tenues, il mâcha sa langue pendant quelques secondes avant d'ajouter :
_ Vous êtes plus grands que moi ... mes vêtements ne vous iront sûrement pas, mais j'ai toujours ceux de mes parents, on devrait trouver quelque chose dans les affaires de mon père.
Sincèrement, Katsuki se demanda comment il était possible que trois personne se soient partagés cette minuscule maison.
Mais aussi, et surtout, qu'était-il arrivé pour qu'il ne reste désormais plus que lui.
A la courte paille, Denki obtint la salle d'eau en premier et, heureux comme un pinçon, il s'y enferma pendant près de quinze minutes.
Katsuki et Eijiro, bien qu'impatients de pouvoir en faire de même, ne lui en voulaient pas pour le temps qu'il mettait, le confort leur manquait cruellement, et ils imaginaient parfaitement le garçon prendre littéralement son pied en frottant un gant sur ses épaules.
Sur une des chaises de la table, le dos bien appuyé, Katsuki suivait du regard les déplacements d'Izuku dans la petite pièce, alors occupé à jeter des pommes de terre coupées en dés dans le fond d'une cocote en fonte.
L'odeur de l'huile chaude, se mélangeant aux aromates, emplissait la cuisine et enveloppait les narines de Katsuki, qui s'imaginait déjà les dévorer.
Dehors, le soleil complètement disparu laissait la place à l'obscurité et, dans la cuisine, une vieille ampoule pendue au plafond se démenait pour éclairer la table.
Cette maison était plus que modeste, mais elle tenait debout et, surtout, elle leur offrait un peu de sécurité.
_ Vous étiez dehors depuis longtemps ?
Sans se retourner vers eux, remuant précautionneusement la nourriture dans la cocotte, Izuku tourna néanmoins légèrement la tête, attendant leur réponse sans les presser.
_ Quelques jours ... débuta Eijiro depuis une autre chaise, les coudes appuyés sur le plateau en bois de la grande table. On était hébergés chez un vieil homme depuis un petit moment, dans son grenier en fait pour être précis. Mais .. on a dû repartir en urgence.
_ Je vois ... Je suis sincèrement désolé que vous ayez à vivre ainsi. Vous êtes de la même famille ?
_ Non. On s'est rencontré grâce à Sorahiko justement, l'homme qui nous cachait. On ne se connaissait pas avant.
Déposant un lourd couvercle sur la cocotte, avant d'essuyer ses mains grasses directement sur les pans de sa chemise, Izuku s'éloigna finalement de la cuisinière, venant prendre place sur la dernière chaise en hochant la tête.
Puis, en appuyant un de ses coudes sur le bord de la table, il passa son autre main dans son épaisse chevelure brune.
Ses doigts semblèrent buter dans un nœud, et il tira légèrement dessus tout en secouant les mèches qui envahissaient son front et ses tempes.
Sous la lumière de la pauvre ampoule semblaient apparaitre d'étranges reflets sapins qui attiraient l'attention de Katsuki.
Sans le vouloir, il suivit du regard cette main qui s'enfonçait dans ses cheveux, cherchant à remettre en place les mèches frivoles.
Il y avait une forme de maladresse gracile dans sa façon de bouger, il y avait quelque chose de gracieux en lui.
_ Et vos parents ?
Puis, dans un sursaut, retirant brutalement ses doigts de ses cheveux, Izuku redressa son dos et ses épaules avant de fermer les yeux de honte, s'agitant tout à coup.
_ Pardon ! Je ne devrais pas poser ce genre de questions ..
_ Non, c'est rien. rassura Eijiro qui, finalement, tenait seul la conversation avec lui. Ils ont été emmenés .. On reste sans nouvelles, mais peut-être qu'ils vivent encore. On se raccroche à ce qu'on peut ..
De sa chaise, Katsuki continuait simplement de regarder Izuku, sans intervenir dans la discussion.
Il l'intriguait un peu, à vivre tout seul ici, s'occupant seul d'une ferme et prenant le risque de les faire entrer chez lui.
Il semblait à la fois ouvert et mystérieux, son sourire paraissait sincère, autant que la générosité dans sa voix, mais ses yeux avaient l'air de renfermer beaucoup de choses.
A vrai dire, il ne le lâcha du regard que lorsqu'il fut à son tour d'occuper la salle de bain.
En entrant dans la petite pièce du lavabo, retirant ses vêtements trop longtemps portés, il sentit enfin le savon emporter la terre sur sa peau blessée par le froid, détendant ses muscles à mesure qu'il frottait le tissu épais imbibé d'eau froide sur son corps.
C'était agréable.
Il n'y avait toujours pas de perspective pour le lendemain, mais l'instant présent se révélait doux, il voulait qu'il dure encore longtemps.
En quittant la salle de bain, couvert de vêtements qui ne lui appartenaient pas, et dénués d'étoile, il s'assit à la table avec Eijiro et Denki, lançant un regard quelque peu gêné à Izuku qui, par manque de chaise, restait debout, le bassin appuyé contre le buffet sans manger avec eux.
_ Vous en faites pas pour moi, je mangerai après.
La faim brûlait tellement son estomac qu'il n'insista pas, se contentant de vider son assiette en silence malgré les gerçures de ses lèvres qui l'empêchaient d'ouvrir la bouche en grand.
C'était peut-être dû au contexte, ou au fait de n'avoir rien avalé depuis des jours, mais il lui semble, encore aujourd'hui, que ce repas fût le meilleur de sa vie.
La cuisine d'Izuku était bonne, elle remplissait son ventre et, aussi, elle réchauffait son cœur.
A la fin du repas, alors que Katsuki sentait maintenant la fatigue retomber comme une enclume sur ses épaules, il entendait sans l'écouter une frêle conversation entre Denki et Izuku qui se racontaient des banalités pour adoucir l'ambiance.
Ses yeux ne demandaient qu'à se fermer, quitte à s'endormir directement sur la chaise et, sans le contrôler, il bailla bruyamment, interrompant la conversation qui se tenait près de lui.
Se tournant alors vers lui, Izuku sourit doucement en le dévisageant.
Il sembla scruter son visage, inclinant légèrement la tête sur le côté pour analyser tous ses traits, et Katsuki se sentit presque mal à l'aise.
_ Suivez-moi.
Puis, traversant la petite pièce, Izuku les guida vers la deuxième petite porte de la maison, révélant une chambre simple ou trônait fébrilement un grand lit et une petite armoire en désordre.
Allumant la faible lumière d'une ampoule aussi fatiguée que celle de la cuisine, Izuku s'avança près du lit, empoignant le cadre en bois pour le décaler d'un ou deux mètres, faisait alors apparaitre une trappe en dessous de celui ci.
_ Mes parents s'en servaient surtout pour ranger tout un tas de bazar, c'est pas très grand et, pour être honnête, je n'y ai pas mis les pieds depuis très longtemps. Mais, au moins la nuit, il vaut mieux que vous soyez là-dessous, au cas où ils passeraient chez moi par surprise.
Tirant sur une minuscule poignée clouée dans le bois, il souleva la petite trappe, étirant au passage quelques toiles d'araignées puis, en grimaçant pour lui-même, il leur fit la promesse de prendre le temps de tout bien nettoyer dès de lendemain matin.
Descendant alors sous le plancher avec eux en s'aidant de la petite échelle déjà en place, il leur fit don de la grande couverture qui bordait son lit, jurant qu'il en possédait une autre, plus petite.
La pseudo-cave, petite et poussiéreuse, se trouvait malgré tout suffisamment grande pour s'y allonger à trois et, sans prêter attention aux insectes qui leur tenaient compagnie, Katsuki s'empressa de s'installer dès qu'Izuku en fut sorti.
Au dessus de lui, il entendit les pieds du lit frotter le parquet, devinant Izuku poussant le cadre pour le remettre à sa place, avant de s'endormir plus rapidement qu'il ne pourrait le décrire.
...
Comme promis, dès la première heure le lendemain matin, ils s'activaient tous les quatre à nettoyer le petit espace sous le plancher.
Chassant les insectes et leurs nids, déposant une petite lampe torche sur le sol pour leur permettre de s'éclairer en cas de besoin, Izuku sacrifia même une botte de paille, normalement destinée aux trois vaches de la petite ferme, afin d'improviser un matelas.
Ils avaient presque l'impression de posséder une vraie chambre, quand bien même il fallait s'y déplacer le dos courbé, faute de hauteur suffisante.
Le midi, Izuku leur prépara un nouveau repas, toujours sans s'assoir avec eux par manque de chaises, puis les invita à rester cachés dans la maison en évitant de s'approcher des fenêtres pendant qu'il s'en allait s'occuper de ses bêtes.
Pour sa bienveillance, ils auraient aimé, tous les trois, lui donner un peu d'aide dans sa ferme, mais se montrer au grand jour représentait un risque qu'ils ne pouvaient pas se permettre de prendre.
Les maisons voisines ne se trouvaient qu'à près de deux cent mètres, mais tout le monde savait dans le petit village qu'Izuku vivait seul.
L'apparition soudaine de trois nouvelles personnes les exposait à la délation.
Alors ils restèrent cachés à l'intérieur, ce jour-là, et tous les suivants.
Pendant des semaines, puis des mois.
Izuku travaillait la journée, faisant parfois quelques apparitions dans la maison pour y déposer ou prendre du matériel, se joignait à eux le midi pour prendre un repas sans s'assoir, et repartait jusqu'au soir.
Quelques fois, il changeait de tenue pour se rendre au marché, soit pour vendre le lait de ses vaches ou quelques poulets, soit pour y acheter de la farine.
Le quotidien se faisait très répétitif et simple, mais Katsuki s'y plaisait et s'y sentait en sécurité un peu plus chaque jour, se prenant même à rêver qu'ils pourraient vivre ici jusqu'à la fin de la guerre, avant de retrouver leur liberté.
Les crevasses de ses mains guérissaient progressivement grâce au confort de la cuisinière à bois, et les gerçures sur ses lèvres disparaissaient.
Son ventre ne criait plus famine, il s'autorisait même à rire de temps en temps, pas trop fort, mais il le faisait.
Lentement, presque en secret, un lien tout particulier se formait spécialement entre lui et Izuku, à travers des regards différents des autres, des intonations plus douces dans leurs voix, ou des attentions plus délicates qu'avec les deux autres.
Un rapprochement qui ne passait pas inaperçu, attirant avec lui les petites moqueries gentilles d'Eijiro, et qui le faisait rougir à chaque fois que sa main effleurait accidentellement celle d'Izuku.
Et surtout, certains soirs, presque tous pour dire la vérité, il laissait Eijiro et Denki entrer les premiers dans la cave sous le lit et, avant de s'y rendre à son tour, il s'asseyait sur le parquet avec Izuku.
Refermant la trappe pour que leur conversation n'atteigne pas les oreilles des deux autres, ils échangeaient de longues discussions.
Sa voix lui plaisait, elle berçait sa poitrine, il l'écoutait avec beaucoup d'assiduité.
Soir après soir, échangeant des discussions diverses et variées près de la trappe, il apprenait à le connaître en détails tout en admirant son visage et la lumière dans ses yeux, s'intéressant à ses préférences culinaires, ses souvenirs d'enfances, ses rêves et ses passions sans jamais se lasser du son de sa voix claire.
_ Il y avait plus d'animaux ici avant, mais depuis que je suis tout seul, je ne peux pas tout gérer, alors j'ai vendu plusieurs bêtes. J'ai récupéré un peu d'argent, et celles qui restent ici me suffisent largement.
_ Pourquoi ils sont plus là tes parents ?
Katsuki regretta cette question juste après l'avoir posée.
Bien que partageant le quotidien d'Izuku depuis près de trois mois, il la jugea finalement indiscrète et déplacée mais, sans s'en plaindre, Izuku sourit faiblement en baissant légèrement la tête.
_ Mon père a été appelé pour combattre, il s'est fait tuer presque immédiatement. Il n'avait jamais tenu une arme de sa vie. On n'est pas des guerriers ici, on vit de la terre c'est tout ce qu'on sait faire. Ma mère était déjà malade à ce moment, mais je pense que le chagrin l'a emporté avant même la maladie. Elle est morte en février 40.
Puis, venant serrer entre ses doigts le petit pendentif d'ambre autour de son cou, il ajouta :
_ Ce collier lui appartenait. J'y tiens beaucoup.
Un instant, Katsuki détailla le bijou, il le connaissait déjà, pour l'avoir déjà vu à plusieurs reprises autour de son cou, mais découvrir son origine lui donnait tout à coup une autre valeur.
Il ne possédait pas de détail particulier, une simple pierre d'ambre, coincée dans un petit anneau d'argent, le tout pendu à une chaine fine.
Se laissant quelque peu distraire par les gestes nerveux de ses doigts contre le pendentif, son attention dériva vers sa main toute entière, puis son poignet, remontant progressivement le long de son bras.
Coulant son regard sur son épaule et la courbe de son cou, il rencontra la lumière éclatante de ses yeux en arrivant à son visage et, se sentant rougir sans raison, il ne put que retenir un spasme nerveux dans sa gorge.
Il arrivait souvent que les iris d'Izuku le transcendent, c'était perturbant, et un peu grisant aussi.
Il se souvenait que son père lui répétait régulièrement que l'amour naissait dans les yeux d'une femme, et grandissait à travers les émotions qu'ils nous faisaient ressentir.
Izuku n'était pas une femme, mais il semblait que les émotions naissaient quand même dans la lumière de ses yeux.
Son visage et son sourire lui inspiraient tant de douceur qu'il rêvait souvent de poser sa main sur sa joue pour en chercher la texture, il voyait les tâches de rousseur sur sa peau, et il voulait les embrasser une par une.
Il sentait son odeur, quand ils se tenaient ainsi assis face à face, et il brûlait d'envie de mettre son nez dans son cou pour y trouver toutes les nuances de son parfum.
Il y avait une beauté certaine à travers tous ses mouvements, une délicatesse attirante dans sa voix et un charme amusant dans sa façon de mâcher sa langue quand il ne savait pas quoi dire.
Outre son hospitalité, il semblait prendre plaisir à tisser de véritables liens avec eux, et tout particulièrement avec lui.
_ Pourquoi t'as proposé de nous cacher ici ? C'est dangereux.
Ca sortait de nul part, presque comme si les mots venaient de doubler ses pensées, il ne s'attendait pas lui-même à sa propre question.
Pourtant, il se la posait sincèrement.
Planquer trois fugitifs chez soi faisait prendre des risques, et Izuku était jeune pour risquer sa vie.
_ Je suis tout seul ici. A part cette ferme, je ne possède rien, et personne ne m'attend le soir. Alors ..
_ Moi je t'attends.
Izuku a rougi.
Ses joues se sont empourprées d'un seul coup, si rapidement que, même en baissant la tête, il n'a pas eu le temps de le cacher à Katsuki.
Il le trouva beau comme ça, le voyant passer nerveusement sa main sur sa nuque, les lèvres pincées en espérant dissimuler les éclats pétillants dans ses yeux derrière les mèches de ses cheveux bruns.
Pourtant, il ne faisait que dire une vérité, il attendait son retour tous les jours, avec beaucoup d'impatience qui plus est.
Il se prenait à trouver un certain plaisir à vivre ici, malgré l'enfermement et les nuits sous le plancher, il vivait près d'Izuku, et ça lui plaisait de continuer à le voir tous les matins, de discuter avec lui le soir.
Du reste, il ne cherchait pas particulièrement à se mentir à lui-même, il l'aimait.
De la même manière qu'il était supposé aimer une femme, selon les mœurs, il aimait Izuku d'un amour absolument sincère.
Il le savait parce que sa poitrine se gonflait d'un sentiment d'apaisement à chaque fois qu'il le regardait dans les yeux, et son ventre tourbillonnait comme le vent d'une tempête.
Il craignait de le lui dire, il ne voulait qu'Izuku se braque ou le prenne mal, mais il ressentait tellement de choses en sa compagnie, il en oubliait presque que la mort lui courrait toujours après.
_ Et toi Katsuki ? tenta Izuku pour détourner la conversation. Tu m'écoutes tout le temps parler, mais tu ne m'en dis pas beaucoup.
Il lui semblait qu'il y avait si peu à dire sur sa personne, et il se sentait bien fade à côté de lui.
Pas qu'il se considérait comme un moins que rien, mais il avait simplement grandi en ville dans un appartement sans charme.
Ses deux parents travaillaient dans une usine avant le début de l'Holocauste, et il se rendait à l'école du coin tous les matins.
Rien de plus, rien de moins.
Un peu avant de début de la guerre, il envisageait d'étudier la médecine, mais son projet s'était éteint avant d'exister, forcé de se terrer chez lui pour ne pas se faire tuer.
Et puis, en novembre 41, ses parents se faisaient emmener, et lui, s'enfuyait sans destination.
Il n'avait rien de joyeux à raconter, il lui semblait même que la seule beauté dans sa vie était le sourire d'Izuku.
_ Tes histoires sont plus intéressantes que les miennes, crois moi. Il vaut mieux que je continue de t'écouter.
Izuku hocha la tête puis, silencieusement, se redressa sur ses genoux en étirant ses bras avant d'ouvrir la trappe dans le plancher.
_ Je suis sûr que c'est faux. J'aimerai vraiment connaitre tes histoires aussi tu sais. Mais on devrait d'abord aller dormir, il est super tard.
Sans émettre d'objection, conscient qu'Izuku devait se reposer avant sa journée de travail du lendemain, Katsuki descendit dans le petit espace sous le plancher, empruntant la petite échelle, avant de s'arrêter sur la quatrième barre en descendant.
Les épaules hors de la cave, la main appuyée contre le parquet pour garder l'équilibre, il leva une dernière fois les yeux sur Izuku qui, à genoux face à lui, lui souriait en silence.
Ses yeux butèrent dans la lumière des siens et, à mesure que sa respiration se faisait un peu plus incertaine, déboussolé par les éclats de son regard, il sentit son cœur murmurer entre ses côtes.
Sans savoir pourquoi, il pensa qu'il devait attendre encore un peu avant de descendre complètement et de refermer la trappe derrière lui.
Alors, sans parler, il resta ainsi, silencieux et immobile, à se perdre dans ses iris jusqu'à en oublier le temps, la guerre, et tout le reste.
Tout sembla disparaitre, l'espace d'un instant, il crut même sentir le sol se dérober et le plancher tanguer sous sa main en appui, ne laissant plus que l'image d'Izuku devant lui.
Il lui apparaissait incroyable vu d'ici, sa peau dont il imaginait la texture l'attirait à lui et, toujours sur ses genoux, Izuku courba son corps vers l'avant.
Approchant lentement son visage tout près du sien, il hésita une seconde, semblant chercher l'approbation dans ses pupilles, avant de venir stopper ses lèvres à moins de dix centimètres des siennes.
La poitrine de Katsuki entra en ébullition comme de l'eau dans une marmite, une onde de chaleur emprisonna sa gorge, coupant sa respiration et, presque par instinct, il captura sa bouche en fermant ses yeux.
C'était doux, sans brusquerie, un simple baiser déposé sur le bord de ses lèvres, mais qui transmettait plus de sentiments que tous les attentions du monde.
Il découvrait la texture de sa peau, en passant sa main le long de sa joue, traçant sa mâchoire sous ses doigts puis, en s'éloignant un court moment, il prit le temps d'admirer les traits merveilleux de son visage d'aussi près qu'il le pouvait, avant de l'embrasser une deuxième fois, un peu plus fort.
Jamais de sa vie Katsuki ne vivra un instant plus puissant que celui ci, encore aujourd'hui, rien ne peut l'égaler.
C'était simple et silencieux, mais son cœur battait si fort qu'il en faisait presque trembler les murs, et la maison toute entière semblait répondre à ce baiser pur et délicat.
Puis, en caressant sa tempe du bout de ses doigts, Izuku inspira profondément tout en redressant son dos, avant d'humecter ses lèvres, cherchant peut-être à retenir le gout des siennes.
_ A demain Katsuki.
_ A demain.
En se couchant dans la petite cave, ce soir là, Katsuki eut presque l'impression d'apercevoir une perspective pour le lendemain.
Ses mains en tremblaient encore, et le goût discret de la bouche d'Izuku restait sur la sienne comme une caresse éternelle.
Il s'imagina se réveiller le lendemain matin et l'embrasser à nouveau à la sortie de la trappe, le prendre dans ses bras près de la cuisinière à bois, et murmurer ses sentiments dans le creux de son oreille.
Son ventre pétillait comme celui d'un enfant devant un étalage de bonbons.
Il souriait dans le noir, rêvant déjà de sa future liberté auprès de son nouvel amour, de jours meilleurs qu'ils pourraient partager ensemble sans avoir à éviter les fenêtres, et à toutes les caresses qu'il pourrait, plus tard, donner sur sa peau.
Dans l'obscurité, il rougissait pour lui-même en se prenant à imaginer d'autres parcelles plus intimes de son corps, tout près de son nombril ou dans le creux de ses reins.
C'était beau d'aimer Izuku, de l'avoir embrassé, de penser à tout ce qu'ils pourraient encore vivre ensemble et, la poitrine brûlante mais légère, il s'endormit comme sur un petit nuage de douceur et d'innocence.
Plongé dans un sommeil apaisé et un rêve doux, c'est un bruit violent et soudain qui le réveilla dans un sursaut, sans savoir quelle heure il était ni depuis combien de temps il dormait.
Ouvrant ses yeux sous la surprise, un sentiment d'angoisse s'empara de lui quand il reconnut des pas lourds sur le plancher, provenant de la petite cuisine.
Juste au dessus de lui, il entendit Izuku sortir de son lit, probablement en trombe et, se redressant sur ses mains paniqués, il fut stoppé dans son mouvement par les bras d'Eijiro, qui vint coller sa bouche à son oreille pour chuchoter le plus faiblement possible.
_ Ne bouge pas ! Ils ne nous trouveront peut-être pas. Si on sort de là, on va se faire descendre, notre seule chance c'est de rester ici sans bouger.
A travers le plancher, deux voix graves résonnèrent jusqu'au fond de la cave, confirmant les craintes de Katsuki.
_ Vous cachez de la vermine ici ?
Sa respiration se fit courte et haletante, saisit d'effroi et d'inquiétude alors qu'il réalisait que, malgré tous leurs efforts de discrétion, quelqu'un avait dénoncé Izuku.
Il ne savait pas exactement ce que ce dernier risquait pour les avoir cachés ici, mais les dents de la peur mordaient son estomac si fort qu'il pouvait sentir son ventre tout entier se faire déchiqueter alors que la voix plus calme d'Izuku traversait le plancher.
_ Je vous demande pardon ?
_ Un villageois nous a indiqué cette ferme, si vous nous remettez la vermine maintenant, il ne vous arrivera rien.
Sous le plancher, Katsuki était terrifié.
Pas de se faire attraper, mais de savoir Izuku seul face à eux, prenant tous les risques pour dissimuler leur présence.
Il ne voulait pas qu'ils s'en prennent à lui.
Sa poitrine se pliait, brisant ses côtes, piégeant son cœur qui peinait à battre correctement, et une agitation soudaine froissait ses muscles.
Contre lui, Eijiro et Denki le maintenaient fermement, plaquant aussi leurs mains sur sa bouche pour le forcer à rester discret alors qu'ils entendaient Izuku continuer de parler.
_ Je ne sais pas de quoi vous parlez, il n'y a que moi ici.
Dans le noir, Katsuki écoutait les bruits au dessus de lui, les muscles tendus et les yeux grands ouverts sur l'obscurité totale.
Un craquement de bois résonna discrètement, comme une menace incertaine, et puis l'écho sourd et violent d'un coup de crosse, porté probablement au niveau d'une des épaules d'Izuku.
Juste avant celui de son corps touchant le sol, bousculé par l'impact.
_ Vous nous traitez de menteurs ?
_ Je ne vous traite pas de menteurs, je dis simplement qu'il n'y a que moi ici. On vous a mal renseigné. C'est tout.
Dans la paille, sous le sol, Katsuki cherchait à s'agiter, tentant de bouger son corps malgré la prise des deux autres.
Quitte à se faire tuer, il voulait, il devait, lui venir en aide, le protéger.
Un sentiment d'urgence, mais surtout d'effroi, brûlait sa peau et grignotait sa raison, lui hurlant d'agir malgré le danger évident.
Pourtant, même avec tous ses efforts, les bras d'Eijiro et Denki le clouaient sur place, retenant ses mouvements en le suppliant au creux de l'oreille de rester calme.
_ Arrête. On va mourir tous les quatre si on se fait repérer.
Contre sa bouche, leurs mains l'une sur l'autre gênaient sa respiration et bloquaient sa voix, empêchant le moindre son de s'en échapper.
Son cœur battait tellement fort, il le sentait buter contre ses côtes au point d'en faire trembler son corps entier et, à défaut de pouvoir hurler, il pleurait.
Izuku était en danger là haut, et la simple idée de le savoir déjà blessé lui tordait les tripes.
L'eau de ses yeux ruisselait le long de ses joues, venant s'entasser sur les mains des deux autres, s'infiltrant même sous leur doigts pour rependre le gout du sel contre ses lèvres.
Son souffle mourrait, emprisonné par leurs paumes enserrant son visage et, impuissant et immobile, il ne pouvait qu'écouter Izuku prendre un second coup.
Sans rien voir, il devina son visage contre le sol, percuté par une chaussure ou le cul d'un fusil, et son abdomen se contracta si fort qu'il put sentir ses muscles se froisser alors que les voix au dessus de sa tête continuaient d'emplir l'espace.
_ Je répète ma question. Cachez vous de la vermine ici ?
Un léger silence vint prendre la place, juste avant un craquement de plancher, puis l'écho d'un crachat près de la trappe, et Katsuki s'imagina Izuku cracher le sang de sa bouche sur le sol avant de se redresser sur ses jambes pour leur tenir tête.
Il faisait ça pour eux, pour les garder en sécurité, et Katsuki voulut le supplier d'arrêter, de sauver sa vie et de le dénoncer.
_ Et je vous répète qu'il n'y a que moi ici.
_ Je vais la poser une dernière f-
_ Je vous répondrai encore la même chose.
Puis plus rien, pendant plusieurs secondes.
Sous la trappe, Katsuki sentait le sel de ses larmes creuser des sillons dans la peau de ses joues, avant de s'échouer dans les mains d'Eijiro et Denki trop fortement serrées sur sa bouche.
Il s'asphyxiait sous leur emprise, sa vue se brouilla tout à coup et son corps se ramollit à mesure qu'il manquait d'oxygène.
Il lui sembla que le sol tanguait en dessous de lui, perdant toute notion d'espace, et ses paupières tressautèrent, menaçant de se fermer, se sentant bientôt perdre connaissance.
Un coup de feu le sortit soudain de sa torpeur.
Le bruit résonna pendant moins d'une seconde, juste avant celui du corps d'Izuku frappant lourdement le sol, et Katsuki cru sentir chacun de ses os se briser, déchirant sa chair et sa peau.
Dans son oreille, il percevait les pleurs silencieux d'Eijiro, qui murmurait encor dans le creux de son tympan.
_ Je t'en supplie, ne fais rien. On peut plus rien faire.
Les yeux grands ouverts, le souffle complètement coupé et les épaules tremblantes, il sentait la salive au fond de sa gorge menacer de le noyer d'une seconde à l'autre.
Il pleura encore plus, l'eau glissait jusque dans son cou, s'infiltrant même sous le col de sa chemise.
Il fallait qu'il sorte de là, qu'il remonte et qu'il aille porter secours à Izuku, le coup ne l'avait peut-être pas tué.
Sans l'avoir vu, il lui restait un espoir que son amour existe encore.
Au dessus de lui, les pas des militaires semblèrent arpenter la pièce sans venir trouver la trappe sous le lit, puis s'en aller fouiller les deux autres pièces, avant de ressortir par la porte d'entrée.
Signe de leur départ, le silence s'abattit soudain comme une enclume mais, par sécurité, Eijiro l'obligea à rester caché encore quelques minutes, pressant toujours sa main sur sa bouche et retenant les mouvements de ses bras.
A travers chaque parcelle de son corps, les battements de son cœur résonnaient de partout, butant au bout de ses doigts, dans son front et au fond de son ventre.
Il n'entendait pas de mouvement de la part d'Izuku et, les yeux complètement brulés par les larmes, il se mit à trembler brutalement, saisit de spasmes incontrôlables.
Il ne pouvait pas croire qu'il venait de se faire tuer, ça ne pouvait pas être le cas, et il lui fallait de toute urgence rejoindre la chambre pour porter assistance à son amour blessé.
Puis, comme une délivrance , l'emprise des mains sur sa bouche se desserra graduellement, celle sur ses bras également et, avant qu'il n'ait le temps de bondir, Eijiro lui barra la route.
_ Le lit est toujours sur la trappe, il faut que l'un de nous passe en premier pour dégager l'ouverture.
Il se souvient que c'est Denki, étant le plus petit des trois, qui a soulevé le bois, grimpé l'échelle avant de glisser péniblement son corps dans la toute petite ouverture.
La lumière pâle de la chambre s'infiltrait par la trappe et, en le regardant disparaitre en rampant, Katsuki sentait l'effroi grandir dans son ventre, un peu plus à chaque seconde, jusqu'à faire éclater son estomac.
Presque sans bruit, ou alors était-ce parce qu'il n'entendait plus rien autour de lui à cause des pulsations de son cœur dans ses tempes, Denki déplaça le lit, revint près de la trappe, et chuchota une confidence à l'oreille d'Eijiro qui, à son tour, s'est tourné vers Katsuki.
_ S'il te plait. Ils ne sont sûrement pas très loin, il va falloir se préparer à repartir Katsuki. Ne crie pas.
Il comprit.
Pourtant, en sortant de la cachette, il eut beaucoup de mal à retenir sa voix.
Il voulait tant hurler, laisser jaillir, à travers sa gorge qui ne demandait qu'à crier, la colère et la douleur qui écartelaient sa poitrine .
Sur le parquet, celui qu'il décidera de qualifier l'amour de sa vie gisait dans son propre sang, qui s'échappait de sa bouche et de sa poitrine, les deux yeux encore ouverts et la joue marquée d'un hématome.
Un bras le long du corps, l'autre étendu dans sa direction comme un dernier au revoir, et le visage inerte, il ne vivait déjà plus.
Une plaie profonde, en plein milieu de son diaphragme, laissait s'échapper l'hémorragie, imbibant ses vêtements avant de souiller le parquet et, se sentant mourir de l'intérieur, Katsuki rampa fébrilement jusqu'à lui.
En appui sur ses avant bras, faisant glisser son ventre sur le sol pour atteindre son cadavre, sa main trembla quand il vint caresser sa joue, puis son front, en retenant les cris de détresse derrière ses dents serrées.
C'était si douloureux, il pouvait sentir ses côtes s'enfoncer les unes dans les autres, pressant sa poitrine comme une orange, et faisant jaillir toujours plus d'eau hors de ses paupières.
La bouche couverte de larmes et la respiration brisée, il posa ses lèvres sur sa tempe, avant de murmurer contre sa peau.
_ On peut pas le laisser ici.
Près de lui, Denki vint s'accroupir à ses côtés et, en essuyant ses propres larmes sur ses joues, il secoua la tête en effleurant son épaule.
_ On peut pas l'emmener Katsuki, il .. il est mort.
Un gémissement douloureux remonta sa gorge, menaçant de se transformer en cri alors qu'il s'accrochait au visage d'Izuku pour le secouer vainement, suppliant tous les Dieux du monde que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve.
Ses propres vêtements s'imbibaient du sang d'Izuku rampant sur le parquet, l'odeur ferreuse remplissait ses narines, et il embrassa son front avant de faire glisser ses doigts sur ses paupières, les refermant sur la lumière éteinte de ses yeux.
_ Je peux pas l'abandonner ici.
_ Katsuki, en s'approchant à son tour de lui, la voix d'Eijiro se fit à la fois douce et ferme, ils savent qu'on est caché quelque part, ils ne sont pas fous. On doit se dépêcher de repartir si on veut pas se faire attraper.
Il lui sembla, à cet instant, que son combat pour sa vie perdait son sens, maintenant qu'il voyait le corps inanimé d'Izuku juste devant lui, son sang sur le parquet et le trou dans sa poitrine.
Une seconde, il imagina le quotidien sans l'écho de son rire et la lumière de ses yeux, et se dit que ça n'en valait sûrement pas la peine.
Alors, sans répondre à Eijiro, il passa ses doigts dans les mèches brunes de son amour exécuté pour les avoir protégés jusqu'au bout.
L'eau qui s'échappait de ses yeux venait s'échouer sur son visage inerte, roulant entre les tâches de rousseur pour venir se mêler au sang près de sa bouche et, avec l'espoir qu'il puisse encore l'entendre, il vint murmurer près de sa tempe.
_ T'étais pas obligé de faire ça. Je veux que tu reviennes, s'il te plait ...
_ Katsuki ... s'agrippant à son épaule, les larmes et les regrets dans la voix, Eijiro le suppliait encore. Moi non plus, je ne veux pas le laisser ici mais ... Il faut qu'on parte maintenant, je t'en prie, je veux pas partir sans toi.
Et puis, comme un ultime espoir de le faire réagir, cherchant la corde sensible pour l'obliger à se ressaisir, Denki vint poser une main dans le creux de son dos, reniflant entre deux sanglots, avant de chuchoter lentement :
_ Si on reste là, on va se faire tuer aussi. Et Izuku sera mort pour rien.
Plus que n'importe quoi d'autre, Katsuki refusait qu'Izuku ait pu se sacrifier dans le vide et, en fermant les yeux, il se dit qu'il ne pouvait pas avoir causé sa mort pour ensuite la rendre inutile.
Il savait qu'il devait se redresser, s'en aller et le laisser derrière lui, survivre encore et toujours pour honorer sa mémoire, même si ça faisait mal, si ça paraissait insurmontable, s'il ne s'en remettrai jamais.
Il ne pouvait pas abandonner Eijiro et Denki, ni laisser s'évanouir le souvenir d'Izuku en disparaissant à son tour.
Alors, à travers un ultime adieu, un réflexe le poussa à embrasser une dernière fois sa bouche sans réaction, avant de s'autoriser un geste égoïste, détachant le collier autour de son cou pour l'emmener avec lui.
Au fond de sa poche, il glissa la petite pierre d'ambre, se jurant qu'elle transmettrait l'histoire d'Izuku avant de se remettre difficilement sur ses jambes tremblantes.
C'était pendant la nuit du 14 avril 1942, date à laquelle un homme, du nom d'Izuku, se laissa volontairement se faire fusiller pour sauver trois autre personnes.
C'était il y a quinze ans maintenant et, sans lui, ni Katsuki, ni Eijiro, ni Denki n'auraient pu fuir à nouveau pour leurs vies ce soir là.
...
A la fin de la guerre, Katsuki ne retrouva pas ses parents, pas plus que Denki, et seul Eijiro connut le bonheur d'être à nouveau réuni avec son père.
Leur liberté gagnée, celle ci n'eut cependant pas le gout que Katsuki espérait, elle lui paraissait amer, presque vide de sens.
Il aurait voulu pouvoir se recueillir auprès de la tombe de son amour assassiné, mais celle ci n'existe pas, abattu comme un traitre, son cadavre fut certainement jeté dans une de ces fosses communes que l'on recouvrait de boue.
Mais, pour le sacrifice d'Izuku, pour son souvenir et sa mémoire, il restera en vie aussi longtemps qu'il le pourra, pour transmettre son histoire avec, pour unique témoin de son existence, le collier d'ambre qu'il porte chaque jour autour de son cou, qu'il portera jusqu'à son dernier souffle et qu'il emportera jusque dans sa mort.
Et peut-être que, quand viendra son tour de fermer ses yeux, il retrouvera Izuku dans le néant.
L'écho de son rire viendra le chercher, pendant son sommeil, et il sentira à nouveau la chaleur de ses mains.
Contre son visage, elles berceront son dernier souffle et, en croisant son regard dans son ultime songe, il embrassera sa bouche.
En attendant, il doit se souvenir, raconter cette histoire, et faire vivre la mémoire d'Izuku, la douceur de son sourire, et la lumière de ses yeux.
____________
.La lumière de ses yeux.
.10120 mots.
______________________________
Je suis désolée de ne pas avoir prévenu pour cette terrible fin, mais je ne voulais pas spoiler la conclusion, j'espère que vous me pardonnerez.
Je vous l'accorde, cet OS est affreusement triste mais il me tenait quand même à cœur. ( Aaah, de quoi se mettre de bonne humeur une semaine avant la rentrée 🤭 )
Je suis curieuse de connaitre vos retours et vos impressions sur cette histoire 😊❤
Sinon, je vous ai parlé du tableau de la suite des histoires ( sans compter QASM puisque celle ci commence officiellement très bientôt 🎉 ), je vous le donne ici 👇
( Je vous met des astérisques sur certains projets puisque je donnerai plus de détails en dessous du tableau )
* Marineb210 m'a suggéré l'idée suivante : (je cite) " on pourrait te donner le titre d'une musique et tu pourrais écrire une histoire courte en fonction de ce que t'inspire les paroles ou la mélodie".
Personnellement, j'aime bien le concept, je ne sais pas du tout ce que ça pourrait donner, mais j'ai bien envie d'essayer 😊
** J'étais juste à la plage cet été, j'ai vu des surfers, et j'ai eu une inspiration soudaine. C'est pas grand chose, mais on va quand même pas se priver d'écrire un Izuku sur une planche de surf, au milieu des vagues, soleil couchant, avec un Katsuki qui bave sur le sable. 😂
A part ça, les recherches pour QASM sont presque complètes, mais je pense que je continuerai d'en faire au fur et à mesure, parce que je suis sûr que j'oublie des détails.
Mais ça se concrétise et je suis vraiment super contente !
Au passage, vous avez peut-être remarqué que je n'arrête pas de modifier la photo de couverture de QASM, c'est parce que je n'arrive pas à trouver LA couverture.
A chaque fois je me dis : Mouais.
Et ça commence doucement à m'agacer, alors, si à tout hasard vous possédez un fanart qui pourrait correspondre, faites moi signe ! 😊❤
Je vous embrasse très très fort 😘😘🥰
Prenez soin de vous ❤
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