X - Le venin de la guêpe.
Sourire. Prétendre que tout va bien. Sourire. Rire. Être celle que tout le monde attend que l'on soit...
Un bref instant, Hermione ferma les yeux en entendant une de ses camarades de chambre s'agiter dans son lit. Sa respiration se bloqua et les battements de son cœur s'accélérèrent dangereusement, mais la cinquième année, quelle quelle soit, ne se réveilla pas. Un léger soupir s'échappa des lèvres de la Préfète qui se redressa, repoussant ses couvertures au pied du lit. Sa montre indiquait un peu plus de deux heures du matin, pourtant, elle ne parvenait toujours pas à trouver le sommeil.
Et c'était la même chose depuis quatre jours. À chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle revoyait les visages de ses parents, sa mère en train de se faire belle, son père démarrant leur antique voiture. Elle les imaginait assis côte à côte, mains liées, riant aux éclats devant des comédiens. Et puis l'explosion. Des cris. Du sang. De l'effroi. Des pleurs. Et des corps sans vie jonchant le sol. Elle voyait tout ça comme si elle s'était trouvée là-bas avec eux. S'endormir était devenu sa plus grande crainte, alors elle attendait patiemment que ses camarades s'endorment pour quitter discrètement le dortoir.
La salle commune était plongée dans la pénombre, faiblement éclairée par les dernières braises encore chaudes du feu. Hermione n'eut aucun mal à rejoindre la sortie et le sentiment de claustrophobie qu'elle ressentait à chaque fois qu'elle pénétrait dans la tour des lions s'envola. Une bourrasque de vent souleva ses cheveux tout emmêlés, une myriade de frissons parcourut ses bras et elle réalisa alors qu'elle était sortie sans prendre de veste, simplement vêtue d'une chemise de nuit à manches courtes.
Mais elle ne fit pas demi-tour pour autant, appréciant les sensations que le froid apportait à son corps, et dans un silence pesant, elle rejoignit les escaliers, songeant un instant à se rendre à la tour d'Astronomie pour observer le paysage entourant l'école sauf qu'une autre idée lui vint et ce fut vers la Forêt Interdite qu'elle se dirigea.
Les rayons de la lune éclairaient son chemin, la menant loin du château, aux alentours de la cabane d'Hagrid, droit dans le refuge des Sombrals. Et pour la première fois depuis qu'elle avait découvert leur présence, elle les vit, à la fois monstrueux et impressionnants, et leur vision lui déchira le cœur. Ses jambes cédèrent sous le poids de son corps, et entourée par les chevaux, les arbres et autres animaux dangereux de la forêt, elle pleura. Longtemps. Extériorisant sa douleur.
La souffrance était partout. Dans chaque cellule de son corps, dans chaque pore de sa peau. Les murs du château semblaient fait de cette entité, comme s'il s'agissait d'une personne à part entière. S'emparant des sourires de ses amis, de leurs rires et de l'éclat dans leurs yeux. Elle l'empêchait même de parler, de vivre et de respirer. Comme si l'air était soudainement devenu suffocant. Chaque respiration était une épreuve, lui rappelant douloureusement que ses parents n'étaient plus en mesure de le faire.
Que jamais plus elle ne les reverrait. Qu'ils ne seraient pas là à l'attendre à King's Cross. Que Noël se ferait sans eux. Qu'ils ne seraient pas présents pour les moments les plus importants de sa vie. L'obtention de son diplôme, son mariage, la naissance de ses enfants. Tant d'instants qu'elle allait devoir vivre sans eux. Et imaginer un seul instant de devoir les vivre sans eux lui faisait mal. Songer au futur lui était impossible car elle n'arrivait pas à l'imaginer sans eux.
Qu'aurait-elle donner pour qu'ils lui reviennent ! Elle était prête à échanger tous les moments de bonheur qu'elle avait vécus pour les revoir. Ne serait-ce qu'un instant. Pour pouvoir leur dire au revoir, leur rappeler combien elle les aimait et à quel point elle était fière d'être leur fille. Revoir une dernière fois le sourire bienveillant de sa mère, respirer son odeur, échanger quelques mots avec son père. Le regarder s'enthousiasmer derrière son écran de télévision, soutenir avec lui leur équipe favorite. Préparer des gâteaux avec sa mère. Lui parler de ses secrets, de ses espoirs. De Fred. Elle voulait l'entendre lui dire que tout irait bien, qu'il allait la rendre heureuse et qu'elle ne s'était pas trompée. Qu'il était la bonne personne. Celle qu'elle attendait depuis son plus jeune âge. Son prince charmant.
Mais ce n'était pas possible. Aussi extraordinaire que puisse être la magie, elle n'avait pas le pouvoir de faire ça. Ils étaient partis loin d'elle, dans un monde qu'elle espérait meilleur.
Pour toujours.
[...]
Elle ne sut combien de temps elle resta ainsi, dans la forêt, à pleurer, mais les premiers rayons du soleil se faisaient voir à travers la cyme des arbres lorsqu'Harry vint la rejoindre, emmitouflé dans une épaisse cape qu'il s'empressa de déposer sur ses épaules lorsqu'il constata qu'elle était frigorifiée. Elle leva vers lui des yeux brillants, exprimant une tristesse incommensurable, qui lui serra le ventre, alors qu'il se baissait pour se mettre à sa hauteur.
―Pourquoi ? souffla-t-elle doucement.
Si bas qu'Harry eut du mal à percevoir sa question. Mais il l'entendit néanmoins et il plongea son regard dans celui de sa meilleure amie, espérant y retrouver un jour la lueur d'intelligence qui les faisait autrefois briller avant de répondre. Espérant y trouver la réponse qu'elle attendait.
―Je ne sais pas, Hermione, avoua-t-il d'une voix douce, comme celle qu'on prendrait pour parler à un enfant. Je ne sais pas, et je ne pense pas que nous aurons un jour la réponse à cette question.
De nouvelles larmes jaillirent des paupières de la jeune fille qui étouffa un gémissement. Cette douleur, qui enserrait sa poitrine dans un étau, elle n'avait plus envie de la ressentir ! Elle voulait que tout s'arrête. Maintenant.
―J'ai mal, sanglota-t-elle. J'ai tellement mal.
―La douleur ne disparaîtra pas, mais tu apprendras à vivre avec, assura Harry. Elle fera partie intégrante de toi jusqu'à que tu puisses être heureuse de nouveau.
―Je ne veux pas. Non ! Non ! Pas sans eux...
La main de son meilleur ami s'empara de la sienne, et durant quelques secondes, elle observa l'éclat de leurs peaux sous la lune. La lumière qui s'en dégageait, lui rappelant que la vie se trouvait dans toutes choses, et qu'avec l'amour de ses amis, elle aurait une chance de s'en sortir. Devenir la femme que ses parents espéraient tant, être heureuse, amoureuse. Pourtant, cela lui paraissait impossible.
―Je veux que ça s'arrête, Harry... je ne veux plus ressentir cette douleur... je veux être avec eux. S'il-te-plaît ! Je t'en supplie, fais disparaître la douleur !
Sa voix résonna de longs instants dans la forêt. Une nouvelle barrière céda en elle et dans les bras de son meilleur ami, elle pleura de nouveau. Toujours plus difficilement.
Mais une lueur perça au travers de la noirceur qui l'entourait. Une lueur d'espoir et de réconfort. Et à travers cette lueur, elle reconnut le sourire aimant de ses parents.
Il lui fallut de longues minutes pour se calmer. Harry attendit patiemment près d'elle, sans dire quoi que ce soit, sachant que le silence était le meilleur allié dans des moments aussi difficiles que cela. Il savait qu'avoir le soutien de ses amis était le meilleur remède au monde pour remonter à la surface, apprendre à vivre de nouveau, sourire et aimer. Se sentir aidé et entouré était primordiale pour s'en sortir et il ferait n'importe quoi pour qu'Hermione s'en rende compte. Il était prêt à tout pour qu'elle redevienne la fille intelligente, pleine de vie et malicieuse qu'il connaissait. Il voulait revoir sa meilleure amie.
Lentement, elle se détacha de son ami et grimaça en remarquant la tâche sombre sur le pull du garçon.
―Je suis désolée, s'excusa-t-elle d'une petite voix.
L'élu esquissa un sourire rassurant avant de l'aider à se relever. Ensemble, ils retournèrent au château, et appuyée contre le garçon, Hermione comprit qu'elle n'était plus seule. La route vers le bonheur serait longue et semée d'embûches, mais Harry et Ron seraient là. Ainsi que Fred et Ginny. Et le reste de la famille Weasley. Cela apaisa légèrement la déchirure de son cœur et ce fut sans crainte qu'elle traversa l'entrée menant à la salle commune des Gryffondor.
Une vingtaine de paire d'yeux se tourna vers eux lorsqu'ils entrèrent, la faisant rougir, toujours aussi gênée de se retrouver au centre de l'attention. Dans la foule, elle reconnut le sourire bienveillant de sa meilleure amie, la grimace joyeuse de Ron et le regard plein de fierté de Fred. La chaleur l'inonda et un mince sourire étira ses lèvres, faisant bondir de joie le cœur du septième année.
―Je crois que vous venez de lancer une nouvelle mode, commenta alors George avec un sourire amusé. La balade en pyjama !
Le rouge lui monta aux joues lorsqu'elle constata qu'en effet, elle portait toujours sa chemise de nuit, cachée par la longue cape d'Harry. Elle s'empressa de monter dans son dortoir, faisant mine de ne pas entendre les rires de ses camarades. Quelqu'un la suivit néanmoins et elle ne fut guère surprise de constater qu'il s'agissait de Ginny. Son amie l'observa longuement sortir quelques vêtements de sa malle, avant d'ouvrir la bouche.
―Comment tu vas ? souffla-t-elle.
Pour la première fois de sa vie, Ginny Weasley ressemblait à une petite fille intimidée sous le regard d'un adulte. Hermione esquissa un sourire, qu'elle espéra joyeux et prit le temps de faire son lit avant de répondre à la rouquine.
―C'est dur, admit-elle. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à me faire à l'idée qu'ils... ne sont plus là, mais je sais que vous êtes là. Que je ne suis pas seule.
―Les jumeaux ont prévus d'inventer de nouvelles blagues pour te faire sourire tous les jours, lui apprit Ginny avec un rire. Ron a promis de faire gagner le prochain match des Gryffondor et Luna a dit qu'elle allait chasser tous les Joncheruines de l'école. Ou quelque chose comme ça.
Son sourire s'accentua lorsqu'elle réalisa tout ce que ses amis étaient prêts à faire pour lui redonner le sourire. L'aider à faire son deuil.
―Merci, souffla-t-elle, émue, en serrant sa meilleure amie contre elle. Merci pour tout.
[...]
―Le sortilège Legilimens est un des plus compliqués à lancer, expliqua le professeur Flitwick d'une voix rendue tremblante par le regard perçant de Dolores Ombrage rivé sur lui. Il permet de lire les pensées, les souvenirs et les rêves de la personne que vous avez choisi. Mais il faut être extrêmement méticuleux car il peut s'avérer très dangereux si on l'utilise à mauvais escient. Quelqu'un sait pourquoi ?
La main d'Hermione s'éleva aussitôt dans les airs, attirant le regard du Professeur de Défense contre les Forces du Mal sur sa personne, et elle essaya de toutes ses forces de ne pas se retourner vers la sorcière pour lui exprimer le fond de sa pensée.
―Oui, Miss Granger ? l'interrogea Flitwick avec un soulagement évident, ayant craint qu'aucun des élèves de cinquième année à Gryffondor ne se montrerait attentif durant leur heure de cours, durant laquelle la Grande Inquisitrice avait décidé de venir faire son inspection.
―La personne sur qui nous choisissons d'appliquer le sortilège à le pouvoir de résister et nous faire sortir de sa tête. Insister risque de briser ses défenses mentales et causer des dommages irréversibles sur ses capacités cognitives, expliqua rapidement Hermione.
―Excellent, Miss Granger, la félicita le petit professeur. Vingt points en plus pour Gryffondor !
Elle perçut le sourire de son meilleur ami, assit tout près lorsqu'elle se pencha sur ses notes pour inscrire rapidement les propos tenus par Flitwick. Des chuchotements s'élevèrent parmi les Serpentard -avec qui ils devaient partager les deux heures de Sortilèges- et elle n'eut aucun mal à entendre le : « Ses sang-de-bourbe de parents ont préféré mourir que de supporter une minute de plus sa mimique de sainte-ni-touche ! » venant de Pansy Parkinson, qui prenait un malin plaisir à se moquer d'elle ouvertement depuis la mort de ses parents.
Sa main se resserra autour de sa plume et les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle n'esquissa pas le moindre mouvement, sachant pertinemment que c'était ce que la jeune fille attendait avec impatience. Depuis trois jours qu'elle lui lançait des piques à tout va, Hermione avait fini par prendre sur elle, connaissant les risques qu'elle encourrait si elle répondait à la Serpentarde.
La première fois que cela s'était produit, elle se trouvait avec ses amis dans la Grande Salle, durant l'heure du déjeuner. Harry venait lui faire remarquer que le professeur Dumbledore était de plus en plus absent ces derniers temps, lorsque Parkinson, entourée par les deux gorilles de Malefoy, Crabbe et Goyle s'était approchée de leur table, tout sourire, et avait demandé à Hermione ce que cela faisait d'être responsable de la mort de ses parents.
Si elle n'avait pas su réagir à temps, trop choquée par ce qu'elle venait d'entendre, essayant de se convaincre que ce n'était pas de sa faute, ce ne fut pas le cas de Fred, qui se leva rapidement et envoya son poing s'écraser sur le visage de Crabbe qui riait à gorge déployée. Ron et George se jetèrent sur Goyle alors qu'il essayait de s'enfuir, ayant prit peur en voyant ce qu'il était arrivé à son acolyte, pendant que Ginny faisait la démonstration d'un Chauve-Furie sur Pansy.
Ombrage était rapidement intervenue, punissant les frères et la sœur de deux heures de retenue dans son bureau le soir-même, pour leur apprendre la politesse. Elle s'était tournée vers Harry, surprise de constater qu'il ne faisait pas partie des bagarreurs et avait jeté un regard noir à la Préfète, qu'Hermione n'eut aucun mal à comprendre. Ce n'est pas parce qu'elle venait de perdre ses parents que tout lui était permis.
Par la suite, elle avait rapidement quitté la table, l'appétit l'ayant quitté lorsque Parkinson s'était approchée, et s'était réfugiée dans la bibliothèque, pour y trouver le silence nécessaire. Fred l'avait rejoint peu après et ils avaient passé l'heure suivante assis côte à côte, loin du regard perçant de Mrs Prince, sans rien dire, la main du rouquin entourant celle de la jeune fille, en signe de soutien.
Depuis, elle faisait comme si de rien était, au grand désespoir de sa condisciple qui espérait à chaque fois faire sortir la lionne de ses gonds, mais Hermione tenait bon, sachant que ses parents n'auraient pas accepté qu'elle se comporte de façon aussi immature. Elle s'était promis de toujours être exemplaire, et elle était prête à tout pour tenir sa promesse.
La cloche finit par sonner, au plus grand plaisir des élèves de cinquième année, heureux d'achever cette éprouvante journée de cours. Hermione s'attarda, faisant mine de chercher quelque chose dans son sac, dans l'espoir d'entendre ce que le professeur Ombrage avait à dire de son bilan sur le cours de Sortilèges, mais la sorcière quitta rapidement la pièce, sans un regard en arrière.
―Ombrage n'a pas arrêté de faire la grimace de tout le cours, commenta Ron lorsqu'ils s'installèrent tous les trois sur les canapés de la salle commune.
La pièce était encore vide, mais les élèves de leur maison n'allaient pas tarder à arriver, voulant profiter de leur week-end le plus rapidement possible. Un instant, Hermione songea à aller faire ses devoirs, mais l'idée de se retrouver seule à la bibliothèque l'angoissa. Et elle savait que si elle demandait à ses amis de l'accompagner, ils accepteraient uniquement pour lui faire plaisir. Hors, elle ne voulait pas être un fardeau pour eux.
―Elle a passé la journée à inspecter les professeurs, commenta Neville en approchant d'eux. Luna dit qu'elle n'a pas arrêté d'interrompre Trelawney pendant son cours pour lui demander si elle était vraiment voyante. Elle lui aurait même demandé de faire une prophétie !
Hermione grimaça, n'ayant pas le moindre mal à imaginer le professeur de Divination en train de se justifier auprès de la Grande Inquisitrice, essayant de la convaincre que son art était subtile et capricieux, et qu'elle n'avait pas la capacité de faire des prophéties comme ça. Sans préparation. Et connaissant Ombrage, elle se doutait que cette réponse n'allait pas jouer en faveur de sa consœur.
―Comme si elle était capable d'en faire une ! ricana Ron.
La jeune fille le fusilla du regard, ne comprenant pas comment il osait se permettre de se moquer d'un professeur. Certes, il s'agissait de Trelawney, et elle était la première à dire que la divination n'était -et ne serait jamais- une science exacte et rationnelle, pourtant, elle ne s'était jamais permise de la critiquer ainsi. Elle avait une opinion très fermée sur la matière, mais pas sur la personne, bien qu'elle eut du mal à avoir autant de respect pour elle que pour McGonagall, notamment depuis qu'elle lui avait dit qu'elle ne serait jamais assez intelligente pour comprendre l'art de lire dans les feuilles de thé. Touchée dans son égo, Hermione avait fui le premier cours dispensé par la bonne femme en troisième année. Depuis, elle n'avait plus remis les pieds dans la salle de classe.
―Ce n'est pas parce que ses cours ne te plaisent pas que tu peux te permettre de te moquer d'elle, Ronald, ajouta-t-elle sèchement.
―C'est l'hôpital qui se fout de la charité ! s'étouffa le rouquin en rougissant à vue d'œil.
―Je ne l'ai jamais critiquée ouvertement ! répliqua Hermione en croisant les bras. C'est vrai, je ne crois pas en la divination, mais ce n'est pas pour autant que je me permets de rire du professeur Trelawney !
―De toute façon, tu te crois toujours au-dessus des lois ! rugit Ronald. Tu n'en as pas marre de toujours vouloir te faire passer pour Miss Parfaite ?
Le silence se fit soudainement dans la pièce et le rouquin sembla peu à peu réaliser ce qu'il venait de dire. Son visage pâlit brusquement et il lança un regard plein d'appréhension à sa meilleure amie, dont le visage exprimait sa surprise. Ses yeux étaient écarquillés et sa bouche grande ouverte.
―Je... ne... je ne voulais pas... bafouilla lamentablement Ron.
―Ce n'est rien, mentit-elle en détournant le regard pour ne pas qu'il s'aperçoive des larmes prêtes à couler.
Soudainement, elle ressentit le besoin irrépressible de voir Fred. De sentir sa présence à ses côtés. D'entendre son rire. De voir briller la lueur de malice dans son regard. De l'entendre lui dire qu'elle était belle. De sentir le contact de sa peau sur la sienne. Son odeur. Sa chaleur.
Sauf qu'il n'était pas dans la salle commune. Ni lui, ni son frère et encore moins Lee. Et elle n'avait aucun moyen de savoir où il se trouvait. Un instant, elle songea à demander à Harry de chercher leur présence sur la carte du Maraudeurs, mais elle se ravisa, ne voulant pas se justifier auprès de son meilleur ami, bien qu'elle sut qu'il ne prendrait jamais l'initiative de l'interroger pour savoir pourquoi elle voulait voir le frère de leur meilleur ami. Sentant une boule se former dans sa gorge, elle quitta précipitamment la pièce, bousculant Ginny sur son passage alors qu'elle venait de passer le portrait de la Grosse Dame. Elle ne se retourna pas lorsqu'elle entendit son amie crier son prénom à plusieurs reprises, et se réfugia dans les toilettes des filles pour évacuer sa peine.
Cela faisait une semaine qu'elle avait appris le décès de ses parents, et la douleur était toujours aussi forte. L'entourant à chaque instant de la journée, lui rappelant que jamais plus elle ne redeviendrait la fille qu'elle était avant. Que jamais plus elle n'aurait l'occasion de leur parler, de leur raconter ses problèmes, toutes les petites choses qu'elle faisait dans le monde magique. Jamais plus elle ne verrait la lueur d'émerveillement dans le regard de son père lorsqu'elle lui raconterait certaines anecdotes de Poudlard, lui ferait goûter les friandises de chez Zonko et lui parlerait des inventions de Mr Weasley.
Jamais plus elle n'aurait l'occasion d'aider sa mère à préparer des tartes, des gâteaux et autres gourmandises. De l'écouter chanter sur sa chanson préférée. De la voir se déhancher devant un concert à la télévision. D'entendre son rire, sonnant comme un carillon. Jamais elle ne pourrait leur dire que c'était un déchirement pour elle de les quitter à chaque nouvelle année scolaire. De leur dire combien elle était heureuse auprès d'Harry et Ron, en dépit du danger qui planait au-dessus de leurs têtes. Jamais elle ne pourrait leur dire qu'elle faisait partie d'une organisation secrète luttant contre Voldemort.
Ses sanglots redoublèrent d'intensité lorsqu'elle réalisa qu'elle ne pourrait pas offrir à sa mère le pendentif qu'elle avait acheté quelques temps auparavant lors d'une sortie à Pré-au-Lard, et qu'elle avait prévu de lui donner à Noël. Il ressemblait beaucoup à celui qu'elle-même avait autour du cou, sauf que le saphir était remplacé par une émeraude en forme de cœur.
L'étau dans sa poitrine se resserra, bloquant sa respiration. Ses jambes se replièrent contre son ventre et elle entoura son corps de ses bras, serrant de toutes ses forces, dans l'espoir de faire disparaître la douleur. Sauf que ce n'était pas une douleur physique qui la rongeait, mais une douleur mentale. Une douleur qui ne disparaîtrait jamais complètement et avec laquelle elle allait devoir apprendre à vivre avec. Mais comment ? Était-ce seulement possible ?
La porte des toilettes des filles s'ouvrit, et quelques secondes plus tard, Fred se penchait vers elle, le visage déformé par l'angoisse. Cela faisait plusieurs heures qu'Hermione était partie de la salle commune, et Harry et Ron avaient fouillé tout le château sans la trouver. Finalement, le brun à lunettes avait eu l'idée de se servir de la carte et avait immédiatement averti le rouquin, qui s'était joint aux recherches après avoir appris la disparition de la jeune fille par Ginny.
―Hermione... souffla-t-il doucement d'une voix tendue.
La jeune fille essaya de lui sourire, sentant l'angoisse qu'il éprouvait, mais en fut parfaitement incapable. Comme si son cerveau ne se souvenait plus comment faire. Comme si le sens même du mot était en train de lui échapper totalement. De nouvelles larmes jaillirent, et elle se laissa faire en sentant Fred lui attraper les bras pour permettre à ses jambes de se déplier. Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer lorsqu'il se plaça près d'elle et qu'un de ses bras glissa dans le bas de son dos, pour la rapprocher de lui. Un instant, elle ne songea plus qu'à la distance qui les séparait. Si petite. Si près.
―Tu nous as fait une peur bleue en disparaissant comme ça, ajouta-t-il en constatant qu'elle ne pleurait plus. Harry et Ron ont mis le château à sac pour te retrouver.
En entendant le nom du rouquin, Hermione se souvint de la discussion qu'ils venaient d'avoir. Elle savait depuis longtemps qu'il lui arrivait parfois de parler sans réfléchir et qu'il disait ce qu'il pensait sans prendre de pincettes, pourtant, pas un seul instant, elle s'était imaginée qu'il la voyait ainsi. Jouant un rôle. Voulant être l'élève modèle. Parfaite, comme il avait dit. Ce n'était pas son but. Cela ne l'avait jamais été. Et elle était blessée que son meilleur ami puisse avoir une image aussi négative d'elle.
―Mon frère est un idiot, continua Fred comme s'il avait lu dans ses pensées. Ginny et George lui ont passé un sacré savon. Je ne pense pas qu'on entendra sa voix pendant quelques temps.
―Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? demanda-t-elle en essuyant ses yeux. Je n'ai pas envie de parler de Ron.
―Je sais, avoua-t-il en tournant son regard vers elle. Et je sais aussi que ce n'était pas à lui que tu pensais quand je suis arrivé. Je ne prétends pas comprendre ce que tu vis, Hermione, mais je veux quand même que tu comprennes que tu n'es pas seule. Nous, on est là. Et on ne te laissera pas tomber. Jamais. Je ne te laisserai pas affronter ça toute seule, d'accord ? Je ne te laisserai pas.
Un faible sourire se dessina sur les lèvres de la jeune fille, et elle se laissa doucement aller contre l'épaule du garçon qui faisait battre son cœur.
[...]
Ils étaient en train de rejoindre la salle commune des lions lorsque le professeur McGonagall, qui était également leur directrice de maison, apparut au détour d'un couloir. Si elle fut surprise en remarquant la main de Fred autour de la taille de la jeune fille, elle fit mine de rien, au plus grand bonheur d'Hermione qui sentait le feu s'étendre sur son visage. Et le ricanement du garçon lorsqu'il s'éloigna légèrement n'arrangea pas les choses.
―Miss Granger, fit sèchement la vieille dame. C'est justement vous que je voulais voir.
Les sourcils de la Préfète se froncèrent et elle se demanda ce qui pouvait être aussi important pour que le professeur McGonagall vienne la voir aussi tard. Cela ne pouvait-il pas attendre le lendemain ?
―Oui ?
Un regard en direction de Fred sembla faire hésiter la directrice. Le cœur d'Hermione s'emballa et les larmes lui montèrent aux yeux. Son professeur n'avait pas besoin de dire quoi que ce soit. Elle venait de comprendre. Un gémissement lui échappa et elle sentit le monde autour d'elle se mettre à tourner. Elle aurait certainement chuté au sol si Fred ne l'avait pas rattrapée.
― Professeur ? demanda-t-il avec inquiétude.
Elle ne parvint pas à comprendre ce que le professeur de métamorphose répondit, mais elle sentit les mains de Fred raffermir leurs prises autour de sa taille. La douleur se manifesta de nouveau, plus violemment que les fois précédentes, lui arrachant un gémissement qui sembla alerter sa directrice, puisque moins d'une minute plus tard, elle sentait qu'on l'allongeait de force sur un lit. La main du rouquin ne quitta pas la sienne, dernier rempart l'empêchant de sombrer dans la folie.
Et une fois encore, les souvenirs affluèrent. Lui coupant le souffle par leur netteté et leur intensité. Retraçant le film de sa vie. Son enfance, heureuse, ponctuée de découvertes en tout genre. Son adolescence, la révélation de Dumbledore sur son statut de sorcière, l'arrivée à Poudlard, la rencontre avec Harry et Ron, avec toute la famille Weasley. Les instants les plus importants de sa vie. Avec et sans ses parents. Lui rappelant douloureusement que la vie devait continuer sans eux, pourtant, elle n'en avait pas envie. En dépit de tout ce qu'elle avait de bien autour d'elle, elle voulait les retrouver. S'échapper de ce monde chaotique dans lequel elle vivait et qui lui prenait les gens qu'elle aimait.
Quelque chose s'enfonça soudainement dans son bras, lui arrachant un gémissement de douleur. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, la douleur se dissipa et sa respiration s'apaisa. Les larmes se tarirent et sa vue redevint nette peu à peu et elle constata sans étonnement qu'elle se trouvait à présent dans l'infirmerie, Fred assis sur son lit, lui tenant toujours la main. Il faisait nuit, comme elle pouvait le voir à travers les immenses fenêtres de la pièce. Un ciel sans étoiles ni lune se laissait entrevoir, annonciateur d'une journée pluvieuse pour le lendemain.
―Hermione, fit Fred lorsqu'elle se décida enfin à poser les yeux sur lui.
Ses prunelles étaient brillantes d'inquiétude, lui arrachant un sourire qu'elle présenta comme une excuse. Elle se redressa doucement dans le lit et observa quelques secondes leurs mains liées avant de trouver la force de prendre la parole.
―Je suis désolée pour tout à l'heure, souffla-t-elle en fixant son regard sur un point imaginaire, effrayée de croiser une nouvelle fois le regard du rouquin.
―Tu n'as pas à t'excuser, assura-t-il.
―Je sais, mais j'en ai besoin. C'est comme... respirer, tu vois ? C'est comme avoir l'impression de faire toujours l'inverse de ce que l'on attend de toi. C'est...
Elle s'interrompit brusquement, incapable de trouver les mots exprimant ce qu'elle ressentait, mais le regard confiant du garçon et la pression qu'il exerça sur leurs mains liées la poussa à aller plus loin. Alors, la souffrance qu'elle éprouvait depuis une semaine s'évacua à travers ses paroles, lui donnant l'impression d'avoir enfin trouver le moyen de s'en sortir.
Et ce moyen, c'était Fred.
―J'ai mal, chuchota-t-elle en le fixant droit dans les yeux. Constamment. Quand je respire, que je ferme les yeux, quand je te regarde et que je passe du temps avec mes amis. J'ai l'impression qu'être heureuse ne pourra jamais m'arriver et quand sans eux, je ne suis plus rien. Je ne vaux plus rien. Et il y a tant de choses que j'aurai aimé leur dire. Leur faire comprendre. Tant de choses que j'aurai voulu leur montrer, mais je ne peux pas. Je ne pourrai jamais. Tu sais, je me suis rendue compte qu'ils ne sauront jamais si j'ai obtenu mon diplôme. Si j'ai rencontré un garçon, si j'ai été heureuse avec lui. Ils ne seront pas présents aux moments les plus importants de ma vie. Et pour ça, je leur en veux. Tellement ! Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'ils sont partis ? Pourquoi eux ? Pourquoi est-ce qu'ils m'ont laissée seule alors que j'ai encore besoin d'eux ? Je voudrai les revoir une dernière fois. Leur dire que je les aime et que je suis fière d'être leur fille. Que j'ai aimé chaque moment passé avec eux et que je ne leur en veux pas d'avoir passer autant de temps à leur travail plutôt qu'être rester avec moi...
À bout de souffle, elle s'arrêta, laissant les larmes couler le long de ses joues, preuves de la souffrance qui vivait en elle depuis sept jours maintenant. Son regard se posa sur le visage inexpressif du garçon, mais Hermione n'eut pas la force de lui en vouloir. Il ne savait pas. Non il ne savait pas, et elle espérait qu'il n'ait jamais à découvrir la signification réelle de la douleur. Elle ne voulait pas qu'il perde cette insouciance qu'elle aimait tant chez lui, car alors, il deviendrait une autre personne. Comme elle. Et elle n'était pas certaine de pouvoir aimer ce nouveau Fred Weasley.
Un faible sourire se dessina sur ses lèvres sèches, et lentement, elle se pencha vers lui, jusqu'à poser sa tête sur son torse, respirant son odeur sucrée de réglisse.
―Ne m'abandonne pas, je t'en supplie... murmura-t-elle.
―Jamais, assura-t-il en l'entourant de ses bras.
Hermione s'accrocha de toutes ses forces à cette promesse, sans se douter qu'elle allait être mise à rude épreuve...
*
Un petit mot pour remercier toutes les personnes qui votent pour la Loutre et le Renard,
ça me touche beaucoup. :) N'hésitez pas à laisser votre avis si vous le souhaitez,
je tâcherai de répondre dès que possible.
Merci ♥
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