Like dancers on the road

En rompant le contact après ce temps infiniment dilué et trop court, Iphi' dépose sa main sur la mienne. Sourires de part et d'autre de la table. Ce n'est qu'après ce moment d'affection que nous remarquons Antigone, qui attendait avec son plateau fumant que nous puissions lui accorder un peu d'attention.
« Je peux déposer ? demande-t-elle avec un clin d'œil.
– Oui oui, bien sûr ! s'empresse de répondre Iphi'.
– Désolée de t'avoir fait attendre, renchéris-je.
– Oh c'est rien, vous aviez l'air de passer un très bon moment, j'allais pas vous déranger !
– T'es sweet ! lui lance Iphy.
– Je sais, je sais ! Allez, profitez bien ! »
J'attends qu'elle soit partie pour demander :
« Mais du coup, embrasser quelqu'un, c'est ok vis-à-vis de tes copaines ?
– Oh oui, je flirte pas mal, mine de rien, et elles aussi. C'est juste qu'on en parle après (ou avant si le date est prévu), puis on essaie assez vite de se rencontrer entre membres de mon polycule.
– Olala, déjà la présentation à la famille – de cœur ! Spèce de U-Haul lesbian !
– Eh ouais, se marre-t-elle, on fonce avec moi !
– Ça me plaît. »
Nos yeux se clipsent intenses et un baiser qui me détend, non plutôt me liquéfie et mon dos s'ouvre en volutes de volupté.
L'air boucle entre nous.

Nous dégustons ensuite notre bière à petites gorgées en piochant dans les frites et en échangeant des regards bien trop fleur bleue. Antigone revient après une minute et dépose le wrap avocat, maïs, haricots rouges et fomage râpé ainsi que le muffin au chocolat noir d'Iphy, avec une fourchette et une cuillère pour chacune de nous deux.
« Elle est vraiment adorable, commenté-je entre deux bouchées.
– T'as vu ? Et Ruby, sa copine, est tout aussi choupie ! C'est pas pour rien que je squatte ici !
– Non mais je pense grave repasser. Ne serait-ce que pour te revoir.
– Alala, t'es trop mignonne à crusher comme ça !
– C'est pas ma faute !
– Mais oui, mais oui !
– Rappelle-moi qui a initié notre rapprochement ?
– Chhht ! fait-elle en mimant l'agacement et en posant un doigt sur mes lèvres et je soupire. »

C'est main dans la main que nous sortons du Joyeux Pichet. Assaillie par une brise un peu frisquette, Iphi' frissonne et se serre contre moi et mon cœur menace de flancher.
« On passe chez moi, du coup ? J'habite à quelques rues.
– Ben voui, comme ça je connaîtrai le chemin.
– C'est ça ! Et si je reçois des lettres anonymes, je saurai de qui elles viennent !
– Je pensais plutôt sonner chez toi en costard pour t'emmener en date.
– T'es ce genre de meuf ? demande-t-elle l'air particulièrement impressionnée.
– Ouaip. Et sans vouloir me vanter, toutes celles qui m'ont vue sapée comme ça ont fini dans mon lit.
– Ah oui ?
– Yep. Note que j'ai pas dit qu'on a couché ensemble.
– Je vois ! Tu dois vraiment être très généreuse pour ouvrir ton lit aux gens sans rien attendre d'elleux !
– Ya de ça. Ya aussi qu'il est gigantesque et particulièrement confortable. Mes ami•es l'aiment beaucoup, mes amant•es aussi, mais pas pour les mêmes raisons.
– Hâte de le tester et d'y faire des câlins hihi ! »
J'ai le ventre plein d'étincelles ; cette soirée ne finit pas de malmener mon bidou – pour mon plus grand plaisir.

Le trottoir défile sous nos pas, léger claquement des semelles sur les pavés, qui rappellent presque un défilé alors que nos pas désaccordés martèlent le sol, c'est le roulement d'un tambour trop joyeux en pleine batacuda qui désarticule tes membres pour mieux les remplacer par des instruments de fête qui s'agitent loin au-dessus de ta tête et sans t'en rendre compte soudain tu danses et la foule est en fait un seul et même corps qui se tord et se tend et éclate pour mieux exulter, dragon dionysiaque. Je secoue la tête et me recentre : vent frais sur mes joues, main tiède contre la mienne, que je serre.

« Dis... commence Iphi'. Tu m'en veux si je fais un truc un peu dangereux et que je risque de t'entraîner dans ma bêtise ?
– Dis toujours ?
– Ben j'aime bien, la nuit, marcher au milieu de la route. Quand ya pas trop de voitures.
– Euh pourquoi ?
– Hm je sais pas trop. Je crois que ça m'est venu en prenant l'avion : j'ai vu des déserts coupés par des routes, des forêts percées par des chemins, des collines sciées par une voie rapide. Partout, une bande grise comme une tranchée. Ça m'a frappée : on aménage l'espace autour des voitures, et pas des humains. Pareil avec les villes. D'abord les voitures, ensuite les piétons. Et ça me saoule ! s'exclame-t-elle avec force. C'est le niveau le plus palpable du capitalisme : on est écrasé•es par la machine, nous les hommes et femmes du quotidien. D'abord la production, les acheteureuses ensuite ! Alors du coup, j'essaie de me réapproprier la route pour dire « on existe, merde ! Faites attention à nous, c'est nous qui vivons dans la ville, pas la ville qui vit en nous ! » Tu vois l'idée ?
– Ouais. T'es pompette ?
– ... Oui.
– Et t'as le permis ?
– Non.
– Ça explique beaucoup de choses.
– Roooh !
– Non mais j'aime bien ton plan, même si, niveau philo de comptoir, ça se pose là, me moqué-je et elle me tire la langue. Mais on sent que t'as besoin de l'exprimer, ta colère.
– Grave, ça me rend vénère tout ça !
– Ça me rappelle un bouquin où un personnage qui est un extra-terrestre croit au début que les habitants de la Terre sont les voitures et donc essaie de leur serrer la main et manque de se faire écraser.
– Tu voiiiis ?
– Ce que je vois surtout, c'est qu'une voiture arrive droit sur nous.
– Bwarf, fait-elle d'un ton détaché en me serrant fort la main. »
Alors qu'elle s'approche, je me bouche une oreille avec l'autre main en prévision du klaxon qui ne manque pas, et Iphi' sort son plus beau doigt d'honneur. Heureusement, lae conducteurice ne s'arrête pas pour nous engueuler.

C'est donc en marchant sur les pointillés au centre de la chaussée d'un pas de funambule bourré que nous arrivons chez Iphi'.
« Bon, faudra pas faire trop de bruit, ya maon coloc' qui doit sûrement dormir.
– C'est pas toi qui disais que tu hurles ? la taquiné-je.
– Fais pas la maligne ! Iel est très cassant•e quand on lae réveille.
– Alors je me contenterai de te câliner.
– On peut chuchoter, aussi.
– C'est vrai, m'esclaffé-je. »

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