Le premier d'une longue série
Elle boit une gorgée d'alcool et je ne la quitte pas du regard. Soit elle se fiche que je la mate, soit elle ignore mon regard parce que je ne l'intéresse pas. Elle semble être tout à fait à l'aise avec son corps, le regard des autres et l'effet qu'elle me fait. Je ne sais pas si elle en joue, mais je sens monter en moi l'envie de toucher sa peau, de la sentir plus proche, plus disponible. Le silence tout relatif vu l'animation autour de nous s'éternise, mais je me sens bien. J'ai cette douce et vague mélancolie de la redescente d'alcool. Elle regarde les danseur•euse•s, son verre à la main, hochant un peu la tête sur les temps. J'ai envie d'embrasser son cou. C'est donc en toute âme et conscience que je lui propose de les rejoindre :
« Pourquoi pas ! »
Encore son sourire éclatant, et je ne peux m'empêcher de me redresser un peu, presque fière de mériter son attention. Je dois cependant avoue que mon plan est assez vil : profiter de ce temps où le corps s'exprime, où il est admis qu'on peut se toucher pour établir un contact physique avec elle. Nous nous levons pour aller sur la piste de danse improvisée.
Ça commence tranquille : je me coule dans le flot rythmique en ondulant des bras, du cou, du tronc et du bassin comme une sirène ou une algue animée par des courants invisibles, yeux mi-clos, totalement centrée sur moi-même et la musique ; pourtant je fais corps avec la masse autour de moi qui s'agite et gigote sur les temps ou pas du tout, comme une transe collective ou une créature métamorphe dont les membres ou appendices toujours mutent, sorte de vivant condensé dans toute sa multiplicité désorganisée – mais si cohérente, et je suis grisée par la sensation d'unité, par l'accord entre mes gestes et les sons qui m'habitent : ça fait boum et je me tends, sèche ; une pause et je me condense avant d'éclater ; un break et je casse ma nuque et mes coudes et mes genoux : j'ai l'impression d'être une note qui se serait incarnée et qui valserait avec moi et dans moi quand mon regard se pose sur un sourire qui éteint tout et bouche mes oreilles – du sang y pulse encore à cent-cinquante battements par minute, pour remplacer le 4/4 régulier par un 3/4 syncopé et mon cœur fait POUMpouuum soupir poumPOUUUM soupir poumpouuum soupir poumpouuum soupir poumpouuum soupir en boucle, et elle me tend les mains alors que je remarque que je suis immobile et que ça bout en moi, pas loin d'imploser tant j'ai le tournis ou encore un peu de force centrifuge, « t'es magnifique quand tu danses ; tu partages avec moi ? » je réponds même pas et d'un pas de côté je retrouve le rythme : 2/2 chacune ; c'est plus calme et plus maladroit aussi : on se cherche, on cherche le rythme interne de l'autre, à s'y ajuster, à se reprendre, empathie à fond et ses mains sont atrocement douces tout en étant légèrement nervurées, ou alors plissées, comme des traces de lames de patin au milieu de la surface lisse d'un lac gelé et puis elle me fait tournoyer avant de m'attirer contre elle. Silence. Et tout reprendre plus intensément encore, le regard viré dans les yeux de l'autre ; je crève d'envie d'accrocher ses lèvres avec les miennes, d'avoir leur empreinte sur ma bouche et peut-être pouvoir moi aussi sourire avec un éclat presque douloureux et comme si elle savait, son sourire s'agrandit et autour d'elle le monde s'assombrit, alors on joue à retarder autant qu'on peut l'évidence, et nos doigts s'entremêlent et se nouent comme des racines, c'est un pas vers l'autre et deux pas sur le côté, un demi pas en arrière pour mieux se retrouver et reculer de deux et puis d'un coup trop proches l'une de l'autre pour s'écarter alors on ralentit, ne marque plus que les blanches, les rondes, s'embrasse. Soupir. On s'écarte à nouveau comme si ce qui est entre nous prend trop de place, gonflant encore et encore entre le cercle de nos bras jusqu'à éclater et qu'on se serre fort, oubliant totalement le rythme, pour sentir que l'autre est bien là, que c'est bien toi et moi, qu'on s'est bien embrassées.
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