8. Le piano fiévreux
Deux jours plus tard, les déménageurs étaient passés et la maison était clairement bien plus vivante qu'avant. Des lits trônaient enfin dans les chambres, fini les matelas gonflables. Une table en bois de six personnes était installée dans le salon, plus besoin de manger sur cette vieille table rouillée. Et surtout, le piano de Hana brillait dans la pièce de vie.
JaeHyun avait été surpris de voir un si gros instrument prendre place dans cette salle qu'il voyait vide, chaque jour.
Le lendemain matin, Hana était étonnée de voir la chambre de JaeHyun fermée. Il devait faire une bonne nuit dans son nouveau lit. Avait-il si mal dormi sur le matelas gonflable ? Il ne lui avait pourtant jamais dit...
Hana s'était occupée en faisant un tour dans son jardin, en observant une dernière fois ses plans de cuisine, en nettoyant tous ses nouveaux meubles. Pas de trace de JaeHyun... Elle commençait sérieusement à s'inquiéter. Elle posa une oreille contre sa porte. Il n'y avait pas un bruit. Dix heures... Devait-elle entrer ? "Sois ferme !",résonna soudain la voix de son père dans sa tête. Mais Hana n'avait plus envie de l'écouter depuis qu'elle l'avait eu au téléphone. Elle avait perçu cet appel comme un manque de confiance envers elle, elle avait envie de se rebeller comme le ferait une adolescente et faire tout ce dont elle avait envie. Et là, ce dont elle avait envie, c'était d'aller voir si JaeHyun allait bien.
Elle ouvrit doucement la porte de la chambre, il bougea à cause de la lumière.
— JaeHyun ? l'appela-t-elle doucement.
Ça lui était toujours étrange de dire son prénom. Ils s'appelaient tellement rarement entre eux.
— Excusez-moi Hana... Je vais me lever...
La silhouette de JaeHyun s'éleva du lit pour s'y asseoir contre le bord. Il toussa un bon coup.
— Vous n'êtes pas bien ? demanda-t-elle.
— J'ai dû attraper un coup de froid. Mais je vais venir. Il me faut juste un peu de temps.
Sa voix était lointaine, il semblait malade.
Hana s'autorisa à entrer un peu plus loin dans la chambre pour s'approcher de son employé à moitié endormi. Elle posa une main contre son front.
— Mais vous êtes fiévreux ! Je reviens, je vous apporte un médicament.
Ni une ni deux, Hana avait rejoint la salle de bain pour fouiller dans sa pharmacie, elle passa prendre un verre d'eau et retourna dans sa chambre comme si sa vie en dépendait.
— Prenez ça, ça devrait se calmer avec un peu de repos, lui ordonna-t-elle.
Il chuchota un "Merci", puis but le verre d'eau.
Hana le força à se recoucher en le poussant gentiment par les épaules. Il la laissa faire. Puis elle sortit de la chambre.
Elle resta un instant plantée devant la porte de la chambre de JaeHyun. Qu'allait-elle donc faire aujourd'hui ? Travailler toute seule la motivait beaucoup moins. Pourrait-elle s'offrir un moment de répit aujourd'hui ?
Ce fut ce qu'elle s'était raisonnée à faire. Hana avait passé sa matinée à lire un livre, dans le hamac. Écouter le chant des oiseaux, sentir la brise du vent sur son visage. Cela avait clairement apaisé son esprit. Son ventre avait grogné. Elle était partie dans la cuisine faire à manger. Au moment d'ingurgiter sa première bouchée, elle s'arrêta puis ouvrit la chambre de JaeHyun.
— JaeHyun, vous n'avez pas faim ?
Il ne lui répondit pas. Sa respiration était forte. Il dormait. Hana referma la porte et retourna sur sa table, toute seule, pour manger son repas.
Elle avait fait une sieste, s'était levée et pour se maintenir éveillée, elle avait fait tranquillement le tour de son jardin. Elle était ensuite rentrée et s'était assise face à son piano.
Elle hésita quelques instants puis elle régla le son au minimum, elle ne pouvait pas risquer de le réveiller.
Les premiers sons qui émanaient de son piano rappelaient à Hana sa jeunesse... C'était ce piano qu'elle avait eu durant toute son adolescence, son père lui en avait racheté un nouveau, il y avait cinq ans maintenant.
Ces moments d'innocence... Ces rires qui résonnaient dans sa tête en même temps que ces notes que provoquaient le rythme de ses doigts. C'était la vie de Hana des années plus tôt. De bons moments avec ses amis, ces derniers moments partages avec la famille. Tout avait changé depuis peu. Depuis qu'elle entrait dans le monde du travail. Tout était différent.
Hana partit sur une autre mélodie. Une partition qu'elle avait toujours joué en hiver, quand les flocons tombaient dans le nid du cerisier, qu'elle ne cessait d'admirer à travers la fenêtre de sa chambre. Ce bonhomme de neige énorme qu'elle avait fait avec ChanHyo et Lin Yao dans leur jardin, ce concours du plus bel ange des neiges. Ce vieux casque posé sur ses oreilles qui la protégeait du froid, ces gants si doux. C'était si loin mais si plaisant de s'en rappeler...
Les doigts de Hana commencèrent à se promener avec aisance sur le piano, elle reprenait ses marques. Elle avait l'impression de retrouver son esprit d'enfance devant cet instrument, dans cette maison dont elle avait tant rêvée petite, dans cet ambiance si saine qui régnait entre elle et JaeHyun. Plus rien ne la stressait ici. Sa mélodie se fit plus forte, Hana sentit ses sentiments prendre de l'ampleur, elle appuya plus intensément sur les touches. Elle savait que si son piano n'était pas réglé au minimum, la mélodie qui s'échappait de l'instrument serait tout simplement perçante. Puis, elle pensa à cet autre morceau...
Elle le joua. Cette mélodie à la fois douce et puissante qu'elle avait composée avec sa copine TaeYeon. Ces nuits qu'elles avaient passées devant cet instrument... Cette composition pleine d'espoir qu'elles avaient réalisée. Elles avaient essayé de transmettre cet amour pour la musique, les sentiments qu'elle pouvait dégager, quand l'instrumentation s'accélérait et qu'on avait l'impression qu'on s'envolait... Elles avaient étudié la moindre note, le moindre rythme. Tantôt lente, tantôt rapide pour créer une profondeur musicale. Jamais elles ne l'avaient partagé à quelqu'un d'autre. Elles l'avaient toujours gardé pour elles.
Maintenant que TaeYeon et Hana s'étaient écartées pour les études, cette partition semblait vide de sens. Mais Hana était vraiment contente de pouvoir s'en rappeler, de voir que ses doigts se souvenaient de chaque touche, que ses oreilles percevaient le moindre son.
Il y eut un craquement derrière Hana.
Elle arrêta soudainement de jouer et se retourna.
— Ne vous arrêtez pas.
JaeHyun s'était levé de sa chambre pour se poser sur le canapé. Hana en oublia totalement son piano et se leva vers lui.
— Vous allez mieux ? Vous avez peut-être faim ?
— J'ai peut-être un peu faim, dit-il avec un faible sourire, des cernes sous les yeux.
Hana entra dans la cuisine pour lui réchauffer le plat de ce midi et lui emmener sur un plateau.
— Tenez, j'espère que ça vous va... dit-elle.
"Mais bien-sûr que ça lui va !", Hana se transformait. Elle commençait à donner un peu trop d'importance à l'avis de JaeHyun. Rien à voir avec leur relation d'il y a un mois.
— Vous jouez vraiment bien.
— Désolée je ne voulais pas vous réveiller.
— C'est mon ventre qui m'a réveillé, rigola-t-il entre deux toux.
Hana hocha la tête. Elle l'observait manger... Elle ne savait pas quoi faire. Elle n'allait pas le laisser tout seul, elle ne voulait pas lui parler, il devait être fatigué. Elle se retourna vers son piano et le frôla des doigts. Elle fit quelques notes puis elle vit JaeHyun esquisser un sourire, du coin de l'œil.
Ok... Elle allait faire du piano.
L'esprit d'antan de Hana s'était évaporé. Elle ne pensait plus à son entourage, à ses moments avec ses proches. Non, JaeHyun hantait son esprit. Elle savait qu'il l'observait, des frissons n'arrêtaient pas de traverser son corps, elle sentait ses yeux posés sur son dos, sur ses mains... Elle imagina leurs futurs travaux ensemble, les vidéos que JaeHyun pouvait publier – elle n'en avait regardé qu'une seule pour le moment –, ces prochains repas qu'ils pourraient manger autour de cette nouvelle table, ces musiques qu'elle jouerait tandis que lui, l'écouterait. Son esprit tourna autour d'une seule et unique personne : JaeHyun.
L'esprit de Hana fatigua, elle avait traversé tant d'émotions à travers son instrument. Ses doigts se calmèrent... Ses phalanges commençaient à la brûler, elle n'avait plus l'habitude de jouer autant de temps. Elle se retourna et JaeHyun s'était endormi sur le canapé. Elle posa un plaid sur lui, elle vérifia son front : sa température avait baissé.
Hana espérerait qu'il irait mieux demain. Pas forcément pour les travaux - même si, un peu quand même ... - mais elle n'avait pas l'habitude de le voir si calme. C'en était perturbant. Ce n'était plus le même JaeHyun, et elle devait avouer qu'elle aimait bien la personnalité de JaeHyun au quotidien.
— Sérieux ? Ton père a vraiment accepté que tu rénoves cette vieille bâtisse ? avait dit Lin Yao, surprise.
Lin Yao faisait les mêmes études que Hana. Elles étudiaient ensemble depuis six ans maintenant, elles étaient inséparables au sein de l'université. Hana avait trouvé cette Chinoise au cœur tendre très impliquée dans son cursus scolaire. Elle lui avait plu dès le début.
— Oui, je ne peux pas te dire à quel point je suis moi-même encore surprise.
— Maintenant tu sais qu'il peut t'écouter quand tu es sûre de toi et que tu insistes.
— Je devrais peut-être essayer ça plus souvent.
— Au bout d'un moment ça ne fonctionnera plus, avait plaisanté Lin Yao. Alors, tu as trouvé l'entreprise avec laquelle tu aimerais travailler ?
— Non, je n'arrive pas à choisir. Ces derniers jours je n'arrête pas de regarder des vidéos de bricolages, des avis. Je ne sais pas par quoi commencer.
— Pense aussi qu'on a nos examens dans trois mois.
— Oui mais du coup je suis trop pressée. Et j'ai peur d'aller vers ce domaine inconnu.
— Hana tu te débrouilleras très bien, comme toujours. C'est pour ça que ton père te fait confiance.
— Oui, tu as peut-être raison.
Lin Yao avait fouillé tout d'un coup dans son sac, à la recherche de son portable.
— Tiens, ça me fait penser à lui...
— Lui ?
— Je connais quelqu'un qui a déjà fait plusieurs petits travaux chez moi.
— C'est quoi ton contact à la noix ? s'était moqué Hana.
Lin Yao avait toujours été forte pour trouver des bons plans qui sortaient de nulle part, sur des petites annonces du net. Mais Hana avait toujours eu besoin de concret, elle avait besoin de voir le résultat des notes qu'attribuait les clients à l'entreprise, de pouvoir éplucher leur site officiel.
— Non je te jure il est bien. Il est polyvalent et il est très sympa, tiens, regarde. Byun JaeHyun, c'est lui, avait-elle dit en montrant son numéro.
— Rah, Lin Yao tu sais que j'ai besoin de quelque chose de plus officiel !
— Appelle-le, juste une fois. Il te donnera des conseils, il pourra peut-être t'orienter avec qui tu pourrais travailler, ce qu'il y a à rénover... Une entreprise te demandera tout de suite de payer pour bénéficier de leurs conseils.
— Lin Yao, je...
— Tiens, je lui envoie un message pour dire qu'une copine va l'appeler.
— Lin Yao ! avait grondé Hana.
Mais Lin Yao avait déjà anticipé le coup : elle avait fait un saut sur le côté pour éviter Hana.
— Juste appeler ! Je ne te demande pas de travailler avec, juste lui poser des questions, avait insisté Lin Yao.
— Je ne vais pas travailler qu'avec un seul artisan !
— Ça pourrait, il est vraiment polyvalent, il touche à tout. Et puis travailler avec un seul gars plutôt que quatre, ça serait un peu plus dépaysant. La maison de campagne tu la veux pour t'y évader, n'est-ce pas ?
— Pourquoi on a les mêmes façons de penser toutes les deux ? s'était indigné Hana.
— Alors fais-moi confiance, je te jure qu'il est cool. Il sera content que tu l'appelles. Puis il pourra quand même te faire quelques petits travaux même si tu embauches une entreprise à côté ...
— Tu as un partenariat avec lui ? avait plaisanté la Coréenne.
— Non, mais je devrais peut-être lui proposer tiens. Si tu l'embauches je lui prendrai une commission.
— Trop facile, avait lancé Hana.
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