III.
Sans doute était-il trop seul
Pour se rappeler de sa
Misérable
Vie.
Le lendemain, quand HoSeok retourne à la gendarmerie, YoonGi fume une cigarette près de sa fenêtre ouverte. Il se lève quand il toque, ouvre la porte, et lui serre la main. Sa poigne froide fait frémir HoSeok. Les nuages qui emplissent le ciel depuis le lever du soleil n'arrangent pas cette sensation de mal-être continuel. Il se sent encore plus vide que d'habitude, et ne parvient pas à faire disparaitre cette tristesse malsaine.
Sa main retombe mollement contre sa cuisse quand YoonGi la lâche et il s'assoit en face de lui. Son dos est raide contre la chaise, et il expire silencieusement lorsque YoonGi parle.
« - Je suppose que tu veux avoir quelques renseignements ?
- J'aimerais bien, oui. »
YoonGi le fixe un instant avant de croiser ses mains sur le bureau.
« - Bien. Je m'appelle Min YoonGi, mais tu le sais déjà, j'ai vingt-six ans. Je n'aime pas les poireaux mais je pourrais manger des olives toute ma vie et j'ai une soeur...
- YoonGi, des informations sur l'enquête, tes dons, mon passé.
- Bien sûr, excuse moi.-il lui lance un sourire amusé et frotte ses paumes entre elles -»
HoSeok inspire puis YoonGi reprend.
« - Je dirige une unité d'enquête spéciale. Nous sommes cinq : NamJoon, celui que tu as vu hier, en plus de SeokJin, JungKook et TaeHyung qui sont restés à Séoul et moi. Nous travaillons sur des enquêtes que la police n'arrive pas à résoudre seule. Les médias ne nous connaissent pas car nous agissons dans l'ombre. Même pour la plupart des employés, nous ne sommes qu'une simple équipe d'enquête. Seule une poignée de personnes sont au courant. Et maintenant, tu en fais partie.
- Pourquoi moi ? Je suis juste un amnésique de plus. »
- J'y viens. Tu n'as aucun souvenir de ton passé ?
- Non. J'ai longtemps essayé de me rappeler, mais ça ne me donne que des migraines.»
Le devin pose ses mains à plat sur son bureau, le considère un long instant, le regarde droit dans les yeux, et lui demande :
« - Et fais-tu des choses, la nuit ?
- Quand je dors ?
- Oui. »
HoSeok s'agite sur sa chaise, détourne les yeux et murmure, comme s'il avait honte :
« - Je ne me souviens ni de mes rêves ni de mes gestes, mais je me réveille chaque nuit avec des blessures sur les bras, sur le cou et aux chevilles. Et des mots sont écrits sur les tables et les miroirs de mon appartement.
- Quels sont ces mots ? »
HoSeok ne répond pas, baisse la tête et se mord la lèvre. YoonGi ne bouge pas, patient, attendant que l'autre parle de lui-même. Il entend HoSeok prendre une grande inspiration avant de lâcher dans un souffle :
« - Maman, Papa, j'ai mal, venez m'aider, j'ai peur, je vais mourir. »
Les yeux d'HoSeok sont rouges, humides, et YoonGi voit qu'il est prêt à craquer. Alors, il pose sa main sur celle, gelée, du plus jeune et la presse doucement.
« - Je suis désolé.
- Pardon, mais c'est juste...douloureux. De ne pas se souvenir, et de voir ça, chaque matin. C'est usant. »
HoSeok passe sa grande main sur son visage et couvre ses paupières. YoonGi voit les veines de son front et celles sur ses yeux, sur la peau fine qui les protège. Quand il relève la tête, il semble plus calme et YoonGi retire sa main. HoSeok demande alors d'une voix encore un peu tremblante :
« - Peux-tu me parler de l'enquête ?
- Hm. -YoonGi fait glisser sept photos vers HoSeok.- que remarques-tu ?
- Ce sont tous des hommes. Ils sont asiatiques, vieux, mais je ne comprends pas ; pourquoi tu me demandes ça ?
- Aucun de ces visages ne t'est familié ?
- Non. Pourquoi ?
- Celui-là -YoonGi pointe un homme qui ne sourit pas au teint sombre, et observe HoSeok en plantant son regard dans le sien.- c'est ton père.
- Non.
- Quoi, non ?
- Mon père n'a pas ce visage.
- As-tu une photo de ton père ?
- Non, mais ce n'est pas lui. »
YoonGi se pince les lèvres, et se tourne pour fouiller dans les casiers derrière son bureau. HoSeok regarde ses épaules sous sa chemise. Quand l'homme-blanc se tourne, il ne le regarde pas dans les yeux et sort une feuille d'un dossier bleu.
Il tend la feuille à HoSeok. Quand le plus jeune la prend, YoonGi le fixe avec insistance.
La respiration sifflante, il lit la feuille.
A droite de la photo, des lignes de renseignements sont remplies de lettres à l'encre noire. L'homme est le même que sur la photo de YoonGi, mais en plus jeune.
Les yeux d'HoSeok parcourent la feuille, et quand il les pose sur YoonGi, ce dernier le regarde déjà. Le jeune homme ne dit rien pendant un moment, se contente de regarder YoonGi, qui ne bouge pas.
Mais quand un nuage voile le ciel, HoSeok répète doucement :
« - Ce n'est pas mon père.
- Pourquoi ne le serait-il pas ?
- Parce que mon père est mort quand j'avais quatre ans. Et ces hommes sont trop vieux.
- Qui t'a dit qu'il était mort ?
- Des hommes ont appelés ma mère. C'était un accident de voiture.
- Ton père n'était pas mort.
- Pourquoi ne le serait-il pas ?
- Parce qu'il a été tué onze ans plus tard par des gens qu'il avait trahit. »
HoSeok se lève brusquement et sort du bureau en claquant la porte. Il n'entend pas YoonGi marcher derrière lui, il ne voit pas la femme de l'accueil lui jeter un regard surpris, il ne regarde pas la route lorsqu'il traverse.
Un cri parvint à ses oreilles, sans doute YoonGi, et HoSeok s'arrête de l'autre côté de la route.
Le devin est en face de lui et le fixe intensément, un peu essoufflé.
HoSeok s'enfonce encore plus loin dans la ville, sans se soucier de YoonGi qui trottine derrière lui. Les jambes douloureuses, la tête lourde et la respiration erratique ; son corps s'affaisse contre un arbre.
Il sanglote quand YoonGi s'assoit à ses côtés.
« - Tu savais que j'allais venir ici. C'est pour ça que tu n'as pas couru. »
Ce n'est pas une question, pourtant le silence de YoonGi est sa réponse.
Alors, HoSeok parle, parce qu'il se sent seul, parce que YoonGi est là, avec lui, parce que sa main est réconfortante sur son épaule, parce qu'il en a marre de sa vie glauque qui ne lui apporte rien.
« - Je ne sais même pas qui je dois croire, avec ma mémoire défaillante de merde. Je suis juste perdu. Et le pire, c'est que tu as sans doute raison ; et je ne peux même pas t'aider avec les preuves qui devraient être dans ma tête. Parce que je ne me souviens de rien, et que l'infirmière de l'hôpital aurait bien pu raconter n'importe quoi. J'ai peur, YoonGi. J'ai peur de ce que mon passé a été. »
YoonGi n'enlève pas sa main et HoSeok pleure sur son épaule pendant que le soleil se couche.
Le jour d'après, HoSeok ne sort pas. Il reste dans son appartement à fixer le plafond jusqu'à avoir mal aux yeux et la tête qui tourne.
Le jour suivant, HoSeok a faim mais ne mange pas. Parce que la douleur physique étouffe un peu les tiraillements de son cerveau et que tant pis s'il s'affame.
Le jour suivant de celui d'après, HoSeok vomit de la bile. Et s'évanouit deux fois dans sa salle de bain. Il se réveille hors de sa résidence, les yeux hagards dans la rue où il courait à toute allure. Il s'étonne d'être en vie et recommence à manger.
Il ne sort pas de la semaine.
Ni celle d'après.
Ce sont YoonGi et NamJoon qui le découvrent allongé sur le sol de sa cuisine, amorphe, le souffle presque inexistant.
HoSeok reste cinq jours à l'hôpital, à se faire nourrir sous perfusion. YoonGi passe tout les jours. Inactif et immobile, son esprit tourne dans le vide.
A la veille du cinquième jour, la pluie qui frappe les vitres est tellement forte qu'elle étouffe les bruits de la ville quelques instants. Les éclairs cisaillent le ciel en des milieux de particules, et quand le tonnerre gronde, la terre semble s'effondrer. Au milieu de ce chaos, dans une petite chambre d'hôpital qui sent le chloroforme, YoonGi lui explique l'enquête.
« - Il y a eu une série de meurtres, à Séoul. C'est pour ça que les autres y sont restés. Six des sept meurtres ont été commis il a y a plus de quinze ans, mais une nouvelle victime est apparue récemment.
- Mon père ?
- Oui. J'en suis désolé.
- Continue, s'il te plaît. »
YoonGi regarde l'alité, qui semble tellement près du gouffre. Ses ongles rongés par l'angoisse agrippent frénétiquement les draps du lit, animés seulement par des spasmes, et son menton tremble comme s'il s'apprêtait à pleurer. Pourtant, il refuse son affection et tente d'agir en restant brave. Le devin reprend, en pointant du doigt quelques feuilles qu'il a placardées sur le mur sans autorisation.
« - C'était le même procédé que pour les autres cadavres, alors on a rouvert l'enquête. Elle n'était pas fermée, mais elle stagnait. J'ai repris les rennes en utilisant les données de mon prédécesseur. Mais elles sont assez minces, et on manque de preuves.
- C'est là que j'interviens ?
- Oui. On va déverrouiller la chaîne qui t'empêche de te souvenir de ton passé.
- Comment ?
- On va essayer différentes méthodes.
- Et ton don, il ne t'aide pas ?
- Je ne peux qu'entrevoir le futur, pas le passé. Et je n'ai pas de choses solides sur lesquelles je peux me baser, alors mes visions sont vaines. »
YoonGi hausse les épaules, résigné. Il ne ment pas quand il dit qu'il a tout essayé. Il soupire et tourne la tête vers HoSeok quand il demande, de sa voix toujours frêle :
« - C'est comment, quand tu vois l'avenir ?
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Tout. »
YoonGi sourit un peu, et se rapproche. Il pose sa main tout près de celle d'HoSeok, sans la toucher, et regarde le plus jeune.
« - La plupart du temps, je vois des choses dans mes rêves. Je pense que c'est parce que notre subconscient est plus apte à capter et interpréter les évènements qui se produisent. Il les traite et les convertit en vision plus ou moins simples à comprendre. Donc, je m'endors, rêve, et quand je me réveille, j'ai besoin de tout écrire. A Séoul, ils ont même installé une pièce recouverte de feuilles sur les murs, calfeutrée et avec un lit au centre, pour que je puisse le faire en minimisant mon temps.
- Pourquoi tu es le seul à voir ces choses ?
- Je suppose que je suis plus sensible à ce qui m'entoure que la moyenne. »
HoSeok hoche la tête, captivé. Son petit doigt effleure l'ongle du devin quand il recommence à parler.
« - Je n'ai pas une image claire et nette du coupable. C'est flou, tâché, jamais évident. Je passe les détails au crible avant d'en tirer une conclusion qui s'assemble avec les preuves. Ensuite, les autres de l'équipe interviennent avec des forces armées si c'est nécessaire.
- C'est aussi simple que ça ?
- Ca semble aisé, mais c'est très éprouvant.
- Eprouvant ?
- J'ai besoin de dormir encore, plus de vingt-quatre heures.
- Marmotte. »
Alors, HoSeok sourit franchement, puis pose deux doigts sur ceux de YoonGi. L'autre ne bouge pas, trop absorbé par le sourire d'HoSeok qui dévoile ses grandes dents et un peu de sa gencive.
Puis il attrape la main d'HoSeok de ses longs doigts.
Puis sa peau est douce contre la sienne.
Puis l'orage éclate.
Puis HoSeok s'endort, apaisé par la présence de l'autre qui semble l'éloigner des abimes.
Puis YoonGi le regarde.
Et le trouve beau.
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