Chapitre 4

L'homme qui se tient en face de moi me dévisage avec haine. Son visage est crispé et les rides trahissent son âge malgré son allure bien-portante. En fait, il me fusille du regard. Mais tant qu'il ne se sert pas du fusil qu'il me braque dessus depuis qu'il a ouvert la porte, ça me va. Puis son regard se porte sur mon ventre, il vient de remarquer la tâche de sang.

"C'est quoi ça ?

- Je viens du camp milicien d'à côté, on a été bombardés. Je suis le seul survivant et j'ai besoin d'un abri s'il vous plaît..."

Son visage se détend un peu et il abaisse légèrement le canon de son fusil.

"Vous avez besoin de quoi ?

- Juste un abri pour me reposer et plus tard un véhicule pour m'emmener à l'autre camp à l'Est d'ici."

Il fait glisser l'arme dans son dos en ouvrant la porte en grand puis me fait signe d'entrer avec sa tête. Je m'exécute. Il jette un regard inquiet vers l'extérieur puis referme la porte.

Je pénètre dans une pièce qui semble être à la fois le salon et la cuisine. Je regarde partout autour de moi, la pièce est grande.

Il y a une cheminée en face d'un canapé en cuir, une table entre les deux et des fauteuils assortis autour. Une petite télévision est posée sur une étagère au-dessus d'une table gravée sur laquelle se trouve un vase et un livre.

Côté cuisine rien d'extraordinaire, une table kitch des années 70, des chaises de la même collection et tous les meubles qui vont avec. Sans superflus.

L'homme entre dans la pièce derrière moi et m'invite à m'asseoir sur le canapé, ce que je fais sans attendre. Il pose son fusil sur la table et s'assoit sur une des chaises.

"J'ai entendu le bombardement d'ici. J'ai eu pitié. Depuis le temps que vous étiez installés ici, vous ne m'avez jamais posé de problème. Je commençais presque à apprécier votre présence. Mais les gens du coin vous adorent et, même si c'est stupide de leur part, c'est pour ça que je vais vous aider !"

Je ne sais pas quoi répondre... Je ne m'attendais pas à entendre de tels propos. Je suis perdu : qui pourrait ne pas nous soutenir ? Peu importe ! Il accepte de m'aider et c'est tout ce qui compte ! Il faut que j'arrête de vouloir tout catégoriser : le monde n'est pas manichéen.

"Suis-moi" me dit-il avant de sortir de la pièce, je me dépêche de le suivre car je ne connais pas la bâtisse. On emprunte un escalier qui mène à l'étage puis il me dirige dans la salle de bain.

"Je vais m'occuper de ta blessure, je veux pas que tu dégueulasses la voiture !"

Il s'en va après avoir lancé ça comme une bombe pour moi. Je suis donc seul dans cette toute petite salle de bain aux carreaux bleus à la mode d'une autre époque, assis sur un tabouret. Il me prend décidemment pour un moins que rien. D'habitude, je lui aurais fait remarquer en faisant en sorte que ça cesse mais là je ne peut pas, il est en train de m'aider.

Je suis donc piégé, dans cette salle de bain minuscule, dans cette ferme, avec lui : piégé de ma blessure.

Il revient avec un kit de premier secours et du matériel médical. Il le pose sur le seul meuble de la pièce et me donne un miroir à main qu'il sort d'un des tiroirs.

"Tiens lave-toi le visage pendant que je m'occupe de ton ventre"

J'observe mon reflet, je ne m'étais pas rendu compte que mon visage aussi avait été touché. J'ai du sang à moitié séché sur mon front et des égratignures partout. Rien de grave heureusement mais je fais peur à voir.

Je commence à faire couler l'eau dans la baignoire et j'en prends au creu de mes mains pour me l'apporter au visage. La fraîcheur me fait du bien. L'eau qui retombe est d'une couleur à mi-chemin entre le rouge foncé et le marron. Je continue jusqu'à ce qu'elle soit totalement translucide après être passée sur ma tête.

En même temps, mon hôte a coupé mon maillot et retiré ce qui me servait de garot. Il vient juste de terminer le nettoyage de la plaie avec un gel hydroalcoolique prévu à cet effet.

"Elle a l'air d'avoir été désinfectée, c'est toi qui l'as fait ? me demande-t-il en me lançant un regard suspicieux.

- En fait, j'ai imbibé le drap d'alcool...

- Hmmm, bon réflexe !"

Même lorsqu'il me complimente il ne montre pas le moindre signe de gentillesse : il a dit ça avec une froideur sans égale. Il observe l'intérieur de la plaie, tout en évitant de trop la toucher. Ça me lance quand même.

"Il y a un morceau de métal dedans, il va falloir que je vous le retire donc mettez vous dans la baignoire pour ne pas en mettre partout !"

Je coupe alors le robinet et m'allonge dans la baignoire bien qu'elle soit encore mouillée. Le contact avec l'eau me pique intensément dans le dos sans que je n'y trouve de raison particulière.

Il sort une aiguille et du fil et les pose sur le rebord. Une immense douleur m'envahit lorsqu'il commence à enfoncer sa main droite dans mon ventre. J'essaie de me retenir de crier en serrant les poings et les dents mais je n'y arrive pas. Je pousse des gémissements qui deviennent de plus en plus fort, j'en ai la tête qui tourne. Alors que je suis sur le point de crier pour de bon, il retire sa main et ma douleur s'atténue sans disparaitre. Puis il referme la plaie pour stopper les saignements et suture aussi celles sur mon visage.

Il se relève et se lave les mains dans le lavabo blanc pour se débarrasser de mon sang. Il me propose d'aller m'installer dans l'une des chambres pour me reposer de ma journée. Il part me chercher des vêtements pour me changer car les miens sont sales, troués et trempés. Pendant ce temps je les enlève et les laisse tomber au sol. Je prends une serviette, que mon hôte avait laissé sur un meuble, et me sèche avec. Puis j'enfile les affaires qu'il vient de me déposer.

Je sors de cette salle de bain et ouvre la porte d'en face. C'est une chambre. Je m'allonge sur le lit sans m'installer sous les couvertures.

Je réalise seulement, maintenant que je suis sauvé, et que je viens de perdre tout ce que j'avais : mon seul ami encore en vie et chef, mes camarades: ma nouvelle famille en soit; mes affaires, mon lieu de vie, mon travail (en tout cas pour l'instant)... Mais surtout mon frère de coeur...

Je ne suis pas quelqu'un de sentimental, loin de là, mais les larmes coulent abondamment le long de mes joues. Je n'ai plus de raison de vivre... avant la guerre je voulais réussir ma vie mais les conflits m'en ont empêcher alors je me suis juré de profiter de mes amis, mais je n'en ai plus... plus aucune raison de vivre... en fait si, une seule : ma promesse.

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