Chapitre 3
Un sorcier avait fait son apparition après quelques jours. L'homme s'était directement mis au travail sous la directive de Cadmus. Il usa de ses sorts élémentaires pour reconstruire la barrière et la solidifier : elle était plus épaisse, plus grande, plus imposante.
Skyrah ne distinguait plus l'extérieur du village, seuls les feuillages des arbres frôlaient la barrière. Un sentiment de tristesse l'envahit en constatant le changement : Xadis était devenu dangereux et ses habitants se réfugiaient chez eux, redoutant les conséquences de cette transformation.
Son travail terminé, le nouvel arrivant les quitta aussi vite qu'il était arrivé. Ils étaient soulagés de se sentir enfin en sécurité.
— Skyrah, l'appela Cadmus en la sortant de ses réflexions.
— Oui ?
— Il vient de Stivalls, expliqua le chef en s'approchant d'elle. Ils sont très talentueux.
— C'est vrai. C'est époustouflant de voir à quel point les végétaux répondent à son appel.
— Tu sais, Stivalls est une capitale magnifique. Il y a beaucoup de travail là-bas. Tu pourrais te reconstruire tranquillement et sans peur. Tu serais en sécurité. Et peut-être même que tu retrouveras tes souvenirs.
Il paraissait triste de dire ça. De lui avouer indirectement que la vie à Mahi était dangereuse à cause des attaques.
Anleys et lui n'avait pas pu avoir d'enfant. Il ne le pouvait pas. En découvrant Skyrah inerte sur le sol, il n'avait pu s'empêcher d'imaginer la douleur des parents qui devaient la chercher. Il avait pris soin d'elle comme sa fille. Et peut-être même qu'avec le temps, il la considérait un peu comme telle. Il se devait de la protéger. Il savait qu'à Stivalls, elle serait heureuse et épanouie. Mahi ne lui donnerait que faim et insécurité.
— Retrouver mes souvenirs ? répéta-t-elle en regardant le vide face à elle.
Elle y avait songé.
Elle s'était souvent demandé ce qu'elle ressentirait – ce qui se passerait – si jamais elle parvenait à se souvenir. Des images d'elle traversaient son esprit : elle souriait, se mettait en colère ou ressentait une grande tristesse après avoir vu son passé. Mais tout cela était vain si elle restait sans réponse. Très souvent, son imagination brulait comme une vieille photo pour être remplacé par le vide. Parce qu'il lui était impossible d'imaginer sa vie d'avant. Surtout lorsqu'elle avait vu sa peau marquée par le temps. Qui était-elle ? Qu'avait-elle fait ? Était-elle quelqu'un de bien ? de mauvais ?
Elle inspira en se rendant compte des secondes qui avaient passé sans qu'elle ne lui donne de réponse.
— Ça pourrait être une idée oui, sourit-elle.
— Rétablie toi d'abord.
Il lui offrit une petite tape sur l'épaule avant de la quitter sans rien ajouter. Skyrah resta là, dans le silence à le regarder partir.
Si elle s'en allait, que ferait-elle ? Elle ne se connaissait pas assez pour savoir quel travail lui plairait... alors se créer une vie complète ? Elle ne savait que penser sur cela et était d'autant plus perdue lorsqu'elle y songeait.
Comme prévu, elle retourna voir Barnatt afin qu'il ausculte une nouvelle fois ses plaies. Certaines ne lui faisaient plus mal, d'autres lui offraient de temps en temps des grimaces dont elle se serait passée. La jeune femme entra dans la petite maison de bois et croisa le médecin qui faisait ses stocks.
Il était là, debout devant sa grande bibliothèque. Celle-ci était décorée de nombreux livres, fioles, plantes et parchemins... Le blond posa la feuille qu'il tenait et se tourna vers Skyrah en l'invitant à s'asseoir. Il passa une main dans ses cheveux – une petite tresse tombait près de sa joue droite – et replaça ses lunettes sur son nez avant de la suivre. Il retira sa veste brun clair et mis ses gants. Barnatt commença.
Elle attendit quelques secondes avant de poser la question qui lui brulait les lèvres.
— Pourquoi es-tu devenu médecin ?
Peut-être qu'en demandant à quelqu'un, elle saurait s'aiguiller sur ce qu'elle allait faire à Stivalls ? Si elle y allait. Et si elle s'en sortait sur la route. Il était étrange de voir que sa vie n'était composée que de « si ».
Barnatt prit une pause avant de se redresser pour la regarder. Il était surpris. Mais finit par lui lancer un grand sourire avant de reprendre son travail.
— J'avais aucune intention de le devenir, avant. Seulement, les circonstances ont fait de moi un médecin.
Elle sourcilla d'incompréhension.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'autorisa-t-elle à demander.
— Quand j'étais petit, mon père a succombé à des blessures. A mes yeux il était le meilleur guerrier de Xadis. Ce jour-là, il n'était pas de taille. Il en a payé le prix fort. Il est rentré couvert de sang. On vivait dans un petit village à l'ouest, il n'y avait pas de médecin assez puissant pour le guérir. Il est mort quelques jours après.
Il prit une pause alors qu'il rangeait les bandages sur son bureau de bois.
— Je voulais devenir comme lui, un grand combattant, et lui faire honneur. Je me suis donc installé à Erswin quelques temps. Mais une épidémie a eu lieu et a fait énormément de mort. Les seuls guerriers capables de vaincre ce chaos, c'était les médecins et guérisseurs.
Skyrah aperçut l'éclat dans ses yeux alors qu'il racontait son histoire. C'était difficile, ça avait été dur pour lui. Même s'il le racontait aisément, une souffrance profonde – loin d'être guérie – se cachait derrière ses paroles.
— Mon père a succombé aux blessures comme eux succombaient à la maladie. Ils n'utilisaient pas d'épées. Ils usaient de la nature et la magie réparatrice. C'est à ce moment que j'ai changé d'avis. J'ai emménagé à Stivalls et ai commencé mes études là-bas. Je suis devenu l'apprenti d'un des meilleurs médecins de Stivalls.
Il se mit à rire visiblement fière de son parcours. Mais un détail interpellait Skyrah.
— Tu aurais pu te faire un nom à Stivalls, pourquoi être venu à Mahi ?
— Ils avaient besoin de quelqu'un et j'étais là. Ils étaient sans défense. Je n'ai jamais voulu me faire un nom. Je souhaite seulement aider ceux qui en ont besoin.
Le silence s'installa à nouveau entre eux. Son histoire était touchante et belle. Mais ça ne l'aidait pas. Au contraire, elle sentait encore plus perdu qu'avant. Barnatt avait une famille, un modèle. Elle n'avait personne. Elle redoutait le moment où elle allait devoir sortir de Mahi pour rejoindre Stivalls. Le moment où elle se retrouverait seule à la capitale de la magie et nature. Le moment où elle allait devoir se débrouiller seule dans un monde aussi vaste que Xadis. Monde qu'elle ne connaissait toujours pas aussi bien qu'elle l'aurait souhaité.
— Pourquoi toutes ces questions ? intervint l'homme en croisant les bras.
Elle tritura ses mains en canalisant ses émotions dans ses doigts.
— Cadmus espère que j'y aille une fois rétablie. Il m'a dit que c'était le mieux si je voulais me recréer une vie.
— Et qu'est-ce qui te tracasse ?
— Je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie. Tu as eu un modèle et ça ta guidé. Cadmus est né pour devenir chef et Anleys a toujours adoré les plantes. Mais moi, je ne sais pas ce que j'aime vraiment.
Comme à son habitude maintenant, elle se perdit dans ses pensées en se demandant ce que ça faisait d'être passionné par quelque chose.
— Et si tu essayais tout ça ?
— Comment ?
— Si je t'apprenais à faire des remèdes. Anleys sera sûrement d'accord pour que tu l'aides avec le potager.
— Tu m'apprendrais ? se mit-elle à sourire.
— Bien sûr. Jusqu'à ton rétablissement.
— On commence quand ?
Elle était prise d'une étrange énergie. Elle allait enfin faire autre chose qu'observer et marcher sans but. Une sorte d'excitation prenait ses entrailles en entendant sa réponse :
— Maintenant si tu veux.
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