Chapitre 1


La vie. Elle était douce à ses lèvres. Elle avait eu l'impression de se réveiller d'un cauchemar. D'une prison sans sortie. Pendant des semaines, elle était restée captive d'une geôle qui ne laissait aucune lumière traverser ses barreaux. Aucun son ne parvenait à ses oreilles. Seuls le silence et la solitude lui tenaient compagnie.

Jusqu'au jour où elle avait entendu un souffle. Son souffle. Où elle avait senti ses côtes s'ouvrir pour laisser entrer l'air. Où ses paupières, encore fermées, avaient une teinte colorée sous la lumière. Parmi toutes ces sensations qui lui avait manqué, une seule l'avait irrémédiablement ramenée à la conscience : chaque parcelle de son corps criait de douleur. Elle avait l'impression que des spectres s'amusaient à lui lacérer la peau jusqu'à l'hémorragie. Difficilement et comme une seconde naissance, elle avait ouvert les yeux sur un monde qui lui était étranger.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu'elle se laissait guider à travers les maisons comme un voyage rempli de nouvelles découvertes. Elle redécouvrait la beauté de la nature, la saveur de la nourriture, la douceur du vent, la caresse du soleil... Et mieux encore, les sons. Elle entendait chaque jour son cœur frapper dans sa poitrine. Elle entendait les rires des habitants qu'elle avait appris à connaitre. Elle entendait la symphonie des feuillages au vent.

Depuis qu'elle avait ouvert les yeux et quitté sa prison obscure, elle percevait tout avec une intensité exacerbée. La lumière éclatante et aveuglante, la forçait à plisser les paupières.

— Bonjour Skyrah, comment te sens-tu ? commença une voix féminine.

Skyrah. Un prénom bien particulier que les habitants lui avaient offert. A son réveil, elle avait perdu tout souvenir de sa vie passée. Elle avait beau avoir échappé à sa solitude muette, celle-ci restait profondément ancrée dans son cœur. N'ayant pas pu répondre à ses sauveurs, ceux-ci avaient choisi de l'appeler ainsi pour sa signification : « tomber du ciel ». Sans hésiter, elle avait accepté.

— Tu m'as l'air en meilleure forme, reprit-elle avec un énorme sourire sur les lèvres. Tu as repris des couleurs.

— Bonjour Anleys, sourit la jeune femme. C'est grâce à vous.

Anleys s'était approchée d'elle, ses bras portaient un panier de fruits tous aussi colorés les uns que les autres. Les odeurs qui s'en émanaient lui donnèrent l'eau à la bouche. Mais elle ne laissa pas la faim prendre le dessus et plongea de nouveau ses yeux dans ceux de son interlocutrice.

La femme n'était pas très grande, vêtue d'une robe bleue qui accentuait la pâleur de sa peau. Ses yeux bruns s'harmonisaient avec ses cheveux blonds, attachés en chignons sur sa tête. Anleys, femme du chef, avait fait partie de ceux qui s'étaient occupés d'elle jusqu'à son réveil et même encore maintenant. Elle lui en était reconnaissante.

— Vous allez à la réserve ?

— Je profite que le temps soit encore bon pour récupérer tout ce qui a muri.

— Je peux aider ? demanda-t-elle en remarquant trois autres personnes avec des paniers.

— Ne t'en fais pas Skyrah, rigola la femme, reprends des forces d'abord. Laisse tes blessures guérir, d'accord ?

— Oui, acquiesça-t-elle d'un mouvement de tête avant de la regarder partir.

Elle était déçue de ne pas pouvoir aider, mais savait qu'Anleys avait raison : ses plaies n'avaient pas encore guéri. Il lui était même déjà arrivé de les rouvrir à cause d'un geste trop brusque ou ample. Le médecin du village n'avait pas tardé à la réprimander à ce sujet.

Après son réveil, elle avait dû rester au lit pendant des jours – jours qui lui avaient parus interminables. Dès le moment où elle avait pu sortir, elle en avait profité pour se balader de rue en rue afin de découvrir le magnifique village de ses sauveurs.

Cette fois-ci, elle s'aventura encore plus loin entre les maisons et se retrouva devant le temple. Fait de pierre taillée et partiellement enveloppé par la verdure, elle ne l'avait aperçu que de loin, sans jamais pouvoir y entrer.

Elle ouvrit la grande porte de bois grinçante et s'avança dans la bâtisse. Elle fut accueillie par un rayon de soleil coloré qui caressait le sol à travers une immense vitre. Une fois au centre, elle put découvrir toute la beauté du lieu. A sa gauche, se dressait une splendide statue de femme, un tissu moulant ses courbes généreuses. Son côté était nourri par la vie : des plantes s'incrustaient dans la roche, fracassant le carrelage et envahissant le plafond. A sa droite, un homme grand et mince, au dos droit et à l'air froid. Sa partie demeurait vide, plongé dans une ombre constante. La construction intacte.

Au centre – juste devant la grande fenêtre qui laissait le soleil s'aventurer dans le temple – se tenait un homme. Ses mains étaient tendues devant lui et tenait une graine à gauche et un crâne à droite.

Durant ses journées clouées au lit, elle avait eu droit à une pile entière de livre pour s'occuper. Dans l'un d'eux, une légende parlait de ces trois dieux. La femme, Nuineas, représentait la vie et la création. L'homme au regard froid était Ozirdon, la mort et la destruction. Au centre, Dakléos debout avec les deux parties entre ses mains, comme une balance. Il n'était autre que l'équilibre même de Xadis. Dieu qui avait autrefois empêché la destruction du monde en arrêtant le combat qui opposait Nuineas et Ozirdon.

Elle fit quelques pas de plus et se plaça juste devant la divinité de la paix. Dans ce silence accompagné par quelques bruissements de feuille, elle se retrouva à contempler l'imposante statue en face d'elle. Ses traits étaient doux et délicats. En plongeant son regard dans ses yeux sculptés, elle ressentait une paix intérieure qu'elle n'avait pas. Malgré les apparences, Skyrah souffrait en silence de sa situation.

Elle avait été retrouvée à l'entrée du village avec d'étranges blessures sur le corps et sans aucun souvenir. Avec toute la force qu'elle possédait, il lui était impossible de ne pas sombrer dans sa torpeur. D'où venaient ses coupures ? Pourquoi semblaient-elles anormales pour le médecin du village ? Pourquoi n'avait-elle plus aucun souvenir ? Pourquoi avait-elle l'impression de passer à côté de quelque chose ? Elle-même ne savait décrire ce sentiment qu'elle ne comprenait pas.

Sans un bruit, elle s'assit par terre devant Dakléos et se perdit dans ses pensées. Il représentait l'équilibre de Xadis et ses habitants. Pourquoi en était-elle privé ? 

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