Chapitre 21

Leerian et Mishi avaient couru pour se réfugier à l'intérieur du château. Ils s'arrêtèrent tout juste après les portes et s'appuyèrent contre un mur, le temps de reprendre leurs souffles. Mishi était plié en deux, un poing contre ses côtes et le teint rouge. Leerian, pour sa part, regardait droit devant lui en s'efforçant de surmonter son étourdissement. La plaie sur sa tempe saignait encore et dégoulinait lentement le long de sa joue.

Les lutins s'engouffraient à l'intérieur en courant, passant près d'eux sans plus leur accorder d'importance. Un danger bien plus grand rôdait dehors.

L'elfe avec un pouvoir élémentaire de la terre termina la marche. Elle s'arrêta tout juste devant Leerian, les mains sur les hanches. Son air sévère de tout à l'heure ne l'avait pas quitté, même qu'il semblait encore plus intense.

— Désolé, fit Leerian alors qu'elle ouvrait la bouche. Ce n'était pas prévu.

— Tu rigoles, que ce n'était pas prévu ! s'exclama la fille d'un ton sarcastique. Qu'est-ce qu'on doit faire, maintenant ? Hein ? J'ai failli te tuer, dehors. Alors si moi, je suis passé si près, ne viens pas me faire croire que tu peux te battre contre un géant. Même les djinns ont peur des géants, merde ! On va tous mourir !

— C'est toi qui l'as attiré ici en faisant autant de bruit ! intervint Mishi. Ne fais pas comme s'il faut mettre tout le blâme sur son dos. C'est vous qui êtes chez lui ! Et ne viens pas dire que vous y étiez depuis plus longtemps. Ce château lui appartient de droit depuis trois-mille ans !

L'elfe ouvrit la bouche, la referma, cligna bêtement des yeux, puis reprit en pointant Mishi du doigt :

— Et toi... c'est toi qui as ensorcelé tous ces mecs, dehors. Ils seront les premiers à crever. J'espère que tu les auras tous sur la conscience.

— C'est moi qui le lui ai demandé, fit Leerian en se plaçant devant Mishi d'un geste protecteur. S'ils meurent, ce sera ma faute, et celle de personne d'autre. Enfin... peut-être un peu de la tienne aussi.

— Oh, il est galant, en plus, fit l'elfe d'un ton sarcastique.

Leerian lui lança un regard noir, lui faisant bien comprendre qu'il n'avait pas le temps de plaisanter. La fille ravala sa salive et s'éloigna d'un pas. Leerian en profita pour s'approcher de l'entrée, juste assez pour glisser un oeil dehors.

Le géant était toujours sur le flanc de la montagne. Les sapins sur son chemin lui atteignaient tout juste les hanches. Sa peau avait la couleur de la glaise, d'un brun rougeâtre. Un simple pagne lui recouvrait les jambes jusqu'aux genoux, et il portait un manteau sans manche fait de fourrure de loup, ouvert sur son ventre rebondit.

Il se dirigeait vers la route de pierre qui menait au château. Peut-être bien qu'il n'y avait vu personne et qu'il ne ferait que passer son chemin. Que viendrait-il faire ici, de toute façon ? Il était trop grand pour y entrer par la porte. En revanche, il y avait toujours tous ses hommes ensorcelés par Mishi, inconscients et complètement à sa merci.

Leerian avait donc deux options. Rester cacher et attendre qu'il parte simplement. Ou sauver ses gens, risquer de se faire remarquer... et s'il le remarque... qu'est-ce que le géant fera de lui ?

Dehors, chaque pas du géant faisait trembler la montagne. Un cerf sortit des bois en courant, alarmé par ce raffut, et le géant le vit. Il fit une sorte de grognement de dédain, et il n'eut qu'à se pencher pour attraper l'animal et le fourrer dans sa bouche. Seules ses pattes de derrière dépassaient. Il envoya quelques coups, en vain. Le géant mâcha, croquant le cerf comme un chips. Leerian entendu, à près de cinq-cents mètres de là, les os de la bête craquer, accompagner d'un unique bêlement d'agonie.

Leerian recula à l'intérieur du château, puis pressa une main sur son ventre, s'efforçant de calmer l'envie de vomir qui montait en lui.

— Je suis désolée pour tous ses hommes, dehors, dit Mishi dans un murmure, qui avait tout vu elle aussi. Mais on ne peut rien faire contre ce monstre. Il faut se cacher et attendre qu'il passe son chemin.

— Ce sont mes amis, grommela la fille. (Elle soupira, avant de reprendre :) Soit, on se cache. Et quand il sera parti, , je te ferais ta fête. C'est compris ?

Leerian lui lança un regard noir. Elle pointait Mishi d'un doigt provocateur sur sa poitrine. Celle-ci s'empourpra, sans répliquer.

— Hé, intervint Leerian. Je t'ai déjà dit que c'est à moi qu'il faut en vouloir. Comme t'as dit ; on reprendra ça quand il sera parti. Toi et moi. Pas Mishi. C'est clair ?

Leerian leva la main devant lui. La fille roula des yeux en soufflant une mèche de ses cheveux noirs, puis serra la main de Leerian pour seller l'arrangement.

— D'ici là, prends soin de Mishi, d'accord ?

Celle-ci grimaça, sans comprendre le sens de la demande. Elle tenta de retirer sa main, mais Leerian la pressa plus fort, l'empêchant de partir.

— Jure-moi de la protéger, au moins pour la prochaine heure !

— Mais pourquoi tu lui demandes ça ? s'exclama Mishi. Attends... tu ne vas quand même pas sortir ?!

— J'ai commis une erreur. Il faut bien que j'essaie de la réparer, dit Leerian d'un haussement d'épaules.

— Non !

— C'est d'accord ! fit la fille, les yeux brillants et un large sourire au visage. Je vais prendre soin de... elle.

— Mishi, fit celle-ci d'un ton grognon. Et je n'ai pas besoin de protection.

— Bien sûr que non, dit Leerian. Je sais que tu es forte. Mais mieux vaut en avoir trop que pas assez. Dana et Egrim ne sont pas là pour couvrir nos arrières, cette fois.

Mishi rougit, sans répliquer. Leerian se tourna à nouveau vers la fille.

— Comment tu t'appelles ?

— Sabriel.

Leerian hocha la tête et lui lâcha enfin la main. Il se tourna ensuite vers les lutins, dont certains s'étaient appuyés contre un mur une dizaine de mètres plus loin. Il s'avança de quelques pas, et les lutins levèrent aussitôt leurs couteaux dans sa direction.

— Hé, paix, fit Leerian en s'arrêtant. Trêve. J'ai un plan pour sauver vos amis. Vous voulez bien m'écouter ?

Les lutins s'échangèrent des regards entre eux. Comme aucun ne semblait prêt à attaquer, Leerian continua :

— Je vais distraire le géant. Je vais essayer de l'entrainer plus loin, aussi loin que possible. Profitez-en pour ramener ces gens à l'intérieur. Vous serez invisible, de toute façon ; vous ne risquerez rien !

Leerian tourna les talons avant même de laisser le temps aux lutins de répondre. Il se précipita vers l'entrée, mais Mishi s'élança devant lui et l'attrapa par le bras.

— C'est dangereux !

— J'ai vu pire, fit Leerian d'un ton banal. Ça va aller.

— Ouais, comme la dernière fois sur Thrasryall ! répliqua Mishi avec sarcasme.

— Ça va aller, je te dis, t'inquiète ! Cette fois-là, j'étais... pas moi-même. Là, je suis en pleine forme.

— Mais...

Leerian l'interrompit d'un baiser rapide sur les lèvres. Il la serra contre lui, puis la poussa doucement vers Sabriel.

— Empêche-la de me suivre.

Leerian se précipita à l'extérieur, fonçant sur la route de pierre comme une fusée. Mishi tenta encore une fois de s'élancer derrière lui, mais Sabriel lui attrapa aussitôt le bras et la ramena à l'intérieur.

— Laisse-moi le suivre ! s'exclama Mishi en se débattant. Il va avoir besoin d'aide !

— Je te laisse partir si tu me dis ton plan.

Mishi ouvrit bêtement la bouche. Elle n'avait aucun plan, autre que suivre Leerian à la trace et potentiellement se mettre dans ses pattes.

Sabriel profita du silence pour la ramener plus profondément dans le château. Mishi fut incapable de se défendre.

*

Leerian était de retour près de l'ancienne statue, à côté de l'énorme bloc de pierre que Sabriel lui avait presque fait tomber sur la tête. Il prit le temps de l'observer en faisant la moue. C'était ce qui avait créé un petit tremblement de terre, attirant à eu un géant – rien de moins ! Est-ce que c'était vraiment sa faute ? Ou celle de Sabriel ? Il faudrait en débattre, mais pour l'heure, Leerian était plutôt enclin à se blâmer. Les géants, ce n'était pas une mince affaire à gérer. Il savait qu'il y en avait dans les montagnes d'Emyskan, et qu'ils étaient techniquement dans les montagnes. Mais ils étaient tout de même à Celeyste, avec son château à deux pas d'ici. Il aurait dû garder ce danger en tête et agir en conséquence ; ne pas faire de bruit !

Encore là, ce n'était pas lui qui avait fait tout ce raffut. C'était Sabriel.

Leerian serra les poings, autant de frustration que d'appréhension. Car le géant s'approchait toujours. Il avançait droit devant. C'était à croire qu'il allait passer son chemin sans même le remarquer. Mais s'il continuait vraiment en ligne droite, il allait marcher directement sur la dizaine d'elfes et d'hommes, ensorcelés et inconscients. Il allait peut-être se pencher pour les manger, ou alors les piétiner. Mais il allait forcément les voir d'un instant à l'autre. Il y avait bien des chances qu'il n'en fasse rien, mais la possibilité qu'il fasse quelque chose obligeait Leerian à agir, peu importe comment. Il devait l'éloigner d'ici.

Leerian prit une longue inspiration et expiration. Ça y est. Un contre un avec un géant. Ce sera fun.

Il mit ses mains en portevoix et s'écria :

— Hé, mon grand ! Regarde, je suis ici !

Le géant s'arrêta de marcher et leva sa grosse tête vers Leerian. Ses sourcils, énorme et broussailleux, se froncèrent de colère. Un grognement s'échappa de ses lèvres, et il bifurqua aussitôt dans sa direction.

Chaque pas faisait vibrer le sol, Leerian ressentant les percussions jusque dans ses os. Il ravala sa salive de nervosité, puis tourna les talons et partis en sprintant le long de la route de pierre.

La bonne nouvelle était que la distraction fonctionnait très bien. La mauvaise ; même en marchant, il était aux bottes de Leerian en courant. Ses jambes étaient si grandes ; celle de Leerian, en comparaison, n'était pas plus longue que ses orteils.

Leerian commença doucement à paniquer en réalisant l'évidence ; il ne pourra jamais le semer. Son plan, pourtant simple, était alors impossible. Il ne pouvait pas l'entrainer loin, puis se cacher quelque part, attendant que les lutins sauvent les gens – s'ils en ont le courage, ce dont Leerian n'était pas certain. Il n'aurait pas d'autre choix que se battre contre le géant... et Leerian ne savait même pas si un elfe avait déjà gagné un tel combat. Ni un loup-garou. Ou un djinn.

Est-ce que c'était seulement possible de survivre ?

— Chris ! s'exclama Leerian d'une voix aigüe. Chris, ramenez-vous ! J'ai besoin d'aide !

Le sol trembla sous les pas de Leerian, si fort qu'il s'effondra à genoux. Il se redressa en vitesse et bondi de côté ; un énorme pied de deux mètres de long s'écrasa où il était une seconde plus tôt. Il eut soudain l'impression d'être un cafard aux yeux du géant, qui s'efforçait de tuer un insecte envahissant.

Leerian se précipita entre les jambes du monstre, se retrouvant alors dans son dos. Le géant le perdit de vue, et Leerian profita de la seconde de répit pour lancer un regard vers le château. Il avait parcouru au-dessus de cinq-cents mètres, et les gens étaient toujours en un tas près de l'entrée.

Il ne prit pas le temps de vérifier s'il y avait eu du mouvement ; il préféra continuer de courir, s'éloignant jusqu'à la limite de cette route de pierre. Mais le bout du chemin était déjà tout près ; bientôt, fuir ne serait plus une option.

— CHRIS ! hurla encore Leerian. À L'AIDE !

Le géant grogna, et Leerian sentit une masse s'abattre sur lui. Ses poumons se vidèrent d'un coup, et une douleur paralysante le percuta sur tout le côté gauche. Le monstre l'avait frappé d'une seule claque, l'envoyant valdinguer contre un arbre en bordure de la route.

Leerian leva les yeux devant lui. Le géant le dominait, aussi surement qu'une montagne vivante. Il tendit la main pour le cueillir, de la même façon qu'il avait attrapé le cerf, un peu plus tôt, pour le manger.

Repenser à l'animal fut le coup de fouet qui permit à Leerian de se relever. Il savait que fuir était impossible ; la seule autre option, c'était de se battre.

Leerian brandit son épée et l'envoya d'un coup contre la main du géant. La lame ricocha, renvoyant un éclair de douleur dans son poignet, et l'arme lui glissa des doigts. Mais le géant rugit tout de même et recula d'un pas, laissant juste assez de temps à Leerian de foncer récupérer son épée et se mettre derrière lui.

Il avait mis toute sa force dans ce coup. Son intention était même de lui trancher la main. Il avait tout juste réussi à lui faire une papercut, et surtout, à amplifier la colère du monstre.

Ce n'est vraiment pas mon jour de chance ! pensa Leerian, qui rigola intérieurement. Mais j'ai connu pire.

— T'es où, Chris ? J'ai besoin de toi !

Leerian commençait à fulminer. Pourquoi le djinn ne se ramenait-il pas ? Il lui avait bien dit qu'il continuerait de veiller sur lui, qu'il viendrait – peut-être – s'il l'appelait. Il ne le laisserait tout de même pas crever, après toute la misère qu'il s'était donnée pour lui ?

Ça ne peut vouloir dire qu'une chose ; je n'ai pas besoin de lui, il sait que je vais me débrouiller. Reste plus qu'à le prouver !

Comme sur Thrasryall. Leerian n'avait jamais passé si près de la mort que dans ce stupide pays, pourtant, le djinn savait qu'il survivrait. Mais est-ce qu'il allait se rendre au même point ? Il espérait que non !

Leerian lança un regard en direction du château. Trop de vies étaient en jeu quant à l'issue de se combat ; Mishi, tout d'abord, et tous les gens qu'elle avait ensorcelés à sa demande. Les lutins. Sabriel. Et les pierres. Leerian n'avait pas particulièrement envie que le géant détruise le peu qui restait de sa maison. Même qu'à cette idée, un vent de colère lui fit couper le souffle pendant une seconde. C'est alors seulement qu'il réalisa que, peut-être, le château Celeyste ne survivrait pas au passage de ce monstre. Et le seul moyen d'assurer la sécurité des lieux, c'était d'éliminer la menace.

Toutes ses pensées lui étaient venues en une seconde. Leerian leva son épée et plongea vers la cheville du monstre sans avoir besoin de se pencher, et le géant envoya un coup de pied au même moment. Leerian fit un vol plané et tomba dos au sol, le souffle coupé. Il entendit plutôt que ressentir sa tête frapper durement la pierre, comme si quelqu'un à ses côtés avait reçu le coup à sa place. Sans attendre, il se releva et courut pour se remettre derrière le géant.

Leerian savait que, sur le coup de la colère, il était quasi invisible. Comme cette fois avec les trolls ; bien que l'évènement eût plombé le reste de son existence, ça lui avait aussi, en quelque sorte, remonté son estime. Il savait se battre d'une façon instinctive, quand il ne pensait plus à rien d'autre qu'à assouvir une vengeance. Pourtant, pour une raison mystérieuse, il n'était pas dans le bon état d'esprit. Il n'arrivait pas à provoquer une semi-transformation qui amplifiait sa force, alors même que le phénomène s'était produit un peu plus tôt dans la journée.

Manque de motivation. Comme si la destruction de mon château n'était pas suffisante ! À quoi je dois penser pour...

Le géant lâcha soudain un grognement bestial, qui refila la chair de poule à Leerian. Il bondit de côté pour éviter un coup, mais réalisa avec un temps de retard qu'il n'était pas attaqué ; le géant se tenait le visage à deux mains, comme si quelque chose lui avait fait mal. Puis, quelque chose tomba au sol, au milieu d'une marre de sang. Leerian lança un regard vers le monstre, s'assurant qu'il n'allait pas lui tomber dessus dans la seconde, puis courut pour voir de plus près.

C'était une flèche, la pointe de pierre complètement rouge.

D'autres flèches fusèrent, toutes vers la tête du monstre. Quand il écarta ses mains pour rugir de colère, Leerian constata qu'il en avait deux plantés dans le même œil.

Mishi !

Une ombre passa au-dessus de lui. Paniqué, Leerian leva la tête et remarqua un gros rocher flotter dans le ciel. Bien qu'il ne vît pas le dessus, il sut que Mishi y était perché, son arc en position.

— Allez, Celeyste ! Montre-nous ce que tu sais faire !

C'était la voix de Sabriel. Sans se retourner, les yeux toujours rivés sur le monstre, Leerian serra les poings, sentant la colère tant attendue monter en lui à pleine vitesse.

Maintenant, Mishi était en danger. Et le meilleur moyen de la protéger, c'était de faire de même pour Sabriel, puisqu'elle la tenait en l'air à près de quinze mètres. Le mieux, c'était de tuer le géant sur le champ.

Leerian se tourna vers Sabriel, rien qu'un instant, pour lui lancer un regard noir. L'elfe doté, qui était à bonne distance derrière lui, eut une grimace de peur et recula d'un pas.

Leerian ne s'attarda pas sur son étrange comportement ; il reporta son attention au géant, grogna de mépris, et sprinta à sa rencontre.

Le géant avait toujours une main sur son visage, un œil crevé et du sang dégoulinant sur sa joue. De son autre, il s'efforçait d'atteindre Mishi qui lui lançait ses dernières flèches. Elles ricochaient sur la paume du monstre tel des cure-dents, il semblait à peine s'en rendre compte. Leerian profita de la distraction pour escalader sa jambe ; le géant se mit aussitôt à sautiller, essayant de l'attraper, mais Leerian grimpait comme une araignée. Il monta sur son dos, s'agrippant au poil de son manteau de fourrure, continua vers son épaule, puis sa tête. Le géant envoya une claque sur son crâne ; Leerian se laissa tomber, se soutenant d'une poignée de ses cheveux, et se balança jusqu'à son œil gauche, celui qui n'était pas déjà crevé par les flèches de Mishi.

Le tout se produisit en une seule seconde. En même temps de se laisser tomber, Leerian sortit son épée de son fourreau, la brandit devant lui, et la planta dans l'œil. Le géant renâcla, Leerian lâcha prise et se réceptionna sur le bras du monstre. Il sauta, propulsé par le mouvement du géant, et donna un puissant coup de pied sur la garde de l'épée, qui s'enfonça jusqu'au manche dans son crâne.

Leerian continua la chute jusqu'au sol, à plus de dix mètres. Il se mordit la langue à l'impacte et tomba à genoux, une onde de douleur se répercutant dans tout son corps. Il se força tout de même à lever les yeux ; le géant était complètement figé, une grimace horrifiée sur son large visage. Puis, lentement, il se mit à flancher. Leerian se releva en vitesse et courut vers Sabriel.

— Éloigne-toi ! Et ramène Mishi !

Sabriel, hypnotisé par le spectacle, réalisa l'urgence du moment en avisant Leerian se précipiter vers elle. Elle tourna les talons et retourna vers le château à pleine vitesse, la grosse pierre la suivant de près au-dessus de sa tête. Maintenant, Leerian pouvait vraiment la voir ; Mishi y était perché, à quatre pattes et son arc sous la main.

Derrière eux, le géant acheva de tomber. Le sol trembla si fort que Leerian perdit pied, et Sabriel s'effondra comme une crêpe. Sa concentration flancha, et la pierre qui soutenait Mishi se mit à dégringoler. Mishi hurla ; Leerian se releva aussitôt et courut à la vitesse de l'éclair, fit un bond de deux mètres et attrapa sa sirène en plein vol. Il se réceptionna tout juste devant Sabriel, Mishi dans les bras, le souffle court et les cheveux dans les yeux.

— Mishi ! Tu vas bien ?!

Mishi hocha la tête, les yeux écarquillés et la bouche bêtement entrouverte.

Leerian lui tâtait le visage et les épaules, cherchant une blessure sans pourtant en remarquer la moindre. Mishi, elle, regardait derrière Leerian le monstre qui s'était effondré, vraisemblablement mort.

— Wow, fit Mishi avec lenteur. T'as tué un géant.

— Pas sans ton aide, dit Leerian avec un sourire de travers.

— Je... je l'ai juste un peu distrait.

— Tu es trop modeste.

Mishi surmontait le choc ; elle referma la bouche et redressa le dos, reportant son attention sur Leerian. Lui avait toujours ses mains sur les épaules de la sirène ; le regard vitreux et le souffle court. Et ses pupilles brillaient d'une lueur sanglante.

Mishi lança un coup d'oeil nerveux vers Sabriel, qui était tout juste à ses côtés. Elle risquait de le remarquer. Mishi tenta de se décaler sur la gauche, espérant entrainer Leerian à tourner le dos à la doté. Au contraire, il se redressa vivement vers elle, un doigt pointé sur sa poitrine et la mâchoire serrée de rage.

— Pourquoi tu l'as emmené ici ?! Je t'avais dit de la protéger ! Qu'elle reste au château ! Mais ça va pas bien, dans ta tête ?!

Sabriel recula d'un pas. Elle semblait avoir encore plus peur maintenant que confronté au géant.

— Leerian, fit Mishi en lui prenant le bras. Calme-toi. C'est moi qui l'ai convaincu de le faire. Tu étais en train de perdre !

— Ce n'est pas vrai ! J'avais la situation parfaitement en main !

Leerian leva les mains devant lui pour illustrer ses propos, puis figea en remarquant ses doigts terminés par de puissantes griffes. Leerian sentit son cœur rater un battement ; au même moment, ses griffes redevinrent des ongles incrustés de sang et de poussières.

— Est-ce que... t'es un loup-garou ? demanda Sabriel d'une petite voix timide.

— Non, fit simplement Leerian en tournant le dos à Sabriel. Mais si tu le répètes à tes petits copains, je te tue.

— Oh, mes djinns... ça explique vraiment tout.

Leerian serra les poings. Il avait envie de gueuler contre elle, de la menacer de toute sorte de choses si elle rapportait son secret. Mais alors que sa force surnaturelle de loup-garou retournait se tapir en lui, la fatigue et l'étourdissement montaient. Il ferma les yeux en soupirant, puis se frotta les mains sur son visage sale de terre et de sang.

— Leerian, il faut que tu te reposes, maintenant, dit Mishi d'un ton bienveillant.

— Non, je...

Leerian fut incapable de s'empêcher de bâiller. Sa tête s'était mise à tourner de plus en plus. Mishi le prit par le bras et l'aida à s'asseoir directement au sol.

— Je ne dirais rien, dit Sabriel. Je vais garder le secret.

— Tant mieux... Sinon...

— Tu vas me tuer, je sais.

Leerian tomba sur le dos, les membres en croix, lâchant un second bâillement. Mishi s'agenouilla à ses côtés et se pencha à son oreille.

— Je sais que c'est épuisant, mais tu en fais un peu trop, là. Tu ne vas quand même pas t'endormir ici, à côté du cadavre du géant ?

— Peut-être bien...

Mishi lança un regard en direction de Sabriel, qui lui renvoya un haussement d'épaules penaud. Elle ignorait quoi faire ; laisser Leerian se reposer, ou le trainer à la force de ses petits bras vers un coin plus à couvert ? Non, il pouvait bien se déplacer lui-même comme un grand. S'il avait su rester – plus ou moins – éveillé quand ils étaient sur Thrasryall, il pouvait en faire tout autant maintenant.

Mishi ouvrit la bouche, s'apprêtant à le gronder pour qu'il arrête de plaisanter. Mais au même moment, un cri attira son attention. Elle leva la tête, vite imitée par Leerian, trop curieux pour faire semblant de dormir. Au loin, au bord de la forêt, quatre personnes dévisageaient l'énorme cadavre de vingt mètres de long.

— Est-ce que c'est un géant ?! s'exclama la blonde en première ligne.

— Est-ce que c'est Danayelle ? fit Mishi en plissant les yeux.

— Peu de chance, fit Leerian en se couchant à nouveau au sol. Mais ça lui ressemble drôlement.

Puis il lâcha un grand soupire, se tourna de côté et se mit enfin à dormir. 

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