Chapitre 2

Leerian n'avait qu'un sac en guise de valise. Tout, dans l'appartement – ou prison – qui était sien, au quarantième étage de la tour des djinns, n'était pas réellement à lui. Tout ce qui lui appartenait, c'étaient quelques vêtements et, bien sûr, son épée d'or, d'argent et d'émeraude, dont il portait à la ceinture, et la bague de ses ancêtres.

Le lendemain matin de la révélation de Chris, Leerian n'arrivait toujours pas à y croire. Il allait retourner chez lui. Sa sentence était terminée. Et c'était, indirectement, grâce à Tys. Le télépathe, en fait, n'était même pas son ami. Une connaissance, à la rigueur, ou un compagnon d'infortune. Ils ne s'étaient jamais partagé de longues conversations. Comment avait-il fait pour savoir tout ce qu'il avait ensuite écrit dans son article ? Danayelle et Egrim avaient dû lui en parler, mais tout de même pas à ce point... Ou avait-il deviné ce qui n'avait pas été dit, grâce à ses dons ?

Leerian était assis sur son lit, son sac de voyage sur les genoux. Il attendait l'arrivée de Chris, qui était en train de planifier son départ. Le regard dans le vague, il avait à peine conscience de fixer le calendrier, sur le mur, ensorcelé pour cocher les journées qui passaient, de sorte que Leerian ne risquait pas de manquer la pleine lune. Avec un temps de retard, il se leva, le décrocha et le mit dans son sac.

Un léger coup contre la porte le fit sursauter. Danayelle était là, la tête dépassant de l'ouverture. Elle semblait sérieuse, presque triste. Leerian trouva d'abord que c'était étrange, puisqu'il retournait chez lui, où il avait toujours voulu être. Mais rapidement, il réalisa que le contraire l'aurait dérangé, sans vraiment comprendre pourquoi.

— C'est le grand départ ?

Leerian baissa le regard vers son sac. Il le referma, le passa à ses épaules, puis s'assis à nouveau sur le lit.

— J'attends Chris. Il devrait apparaître d'un instant à l'autre.

— Je sais. Il est devant l'immeuble, il m'a permis d'entrer.

Danayelle s'avança d'un pas. Leerian se détourna en soupirant platement.

— Je ne sais pas pourquoi, mais... je n'arrive pas à me réjouir d'être enfin libéré.

— On risque de te regarder de travers, si tu dis ça. Et pourtant... je te comprends. On ne se verra plus, dès que tu seras parti.

— Tu me rendras visite ?

— À Celeyste ? Peu de chance ! fit Danayelle en pouffant de rire. Trop de bestioles, en forêt.

— Tu n'es pas crédible. Tu m'as suivi jusqu'à Thrasryall, je te rappelle.

Danayelle rougit tout en se balançant sur ses pieds. Elle ne savait plus quoi dire pour sa cause.

— Je vais me perdre, dit-elle enfin. C'est trop grand, Celeyste. Et puis... justement, je t'ai suivi sur Thrasryall pour t'aider, être avec toi... et tous les autres. Mais aller à Celeyste seule... je ne retrouverais jamais mon chemin.

Leerian esquissa un sourire. Il était vrai que Danayelle n'avait aucun sens de l'orientation.

— Fais le même chemin que la dernière fois. Va à Lunacader, puis descends en ligne droite.

— Leerian, ça me touche que tu veuilles à ce point que je te rende visite à Celeyste... mais il y a assez peu de chance.

Leerian hocha la tête, sans rien ajouter. Il avait conscience d'argumenter pour rien, mais c'était plus fort que lui ; Danayelle allait lui manquer. En dehors de Mishi, elle était sa meilleure amie.

— Je t'ai apporté un petit cadeau, dit-elle enfin. Pour que tu puisses continuer de t'entrainer à lire.

Danayelle disparut par la porte de sa chambre. Intrigué, Leerian se leva et la suivit à la pièce principale, au centre de sa prison. Sur la table était étendu cinq livres, allant des contes pour enfants jusqu'à l'énorme roman de fiction.

— Plusieurs niveaux de difficulté, dit-elle en pointant chaque livre. Et celui-là, dit-elle en s'arrêtant sur le dernier, c'est mon préféré. Ça se passe principalement dans le monde des hommes, mais il y a tout de même un peu de magie. Et un djinn. Certains prétendent que ça s'est réellement produit, mais la djinn concernée ne s'est jamais prononcé.

Leerian prit le livre dans ses mains. Il devait faire plus de trois-cents pages.

— J'en ai pour des lustres à déchiffrer ça.

— Un cadeau qui dure longtemps, c'est un bon cadeau.

— C'est vrai.

Leerian s'avança soudain d'un pas avec l'intention de la serrer dans ses bras, mais fut stoppé par l'apparition de Chris, directement entre eux. Leerian figea, à deux doigts de faire l'accolade avec le djinn. Chris sourit en tendant les bras à son tour, et Leerian rougit en reculant.

— Ton carrosse est prêt, altesse. Et toi, t'es prêt ?

Leerian se mordit les lèvres de nervosité. Il prit rapidement les cinq livres sur la table et les plaqua contre lui, comme un trésor inestimable.

— Oui, fit-il dans un souffle.

Sans répondre, Chris posa une main sur Leerian et une autre sur Danayelle, et tous disparurent dans une téléportation.

Le temps de cligner des yeux, le paysage avait complètement changé. Plutôt que d'être à l'intérieur de la tour, au quarantième étage, ils étaient tous dehors, au pied de l'édifice, sur le trottoir. Leerian fut d'abord agressé par la lumière vive du soleil se reflétant sur les bancs de neige et miroitant sur les fenêtres des immeubles, avant que la vue ne lui revienne et qu'il remarque la foule devant lui. Sa bouche s'en décrocha ; il se reprit et redressa le dos, s'efforçant d'avoir l'air moins misérable qu'il ne l'était vraiment.

Trois grosses voitures noires s'alignaient devant lui, entourées d'elfes et d'hommes en tenue de sécurité, avec les lunettes fumées et les oreillettes. Au-delà, derrière des barrières de bois, plusieurs centaines des gens, toutes races confondues, l'observaient avec le même intérêt qu'un animal exotique. Aucun ne faisait le moindre son, le moindre mouvement ; ils dévisageaient Leerian, sans plus. Leerian leur renvoya leur regard intrigué. On dirait une bande de zombies.

Une main se posa sur son épaule, puis Chris se pencha à son oreille.

— Va dans la voiture.

À ses mots, l'un des hommes de sécurité ouvrit la portière arrière de la voiture du milieu. Leerian soupira ; même en sortant de la tour, tous ses faits et gestes étaient surveillés à la loupe.

Leerian ignora Chris et se tourna vers Danayelle pour lui faire l'accolade qu'il n'avait pu faire quelques instants plus tôt, avec un seul bras puisque l'autre tenait toujours les livres. Danayelle sourit et répondit à son éteinte.

— Amuse-toi bien en forêt, Leerian. Tu vas me manquer...

Le câlin d'adieu était trop long au gout de Chris. Au bout de cinq secondes, il les sépara sans ménagement et poussa Leerian en direction de la voiture. Leerian lança un dernier regard vers Danayelle, debout sur le trottoir, semblant drôlement seule au milieu des agents de sécurité. Puis il entra enfin dans la voiture.

Chris claqua la portière. Leerian resta immobile un moment sur la banquette, observant son nouvel environnement avec impassibilité. Lentement, il tourna la tête à gauche pour remarquer... Chris, bien étendus dans son coin et un verre d'alcool à la main, où il n'y avait personne une seconde plus tôt. Leerian fronça bêtement les sourcils, puis regarda dehors, où Chris aurait dû être.

— Eh oui, je suis encore là, dit Chris avec amusement. Tu croyais que je te laisserais seul aussi rapidement ?

Leerian répondit d'un simple grognement. Il posa les livres sur l'espace restant de la banquette, remonta son sac sur ses genoux, et entreprit d'y mettre le cadeau de Danayelle à l'intérieur.

— J'ai quelques petits trucs à t'expliquer, avant que tu ne nous quitte à tout jamais. Parce que, tu t'en doutes, tu ne seras pas libre à cent pour cent.

— Hun, hun.

— Premièrement, je serais toujours là à t'observer. Pas physiquement, mais... je garde un œil sur toi.

Chris marqua une pause. Comme Leerian rangeait ses livres avec une infinie précaution dans son sac, il continua :

— Tu sais, maintenant, toutes les règles de la société s'appliquent à toi aussi. Si tu fais un autre meurtre, c'est retour en prison. Et je serais beaucoup moins gentil avec toi !

La voiture démarra, puis s'engagea sur la route. Leerian prit sur lui pour ne rien laisser paraître de ses émotions. Chris fronça les sourcils, ennuyé du manque de réaction de son protégé.

— Tu n'as plus le droit de sortir de Celeyste. Si tu dépasses la forêt d'un seul pas, mes hommes te tomberont dessus et te ramèneront à Stanmore par la peau des fesses.

— J'ai le droit de sortir de Celeyste si, justement, je voulais aller à Stanmore ?

— Euh... pourquoi tu ferais ça ? bredouilla Chris, pris au dépourvu. Tu détestes Stanmore.

— Je sais. C'était pour te poser une colle. D'ailleurs, j'aimerais bien connaitre ta définition de Celeyste. Ses frontières sont un peu flexibles. Il y a une partie des bois qui touche Lunacader, Buragh, Yglas. J'ai même un petit bout des montagnes d'Emyskan.

Chris pinça les lèvres tout en levant les yeux au ciel. Leerian en était conscient ; Chris n'appréciait pas vraiment se faire assaillir de questions. Mais Leerian éprouvait un malin plaisir à l'embêter, plus qu'il n'en avait jamais eu. Peut-être parce qu'il avait l'impression que son départ de Stanmore, trop soudain, ressemblait plus à un rêve qu'à la réalité. Il se permettait de jouer les insolents comme si ses paroles n'entrainaient aucune conséquence.

Chris leva les mains ; son verre de Whisky disparut, remplacé par une carte du pays. Dans l'autre, une plume rouge apparut. Il posa le tout sur ses genoux, traça un gros cercle autour de la forêt, puis la pointa à Leerian.

— Tu vois, ça ? C'est la limite.

— C'est vague.

— Ah, tu crois ? Tu crois que c'est juste un cercle sur une carte ?!

— Oui.

Chris éclata d'un rire drôlement machiavélique. La carte disparut avant même que Leerian ne pût s'approcher pour l'étudier ; son Whisky réapparu, il en prit trois grandes gorgées, puis se pencha vers Leerian, trop prêt au gout de l'elfe qui se recula contre sa portière.

— Tu comprendras ce que c'est si tu essaies de quitter Celeyste. Oui, tu comprendras !

Il est en train de me jouer un tour digne d'un djinn, pensa alors Leerian, faisant de son mieux pour ne pas laisser paraître ses angoisses. Quoi qu'il advienne ; ne jamais tenter de trouver la limite. On reste au centre de la forêt !

— Tu ne verras rien en arrivant Celeyste, bien sûr, continua Chris d'un ton plus posé. Je garde le suspense pour le moment venu.

— Bien sûr, répéta Leerian avec circonspection.

Une question brûlait aux lèvres de Leerian. Elle lui tournait en tête depuis la veille, mais, étrangement, elle était encore plus persistante à ce moment précis. Il ne voulait pas la poser ; il avait déjà ébranlé Chris avec ses limites de la forêt, et il n'avait pas envie d'attiser sa colère. Pourtant, leur séparation approchait. C'était maintenant ou jamais.

— Je peux vous lancer une dernière question ? dit Leerian avec lenteur.

— Oh, je ne sais pas, grommela Chris. Tu m'ennuies.

— Pourquoi me ramener de force à Celeyste ? demanda-t-il tout de même. À cause d'une pétition, je sais, mais moi, je n'ai pas mon mot à dire ? Enfin, je suis content de retourner chez moi, mais... (il haussa banalement les épaules, avant de reprendre :) j'étais quand même bien, dans la tour. J'avais... presque tout.

— Presque ?

— Je n'étais pas libre... mais je ne le serais pas à Celeyste non plus.

— C'est vrai. Qu'est-ce que tu préfères ? La tour, ou la forêt ?

Cette fois, Leerian ne se prononça pas. Il ne connaissait pas la réponse à cette question. Il baissa les yeux sur son sac, sur les livres que Danayelle lui avait données. La réalité le frappa alors : peut-être que je ne verrais plus jamais Danayelle. Plus jamais. Un pincement douloureux lui compressa le cœur.

Chris but la dernière gorgée de son whisky. Le verre s'emplit à nouveau de lui-même, alors que le djinn se penchait à l'oreille de Leerian comme pour lui faire une confidence particulièrement alléchante :

— Mishi est dans la forêt.

Leerian leva les yeux vers Chris. Un sourire étira ses lèvres, mais il se reprit rapidement, et son mal-être revint.

— Adan est là aussi. Et il me déteste, maintenant...

— C'est vrai. Tu sais quoi, Leerian ? Tu me fais pitié, et je suis d'humeur généreux, en ce moment. Je t'accorde un vœu.

Leerian sentit son souffle se couper. Il se tourna vers Chris pour lui lancer un regard perplexe. Les djinns accordaient si rarement des vœux ; il aurait eu plus de chance que Chris décide de l'écorcher avec un bout de son verre à Whisky.

— Réfléchis bien. Tu as... sept minutes pour ce qui sera peut-être le choix le plus important de ta vie. Après ça, la voiture aura atteint la limite de la ville de Stanmore, et la technologie ne doit pas sortir de la métropole – je sais, c'est une règle ridicule. Tout ça pour dire que je ne t'accompagnerais pas plus loin que ça. Au cas où tu l'ignorais, évidemment, non, je ne peux pas guérir la lycanthropie, et non, je ne peux pas faire revivre les morts. C'est au-delà de mon ressort. Et non, je ne te libèrerais pas de l'ordre de ne plus quitter la forêt. Je ne peux pas non plus t'accorder de don. Ou... enfin, peut-être que si, mais ils ne seront pas à la hauteur de ceux de Danayelle, c'est certain. Oh, le plus important... interdit de souhaiter que les araignées puissent voler. Je m'y refuse !

Je veux qu'Adan oublie que je suis un loup-garou. Ce vœu tournait à répétition dans la tête de Leerian, alors que Chris n'en arrêtait plus de son discourt. Leerian était sûr qu'il l'avait déjà entendu, puisqu'il était toujours dans ses pensées, mais s'amusait à faire durer le suspense. Ou peut-être qu'il valait mieux attendre à la fin des sept minutes, pour faire genre d'y avoir bien réfléchit.

— Je ne peux pas créer la vie non plus, d'ailleurs, continuait Chris. De la même façon que la mort. Si tu veux avoir des enfants, il faudra faire à l'ancienne. Je ne peux pas forcer quelqu'un à t'aimer, aussi. Bien sûr, c'est faisable, mais pas recommandé. Parce que, tu sais, où est l'amour si elle est imposée ? Hein, tu le sais ?

— Non, admit Leerian. J'ai choisi ce que je veux. Je souhaite...

— Interdiction d'aller dans l'autre monde. Encore une fois, faisable, mais franchement, les gens là-bas te mettraient en cage et t'étudieraient, feraient des tests sur toi comme un lapin dans un labo de cosmétique... Je ne recommande pas. Interdiction de...

Leerian arrêta d'écouter, faisant la moue tout en tournant le regard vers la fenêtre où les petites boutiques défilaient, avec son lot de piétons sur les trottoirs ; des elfes, des nains, des lutins principalement. De temps en temps, un troll passait, dépassant tous les autres de plusieurs têtes. Il faut attendre les sept minutes, c'est ce que Chris veut. Je dois réfléchir vraiment au vœu.

Leerian savait déjà ce qu'il souhaitait au plus profond de lui ; qu'Adan oublie qu'il est un loup-garou, qu'il se remette à l'apprécier. Qu'il ne l'empêche pas de voir Mishi quand ça lui chante.

Plusieurs minutes s'étaient écoulées. Chris n'en démordait pas de son discourt sans fin, sans logique même, alors qu'il récitait maintenant les vœux les plus fréquents dans l'espoir de donner de bonnes idées à Leerian, concernant l'amour, la richesse, la santé. Mais celui-ci n'écoutait toujours pas. Si je souhaite qu'Adan oublie pourquoi il me déteste... ça ne lui ferait qu'une raison de plus de me détester. Et que se passerait-il, le jour où il découvrira que j'ai fait un tel vœu ? Ça va forcément se produire ; visiblement, je suis nul pour garder des secrets.

La voiture s'arrêta dans un crissement de pneu contre le gravier. Leerian sursauta, reportant son attention au paysage par la fenêtre ; tout juste à côté d'eux, il voyait la pancarte indiquant la limite de la ville. L'un des gardes de sécurité ouvrit sa portière et lui présenta le monde extérieur comme une fausse promesse de liberté.

— Vous pouvez sortir, monsieur Celeyste.

Leerian dévisagea un instant l'homme qui se tenait devant lui. Il avait parlé avec tant d'indifférence dans la voix que Leerian ne put que se faire à la réflexion que, clairement, ce n'était pas tous qui souhaitait sa liberté. Chris avait bien dit que les elfes, les lutins et les fées avaient voté en ma faveur. Il n'a rien mentionné sur les hommes.

— Tu as pris ta décision, Leerian ? demanda Chris. C'est maintenant ou jamais.

— Oui, fit-il lentement. Je souhaite...

Leerian prit le temps de détacher sa ceinture avant de se tourner vers Chris, son sac serré contre lui comme un bouclier. Les joues teintées de rouge, le regard fuyant de honte, il dit enfin dans un murmure :

— Je souhaite que Danayelle ne perde plus jamais son chemin. Qu'elle sache toujours trouver sa destination. Au moins, comme ça, elle n'aura plus d'excuse si elle souhaite me rendre visite, un de ces jours.

Chris cligna bêtement des yeux. Son verre à Whisky se fissura sous sa poigne.

— Ça... Je ne l'avais pas vu venir. C'est un coup de tête ?

— Oui...

— Mais c'est nul ! grommela Chris comme un enfant boudeur.

Il claqua des doigts et une petite fumée bleuâtre s'éleva dans les airs.

— Trop nul, dit-il encore. Envoie un deuxième vœu.

— Vraiment ?

— Oui. Allez, avant que je change d'avis.

— Eh bien, je veux votre bouteille de Whisky.

Chris ferma son poing et cogna contre son siège en grognant. Leerian pinça les lèvres et sortit de la voiture précipitamment, convaincu d'avoir énervé le djinn plus que de raison. Il remarqua, en revanche, que son sac lui semblait bien plus lourd que tout à l'heure. Il prit soin de se mettre derrière l'homme, qui tenait toujours sa portière ouverte, avant de regarder à l'intérieur. Une grosse bouteille d'alcool reposait entre les livres et ses vêtements.

— Tu me fais chier, Leerian. Je contais sur toi pour me demander un vœu qui causerait encore plus de problèmes.

Chris venait d'apparaître derrière son dos. Leerian sursauta et percuta l'homme qui posa une main sur son épaule pour le stabiliser.

— Je sais, dit-il avec un temps de retard. Je préfère éviter les ennuis, justement. J'ai eu mon quota.

Chris le darda d'un regard sévère pendant cinq grosses secondes, alors que Leerian baissait la tête d'un air coupable, jusqu'à ce que Chris pouffa de rire.

— Tu as passé le test, Leerian. Tu commences à apprendre la sagesse.

— Ça veut dire que, si j'avais fait le mauvais vœu, vous ne l'auriez pas exaucé ?

— Oh, bien sûr que si ! Et j'aurais adoré te regarder t'enfoncer dedans !

Leerian grommela en détournant le regard. Foutu djinn. Il se mordit la lèvre pour s'empêcher de le dire, et pourtant, à la lueur qui brillait dans les yeux bleus de Chris, il sut qu'il l'avait parfaitement entendu.

— Bon, Leerian, notre aventure se termine ici. Si, un jour, tu as besoin de moi, cri mon nom bien fort et peut-être que je me manifesterais... dépendant de mon humeur à ce moment-là. Une dernière parole à me partager ?

— Euh... vous pouvez aviser Danayelle du vœu que j'ai fait ?

— Bien sûr... je lui dirais que t'as du bon whisky.

Leerian fronça bêtement les sourcils. Mais avant même qu'il ne puisse répliquer, Chris avait déjà disparu.

Derrière lui, l'homme pouffa de rire, lâcha l'épaule de Leerian et claqua enfin la portière.

— Ah, les djinns, dit-il pour lui-même. C'est quelque chose, hein ? Je m'appelle Raph, en fait. À partir de maintenant, c'est moi, ainsi que mon équipe, qui prends le relais sur ta personne, jusqu'à la forêt Celeyste.

Leerian se retourna pour l'observer. Il faisait précisément la même taille que lui, malgré qu'à sa barbe bien fournie, brune avec quelques petits brins gris, il semblait dans la fleure de l'âge. Il portait toujours un gilet inscrit « sécurité » en grosses lettres jaunes.

— Vous allez me suivre jusqu'à Celeyste ? dit Leerian avec circonspection.

— Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ? T'es peut-être en « liberté », dit Raph en faisant les guillemets avec les doigts, mais tu es malgré tout notre prisonnier, non ? C'est juste que, cette fois, ta cellule sera beaucoup plus grande et à ciel ouvert.

— Ça reste une amélioration, je suppose...

— Quand t'es prêt, dit Raph en indiquant la route de la main.

Leerian regarda le chemin qui s'étendait devant lui. Un sol informe de petits cailloux, saupoudré de neige, semblait s'allonger à l'infini, encerclé d'arbres nus et de pins. Des tas de gens circulaient, l'observaient à la dérobée, l'air de se demander pourquoi il y avait autant d'hommes et d'elfes en tenu de sécurité, et pourquoi il y avait trois grosses voitures noires et bien intimidantes, dix mètres au-delà de la limite de Stanmore.

Leerian se retourna pour regarder une dernière fois derrière lui. La métropole était juste là, impressionnante par tous les immeubles et les gratte-ciel qu'on apercevait au loin, vers le centre-ville, pâle en travers la neige qui tombaient doucement. Ça y est, je quitte la cité infernal, pensa Leerian qui, malgré tout, persistait à ne pas croire à sa chance. C'est vrai ; depuis quand j'ai de la chance, moi ? C'est une première.

Enfin, Leerian hocha la tête pour lui-même, puis s'engagea sur la route tout en passant les bretelles de son sac à dos. Trois agents de sécurité lui emboitèrent le pas, alors que les voitures retournaient en ville.

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