Chapitre 17
Nuvem avait attendu dehors, assis sur les marches de pierres devant la tour des djinns, les coudes sur les genoux à regarder circuler les voitures.
Nuvem pensait qu'en un mois, il avait su s'y faire, à ce pays peuplé d'elfes, de lutins et tout autres créatures magiques, dont il avait passé sa vie à croire que ce n'était que des mythes. Mais il avait vécu trois semaines de ce mois sur l'île de Nocksor, où tout était plutôt rustique, et où les gens étaient gentils à l'extrême. Maintenant, dans la grande métropole de Stanmore, c'était un nouveau monde qu'il découvrait, encore. Le monde de la technologie. Et ça, Nuvem aimait un peu moins.
Ça faisait près d'une demi-heure qu'il attendait patiemment, soupirant de temps à autre. C'était la première fois depuis son arrivée à Nyirdall qu'il était séparé aussi longtemps du télépathe, et c'était maintenant qu'il le réalisait ; il était complètement dépendant de lui. Peut-être même accros. C'est vrai ; que pouvait-il faire ici, sans son ami ? Au moins, grâce à lui, il avait appris le français en un temps record. Il pouvait communiquer, c'était déjà la base pour se débrouiller dans un lieu inconnu. Mais ensuite... en dehors d'admirer le paysage, franchement, il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire sans Tys.
Nuvem observait donc le paysage. Les gens, particulièrement, qui passaient près de lui sur le trottoir sans lui accorder la moindre attention. Parfois, il y avait des hommes et des femmes, mais la plupart du temps, c'étaient des elfes et des lutins. Il y avait aussi, régulièrement, des nains et des trolls, dont Nuvem avait du mal à se convaincre qu'il n'était pas nécessaire de s'enfuir dès qu'il en remarquait un. Les trolls étaient particulièrement impressionnants ; ils faisaient tout au-dessus du deux mètres, même presque trois. La peau verte, les défenses sortant de leurs bouches... ils ressemblaient beaucoup aux ogres, des monstres cruels et complètement sans cervelle, qu'on pouvait croiser à Thrasryall.
Et il y avait les nains. La seule expérience que Nuvem avait de cette race était les pirates qui venaient régulièrement commercer à Thrasryall. Il aurait pu les considérer comme des alliés, si ce n'était de sa dernière rencontre avec des pirates où ils s'étaient efforcés de tuer ses nouveaux amis avec beaucoup d'acharnement.
— Eh, salut, toi.
Nuvem leva les yeux. Un nain s'était arrêté devant lui, alors même qu'il pensait aux pirates... quand même pas ?!
Le nain fit un sourire en s'approchant un peu plus. Il avait une épaisse barbe noire bariolée de fils blanc et un petit chapeau gris sur la tête.
— Ou devrais-je dire... Hasi, es gut ?
Nuvem pâlit en se levant d'un bond, puis recula d'un pas. Il s'empêtra les pieds dans les marches de l'escalier et s'affala à nouveau, alors que le nain l'observait sans brocher.
— Comment... Comment vous connaissez cette langue ?
— J'ai beaucoup voyagé. Comme toi.
— Comment vous savez que je...
Le nain éclata de rire, puis écarta les bras pour désigner Nuvem d'un geste évident.
— Ça se voit à la couleur de ta peau, mon gars. Tu viens visiblement de Thrasryall. Malgré que tu parles très bien français.
Nuvem pinça les lèvres. Est-ce qu'il devait se méfier de ce nain ? Était-il un ami ? Mais rien que le fait qu'il connaissait son pays, et même sa langue, n'était-ce pas une preuve qu'il était probablement pirate ? Non, bien sûr, Tys et les autres elfes n'étaient pas pirates et ils s'étaient bien retrouvés sur Thrasryall eux aussi.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
Le nain eut un petit sourire espiègle, puis lança un regard à la ronde. Des tas de gens circulaient autour d'eux, les contournant ou remarquant à peine leurs présences. Tous insouciants, ou alors complètement aveugle.
— Les richesses de Thrasryall, évidemment. Dis-moi comment les trouver, et je te promets une belle part.
Nuvem fut incapable de s'empêcher de pouffer. Bien sûr ! Sur son pays, il existait un minerai qui, à ce qu'il avait compris, valait une véritable fortune sur Nyirdall. C'était bien pourquoi les pirates s'acharnaient à leur vendre leur propre produit, en échange de ses petites pierres rouges et brillantes. Car eux-mêmes, en fouillant son île immense, n'avaient jamais réussi à les trouver. Ils se faisaient descendre par les monstres bien avant de parvenir aux mines.
Le nain fit un pas supplémentaire, et Nuvem rampa sur les marches pour s'éloigner. Le nain s'impatientait par le temps que prenait Nuvem à répondre ; ses gros sourcils se fronçaient, son nez empoté se retroussait. Déjà, il glissait la main sous son épaisse veste de cuir pour dévoiler le manche d'un colt.
— Si tu refuses de me dire comment, j'ai d'autres moyens de persuasion.
Cette fois, Nuvem pâli d'inquiétude. Il n'avait pas son arc pour se défendre, Tys lui avait interdit d'entrer dans des villes ainsi armées. En revanche, le télépathe n'avait su l'empêcher de cacher un canif dans sa botte. Mais que se passerait-il s'il égorgeait le nain devant la tour des djinns ? Il avait la forte impression que les règles, ici, étaient très différentes de Thrasryall. Pitié, ne tue personne ! lui avait hurlé Tys à répétition lors de leurs premières semaines de cohabitation. Blesser non plus ! Je t'interdis même de toucher les gens ! Arrête d'y penser, bon sang ! Personne ne va t'attaquer !
Mais le nain avait un pistolet, et lui était à terre à ses pieds. Il l'avait menacé. Était-ce une bonne excuse pour...
Nuvem n'eut le temps d'achever le court de sa pensée ; une fée apparut soudain, mêlée d'un déluge d'étincelle verte qui aveugla complètement le natif. Il passa son bras devant ses yeux en grimaçant.
— Hé ! s'exclama Narsa d'un ton dur. Qu'est-ce que tu veux à mon ami, hein ?! Dégage, abruti !
Nuvem abaissa son bras pour dévisager la fée. Debout devant lui, il n'en voyait que son dos, où ses ailes vertes, semblables à celle des libellules, étaient dressées comme pour s'envoler. Ses mains brillaient d'une vive lumière verte. Elle était plus petite encore que le nain, mais celui-ci avait pâli à l'extrême. Il balbutia des excuses et s'enfuit dans la direction opposée sans demander son reste.
Narsa se retourna pour faire face à Nuvem. Ses ailes s'affaissèrent et ses mains arrêtèrent de briller. Elle fit un sourire fier au natif, qui se permit enfin de respirer.
— Ça va ?
— Oui... merci. Je ne savais plus si je devais le tuer ou non.
Narsa fit un petit rictus incertain. Est-ce qu'il exagérait pour plaisanter ?
— Euh... où est Tys ? Ça fait un moment qu'il ne m'a pas contacté. J'avoue que je t'ai trouvé par hasard, en cherchant la tour des djinns. J'ai dû demander mon chemin à d'autres fées... Je suis sûr qu'elles m'ont prises pour une stupide touriste.
— Il est à l'intérieur, justement...
Nuvem se tourna vers l'entrée de la tour. C'était une énorme porte d'obsidienne ; un bloc de pierre immense d'au moins cinq mètres de haut, entrouvert pour y laisser passer les gens. Parmi eux sortirent Tys et Danayelle ; en les apercevant, Nuvem afficha un large sourire. Il se leva enfin et se précipita vers son ami. Mais dès que leurs regards se croisèrent, Nuvem s'arrêta. Quelque chose clochait, ça se voyait dans ses yeux bleus. Ils semblaient... ternes.
— Ça va, Tys ? Tout s'est bien déroulé ?
Tys hocha lentement la tête. Danayelle le soutenait d'un bras autour de ses épaules ; on aurait dit un vieillard qui avait égaré sa canne. Danayelle le guida jusqu'aux marches et l'aida à s'asseoir.
— C'est bon, maintenant. Respire, dit Danayelle en passant doucement une main sur son dos. Prends ton temps.
Nuvem fronça les sourcils. Sans qu'il comprenne pourquoi, la façon dont Danayelle touchait son ami lui était particulièrement déplaisante.
— Tys ? Qu'est-ce que t'as ?
Tys se prit la tête entre les mains, ses doigts se mêlant à ses cheveux châtain.
— Ça va, dit-il avec lenteur. Ça va... Je... je me sens bizarre, mais rien de douloureux. C'est juste... ah, il n'y a pas de mot, c'est vraiment bizarre.
— Le djinn lui a touché le front, expliqua Danayelle pour Narsa et Nuvem qui le dévisageait avec insistance. Depuis, il ne va pas bien.
— Si, je vais bien, dit Tys qui commençait à s'énerver.
Il se leva et fit les cent pas devant ses amis. Après plusieurs grandes inspirations, il s'approcha à nouveau et raconta, pour Narsa et Nuvem, ce qui s'était vraiment passé, et surtout, ce qu'il avait appris. Que Memfis était le véritable père d'Egrim, et qu'il allait bientôt endosser son rôle paternel. Peu importe ce que ça impliquait.
— Oh, merde, lâcha Narsa. Il faut le dire à papi. Vite, Tys, envoie-lui un message télépathique.
Tys hocha la tête, puis s'éloigna de quelques pas de ses amis pour un minimum d'intimité. Il ferma les yeux et visualisa le visage de Sindruid. Sous ses paupières closes, d'étranges images psychédéliques lui apparurent, obsédantes et déstabilisantes. Tys cligna des yeux à plusieurs reprises ; sa vision se brouilla, son cœur s'emballa. Une faiblesse soudaine lui donna la nausée, et ses jambes se dérobèrent sous lui. Il tomba, et Danayelle s'élança pour le rattraper avant la chute, rapide comme une elfe.
— Hé, Tys ! s'exclama la blonde en l'aidant à se rasseoir. Bon sang, tu es sûr que ça va ?!
Tys grimaça en pressant sa main sur son front. Cette fois, il ne pouvait plus se mentir ; non, ça n'allait pas bien.
Nuvem s'approcha à son tour, nerveux. Il semblait dans un état de détresse similaire au jour où il avait subi une tentative de meurtre.
— Tys, fit-il avec lenteur. Est-ce que...
Tys releva soudain la tête, les yeux écarquillés. Tellement que ses iris, verticaux comme ceux des félins, s'étaient arrondis au point qu'il n'en voyait plus que le noir, lui donnant des airs déments.
— Merde. Je viens de comprendre ce que Memfis m'a fait. Il a supprimé mon don !
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