Chapitre 7 (2/2)
Egrim et Narsa s'enfoncèrent parmi les premiers arbres de la forêt Celeyste, sans oser aller plus loin. Narsa avait raison ; s'aventurer plus que de raison dans une si vaste forêt ne résulterait à rien d'autre qu'à se perdre et y mourir de froid.
— Oh, Mishi, grommela Egrim. Comment va-t-on faire... Si ça se trouve, elle n'a même pas envie de nous voir. C'est vrai ; je l'ai contacté ce matin. Elle aurait eu le temps d'arriver à Buragh largement avant moi. Si elle n'est pas juste ici... eh bien, tant pis ! On remontera à Celeyste.
— Et on l'abandonne ? dit Narsa en faisant la moue.
— De mon point de vue, je dirais plutôt que c'est elle qui nous abandonne.
Ils n'avaient fait qu'une vingtaine de pas parmi les arbres qu'ils s'arrêtaient déjà. Egrim, les mains dans les poches, regardait partout. Même s'il faisait noir, sa vision d'elfe lui permettait de voir chaque détail du paysage. Ici, il persistait une légère couche de neige au sol. Il percevait des bouts de fils de fer dépasser, marquant l'emplacement des pièges et des collets.
Narsa, elle, était plus ou moins aveugle dans cette obscurité. Elle s'avança de quelque pas supplémentaire, puis tendis les mains devant elle. Une lumière verte jaillit de ses paumes, éclairant l'endroit avec tant d'intensité que plusieurs animaux nocturnes, cachés dans leur coin, s'enfuirent soudainement en courant ou à tire d'ailes.
Soudain, Egrim remarqua quelque chose d'étrange. Ce qu'il avait pris pour un drôle de petit rocher prenait une forme toute différente à la lueur magique de Narsa. Il s'y approcha, inclinant la tête sans trop savoir à quoi s'attendre... Et c'est à seulement trois pas qu'il réalisa ce que c'était. Il en perdit le souffle, ses yeux s'écarquillant d'un coup.
C'était un corps. Entièrement recouvert de neige, il n'y avait plus que ses cheveux noirs de visible. Egrim tomba à genoux, son cœur cognant durement contre sa cage thoracique.
— Mishi ? fit-il d'une voix tremblante.
Narsa s'approcha à son tour, ses mains lumineuses plaquées sur sa bouche.
— Oh, bon sang... est-ce que... elle est morte ?!
Egrim la prit par l'épaule pour la retourner sur le dos. Son visage leur apparut alors. Il n'y avait plus de doute, c'était bel et bien Mishi ! La peau pâle et les lèvres bleutés par le froid. Elle était glacée. Egrim déglutit, retenant la bile qui s'efforçait de sortir, puis posa une main autour de son cou.
— Non, fit-il avec soulagement. Je sens son cœur battre. Mais... il est tellement faible ! Oh, Mishi... Shiernelt !
Une lueur enveloppa ses doigts, puis le cou de Mishi. Mais en dehors de soigner ses lèvres gercées, il ne se produit rien. Elle n'était pas blessée à proprement parler.
Egrim secoua la tête, retenant ses larmes de toutes ses forces. Il ne s'était pas attendu à tomber sur cette scène. Il voulait revoir une amie pour le simple plaisir de dire bonjour. Était-ce de sa faute si elle se retrouvait là ?
Egrim se redressa soudain, une idée apparaissant dans son esprit. Il connaissait un autre sortilège qui pourrait peut-être aider. Il ne l'avait jamais essayé, mais Sin l'avait fait sur lui à de nombreuses reprises pour le soigner de la magie qui lui consommait trop de ses forces pendant les entrainements. C'était mille fois plus efficace qu'une bonne sieste.
Egrim posa ses deux mains à plat sur le ventre de Mishi, puis ferma les paupières pour mieux se concentrer. Il n'avait pas droit à l'erreur ; Mishi allait peut-être mourir, s'il ne parvenait pas à la réveiller !
— Shierdestra !
Mishi hurla et se redressant d'un bond. Elle était éveillée, les yeux écarquillés, les cheveux emmêlés. Elle se sentait aussi fébrile que si l'orage lui était tombé dessus.
— Mishi ! fit Egrim. T'es en vie... cool...
Puis il s'effondra à son tour face dans la neige, sous le regard perplexe de Mishi. Celle-ci observa de tous les côtés, nerveuse comme un animal traqué. Peu importe ce qu'Egrim venait de lui faire, son cœur battait si fort qu'elle craignait sérieusement de le vomir.
Narsa retourna Egrim sur le côté, puis l'enjamba pour s'approcher de Mishi et la prendre dans ses bras.
— Oh, Mishi ! On a cru que tu étais morte ! Ce que tu nous as fait peur ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Quelqu'un a essayé de te tuer ? Raconte-nous ! Enfin... Raconte-moi ! Egrim peut bien attendre.
Mishi, toujours aussi confuse, dévisagea Narsa et Egrim tour à tour. Elle reconnaissait à peine la fée qu'elle avait connue pendant tout juste une journée, il y a six mois. Et Egrim... Pourquoi dormait-il, maintenant ?
— Oh, ne t'en fais pas pour lui, fit Narsa comme si elle avait lu dans ses pensées. Le sortilège qu'il t'a lancé, c'est un transfert d'énergie. Et je crois qu'il voulait tellement bien faire qu'il t'a donné toute sa réserve. Il dort, c'est tout.
Mishi hocha lentement la tête. Elle avait toujours l'esprit en ébullition, mais elle commençait à s'en remettre. Elle prit plusieurs grandes inspirations, avant de relever le regard vers Narsa.
— Personne n'a tenté de me tuer, dit-elle d'une voix enrouée. Ce n'est rien de glorieux. J'ai juste...
Mishi ferma les yeux, retenant les larmes qui menaçaient de tomber. Ça lui avait tant manqué de voir des gens ! Egrim, et Narsa... Leur présence lui faisait du bien.
— J'ai essayé d'aller à Buragh, mais personne ne m'a laissé entrer. J'ai juste... j'ai tellement faim !
Narsa eut un mouvement de sourcil incrédule. Elle avait faim ? C'était ça, son problème ? Il y avait des animaux partout, il suffisait de lever les yeux. Qu'est-ce qui l'avait empêché d'en attraper un ?
Mishi éclata alors en pleur en serrant Narsa contre elle. La fée lui tapota le dos, sans trop savoir ce qu'il convenait de faire.
— Eh bien... c'est une chance qu'on passait dans le coin, non ?
Narsa s'éloigna de Mishi et siffla entre ses lèvres de toutes ses forces. Mishi l'observait faire sans trop comprendre, mais au bout d'une longue minute, une ombre se découpa dans la noirceur de la nuit pour se poser sur le corps inerte d'Egrim.
— Ah ! s'exclama le dragon en sautillant sur son maître comme si ce n'était qu'un coussin. Qu'est-ce qu'il fiche à terre, ce crétin ?
— Il va bien, dit Narsa. Jean, on a besoin de toi.
— Je ne reçois pas d'ordre de toi, fit Jean en montrant ses crocs pointus.
— S'il te plait ! Il faut que tu nous rapportes à manger.
À ses côtés, le ventre de Mishi gronda si fort que le dragon tourna la tête vers elle, ses petits yeux rouges s'écarquillant d'étonnement. Mais Jean se souvenait de Mishi ; c'était son ancien maître le pirate qui l'avait un jour kidnappé. Mishi, qui était aussi une bonne amie de son maître actuel. Il pouvait bien faire ça pour elle.
Avec un dernier grognement menaçant, il étira les ailes et s'élança à nouveau vers le ciel. Il revint une minute plus tard avec un gros mulot entre les pattes, à peine reconnaissable tant il était grillé à point. Il le posa sur les genoux de Mishi, puis produit un bruit de gorge ressemblant drôlement à un ronronnement.
Mishi marmonna un merci avant de plonger sur la nourriture. Le cassant en deux au niveau de la colonne, arrachant la peau avec les doigts et grattant les organes pour ensuite approcher l'animal mort de sa bouche et croquer vivement dedans. Le sang coulant sur son menton, le son de mastication et les grognements satisfaits.
Narsa détourna la tête en grimaçant, réprimant un haut-le-cœur. C'était dégueulasse.
En à peine quelques minutes, il n'en restait déjà plus que les os, qu'elle suçait un à un. C'est à ce moment que choisi Egrim pour ouvrir les yeux.
— Ah, Mishi ! fit-il d'une voix faible. T'es en vie.
— Toi aussi, répliqua-t-elle en balançant un os au-dessus de son épaule pour en fourrer un autre dans sa bouche. Mais je te dois tout, Egrim. Sans toi... si tu ne m'avais pas trouvé... je crois que je ne me serais jamais réveillé.
Egrim se redressa pour s'appuyer contre un tronc d'arbre. Il était étourdi, mais il avait tout de même la vive impression qu'il allait mille fois mieux que Mishi. Il se sentait mal. Avait-elle vraiment frôlé la mort ? Et il n'y avait même pas de monstre, pas de pirate, rien de plus menaçant que... la froide et cruelle nature.
— On ne devrait pas rester ici. On sera tous gelés avant le matin. En plus, si les villageois de Buragh se rendent compte que nous sommes encore sur leur territoire... ils vont nous mettre sur un bucher.
— On ne gèlerait pas, sur un bucher, répliqua Narsa.
— Je n'en ai quand même pas trop envie.
— On va s'éloigner un peu, mais Mishi tient debout par la force de ton énergie. Et toi, du coup, tu en as à peine pour ouvrir les yeux. Vous avez besoin de dormir, tous les deux. Partez par-là, dit Narsa en levant le doigt en direction de la route qui traversait le village. Je vais survoler le terrain pour trouver un endroit tranquille pour la nuit.
Sur ce, la fée retira son manteau, étira ses ailes et s'élança vers le ciel nocturne, rependant quelques étincelles vertes sur son chemin comme une pluie d'étoiles. Egrim soupira en tournant la tête vers Mishi, qui suçait encore les os de mulot sans gaspiller la moindre miette.
— Je sais que je suis celui qui a dit qu'on ne devrait pas rester ici... mais je crois que je n'ai même pas la force de me lever.
— Pourquoi tu ne refais pas ce que tu m'as fait sur toi-même ?
Egrim pouffa d'un léger rire, puis se redressa lentement. Il tangua sur ses pieds pendant quelques secondes avant de se reprendre.
— Ça ne marche pas comme ça. C'est un sortilège qui transfère de l'énergie... il faut bien qu'elle vienne de quelque part. Je ne peux pas le faire sur moi.
— Oh, c'est dommage. Parce que c'est vraiment très efficace ! fit Mishi avec un large sourire. Du coup, ça avance bien, ton apprentissage de la magie ?
— Ouais, un peu... mais là, je suis en vacances ! J'étais en route pour Stanmore et j'espérais tomber sur toi en chemin. Je n'étais pas sur si tu avais reçu mon message... Ou si tu l'avais entendu, mais que tu n'avais pas envie de me voir ! Je suis passé à un doigt de t'abandonner ici.
La presque bonne humeur d'Egrim s'envola avec cette dernière phrase. La réalité le rattrapait encore une fois ; ça s'était joué à un cheveu que Mishi meurt cette nuit.
Celle-ci délaissa ses restes de mulot pour se lever face à Egrim. Puis elle le sera dans ses bras, laissant des taches de doigts sanglantes sur ses vêtements. Egrim posa sa tête sur l'épaule de son amie.
— Du coup... tu veux venir à Stanmore avec nous ? J'espère y retrouver Danayelle.
Mishi éclata aussitôt en pleur. Egrim eut un mouvement de recul, étonné de sa réaction, mais la sirène le serra plus fort pour l'empêcher de s'éloigner.
— Egrim... ça fait six mois que je suis seul... complètement ! Je ne veux plus jamais vivre ça !
— Quoi ? Mais... tu as ton père, non ?
Ses pleurs doublèrent en puissance à cette question. Egrim était mal à laisse, tapotant le dos de son amie sans plus savoir quoi faire pour la calmer.
— Ça va, Mishi... pas obligé de répondre si tu n'en as pas envie.
Mishi hocha la tête tout en essuyant ses larmes. Elle voulait parler, mais elle n'en avait ni la force ni le courage. Elle faisait déjà suffisamment pitié comme ça !
— Bon... tu viens ? Narsa nous attend.
Egrim approuva d'un léger marmonnement. Il se retourna en direction du village, puis soupira en voyant toute la distance à parcourir. Ses jambes étaient molles tant il n'avait plus d'énergie. Mais Mishi s'avança et passa un bras autour de ses épaules pour le soutenir.
— Tu m'as sauvé la vie, Egrim. Je peux bien t'aider à marcher, c'est la moindre des choses...
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