Chapitre 7 (1/2)

Mishi se réveilla en sursaut, un cri nerveux s'échappant de sa bouche. Elle était étendue dans son lit sans souvenir de s'y être couché la veille. Ses sens étaient engourdis, elle avait froid, elle tremblait. Elle était affamée et affaiblie. Mais surtout, elle en était convaincue... elle avait perçu une voix dans sa tête.

Ça y est, je deviens folle. La faim et la solitude ont eu raison de moi. En soupirant, Mishi s'assit au bout de son lit, ses longs cheveux noirs et emmêlés tombant devant ses yeux en un impressionnant fouillis. Tout en cherchant la force de se lever, elle tentait de se rappeler ce qu'elle avait entendu, à mi-chemin entre le rêve et l'éveil. Les mots, pourtant, avaient été trop clairs pour n'être que le fruit de son imagination.

Ça ressemblait un peu à la voix d'Egrim... Qu'est-ce qu'il disait, au juste ? Et d'ailleurs... comment aurait-il pu parler dans ma tête ?!

Mishi avait réussi à quitter son lit quand elle se souvint, avec beaucoup de retard, que ce petit elfe était magicien. Ou du moins avait-il le potentiel de l'être un jour. En ce sens, peut-être pouvait-elle assumer que c'était réellement lui qu'elle avait entendu, et non elle qui devenait folle. Tout de même... il aurait pu attendre qu'elle se réveille avant de parler. Elle en avait à peine capté un mot sur deux ! Elle avait l'impression de n'avoir dormi qu'une ou deux heures, au bas mot...

En arrivant dans la cuisine tout en se traînant les pieds, Mishi fouilla dans chacune de ses armoires à la recherche de la moindre miette de pain. Mais il n'y avait rien d'autre qu'une accumulation de poussière et des crottes de souris. Son ventre hurla de désespoir. Si seulement je pouvais mettre la main sur cette souris...

Soudain, Mishi se figea devant une énième armoire vide. Elle venait de se souvenir, en un flash, une partie de ce qu'avait dit Egrim. Rien qu'un mot, clair et net, lui était revenu. Buragh. Il voulait qu'elle aille à Buragh !

— Oui !

Mishi s'étonna elle-même de l'exclamation qui lui avait échappé. Mais pour la première fois depuis longtemps, elle en avait oublié sa faim. Les membres engourdis, les doigts tremblants tant elle était fébrile, elle se précipita vers son manteau, accroché à l'entré près de la porte et quitta sa maison sans un regard en arrière. Marchant pieds-nus dans le froid, les flocons de neige tombant dans ses cheveux, les yeux écarquillés et fou, alors qu'elle avançait déjà à la rencontre d'un ami qu'elle n'avait plus revu depuis six mois.

Elle ignorait encore complètement si elle avait rêvé ou halluciné. Au point où elle en était, ses questions lui passaient loin au-dessus de la tête. Tout ce qui lui importait était d'avoir une raison de quitter cet endroit... et de ne pas gâcher ses chances de retrouver son père.

Pourtant, à peine une minute plus tard, Mishi se retournait vers sa maison qu'elle voyait tout juste derrière les branches d'arbres nus. Elle avait conscience de faire quelque chose de dangereux. Avait-elle l'énergie d'aller jusqu'au village ? Elle avait l'impression que si elle ne faisait que trébucher sur une racine, elle n'aurait jamais la force de se relever.

Au moins... je serais morte en essayant. Entre ça et crever bêtement dans mon salon...

La tête haute et les jambes flageolantes, Mishi continua son chemin, en ligne droite vers l'est tout en souhaitant déboucher pile au bon endroit, à Buragh, à une vingtaine de kilomètres de là.

Il ne me reste plus qu'à espérer que je n'aie pas halluciné...

*

Egrim avait tout donné pour être à Buragh avant la nuit. Il avait hâte de retrouver une amie, même si, il en avait conscience, Mishi et lui n'avaient pas vraiment eu le temps de se construire une véritable relation. Il était plutôt question de connaissance. Mais tout de même, il s'inquiétait un peu pour la sirène. Et il en avait marre de Narsa, qui grommelait constamment à ses côtés.

Aussitôt accostés à la plage de Sarxar, ils s'étaient séparés. Sin était parti vers l'est, en direction du village de Thuban, qui faisait une ligne droite vers sa ville natale, Wondor. Alors qu'Egrim et Narsa avaient plutôt pris le nord-est, remontant en diagonale autant pour raccourcir temps passé dans ce désert de sable et de neige, que de trouver la route qui menait jusqu'à Yglas, puis Buragh et Stanmore.

Egrim sautait sur toutes les occasions de se téléporter. Il y a peu, ç'aurait été une mauvaise idée, n'ayant pour seul résultat de l'épuiser plus rapidement. Mais après six mois d'entrainement avec Sin, il était devenu un peu – un peu, vraiment – plus endurant à la magie. Avant, son record de téléportation était d'une centaine de mètres. Et maintenant, il arrivait à atteindre les deux-cents, et ça ne le fatiguait presque pas. Heureusement, il n'avait pas à s'inquiéter de Narsa qui, avec ses ailes, savait le rattraper en un rien de temps à chaque fois.

De Sarxar, ils avaient trouvé la route qui longeait la forêt Nashintill pour remonter jusqu'à Yglas. Arriver tout près du village, ils avaient fait un grand détour pour éviter les trolls qui avaient tenté de tuer ses amis... et dont Leerian avait froidement assassiné la moitié de leur population. Egrim avait la vague impression que se montrer là serait légèrement suicidaire. Mais il avait réussi à détourner l'endroit en plusieurs bonds de téléportation, et il était presque sûr que personne ne l'avait aperçu. Enfin, lui et Narsa étaient en ligne droite en direction de Buragh... dernière escale avant la nuit.

Et demain, je serais à Stanmore, pensa-t-il, sautillant d'excitation. Parce qu'il ne pouvait que l'admettre ; il avait bien plus hâte de voir Danayelle que Mishi.

Soudain, Narsa se posa près de lui, rétractant ses ailes dans son dos en enfilant son manteau. La nuit arrivait déjà tombée alors qu'il était à peine dix-sept heures, et le froid était mordant. Narsa grelotait et, évidemment, elle se plaignait. En une journée entière de marche pour Egrim et de vole pour Narsa, elle n'avait jamais manqué une occasion de se lamenter.

— J'aurais tellement été mieux dans mon lit ! Sous plusieurs couches de couvertures ! C'est ta faute si je suis coincé ici. Pourquoi tu ne voulais pas aller à Wondor, hein ? Tu ne penses jamais à moi, dans tout ça !

Egrim soupira, sans répondre. Il avait entendu ses mêmes commentaires tout au long de la journée. Il enfonça ses mains dans ses poches, la tête rentrée dans les épaules pour se protéger du vent froid. C'était surtout pénible pour ses longues oreilles, très sensibles à la température. Son seul regret était de ne pas avoir pensé au bonnet avant de partir, ce matin. Pourtant, il était paisible. À marcher sur une route de terre gelée, craquant sous ses pas, dans la noirceur. Il y avait quelque chose de mystérieux à être dehors, la nuit, en hiver. C'était à la fois inquiétant et impressionnant... comme s'il devait s'attendre à voir un loup-garou surgir devant lui à tout moment, même s'il restait encore plus d'une semaine avant la prochaine pleine lune.

— Tu vas m'ignorer tout du long, ou quoi ?! s'exclama soudain Narsa. Tu m'énerves ! Dis quelque chose !

— Toi aussi, tu m'énerves, dit alors Egrim d'un ton pourtant calme. Ça ne t'arrive jamais de te taire ?

— Je n'ai aucune raison de la fermer. Ça me réchauffe de crier.

Egrim pouffa de rire, puis posa une main sur l'épaule de la fée. Celle-ci se dégagea avec une grimace de dégout, comme si Egrim la répugnait.

— Eh, je veux juste te réchauffer.

Narsa eut un moment d'hésitation. S'il l'aidait, pouvait-elle vraiment lui crier dessus ? Mais le froid était plus mordant que son envie de se moquer de l'elfe.

— Oh, très bien ! essaie, on verra bien si tu réussis !

— C'est à croire que tu veux que je rate.

— Un peu.

Elle n'est pas possible, cette fille... Tout en ravalant sa frustration, il posa à nouveau sa main sur son épaule et murmura la formule qu'il avait pratiquée tout au long de la journée ; « cadium ». Il sut tout de suite qu'il avait réussi par le soupire d'aise de Narsa, et l'absence de commentaires désobligeants. Ce moment de paix dura une longue minute, avant que le sortilège ne lâche de lui-même.

— Encore ! réclama aussitôt la fée.

— Laisse-moi des forces pour au moins arriver jusqu'à Buragh...

— Et c'est loin ?

— Je ne crois pas.

En même temps qu'il disait ses mots, il remarqua des lumières apparaître au bout de la route. Les premières maisons du village de Buragh étaient là, comme un phare au milieu de la nuit. Narsa, malgré le froid, retira son manteau pour découvrir ses ailes qu'elle déploya. Elle s'éleva de quelques mètres du sol pour voler à pleine vitesse vers les habitations. Egrim, tout autant content d'être parvenu à destination, couru derrière elle. En quelques minutes supplémentaires, ils arrivèrent enfin au village. C'était très petit, il n'y avait que des maisons de bois de chaque côté de la route de terre. Les torches le long du chemin étaient toutes éteintes, soufflées par le vent froid, et il n'y avait personne dans les rues. Pourtant, Egrim entendait des voix et des éclats de rire provenir des habitations aux vitres éclairées par les bougies. Egrim fit le tour du village beaucoup trop rapidement, à la recherche d'un endroit où passer la nuit... mais il n'y avait rien. Pas d'hôtel, pas de boutique. Rien de plus, rien de moins, que quelques maisons simplettes.

— J'avoue que je m'attendais à mieux, marmonna Egrim pour lui-même.

Il soupira platement, échangea un regard navré avec la fée, puis s'avança vers la première habitation pour cogner à la porte. De l'autre côté, les voix s'étaient interrompues. Il y eut comme un moment de silence angoissant, avant que quelqu'un ne vienne ouvrir. C'était un homme grand, large d'épaule et semblant relativement vieux par les brins d'argent qui parsemait sa grosse barbe noire. Il dévisagea Egrim en découvrant les dents comme un chien enragé, fixa ses oreilles un peu trop longtemps au gout d'Egrim, puis lui claqua la porte au nez.

— Très accueillant, fit Narsa en pouffant d'un rire sarcastique.

— Il te ressemble, tu ne trouves pas ?

Narsa répliqua en lui tirant la langue.

— Viens, on va essayer une autre maison...

Egrim l'entraina vers les voisins, où il eut droit au même traitement. Regard dédaigneux fixé sur ses oreilles, et la porte qui claque.

Egrim serra les poings.

— Je crois que les gens de Buragh détestent les elfes, dit Narsa. Qu'est-ce qu'on fait ?

— Je ne ferais pas un pas de plus cette nuit. Et en plus... j'ai espoir de croiser quelqu'un.

— Tu connais quelqu'un de Buragh ? répéta Narsa, suspicieuse. Quelqu'un qui n'est pas raciste ?

Egrim secoua la tête. Il commençait à être énervé, là. En serrant les poings, il essaya une dernière fois. En approchant d'une troisième maison, il cogna à la porte. Un autre homme lui ouvrit, mais en un seul regard, Egrim savait qu'il s'apprêtait encore une fois à la lui claquer au nez. Il s'avança le premier et leva un doigt menaçant sur l'homme.

— Laisse-moi parler, avant de me foutre dehors ! J'ai besoin de dormir et y'a pas d'hôtel, dans votre saloperie de village ! Je veux...

Mais Egrim ne put en dire plus ; il l'avait empoigné par les épaules et repoussé avec tant de force qu'il s'effondra sur le paillasson. Et une troisième porte claqua, le laissant dehors comme un malpropre.

Narsa se pencha vers lui, un sourire mauvais aux lèvres.

— Et maintenant, tu vas faire quoi ?

Egrim lança un regard noir sur la fée. Il commençait à avoir une sérieuse envie de meurtre.

— On ne peut pas partir. J'ai donné rendez-vous à quelqu'un ici.

— Qui ? Et comment, surtout ?

Egrim se leva, époussetant la neige sur ses vêtements. Pour un premier jour de vacances, il fallait avouer que c'était plutôt pénibles.

— Sin m'a bien appris un sortilège de télépathie, aujourd'hui. Je m'en suis servi pour communiquer avec Mishi. Bon, j'ignore si j'ai réussi, puisque, comme je viens de dire... je l'ai appris aujourd'hui, fit Egrim dans un soupire.

— Mishi ! s'exclama Narsa.

Pour la première fois depuis trop longtemps, Egrim vit un sourire apparaître sur le visage de la fée. Il était vrai que les deux filles s'étaient connues, une fois il y a six mois. Et par le peu de succès qu'avait Narsa à se faire des amis, il comprenait qu'elle pouvait bien se souvenir d'elle.

— Mais... et si elle était venue ici et qu'elle avait reçu le même accueille que nous ?

— Mishi n'est pas une elfe...

— Non, c'est mille fois pire, l'interrompit Narsa. C'est une sirène.

Egrim fit la moue. Narsa avait raison. Il était facile d'avoir peur d'une sirène ; certaines étaient sauvages et cannibales.

— Tu proposes quoi, alors ?

Soudain, la porte de la maison s'ouvrit, faisant sursauter les enfants. L'homme était revenu. Egrim sourit, pensant qu'il avait décidé d'accepter de les héberger pour la nuit. Mais le regard menaçant qu'il arborait posa quelques doutes à l'esprit d'Egrim.

— Vous allez rester encore longtemps dans mon entrée ?! Dégagez de ma propriété !

Et il claqua la porte encore une fois.

Egrim et Narsa s'échangèrent une œillade passablement ennuyée.

— Eh bien, je crois qu'on va aller à Celeyste. C'est visiblement notre seule chance de trouver Mishi.

— Mais il fait froid et je suis fatigué, grommela Narsa.

— Désolé, mais je ne vois vraiment pas ce qu'on peut faire de plus...

— On va se perdre dans Celeyste. C'est beaucoup trop grand. À moins que tu connaisses un sortilège qui pourrait aider...

Egrim secoua platement la tête. Puis, avec un dernier regard vers la porte, il s'éloigna enfin de la demeure de l'homme pour s'engager vers la forêt qu'il apercevait au loin malgré la noirceur. Le vent sifflait et faisait onduler les branches nues des arbres. Coincé dehors en hiver... les vacances de rêve !

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Ceci est un chapitre excessivement long... Donc la suite viendra demain.

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