Chapitre 61

Cela faisait déjà presque une semaine de Tys était de retour à Nocksor, son île natale. Les choses avaient retrouvé leurs rythmes normaux plus rapidement que Tys ne l'avait imaginé ; ses parents s'étaient à peine inquiétés, et ses amis n'avaient même pas remarqué son absence. Personne ne faisait de cas de la présence de Nuvem à ses côtés ; tous pensaient avoir affaire à un naufragé parmi tant d'autres, dont Tys avait gentiment pris sous son aile, car il était le seul à pouvoir communiquer avec lui.

L'unique bémol, c'était son travail.

Tys était nerveux sur le sujet. Le journal, c'était son tout premier boulot. Son premier pas dans la vie d'adulte. L'idée de se faire renvoyer aussi rapidement, avant même d'avoir pu rendre son premier article, était un coup dur pour son égo. En fait, il avait parfaitement conscience d'agir comme un lâche, mais il avait préféré ne pas se pointer à son bureau, simulant la mort tout en restant encabané chez lui, dans sa chambre avec Nuvem. À essayer de trouver la technique pour apprendre le français à quelqu'un qui non seulement n'y connaissait rien, mais qui ne savait pas écrire dans sa propre langue d'origine.

À court d'idées, Tys lui avait pris quelques livres d'histoire dans sa bibliothèque et les avait prêtés à Nuvem. Il parvenait à les lire par le biais de son pouvoir de télépathie, mais à plusieurs reprises, Nuvem avait dû lui envoyer des coups de coude, lui signalant que son don avait lâché par manque de concentration.

Ça faisait une bonne heure que Tys était dans son lit, les yeux bêtement fixés au plafond, alors que Nuvem était étendu à plat ventre au sol en découvrant l'origine du monde des hommes. Tys s'imaginait que, peut-être, les connaissances allaient s'imprégner dans sa mémoire et que les subtilités de la langue française y resteraient.

— Est-ce que c'est une fiction ? demanda Nuvem au bout d'un long moment.

— Ça dépend, dit Tys avec lenteur. Disons plutôt que c'est un mythe, mais que tous y croient.

— C'est très... magique.

Tys inclina la tête vers Nuvem. Depuis leur arrivée, il s'était lavé, s'était fait offrir des vêtements neufs et s'était même coupé les cheveux. En dehors de sa peau hâlée, il aurait facilement pu passer, au premier coup d'œil, pour un vrai habitant de Nyirdall.

— Là-dedans, ça parle comme si Nyirdall est un monde à part entière, mais en réalité, c'est un pays. Peut-être que ce que vous appelez le monde des hommes est un pays aussi, dans le fond ? Ou alors... peut-être que ce n'est qu'une expression, parce que déjà, entre Nyirdall et Thrasyall, on a l'impression d'avoir affaire à deux univers différents, même si ce n'est que trois jours de bateau. Est-ce que tu crois, suivant cette logique, que notre planète est un ramassis d'univers compacté sous forme de pays, et que les hommes sont les seuls à avoir conquis leurs planètes entièrement ? Ou encore que ce soit une illusion créer par les djinns, étant donné que ce sont eux qui ont créé leur monde. Est-ce que tu penses que le monde des hommes n'existe pas réellement, mais juste dans la tête de ceux qui y croient ? Et est-ce que...

— Oh... oh, Nuvem, arrête, fit Tys en s'asseyant sur son lit. Tu vas beaucoup trop loin, et je suis complètement perdu.

Tys se pencha pour atteindre le livre au sol, le ferma et le remit à sa place, dans sa bibliothèque. Dans son dos, Nuvem soupira, déçu. Il trouvait très intéressant ce sujet dont lui-même n'y comprenait rien.

— Et je te signale que le monde des hommes existe réellement. Dans la ville de Stanmore, il y a des dômes qui peuvent servir de portail pour s'y rendre.

— Vraiment ? J'aimerais y aller.

Cette fois, Tys éclata de rire pour de bon. Aller à Stanmore ? Un jour, peut-être. Traverser les dômes, en revanche... c'était un peu plus compliqué.

Tys s'apprêtait à lui expliquer qu'ils appartenaient aux djinns, qu'ils refuseraient qu'il y aille, et qu'il était tout bonnement impossible de faire quelque chose dans le dos d'un djinn. Mais il n'en fit rien ; Tys entendit des bruits de pas s'approcher de sa chambre, longtemps avant que quelqu'un ne cogne.

— Entrez.

La porte s'ouvrit et le visage de sa mère passa dans l'entrebâillement. Elle fit un sourire en avisant Nuvem étendu au sol, entouré de tous les livres de Tys.

— Il y a quelqu'un dehors qui veut te voir.

— Ah ? fit Tys avec innocence. C'est qui ?

— Un nain, répondit sa mère avec un haussement d'épaules. Il m'a l'air impatient.

— Ah, répéta-t-il bêtement. Eh bien, j'arrive.

Sa mère s'éloigna, mais laissa la porte ouverte. Tys soupira platement ; peu importe ce que c'était, il n'avait pas fini de végéter dans son lit. Selon lui, son aventure sur Thrasryall lui avait mérité des vacances d'au moins un mois.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Nuvem qui n'avait rien compris des paroles de sa mère.

— Rien de grâve... j'espère. Reste là et continue de lire ; je reviens vite.

— Mais je ne peux pas lire, si tu n'es plus avec moi.

— Regarde les images, alors...

Tys se leva à contrecœur et sortit de sa chambre, fermant la porte derrière lui avec la vague impression d'y enfermer Nuvem, puis traversa le corridor de la maison jusqu'au salon, où était l'entrée. Il sortit sur le balcon, enfonça les mains dans les poches de son pantalon, puis inspira une longue bouffée d'air frais.

L'hiver était définitivement arrivé. Il n'était plus question d'une mince couche de neige, mais bien d'une bonne dizaine de centimètres qui recouvrait tout le paysage. Les flocons qui tombaient doucement du ciel étaient aussi gros que son pouce. Les arbres de la petite forêt qui entourait la maison de ses parents étaient enveloppés d'une blancheur tel que Tys en ressentit un pincement aux yeux.

— Tys, bonjour. Ça fait longtemps.

Tys pivota à droite pour remarquer le nain, assis sur une chaise de bois. Il se tenait droit, lançant un regard inquisiteur sur Tys malgré qu'il fût définitivement plus grand que lui.

Tys sentit son sang quitter son visage et son cœur s'arrêter de battre. C'était Thogen, son patron du journal. Son ex-patron.

— Euh... bonjour, répéta Tys.

— Eh bien ? Tu n'as rien pour moi ? Nous sommes dimanche, pourtant.

Tys cligna bêtement des yeux. Avait-il quelque chose de prévu aujourd'hui ? Ç'aurait été le cas, s'il travaillait toujours au journal. Le dimanche midi, c'était la limite pour rendre un article, s'il devait être publié le lendemain.

— Non ? insista Thogen en se penchant légèrement en avant. Tu n'as pas encore terminé ? Tant pis, ça ira à la semaine prochaine... et ta paye aussi, du coup !

— Eh... monsieur, je ne suis pas sûr de vous suivre... comment voulez-vous que j'écrive sur l'actualité, si je n'étais plus là ? Moi-même, je ne sais pas du tout ce qui s'est passé au pays pendant deux semaines.

— Tu ne t'es pas informé auprès de ton correspondant à Thooth ?

Tys fit la moue tout en secouant la tête de gauche à droite.

— Je croyais que vous m'aviez renvoyé...

Le nain éclata aussitôt de rire, pressant son ventre rebondit de ses mains. Tys se renfrogna, même s'il avait déjà compris où cette conversation allait le mener. Il préféra tout de même jouer les imbéciles et poser la question, rien que pour s'en assurer :

— Donc... je ne suis pas renvoyé ?

— Si tu étais n'importe qui, tu peux être certain que oui. Mais... j'ai besoin de ton don, qui est malheureusement le plus rare qui existe. Je serais con de me séparer de toi.

— Merci... Je n'ai quand même rien à écrire.

— Tu es sûr ?

Tys inclina bêtement la tête. Il insistait sur son actualité ? J'étais ailleurs pendant deux semaines, qu'est-ce qu'il ne comprend pas là-dedans ?!

Thogen se leva de sa chaise et épousseta la neige qui s'était répandue sur ses jambes. Il s'avança vers le balcon, descendit une marche, puis se tourna à nouveau vers Tys, une lueur malicieuse dans le regard.

— Ta tâche première est de nous parler de l'actualité du pays, on s'entend. Mais rien ne t'empêche d'écrire ce que tu veux, tant que ce n'est pas de la fiction. Il n'y a pas quelque chose que tu aimerais nous partager ? Pourquoi tu as disparu pendant deux semaines, justement ?

Le nain descendit les dernières marches, puis lança un regard vers Tys au-dessus de son épaule. Lui n'avait pas bougé d'un pouce, continuant de dévisager son patron comme si une deuxième tête lui avait poussé.

— À dimanche prochain, Tys ! J'ai hâte de te lire.

— Oui... au revoir, répondit Tys avec un temps de retard.

Tys observa Thogen s'éloigner sur la route de terre gelée qui menait au reste du village de Nocksor. Toujours planté sur le balcon comme un piquet, la neige s'accumulant sur ses cheveux châtain, il ne savait plus ce qu'il convenait de faire. Au moins, je ne suis pas renvoyé.

Lentement, un sourire malicieux étira ses lèvres. Il savait ce qu'il lui restait à faire. Il savait surtout que ça allait probablement lui attirer des problèmes. Mais plus il se faisait à cette idée, plus il lui semblait impossible de l'ignorer.

J'espère que je ne vais pas perdre tous mes amis dans le processus...

 

À suivre...

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