Chapitre 6
Il avait fallu une heure à Egrim pour remettre la porte de chambre à sa place. Entre plusieurs tentatives qui l'avait presque conduit à la détruire encore plus, il avait réussi, par miracle, à se souvenir d'une formule que Sin ne lui avait jamais appris, mais qu'il avait vu utiliser une fois pour réparer un pot de fleurs qu'il avait fait tomber, il y avait plusieurs mois déjà.
La porte était à sa place, comme neuf et sans aucune imperfection. Et Egrim, étourdit de son tour de magie, retourna enfin au salon où l'attendaient Sin et Narsa, chacun avec leur sac sur le dos.
— Qu'est-ce qui t'a pris autant de temps ? demanda Sin. Je croyais que tu avais hâte de partir.
— Je n'arrivais plus à retrouver... un truc.
Sin lui fit un regard suspicieux alors que Jean, couché sur ses épaules comme à son habitude, ricanait à son oreille. Narsa, aux côtés de son arrière, arrière, arrière grand-père, lui faisait des mouvements de sourcils explicites.
— Bon, maintenant qu'on est tous là, on peut partir. Tout le monde dehors.
Sin se pencha pour prendre dans ses bras son chaticorne qui se frottait contre sa cheville, puis s'engagea vers la porte, Narsa sur ses talons. Egrim leur emboita le pas, non sans s'arrêter pour mettre son manteau. Enfin, ils sortirent et suivirent une route de pierre qui partait de la maison jusqu'aux quatre coins de l'île. L'un de ses chemins allait vers le nord et menait directement à un petit quai, avec un unique bateau. Il leur fallut à peine une dizaine de minutes pour s'y rendre. À la plage, l'air était si froid qu'Egrim grelotait en claquant des dents. Alors que Sin ramassait les cordes qui retenait l'embarcation, il lança un regard amusé à son apprenti. Lui, bien sûr, par son don sur le feu, ne ressentait pas la morsure des températures négatives.
— Tu connais la formule, Egrim. Réchauffe-toi.
— Et moi aussi, ce serait bien, intervint Narsa.
La fée avait entré ses ailes dans son manteau. Maintenant, elle ne ressemblait à rien de plus qu'à une lutine frigorifié.
— Non, je m'occupe de toi, fit Sin. Si Egrim y arrive à peine sur lui-même, c'est plus difficile sur les autres. Tout le monde à bord !
Egrim et Narsa suivirent Sin à l'intérieur. Il n'était pas très grand, faisant à peu près la taille d'un bateau de pêche. Sin alla derrière la roue, alors que Narsa allait le rejoindre pour tenter de profiter un peu de sa chaleur. Egrim, indécis, resta debout au milieu du pont.
— Qui va ramer ? C'est moi, je suppose ? bougonna Egrim.
— Si tu veux, je te n'en empêcherais pas ! Mais je pourrais simplement faire... antescr.
Le bateau s'inclina légèrement, emporté par une vague, et Egrim s'assit sur le banc avant de tomber. Le bateau se mit à s'avancer de lui-même, s'aventurant vers la mer qui les séparait du reste du pays de Nyirdall. Egrim pouffa, alors que le vent froid ébouriffait ses cheveux et lui refilait des frissons désagréables sur tout le corps. La magie de l'eau, bien sûr.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— En quelque sorte... avance. Tout simplement. Il ne peut pas signifier grand-chose si tu n'es pas sur un moyen de transport.
— C'est bon à savoir.
— Mais ce n'est pas de ce sort que tu dois t'occuper, Egrim.
Egrim hocha la tête, reportant son attention à la mer devant lui. Au loin, il voyait déjà le continent. Ce n'était pas une grande distance à parcourir. Mais à cette température, ça n'en restait pas moins pénible.
— Cadium...
Une douce chaleur l'enveloppa pendant quelque seconde, avant d'être remplacée par le vent froid. Egrim insista, relançant le sort encore et encore. Après chaque essai, il sentait que les effets duraient plus longtemps, ou alors ce n'était qu'une impression. Sans pour autant désespérer, il ne se brûla pas complètement de l'intérieur, comme à son essai d'hier.
— Quels sont les plants ? demanda Jean à son oreille.
— On va à Stanmore, répondit Egrim sans hésitation.
Il connaissait la carte du pays par cœur. Tout en répétant la formule encore une fois, il se faisait un itinéraire pour tenter d'y arriver le plus tôt possible. Il avait tellement hâte de retrouver Danayelle !
On va accoster au sud du désert de Sarxar. Si je vais tout droit, je vais atteindre Yglas... non, vaut mieux éviter l'endroit. Un peu à droite, la forêt Nashintill... eum... mauvais souvenir. À gauche, la ville de Shanginton... une perte de temps ! Oh, mais peut-être que je pourrais sauter complètement Yglas en me téléportant. Et atterrir... À Celeyste. Qui est à Celeyste, encore ? Est-ce que Mishi et Leerian y sont toujours ? Je n'ai plus eu aucune nouvelle de personne, depuis que je suis avec Sin...
Egrim se retourna pour lancer un regard vers Sin et Narsa. Tous deux assis côte à côte au fond du bateau, ils discutaient. Le vent sifflant aux oreilles d'Egrim l'empêchait d'entendre leur conversation.
Peut-être que je devrais essayer d'entrer en communication avec eux. C'était carrément facile, avec Sin. Pourquoi n'y arriverais-je pas ?
— Yerdis, murmura Egrim en fermant les yeux. Mishi...
Oh, et merde, pensa-t-il soudain. Même si elle m'entend, elle ne pourrait pas me répondre... tant pis. Mishi, je vais bientôt passer dans le coin. Mais en réalité, je n'ai pas trop envie d'aller à Celeyste, alors... Rend-toi à Buragh, ce n'est pas très loin de chez toi, pour ce que j'en sais. J'y serais ce soir... et je vais y rester pour la nuit. Si tu n'es pas là au lendemain matin, j'aurais compris que tu ne veux pas me voir. Oh, et... c'est Egrim, en fait. Salut. Fale.
Un frisson désagréable le traversa de la tête jusqu'aux orteils, mais Egrim était incapable de dire si c'était la faute au froid ou la magie. Il préférait espérer que c'était la deuxième option et le prendre comme une preuve que son sortilège avait fonctionné.
— Mais je n'ai pas envie !
— C'est un ordre, Narsa !
Egrim se retourna, étonné de la dispute qui semblait s'élever derrière lui. À l'autre bout du bateau, Narsa était debout devant Sin en gesticulant. Même étant assis, le mage dépassait la fée d'une bonne tête.
— Arrête, Narsa. Je ne reviendrais pas sur ma décision.
— T'es nul ! Je n'ai pas envie d'être coincé avec lui !
Elle pointa le doigt vers Egrim à ses mots. Celui-ci eut un mouvement de sourcils, comprenant alors que la conversation était à propos de lui.
— On parle de moi ?
Narsa et Sin tournèrent la tête vers Egrim, semblant tous deux étonné qu'il les eût entendus. Puis Sin soupira platement, alors que Narsa s'énervait encore plus.
— Narsa va rester avec toi pendant tes vacances.
— Je n'ai pas l'impression qu'elle en a envie, fit Egrim avec une grimace. Moi non plus, en fait.
Sin ce leva alors, imposant de tous ses deux mètres cinquante. Il pointa un doigt sur Egrim, ses yeux s'enflammant littéralement de colère.
— C'est un ordre !
Egrim déglutit pour seule réponse, échangeant un regard nerveux avec la fée. D'un seul coup, il n'avait plus envie de contester l'autorité de son maître. À ses côtés, pourtant, Narsa grommelait dans sa barbe en envoyant des coups de pied contre la ridelle du bateau.
— Je veux que vous restiez ensemble, tous les deux, continua Sin d'un ton à peine plus calme. Le monde peut être cruel, parfois, surtout envers un mage inexpérimenté. Tu sais ce que tu risques, Egrim ?
Celui-ci haussa innocemment les épaules. Il n'avait aucune idée où voulait en venir son maître.
— Un kidnapping. Ouais, et je n'exagère même pas ! Tu vaux plus que tu ne le croies, et beaucoup pourrait être tenté de se servir de toi.
Egrim soupira, ne se donnant pas la peine de répondre. Il avait envie de hurler au ridicule, mais il ne pouvait contester le fait qu'il s'était déjà fait enlever une fois par des pirates... même si ceux-ci ignoraient complètement qu'il était un mage.
— Très bien. Mais je sais me débrouiller seul.
— Je n'en ai rien à faire. Tu prends Narsa avec toi, et c'est tout.
— Oui, maître, fit Egrim d'un ton bourré de sarcasme.
Puis il se mit droit pour observer le paysage, l'air morose. Il n'en voulait pas tant à Sin de lui imposer une surveillante, mais plus à Narsa elle-même, car il était conscient qu'elle ne manquerait pas une occasion de se plaindre... Ni de tenter de découvrir ce qu'il lui avait caché, plus tôt dans la journée.
Egrim frissonna. Le froid avait repris ses droits sur son corps engourdi. Narsa ne doit jamais savoir ce qui était écrit sur cette lettre... Ni elle, ni personne. Parce que c'est absurde, et c'est complètement faux... c'est tout simplement impossible. Mon père s'est foutu de ma gueule, voilà tout.
Le bateau était déjà presque arrivé au bord d'une plage de Nyirdall. Une étendue de sable et de dune surmontée de neige s'étendait à l'infini. D'ici quelques petites minutes, les vacances allaient enfin pouvoir commencer.
— Ah ! s'exclama Narsa en s'avançant à ses côtés. Ce sera tellement chiant ! Tellement long ! Tu vas faire durer le voyage, hein ? Je le sais ! Tu vas encore vouloir faire le tour du pays, comme la dernière fois avec tes potes ? Je te préviens ; moi, je n'en ai pas envie !
— Je ne te demande pas de me suivre ! C'est Sin qui t'en oblige. Alors, ne rends pas les choses pénibles, OK ?
— Je vais les rendre pénibles si je veux !
— C'est ta personnalité tout entière qui est pénible.
Loin derrière eux, Sin lâcha un grand soupire. Il commençait presque à se dire que c'était peut-être une mauvaise idée.
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