Chapitre 58

Alors que Leerian se faisait téléporter à la tour des djinns comme si toute cette aventure ne s'était jamais produite, Mishi parcourait dans les rues de Mefghan, entrainé par la poigne de fer de son père.

Mishi s'était imaginé qu'Adan serait trop épuisé pour courir en ligne droite jusqu'à Celeyste, et pourtant, on aurait bien dit que c'était ce qu'il comptait faire. L'homme avait un regard presque fou, les yeux écarquillés tout en se frayant un chemin à grand coup d'épaule parmi les passants qui se retournaient pour les dévisager.

Ils avaient dépassé le port. Mishi et Adan étaient dans un petit quartier bordé de jolies maisons, de plus en plus espacé l'une de l'autre, quand la sirène commença à en avoir marre. Ça faisait déjà près de dix minutes qu'elle s'efforçait de se soustraire à la poigne de son paternel, qui n'en démordait pas.

— Papa ! cria-t-elle en désespoir. Arrête-toi !

Elle tira encore sur son poignet, mais son pied dérapa sur une pierre dépassant du chemin en terre sapé. Sa cheville lâcha et elle s'effondra au sol. Adan s'arrêta enfin, le poignet de sa fille lui glissant des mains sous la surprise. Il se balança sur lui-même et regarda tout autour d'eux, tel un animal traqué.

— Lève-toi, Mishi, on a beaucoup de route à faire.

Il se pencha pour reprendre Mishi par le bras, mais celle-ci se décala pour lui échapper. Elle resta obstinément assise au sol, bien que la douleur à sa cheville s'estompât déjà.

— Je ne bougerais pas de là, grommela Mishi. J'en ai marre de me faire trainer dans toute la ville comme tu le fais. Et surtout, papa... il faut qu'on parle !

Adan se mordit la lèvre en lançant un nouveau regard à la ronde. Il détestait qu'ils se trouvaient dans une ville ; lui qui avait vécu une bonne partie de sa vie en forêt, le simple fait d'entre entouré de gens le mettait mal à l'aise. Et son sens paternel lui dictait de protéger sa fille qui, en tant que sirène, risquait d'éveiller la colère des marins. En plus que Mefghan était une ville portuaire, pratiquement tous les habitants de Mefghan étaient marins.

— On ne peut pas rester ici...

— Si, on peut ! Il n'y a aucun danger dans cette ville, je te l'assure.

Mishi croisa les bras et s'installa confortablement au sol, telle une enfant en pleine crise. Adan lâcha un grand soupir ; après l'aventure qu'il avait vécue, il n'avait pas la force d'embarquer Mishi sur ses épaules et la trainer de force.

— D'accord, tu as raison... il faut qu'on parle, et c'est ce qu'on va faire. Mais est-ce qu'on pourrait au moins se trouver un coin un peu plus tranquille ?

Mishi grommela tout en promenant son regard dans la rue. Il était vrai que ce quartier semblait contenir beaucoup de gens. Elle n'avait pas spécialement envie que n'importe qui écoute ce qu'elle avait à dire. Au loin, elle remarqua un banc inoccupé, et Mishi se leva pour y aller. Adan lâcha un bref soupire, puis suivit sa fille. Ils s'assirent côte à côte, observèrent les passants un instant, puis Mishi se tourna vivement vers son père pour le darder ses yeux violets.

— Ça ne sert à rien de courir jusqu'à Celeyste. Il faut qu'on mange d'abord. On n'a rien avalé depuis trop longtemps ; je n'ai pas d'or pour acheter de nourritures, et je n'ai plus de flèche pour chasser. On doit rester près de la mer si tu veux que je nous attrape quelques poissons. En quittant Mefghan, la route s'enfonce vers les terres et on en a pour plusieurs jours avant d'atteindre notre maison, dont j'ai déjà vidé toutes les armoires.

Adan fit la moue pour seule réponse. Ce que disait Mishi coulait sous le sens, pourtant, il détestait l'idée de rester en ville. Et surtout, c'était ici même que, il y a plusieurs mois, il s'était fait enlever par des pirates et trainé de force jusqu'à Thrasryall. Mishi avait beau affirmer que cet endroit était sans danger, il avait beaucoup de mal à y croire.

— Très bien, dit Adan au bout d'une minute. Tu nous attrapes un ou deux poissons chacun, et ensuite, on repart pour Celeyste. Et on n'en ressort plus ! Avant un très long moment !

Ce fut au tour de Mishi de faire la moue. Elle baissa les yeux sur ses genoux, regardant son pantalon sale et déchiré. Elle comprenait très bien la nature du sous-entendu de son père. Ne plus sortir de Celeyste signifiait, bien sûr, de ne plus participer à des aventures d'aucune sorte. Surtout, évidemment, si ça concerne Leerian.

Mishi se pencha un peu plus près d'Adan, appuyant presque la tête sur son épaule, avant de parler tout bas :

— Tu sais, papa... Leerian n'est pas méchant.

Sans lever les yeux, elle sentit son père se crisper. Ses mains se serrèrent sur le banc, sous ses cuisses.

— Leerian... c'est drôle, hein. Je me souviens, la toute première fois que je les vues. Il était tellement nerveux, comme s'il croyait sincèrement que j'allais le tuer...

Adan ricana entre ses lèvres pincées. Il leva la tête, regardant les gens passer près d'eux avec insouciance.

— Si j'avais su, je l'aurais fait.

— Papa ! s'exclama Mishi d'une voix plaintive.

— Oui, je sais... je n'aurais pas réussi. Sa cour vite, des elfes !

— Papa, répéta Mishi. Arrête. Leerian n'a jamais voulu que ça se termine comme ça. Est-ce que tu te souviens, aussi, comment il n'avait pas voulu nous suivre, Danayelle et moi ? Il l'a fait parce que... parce qu'il craignait de rester seul.

— Qu'est-ce que ça change ? Il aurait dû rester seul.

— S'il n'était pas venu avec nous, on serait morte à Yglas !

Cette fois, Adan en demeura bouche bée. Suffisamment, du moins, pour que Mishi enchaîne sans lui laisser le temps de répliquer :

— Je sais que Leerian a pris plusieurs mauvaises décisions, mais au final, il essayait de bien faire. Il a toujours pensé à Danayelle et moi avant sa propre personne... enfin, presque toujours. Il est vrai que, ce voyage à Thrasryall, c'était pour lui-même. Mais il ne nous a jamais demandé de le suivre. Il voulait partir seul pour s'exiler...

Mishi renifla, contenant l'émotion qui montait malgré elle, avant d'enchainer :

— Ça fait déjà six mois que, pour Leerian, tout va complètement de travers. Je ne sais pas ce qu'il va faire si ça doit continuer comme ça pour lui. J'ai peur que... qu'il en ait marre pour de bon, et...

Mishi manqua de souffle. Elle était incapable de terminer sa phrase, pourtant, le message était clair. Adan pinça les lèvres et passa un bras autour des épaules de sa fille, alors qu'elle essuyait ses larmes sur ses joues, creusant des sillons sur sa peau crasseuse.

— Je l'aime, fit-elle d'une voix cassée. Et je m'inquiète pour lui.

— Je suis désolé, dit Adan avec douceur. Mais il faut que tu le comprennes... Leerian est dangereux et je n'approuverais jamais que tu aies une relation avec... un loup-garou.

— Mais il est surveillé par un djinn ! Il n'y a aucun danger !

— Un djinn plutôt insouciant, à mon avis. Il l'a laissé quitter le pays.

Cette fois, ce fut Mishi qui ne savait plus comment répliquer. Son père avait parfaitement raison ; djinn ou pas, Leerian avait bien passé près de s'attaquer à elle, à Thrasryall. Sans l'intervention de Danayelle, et sans le fait qu'il était déjà à bout de force, il l'aurait probablement tué à ce moment-là. Ou, à la limite, mordue ou griffée. Ce qui aurait été suffisant pour la transformer, elle aussi, en loup-garou. Est-ce qu'une sirène peut devenir loup-garou ? Cela commençait à faire beaucoup de transformations...

— Mishi, je comprends que tu puisses avoir des sentiments pour Leerian. Il est plutôt attachant. Mais tu es une très jolie jeune femme et tu sauras trouver quelqu'un d'autre très rapidement. Vraiment, tant que tu es heureuse, je n'en demande pas tant... jusque que ce ne soit pas un loup-garou !

Mishi serra les poings, sentant la colère monter en elle. Son père était complètement désillusionné, s'il croyait que tout ce dont elle avait besoin, c'était n'importe quel mec ! Elle ne voulait pas d'un homme quelconque, elle voulait Leerian !

Peu importe ce que je dis, il ne le comprendra jamais. Mieux vaut terminer cette conversation au plus vite ; ça commence à être pénible.

Mishi hocha la tête. La mâchoire contractée et les poings serrés, elle se leva et reprit la marche à travers le quartier. Adan se précipita à sa suite.

— Je vais aller nous chercher ces poissons, dit Mishi d'un ton dur. On retournera à Celeyste après.

Et dès que possible, je reviendrais pour toi, Leerian...

Mishi s'immobilisa aussitôt que cette pensée traversa son esprit. Adan la rattrapa et s'arrêta à ses côtés, intrigué du comportement de sa fille.

Qu'est-ce que je m'imagine ? Que je vais fuguer ? Je viens à peine de retrouver mon père, perdu depuis six mois... Il a besoin de moi, lui aussi. Je ne peux pas l'abandonner !

— Mishi ? s'inquiéta Adan tout en posant une main sur son épaule.

— Ça va, grommela-t-elle tout en reprenant la marche.

Mishi doubla de vitesse. Elle ne savait plus du tout quoi faire. Elle voulait être près de son père autant qu'elle voulait être près de Leerian, mais son père ne voulait plus qu'elle approche Leerian, et elle ne voulait pas quitter son père pour autant.

C'était tout un casse-tête en perspective...

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