Chapitre 56

Le voyage de retour jusqu'à Nyirdall fut paisible. La mer était de leur côté, sans trop de vague, à croire que même dame nature avait hâte qu'ils retrouvent leur pays natal.

Ce fut deux longues journées, pendant lesquelles Leerian ne fit pratiquement que dormir. Egrim, lui, était resté assis dans son coin, les bras autour des jambes, l'esprit dans une profonde nostalgie. Sin l'avait laissé tranquille, mais il était toujours convaincu qu'il allait bientôt lui faire regretter d'être vivant. Et pour tous les autres, ce fut un voyage lent et particulièrement ennuyant. Malgré eux, tous s'étaient habitués à ce que dix-mille choses se produisent la même journée.

Déjà, Nocksor était visible au loin. Pour Tys, l'aventure était terminée. Il soupira de soulagement, puis se délogea de son coin, où Nuvem d'un côté et Leerian de l'autre l'empêchait de bouger proprement. Il s'étira, fit craquer ses articulations à lui attirer des regards de travers, et fit un sourire innocent à tous ses amis.

— L'heure à sonner, dit-il d'un ton plein de mystère.

Tous tournèrent la tête à droite et découvrirent la grande île de Nocksor, à tout juste quelques centaines de mètres de leur bateau. Danayelle poussa un petit cri aigu, se leva à son tour et s'avança à grands pas vers Tys tout en marchant sur les bras et les jambes des rescapés, qui grognèrent à son passage. Enfin, elle enlaça Tys très fort, qui répondit à l'accolade en serrant la blonde contre lui.

— Merci d'avoir assisté à notre expédition de malheur, Tys !

Mishi pouffa de rire à la formulation. Danayelle ne pouvait pas si bien dire.

— Ouais, tu nous as épargnés d'un tas de problèmes, renchérit-elle.

— Un tas de problèmes ? Tu veux dire que, sans lui, on serait mort ! Tys nous a tous sauvé la vie !

Cette fois, ce fut Leerian qui lâcha un petit rire amer, dont Tys comprit aussitôt le sens. Peut-être avait-il empêché tout le monde de mourir, particulièrement au moment du kidnapping des pirates... mais si on regardait les choses depuis la source, ç'aurait été la faute à Leerian si tous avaient péri sur Thrasryall.

— C'est sans rancune, dit Tys tout en s'efforçant d'ignorer les sentiments de Leerian. Mais, euh... ne comptez pas sur moi pour recommencer, OK ?

— La prochaine fois qu'on te demandera en renfort, envoie-nous bouler, dit Danayelle avec un large sourire. Et Nuvem, aussi ! Il comprend ce que je dis ? (Elle attendit que Tys hoche la tête avant de continuer :) Nuvem, tu nous as beaucoup aidés, dans ton stupide pays. Un très gros merci !

Nuvem, qui était toujours assis, regardait Danayelle sans broncher. Tous l'observaient en silence. Tys se mordit la lèvre ; est-ce que son don ne fonctionnait plus ? Est-ce que Nuvem n'avait pas compris malgré sa télépathie qui faisait la traduction ? Le moment dura quelques secondes supplémentaires, avant que Nuvem ne pouffe de rire, puis se lève pour se mettre aux côtés de Tys. Il fit un petit sourire arrogant, puis répliqua :

— À quoi bon dire merci ? Vous m'avez kidnappé.

— Eh, tu m'as supplié de m'accompagner ! s'exclama Tys.

— En dernier, oui ! Je veux dire ; au tout début. Je vous ai pardonné.

Tys leva les yeux au ciel en soupirant.

— Allez, viens, Nuvem...

Tys fit un dernier au revoir à ses amis, puis leur tourna le dos pour aller rejoindre Egrim qui n'avait pas bougé depuis deux jours. Il s'agenouilla à ses côtés et lui fit un sourire. Nuvem le suivait de près, comme toujours dès qu'il faisait le moindre mouvement.

— Hé, Egrim. Tu me dis salut, au moins ?

Egrim lui lança un regard torve. Ses yeux étaient cernés, même la couleur pâle de ses iris semblait plus terne. Tys se mordit la lèvre ; Egrim n'avait pas l'air bien. Visiblement, il avait passé ses deux derniers jours à angoisser de façon presque maladive sur le sort que lui réservait son maître.

— Salut, dit simplement Egrim.

— Allez, lève-toi.

Egrim soupira d'ennui, puis s'exécuta. Aussitôt debout, Tys le prit dans ses bras dans une longue accolade. Il s'efforçait de lui redonner un peu le moral, mais Egrim ne répondit pas à l'étreinte.

— Ça va bien se passer, Egrim... (Tys lança un regard vers Sin, à la roue, avant de revenir à lui et d'ajouter dans un murmure :) Ton maître n'est pas aussi sévère que tu le crois.

— Tu ne le connais pas.

— Non... mais je suis télépathe. Je sais cerner les gens très rapidement. Toi, en revanche...

Egrim fronça les sourcils. Tys pouffa de rire.

— Ton opinion des adultes est faussée par le traitement que tu as eu de tes parents. Mais crois-moi ; tout va bien aller. Et en cas de problème, tu n'as qu'à me contacter. Je risque d'avoir beaucoup de temps libre, prochainement. C'est clair que le journal va me renvoyer... Si tu le souhaites, je te rendrais bien visite à Wondor !

Enfin, Egrim esquissa un sourire. Il avait déjà hâte de retrouver son ami. Surtout, de le revoir rien que pour passer un bon moment, et pas pour s'enfuir sur un autre pays !

— Je le ferais, promis. Je te tiendrais au courant.

— Alors, tu veux bien me téléporter chez moi ? On est assez près, maintenant, non ?

Egrim leva la tête vers l'horizon. Il remarqua rapidement l'île Nocksor, avec ses grandes collines et ses longues plages de galets. D'ici, il apercevait même un peu des boutiques du village et quelques habitations en bord de mer.

— Oui...

— Non.

Egrim sentit son cœur rater un battement. Sin, les deux mains sur la roue, avait tout entendu de leur conversation.

— Je m'occupe de te ramener, Tys. Et l'autre, là... le type bizarre qui te suit tout le temps. Mais Egrim reste sur le bateau.

Egrim fit la moue tout en détournant le regard. Tys lui fit un sourire d'excuse alors que Sin s'approchait de lui et Nuvem. Il les prit chacun par un bras, murmura la formule « Iartrest », puis disparut dans un coup de vent. Egrim profita de son absence pour lui faire une grimace.

*

Sin réapparût sur la plage de Nocksor, soutenant Tys d'une main et Nuvem de l'autre. Tys grimaça, comme toujours pendant les téléportations. Nuvem, lui, dérapa sur les galets et s'effondra à genou. Tys se pencha pour le rattraper, mais Sin resserra son emprise sur son bras pour l'en empêcher.

— Tys, s'il te plait, dis-moi ce que je dois savoir.

La grimace de Tys empira. Il avait presque oublié avoir promis au mage que, si Egrim ne lui révélait pas son secret, qu'il le ferait à sa place. Pourtant, malgré l'importance du sujet, il n'en avait vraiment pas envie.

— Ce n'était pas un mensonge, monsieur... je vous dirais tout sur Egrim s'il ne le fait pas en premier... mais laissez-lui du temps. Au moins une semaine. Ou un mois. Un mois, ce serait bien ! Il aura le temps de se remettre de ses émotions. Croyez-moi, je suis doué pour les déceler, et... ceux d'Egrim sont vraiment intense, depuis... Depuis... ça. Sachez que, quand bien même qu'Egrim à l'intention, ou non, de vous parler, il est clair qu'il n'en a pas encore eu l'occasion. Évidemment qu'il ne dira rien avec autant d'oreilles dans le coin !

Sin lui lâcha enfin le bras. Il recula d'un pas et envoya un coup de pied dans un galet, qui se fondit dans une petite vague avec un « plouf ».

— J'ai perdu l'habitude d'avoir des enfants, grommela Sin. Egrim est vraiment tout un cas pour se remettre dans le bain.

— Vous savez autant que moi qu'il n'a pas eu une vie toute rose, dit Tys d'un ton qu'il espérait doux. Mais donnez-lui du temps. Et, euh...

Tys pinça les lèvres, hésitant à dire ce qu'il avait en tête.

— Et quoi ? insista Sin.

— Et... évitez de le gifler.

Sur ses mots, Tys prit Nuvem par le bras et l'entraina avec lui en direction de son village, vers une mince colline saupoudrée de neige. Nuvem se laissait faire, observant déjà partout avec un regard émerveillé.

— Tys ! l'appela Sin. Je reprendrais contact avec toi dans un mois. Je n'y manquerais pas !

— D'accord, dit Tys du bout des lèvres.

Il espérait de tout cœur que cela ne se produirait pas.

*

Sin réapparût sur son bateau, à la roue comme s'il n'avait jamais quitté son poste. Il vérifia sa boussole, puis la quantité d'étincelle de fée dans le moteur. Il lança un regard discret vers Egrim, s'efforçant d'être subtil, puis rougit en avisant que son apprenti l'observait déjà.

— C'était long, dit Egrim.

— Qu'est-ce que tu crois ? J'ai pris le temps de lui dire au revoir, répliqua Sin d'un ton acerbe malgré lui.

Comment puis-je espérer qu'il me dise la vérité, alors que je lui mens en pleine face ?! Sin soupira, baisant à nouveau les yeux vers le moteur. Il y avait peu d'étincelle, mais suffisamment pour atteindre Mefghan, la ville portuaire la plus proche, où il avait l'intention de larguer ses passagers.

— Narsa ? Tu peux me donner un peu de jus ?

La fée, qui était assise à l'opposé d'Egrim, se leva aussitôt pour l'aider, même si elle avait tout de suite compris que ce n'était qu'une tentative pour éviter la conversation.

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