Chapitre 54

Sindruid, le puissant mage et maitre d'Egrim, était venu à sa rescousse. À lui seul et en moins d'une minute, il était non seulement abattu tous les pirates ; il avait coulé leur bateau et le capitaine avec, emporté sous une vague immense. Il avait envoyé au tapi tous ceux qui étaient sur la plage d'un même coup, laissant tout le monde en état de choc.

Sin apercevait facilement Egrim, son rebelle protégé, à quatre pattes dans le sable en crachant l'eau de mer qu'il avait avalée. Avait-il idée de la peur que Sin avait éprouvée depuis le moment où il avait pris contact télépathiquement avec lui ? Egrim lui avait communiqué tout un tas d'images mental avec des monstres, des pirates et du sang à gogo. Sin, évidement, avait tout laissé en plan pour se lancer à sa rescousse, convaincue qu'il arriverait trop tard. Il avait dû abandonner son commerce, dont il était de retour en fonction que depuis une semaine, se faire pratiquement insulter par ses clients, pour ensuite aller récupérer son bateau et utiliser toute une panoplie de sortilège pour tripler sa vitesse, ce qui l'avait bien épuisé. Sin était étonné lui-même du temps qu'il lui avait fallu pour parcourir une telle distance. Tout juste une trentaine d'heures.

— Papi !

Sin leva les yeux vers le ciel. Il eut tout juste le temps d'apercevoir un éclat de lumière vert que Narsa lui avait déjà sauté dans les bras pour une puissante accolade, le faisant presque basculer de la balustrade. Luna, la petite chaticorne qui ronronnait paisiblement sur les épaules du mage, feula d'indignation.

— Narsa ?!

La fée sanglota à son oreille. Sin la serra contre lui, puis passa doucement une main sur ses cheveux.

— Ce n'est pas ma faute, je te le jure ! C'est Egrim ! Enfin, c'est Leerian qui voulait partir... bon, c'est la faute de tout le monde, sauf moi ! J'ai essayé de le retenir, mais j'ai raté ! Puis on s'est fait enlever par des pirates, et...

— Eh, ça va, Narsa, la coupa Sin. On en reparlera plus tard, d'accord ?

Narsa recula et se posa sur le bateau, ses ailes se rétractant dans son dos, puis elle hocha la tête en essuyant ses larmes.

— Je sauve tout le monde et on en parle ensuite, continua Sin. Assieds-toi, je reviens vite. Oh, et... prend soin de Luna. Elle a le mal de mer.

Narsa fit la moue en regardant le chaticorne qui miaulait en se frottant contre sa jambe. Elle voulut poser une question, notamment pourquoi il avait emporté son chat, mais le temps qu'elle ouvre la bouche, Sin avait déjà disparu.

Sin s'était téléporté sur la plage, tout près d'Egrim. Lui n'avait toujours pas compris ce qui se passait ; une main pressé sur son torse, les yeux étroitement clos, il toussait et crachait. C'est peut-être trop tôt pour les remontrances, pensa Sin. Il tourna le dos à son élève pour observer le décor. Il reconnut rapidement Danayelle, non loin de lui, assisse et semblant à bout de souffle, ses cheveux blonds mouillé et plaqué contre son visage. À une vingtaine de mètres de là, Leerian et Mishi le regardaient tous deux avec un large sourire. Parmi eux, il y avait aussi d'autres hommes, des pirates et des villageois. Une bonne partie était étendue au sol, mort ou gravement blessé. Mais d'autres, comme Sin ne manqua pas de remarquer, se levaient pour le viser avec une arme à feu. Un pirate appuya sur la gâchette, mais un simple déclic mouillé se fit entendre.

Sin esquissa un demi-sourire, alors que le pirate affichait plutôt une grimace d'horreur. Il avait bien compris qui était son adversaire ; Sin, à l'inverse d'Egrim, n'avait pas oublié de mettre son badge de don. Contrairement à celui des dotés qui étaient bleus, le sien était rouge. Les badges rouges, c'étaient pour les magiciens. Et quand on avait affaire à l'un d'entre eux, mieux valait courir dans la direction opposée.

Ce fut exactement ce que le pirate décida de faire. Il prit ses jambes à son cou, abandonnant son arme au sol et hurlant dans sa fuite. En revanche, pour ce qui était des natifs...

Une dizaine de villageois avait survécu au tsunami et fonçait vers Sin avec leur fourches et leurs torches éteintes. Eux aussi criaient, cette fois de rage et de détermination.

Sin n'avait pas envie de plaisanter, encore moins de passer ne serait-ce que cinq minutes sur ce pays maudit. Il contourna Egrim de sorte qu'il soit derrière lui, puis présenta ses mains qui s'illuminèrent de flamme rouge orangé.

Korpres... Rebroussez chemin, ou je vous tuerai tous !

Les natifs s'arrêtèrent aussitôt, se dévisageant entre eux. Par son sort de télépathie, ils avaient tous très bien compris ce que Sin avait dit. Mais après quelques secondes d'hésitation, ils s'élancèrent tous à nouveau en criant et en brandissant leurs armes.

Sin soupira d'ennuie. Les flammes dans ses mains triplèrent de volume, devenant plus éblouissante et d'une teinte presque bleutée, puis il envoya le tout sur les villageois en une puissante vague de chaleur torride.

Derrière lui, Egrim reprenait son souffle. Le visage rouge et les larmes aux yeux tant il avait eu du mal à se remettre de toute l'eau de mer qu'il avait avalé, il regardait avec un mélange d'horreur et de fascination le mur de feu qui fonçait droit verse les natifs, qui hurlaient et courraient en sens inverse. D'où il était, il ne voyait pas vraiment ce qu'il advenait des villageois ; ils étaient probablement tous en train de vivre leurs derniers moments dans une souffrance atroce. Malgré les trente mètres qui le séparait de ce carnage, il ressentait le vent chaut lui fouetter la peau, plaquer ses cheveux vers l'arrière et sécher ses vêtements. Et pourtant, il fallut une grosse minute à Egrim pour réaliser vraiment ce qui se passait. Son maitre Sindruid était là, tout juste devant lui. Ce qui signifiait... que tout était fini.

Le mur de feu disparut soudainement, comme s'il n'avait jamais existé. Le froid et le silence retombèrent sur la plage, alors qu'il ne restait plus aucun ennemi en vue. Egrim regarda à nouveau où était auparavant les villageois, s'attendant à y voir tout un tas de corps calciné, mais non. Il n'y avait rien, autre que du sable. Egrim fronça les sourcils, réalisant soudain que Sin n'avait tué personne ; il s'était contenté de leur faire peur et ils s'étaient tous enfuis.

— Egrim.

Celui-ci leva lentement les yeux. Assis au pied de son mètre qui mesurait près de deux mètres cinquante, il se sentait ridiculement petit et diminué. Même Jean, son long corps de serpent enroulé autour de son cou comme toujours, semblait vibrer d'appréhension.

— M... monsieur, dit-il dans un léger bégaiement. Euh... merci. Je...

— On en reparlera plus tard. Aide-moi à ramener tout le monde dans mon bateau.

Egrim hocha la tête, puis baissa les yeux au sol. Son cœur s'était remis à battre drôlement fort ; plus parce qu'il était convaincu qu'il allait bientôt mourir, plutôt parce qu'il allait bientôt se prendre toute une raclée de son maitre.

Sin se détourna de son élève et s'avança vers Tys. Un peu plus loin, une main pressée sur sa hanche où une épée l'avait traversé, il était embêté, incapable de gérer tout ce qui venait de se passer. Il dévisageait Sin, s'approchant de lui tel le messie qui avait réglé tous leur ennuies par sa simple présence.

— Ça va ? demanda Sin.

Tys pouffa de rire à la question. Il n'avait aucune idée comment y répondre.

Sin s'agenouilla près de lui et souleva son teeshirt pour regarder sa blessure. La plaie s'y était déjà refermée par les soins d'Egrim. Pourtant, il était fatigué. Le sang qu'il avait perdu ne s'était pas reconstitué.

— Je te ramène en sureté...

Sin posa sa main sur le bras de Tys. Celui-ci sursauta ; sa peau était particulièrement chaude. Un peu trop pour être agréable.

— Attendez... laissez-moi une minute. J'ai un truc à faire en premier.

Sin fit la moue, puis haussa les épaules avec désintérêt. Il se releva et tourna les talons, se dirigeant cette fois vers Adan, Helm et Ehdi, tous étourdi dans leur coin.

Tys observa le mage s'éloigner en se mordant la lèvre. Sans jamais l'avoir rencontré, il savait parfaitement à qui il avait affaire. Il esquissa un sourire, puis pouffa de rire pour de bon. C'était Sindruid ; à son travail, au journal de Nocksor, il avait un article à écrire sur lui pour signaler son retour en fonction à Wondor. Il n'y est pas resté longtemps, on dirait. Il a devancé mon article !

Tys se releva lentement, prit l'épée qui trainait près de lui par réflexe, puis balaya la plage du regard. Il trouva Nuvem à la lisière de la forêt, à moitié caché derrière un tronc d'arbre. Il observait partout, semblant se demander s'il était maintenant sécuritaire de se montrer, ou s'il valait mieux s'enfuir. Tys alla vers lui, un petit pas à la fois, une main toujours pressée sur sa hanche. La tête lui tournait à effectuer cet exercice.

Nuvem le voyait faire. Il risqua un regard vers Sin, qui pourtant disparût au même moment en entrainant Ehdi avec lui. Il téléportait tous les présents, un à un, à son minuscule bateau. Nuvem jugea que le danger était écarté et s'avança à la rencontre de Tys. Tous deux s'observèrent un instant ; Tys dont le vêtement était couvert de sang, une épée à la main, et Nuvem qui avait un énorme bleu sur la mâchoire.

— C'est le moment de prendre une décision, Nuvem. Tu étais sérieux, quand tu disais vouloir me suivre à Nyirdall ?

Nuvem hocha aussitôt de la tête.

— Réfléchis, insista Tys. Prends une minute et penses-y.

— Je le veux, fit Nuvem. J'en ai marre de cette vie. Je vous ai bien observé, toi et ta bande... vus à quel point vous avez eu du mal à survivre ici, ce doit être vraiment tranquille, dans votre pays.

— Ce l'est, dit Tys avec un pâle sourire. Surtout sur mon île...

— S'il te plait, dit Nuvem d'un ton presque solennel. Amène-moi avec toi.

— D'accord, d'accord... mais il va falloir que je t'apprenne le français... et le savoir-vivre. Il n'y a pas de cannibalisme, sur Nyirdall !

— Et c'est une bonne chose !

Tys hocha la tête et lâcha un bref soupire. Bonne réponse. Tys s'avança alors vers Sin, qui avait réapparu après avoir transporté Adan sur son bateau. Le mage se tourna vers lui, puis fronça les sourcils en remarquant le natif qui le suivait de près.

— Je suis prêt à partir.

— Et lui ?

— Il vient avec moi.

Sin grimaça. Même s'il n'avait pas participé à l'aventure, il avait déjà séjourné sur ce pays, dans une expédition bien mieux contrôlée, presque un siècle plus tôt. Il connaissait bien les habitudes alimentaires des habitants de Thrasryall.

— Je me porte garant ! dit Tys avant que Sin n'ouvre la bouche. Et je sais que c'est dangereux, mais je ne le lâcherais pas d'un pouce.

Sin hésita un long moment. Au loin, Tys remarqua Egrim, discutant avec Danayelle ; il s'apprêtait probablement à la téléporter au bateau. Tous deux échangèrent un regard. Viens m'aider à le convaincre ! lui communiqua Tys. Mais Egrim détourna les yeux et disparut aussitôt, emportant la blonde avec lui. Tys en fut insulté ; après tout ce qu'il avait fait pour lui, il ne voulait même pas lui donner son soutien dans cette tâche, tout de même beaucoup plus aisé que de survivre sur ce pays de taré ! Tys serra les poings, mais prit sur lui, reportant son attention au mage.

— S'il vous plait, fit-il simplement. Nuvem est gentil. Et s'il se produit quoi que ce soit, je saurais le gérer.

Tys pointa un doigt vers sa poitrine, où brillait son insigne de télépathe. Sin grommela dans sa barbe ; il est conscient qu'un télépathe serait parfaitement capable de contrôler toute sorte de situations. Mais malgré le doute, il n'avait pas envie de s'éterniser ici sans raison.

— Oh, très bien... mais je me réserve le droit de le balancer par-dessus bord s'il est bizarre pendant la route jusqu'à Nyirdall.

Tys hocha la tête et pinça les lèvres pour s'empêcher de répliquer. Sin n'attendit pas qu'il réponde ; il posa une main sur son bras et l'autre sur celui de Nuvem et les entraina tous deux sur le bateau, une centaine de mètres plus loin. Tys sentit son cœur lui remonter à la gorge à cette téléportation imprévue ; il tomba à genoux alors que Sin disparaissait déjà, allant chercher les deux seuls rescapés qui étaient encore sur la plage.

Egrim éprouvant toujours une puissante rancœur contre Leerian, il les avait délibérément oubliés, laissant le soin à son maitre de s'occuper d'eux. Leerian, reprenant du poil de la bête en sachant qu'ils étaient enfin sauvés, avait quitté Mishi pour récupérer son pantalon. C'était quand même un peu cocasse que, après toute cette situation, son dernier souci était que Mishi était coincé avec sa queue de poisson.

Il trouva le vêtement une dizaine de mètres plus loin, mouillé et couvert de sable. Il le ramena à la sirène, puis lui tourna le dos et s'assis devant elle, s'efforçant de la cacher de son corps à quiconque aurait le malheur de regarder dans leur direction. Sin, par exemple. Leerian le voyait, s'avançant droit sur eux. En remarquant ce que faisait Mishi, il s'arrêta et fit genre de s'intéresser à un bout de bois qui dépassait du sable, non loin d'où il était.

Ça lui donnait peut-être une minute pour dire quelque chose. Leerian le sentait ; il devait dire quelque chose.

— Mishi... je suis content que tu sois venu jusqu'ici avec moi. Mais je suis surtout terriblement désolé de la tournure des évènements.

— Ça va, Leerian... je suis consciente que tu n'avais rien prévu de tout ça. Je ne t'en veux pas ; j'ai retrouvé mon père, malgré tout.

Leerian esquissa un faible sourire. Ça lui faisait du bien de savoir qu'il pouvait compter sur elle. Tout était revenu comme avant ; elle l'aimait toujours, bien qu'il soit un horrible loup-garou.

Il risqua un regard derrière lui. Mishi remontait la fermeture éclair de son pantalon. Elle, en revanche, ne souriait pas. Elle pensait l'inverse ; elle l'aimait toujours... mais rien ne sera jamais plus comme avant.

— Mon père... il sait que tu es un loup-garou, maintenant.

Leerian en perdit aussitôt sa bonne humeur. Tout s'était passé tellement vite qu'il en avait oublié des bouts. Il était vrai qu'Egrim s'était fait un plaisir de le mettre à nue devant Adan.

— Est-ce que... euh... tu penses qu'il va... peut-être, un jour... accepter ?

Mishi lui renvoya un regard torve, très révélateur. C'était un non pur et dur.

— Ma mère a été tuée par un loup-garou, je te rappelle. Oh, Leerian... Je t'aime. Mais je crois que nous sommes en train de vivre notre dernière conversation.

Leerian sentit son cœur rater un battement. Et pourtant, il savait très bien qu'elle avait raison. Cette conversation allait même s'arrêter dès que Sin les aura rejoints. Il lança un regard vers le mage, vingt mètres plus loin. Il s'avançait à nouveau vers eux, l'air déterminé. Lui, pas plus que tout le monde, n'avait envie de s'éterniser sur ce pays.

— Moi aussi, je t'aime, Mishi, dit-il en reportant son attention sur la sirène. Crois-moi, je suis désolé, et...

— Hé.

Leerian sursauta en entendant la voix du mage derrière lui. Il se retourna à demi pour remarquer Sin, le surplombant de toute sa grandeur.

— Debout, vous deux. Je vous ramène dans mon bateau.

Mishi se leva la première. Leerian suivit le mouvement, mais se détourna encore une fois de Sin. Il regardait Mishi droit dans ces magnifiques yeux violets.

— ... et je trouverais un moyen. C'est une promesse. Même... c'est ma prochaine mission.

Mishi ouvrit la bouche pour répondre, mais Sin les avait déjà pris chacun par un bras pour les téléporter dans son bateau.

Et juste comme ça, il en était fini de Thrasryall. 

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