Chapitre 49

Les pirates hurlèrent d'incompréhension. Certains, plus stupide que d'autres, s'élancèrent sur Egrim pour venger leur chef et tombèrent à leur tous dans le même piège. L'acidité dans l'air en devenait si intense qu'elle faisait mal aux yeux.

— Ah, bande de crétins ! s'exclama Egrim avec un large sourire tout en essuyant une larme au coin de sa paupière.

Les pirates restants, presque tous des nains, comprirent enfin le problème. Trois d'entre eux s'élancèrent sur la gauche pour prendre les elfes à revers, mais Jean les avait déjà repérés. Depuis les hauteurs, il cracha un jet de flamme impressionnant sur eux, qui s'arrêtèrent aussitôt pour se rouler dans la neige en hurlant de supplice.

Danayelle, autant que les pirates, était bouche bée du spectacle. Elle n'avait pas encore réagi qu'Egrim avait éliminé cinq de leurs adversaires sans faire le moindre effort. Lui, pourtant, était déjà prêt à mettre son grain de sel ; encore une fois, il fit apparaître une boule de feu dans sa main droite, le visage dur de détermination. Mais il restait tout de même trop d'ennemis pour lui seul ; tous les pirates le visaient de leurs pistolets, alors qu'ils s'étaient éparpillés de leur côté du terrain divisé par la plante carnivore. Trop éparpillé pour la portée de son sortilège. Il était tout bonnement impossible qu'il les atteigne tous d'un seul coup, tout autant qu'il évite la pluie de balle qui allait bientôt lui tomber dessus.

Danayelle s'élança devant lui au même moment que le premier coup de feu claquait dans la nuit. Elle fit apparaître un bouclier télékinétique d'extrême justesse ; l'un des projectiles s'arrêta à trois centimètres du visage d'Egrim. Puis plein d'autres vinrent ; Egrim en perdit sa concentration, le sortilège de feu lâchant de lui-même. Il se cacha derrière Danayelle, le temps de respirer. La seule lumière provenait des déflagrations des pistolets.

— C'est qui le crétin, maintenant ?! hurla Danayelle pour se faire entendre au-dessus des balles. Je t'avais dit de ne pas attaquer ! Ils sont dix fois plus nombreux que nous !

— On est dix fois plus fort qu'eux, répliqua Egrim avec rogne. Et tu veux qu'on fasse quoi, sinon ?!

— Aaah, Egrim ! s'énerva Danayelle, son visage virant au rouge par la frustration. On a tous nos amis à protéger, aussi ! Et nous ne sommes que deux !

Egrim se retourna pour regarder derrière eux. Tys et Narsa, inconscient dans leur coin, et Nuvem qui était simplement assis devant eux avec son petit canif. De l'autre côté, il y avait Helm, Ehdi, Adan et Mishi qui, quoique tous bien portant, plutôt diminué en ce genre de situation. Pratiquement aveugle dans la nuit, aucun ne savait comment réagir pour renverser la tangente. Mishi avait bien l'arc de Nuvem entre ses mains, une flèche en position et prête à tirer... mais où ? Elle voyait à peine ce qui se passait.

Et il y avait toujours Leerian, évanoui au milieu de tout ça. Egrim pinça les lèvres ; il avait beau avoir de moins en moins d'estime pour le Celeyste, il ne pouvait qu'admettre que tout aurait été plus facile avec lui. À son état normal, du moins, il savait se battre comme un diable.

— Dis-moi au moins que tu connais d'autres sortilèges plus efficaces que tes boules de feu, dit Danayelle.

Cette fois, la frustration montait pour de bon. Non, il n'en connaissait pas. Son maitre ne lui avait rien appris qu'il pouvait utiliser comme d'une arme ; après tout, il n'y avait que lui pour se mettre en ce genre de situation. Je vais devoir remédier à ça, à mon retour au pays... S'ils parvenaient à entrer un jour.

Soudain, les coups de feu s'arrêtèrent. Egrim reporta son attention aux pirates ; ils avaient finalement vidé leur chargeur. Une dizaine de nains et quelques hommes, tous éparpillés devant eux, balançaient leurs pistolets pour dégainer leur coutelas.

— Bon, enfin, fit Egrim dans un murmure. Ce sera plus facile comme ça.

— Eh... tu crois ?

Egrim risqua un coup d'œil en direction de Danayelle, à sa gauche. Il eut un choc en réalisant qu'elle se tenait raide comme un piquet ; derrière elle, un nain pointait un canif dans son dos. Un objet pointu s'enfonça alors d'un centimètre dans sa hanche, lui arrachant un grognement de douleur, mais Egrim ne bougea pas ; il savait parfaitement ce que ça voulait dire. Les pirates avaient retourné leur propre technique contre eux. Ils avaient profité de la distraction pour passer par la forêt et les prendre à revers.

Les nains s'étaient faufilés de leur côté du terrain. Il y en avait un derrière Danayelle, derrière Egrim, un autre était penché au-dessus de Nuvem et le menaçait de son canif contre sa gorge. L'un avait plaqué Mishi au sol, une main sur la bouche pour l'empêcher de chanter, et son arme prêt à s'enfoncer dans son cœur. Adan, Helm et Ehdi étaient simplement figés, sans savoir quoi faire pour lui venir en aide. Et enfin, l'un était accroupi près de Leerian, lui relevant la tête par les cheveux. Il lui tenait le couteau sous son menton, alors que Leerian, ses yeux, ouverts en deux minuscules fentes, regardaient partout avec une profonde perplexité.

Egrim eut presque pitié de lui ; un instant, il s'évanouissait de fatigue, et la seconde d'ensuite, un nain s'apprêtait à le tuer.

— Vous faites moins les malins, maintenant, hein ? s'exclama l'un des hommes pirates qui était resté de leur côté du terrain.

Jean tournoyait au-dessus d'eux. Ses écailles n'étaient pas illuminées de flamme ; il essayait de se la jouer discret. Mais Egrim n'était pas dupe ; tous les nains qui les encerclaient le voyaient aussi.

— Si ton dragon fait quoi que ce soit, t'es le premier à crever, fit le nain qui était derrière lui.

Il lui enfonça sa lame un peu plus profondément dans la hanche. Egrim grimaça de douleur et tenta de se dégager, sans succès. Au moindre de ses mouvements, son ravisseur lui retournait le couteau dans la plaie.

— Jean, ne fais rien, dit Egrim à regret.

Danayelle pencha la tête dans sa direction. Ils s'échangèrent un regard angoissé ; tous deux étaient convaincus que la fin de l'aventure était arrivée. Mais Danayelle avait une dernière carte dans sa manche... ou plutôt, dans sa main. Sans mouvement brusque, elle rejoignit ses mains l'une dans l'autre et toucha sa bague sertie d'une pierre d'Omins. Egrim, qui l'observait toujours, écarquilla les yeux. Non, elle ne va pas faire ça, quand même ?! pensa-t-il en désespoir.

Danayelle la retira de son doigt et la laissa tomber au sol, à ses pieds. Aussitôt, ses cheveux se mirent à flotter, comme si la gravité n'avait plus d'emprise sur elle. Egrim tenta de se reculer, mais le nain qui le maintenait enfonça encore une fois la lame dans ses côtes. Il grogna de douleur et ferma les yeux.

— Qu'est-ce que t'as, l'elfe ? fit son ravisseur d'un ton amusé. T'as peur ?

— Qu'est-ce qu'on fait d'eux, maintenant ? dit un autre nain, celui qui retenait Mishi au sol. Sans Caroc pour nous dire quoi faire, j'avoue que je suis un peu perdu. On les tue ? On les kidnappe ?

Tous réfléchissaient à la question. Mais Egrim ne s'en faisait pas de cas ; son attention était entièrement sur Danayelle.

Celle-ci serra les poings, les sourcils froncés de concentration. Cette fois, Egrim se dégagea vite fait des mains du nain et se roula en boule au pied de Danayelle, comme pour se protéger d'une bombe atomique. Le nain s'élança sur lui, son couteau en position d'attaque.

Le reste ne fut que du noir. Comme si sa vision lui fut arrachée d'un coup ; tout explosa autour de lui, un vent d'enfer lui ébouriffa les cheveux et lui coupa le souffle. Tout n'était plus que des hurlements de douleur et de terreur mêlées, des branches et des os qui craquent, de la terre et des éclats de sang revolant dans toutes les directions.

Egrim était toujours recroquevillé, se demandant encore une fois pourquoi il avait eu l'idée de les aider dans cette aventure. Plus jamais ! pensa-t-il au plus profond de lui-même. Plus jamais, jamais !

Tout s'arrêta au bout de quinze secondes. Il n'y avait plus un bruit, pas même de gémissement. Quelque chose tomba lourdement aux côtés d'Egrim et celui-ci risqua à sortir la tête de sous ses bras ; c'était Danayelle, fouillant la terre à la recherche de sa bague. Elle la trouva enfin et l'enfila rapidement à son doigt, puis son regard croisa celui Egrim. Tous deux se dévisagèrent un instant, l'un autant étonné que l'autre.

— Ça va, c'est fini, dit Danayelle dans un murmure.

Egrim se redressa sur ses genoux et observa autour de lui. Il en eut le souffle coupé ; on aurait réellement dit qu'une bombe venait d'exploser. Sur un rayon de trente mètres, il n'y avait plus rien. Les arbres avaient été arrachés, la terre retournée. Le sol semblait dessiner des ondes de choc, avec Danayelle tout au centre.

Il n'y avait plus de pirates. En fait, il n'y avait plus personne, sinon Danayelle et Egrim. Toute la zone s'était transformée en no man's land.

— Dana... pourquoi t'as fait ça ?

— Que voulais-tu que je fasse d'autre ?! s'insurgea Danayelle d'une petite voix aigüe. Ils allaient tous nous tuer, c'était la seule option... Je nous ai sauvé la vie, OK ?!

— Ouais, bien sûr, répliqua Egrim d'un ton sarcastique. Alors tu peux me dire où sont passés Mishi, Leerian, Tys ? Tous les autres ?

Danayelle se mordit la lèvre. Elle regarda tout autour d'elle, réalisant enfin que tout avait été balayé par son onde de choc, et pas que les pirates. Il n'y avait plus rien et plus personne. Danayelle eut soudain la désagréable impression d'être seule au monde. Du moins, seul avec Egrim. Seul avec le gamin qui lui avait avoué un amour qui n'était pas réciproque.

Danayelle sentit les larmes lui monter aux yeux. Est-ce qu'elle avait tué tous ses amis ?

— C'est vrai, tu nous as sauvé la vie, dit Egrim après un court moment de silence. À nous deux, en tout cas.

Egrim esquissa un sourire contrit. Cette journée ne se terminera jamais, bon sang ! Ils s'étaient réveillés dans un village de sauvage qui leur avait envoyé un ogre sur le dos, s'étaient enfui jusqu'à la plage pour tenter de grimper sur le bateau pirate, lesdits pirates les avaient attaqués... il devait bien être près de deux ou trois heures du matin, et la seule consolation d'Egrim était que, techniquement, la journée était finie et ils étaient effectivement le lendemain.

— Tu sais quoi ? dit Egrim d'un ton d'ennui. Dans vos prochaines aventures délirantes à l'autre bout de l'univers, eh bien, vous vous débrouillerez sans moi. Bon, allez... retrouvons nos amis. Tu veux qu'on commence par qui ?

Danayelle ne répondit rien sur le coup. Ils avaient tout le monde à retrouver... en vie, de préférence. Ça n'allait pas être facile. 

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