Chapitre 45
Mishi était chez elle, dans sa maison au cœur de la forêt Celeyste, assisse à même le sol de son salon. Il faisait froid, le vent sifflait contre les murs. Mishi ne bougeait pas. Un sentiment d'angoisse la paralysait. Quelqu'un frappait à la porte d'entrée, et elle savait que c'était son père.
— Mishi ! Viens m'ouvrir, vite !
Les battements se faisaient de plus en plus insistants, mais Mishi restait toujours là, les yeux fixés à la cheminée sans feu.
— Mishi !
Un hurlement se fit entendre alors, accompagné d'un puissant coup contre la porte. Mishi leva lentement la tête. Malgré la peur qui l'étreignait, elle trouva enfin la force de bouger. Derrière elle, la porte s'ouvrit en couinant, et des bruits de pas s'avançant la firent frissonner de terreur. Mishi se retourna, le souffle coupé, vers le monstre qui s'approchait d'elle.
Un loup-garou marchait à quatre pattes avec lenteur dans sa direction. Les yeux rouges, les babines retrouvées, ses crocs imbibés de sang et de bouts de chairs de son père. La fourrure argentée, et les deux cicatrices sur son museau.
Quand la bête bondit vers elle, Mishi n'eut le temps que de remarquer un dernier détail ; la bague en or à l'un de ses doigts griffus.
*
Adan, Nuvem, Helm et Ehdi avaient parcouru quelques centaines de mètres dans la forêt. Ils furent obligés de s'arrêter puisqu'ils se prenaient les pieds dans tous les obstacles, fonçaient dans les arbres et tombaient dans les ronces. Ils faisaient nuit noire, la seule source de lumière leur provenait de la lune décroissante qui parvenaient tout juste à percer les branches pour se rendre jusqu'à eux. Tous étaient recouverts d'égratignure quand ils posèrent les elfes au sol, à bout de force.
Adan, lui, déposa plutôt une fée et une sirène. Il se pencha vers sa fille, passant doucement sa main sur sa joue. Mishi dormait à poing fermé. Elle s'agitait, marmonnait un peu. Comme tous les autres, d'ailleurs.
— Pourquoi ils ne se réveillent pas ? demanda Helm qui observait Tys à ses pieds qui ronflait la bouche ouverte.
— Je n'en sais rien... j'espère qu'ils vont bien, soupira Adan.
Celui-ci se tourna vers Nuvem. Il avait gardé ses distances, se faisant oublier dans son coin.
— Toi, fit Adan, à défaut de connaitre son nom. Tu as pu nous réveiller, tout à l'heure. Tu peux refaire ce truc pour eux ?
Nuvem ne répondit rien, observant Adan sans broncher. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il venait de dire.
— Oh, allez ! s'énerva Adan.
Il pointa le doigt vers les six endormis au sol. Nuvem baissa les yeux vers les elfes, puis les releva vers Adan. S'il ne faisait pas aussi noir, Nuvem aurait pu remarquer son visage virer au rouge tant l'exaspération montait.
— Je crois que c'est le télépathe qui s'occupait de la traduction, dit Helm. Sans lui, il n'y a pas moyen de communiquer.
Adan grogna de frustration, puis s'agenouilla devant Tys pour le prendre par le col de son manteau et le secouer sans ménagement. Sa tête se balançait d'avant en arrière, mais il dormait toujours à poings fermés.
— Ah, bon sang, grommela Adan en laissant tomber Tys au sol, qui se remit aussitôt à ronfler. Mais qu'est-ce qu'ils leur on fait, ses nains...
Adan s'assit à terre en lâchant un gros soupir de désespoir. Ils étaient coincés ; impossible de réveiller les elfes, et impossible de faire un pas de plus dans cette forêt pour s'éloigner des pirates qui allaient bientôt arriver sur la plage et partir à leur recherche.
Nuvem, pour sa part, s'était mis à regarder dans toutes les directions, écoutant les bruits avec attention. Il se pencha alors vers Adan et lui prit son canif dans la poche de son jean. Adan le laissa faire, sachant qu'il ne tenterait pas de l'assassiner après lui avoir sauvé la vie – du moins, il croisait les doigts. Puis Nuvem lança le couteau à trois centimètres de la tête de Helm, qui sursauta en glapissant.
— Hé ! s'exclama-t-il en se levant d'un bond. Il a essayé de me tuer ?!
Helm s'élança vers Nuvem, mais Ehdi le retint par le bras. Les deux frères se mirent à se battre entre eux, alors que Nuvem, sans comprendre leur réaction, alla reprendre son canif qui s'était planté dans un arbre, éviscérant une lièche au passage. La sangsue volante tomba au sol pendant qu'Helm et Ehdi, n'ayant rien vu, continuaient de se pousser et de s'échanger des claques.
— Arrêtez ! fit Adan, à bout de patience. Il n'a pas essayé de te tuer. Il t'a protégé !
— Protégé ? répéta Helm, qui s'interrompit aussitôt dans ses mouvements. De quoi ?
Adan pointa la petite créature inerte aux pieds de Nuvem, à peine visible dans la noirceur. Helm grimaça. Ehdi le lâcha enfin, alors que son frère avait fini d'envoyer des coups de poing en direction du natif.
Nuvem ouvrit la bouche pour parler, mais s'arrêta avant même de produire un mot. Il le savait, ses étrangers ne comprendront rien à ce qu'il dirait. Nuvem soupira, puis regarda autour de lui. Maintenant, c'était lui qui voulait réveiller Tys, rien que pour la traduction. Il se pencha alors, attrapa une petite fleur qui survivait malgré la neige, et l'approcha tout près de son visage pour tenter d'en deviner la couleur dans l'obscurité. Si elle était orange, c'était la bonne. Mais il y avait aussi des fleurs identiques aux pétales plutôt rouges qui étaient extrêmement poissonneuses. Impossible de les différencier sans un peu de lumière.
Peu importe si elle est rouge, pensa Nuvem. Je suis sûr qu'il va s'en sortir. Ils sont forts, ces elfes...
Nuvem se leva, s'approcha de Tys, décrocha un pétale et la glissa entre ses lèvres.
— Qu'est-ce qu'il fait, tu crois ? chuchota Ehdi à l'oreille de son frère.
— Je n'en sais rien. J'espère qu'il n'est pas en train de le tuer...
*
Tys rêvait qu'il était chez lui, à Nocksor, marchant sur la rue principale bordée de petites boutiques. La tête basse, les mains dans les poches. C'était l'été, et pourtant, il ressentait le froid mordant du monde réel. Il grelotait, cherchant la force de faire un pas devant l'autre. Il s'efforçait de se rendre à la maison de ses parents.
En levant la tête, Tys remarqua alors que tous les gens autour de lui le dévisageaient, chuchotaient sur son chemin. Et malgré qu'il les ignorait au mieux, son don prenait le dessus, comme pour l'obliger à entendre tout ce qu'ils disaient dans son dos.
Un pouvoir aussi grand dans le corps d'un garçon si jeune... il pourrait tous nous tuer sans faire exprès.
Il peut nous manipuler comme des marionnettes. Nous ne sommes pas à l'abri, avec lui dans le coin.
Il aurait dû rester à l'Institut quelques années de plus.
Tys serra les poings, les yeux toujours braqués droit devant lui, essayant de se convaincre lui-même qu'il n'avait rien entendu. Pourtant, les commentaires continuaient, de plus en plus cruelles.
On devrait le tuer pendant qu'il a le dos tourné.
Tys voyait la maison de ses parents au loin. Il pressa le pas, laissant la foule derrière lui, et souffla de soulagement en grimpant les marches du balcon. Arrivé à la porte, il cogna quelques coups, puis entra sans attendre d'invitation. Dans le salon, il y trouva sa mère dans un fauteuil, son père à ses côtés avec une main sur son épaule. Tous deux semblaient totalement émerveillés par un bébé que sa mère tenait dans ses bras, emmitouflé dans une couverture.
— Oh, bonjour, Tys, dirent ses deux parents d'une seule voix.
— Salut... c'est qui, ce bébé ?
— Ton nouveau frère. On a décidé de te remplacer, puisqu'on ne t'aime plus.
*
Tys se réveilla en sursaut, une main pressée sur son ventre en toussant et crachant, les larmes aux yeux et le souffle court. Un pétale de fleur orange et recouverte de bave tomba sur ses genoux. Il se retourna en position fœtus, souffrant le martyre tout en vomissant le poison qu'il avait encore dans l'organisme.
— Oh ! Ça a marché ! Il ne l'a pas tué, finalement.
On a vraiment essayé de me tuer ?! pensa Tys tout en s'efforçant de réguler sa panique. Je suis à Nocksor ? Et mes parents m'ont remplacé ?!
Tys ouvrit les yeux, remarquant devant lui un Nuvem flouté par toutes les larmes qui brouillaient sa vision. Il parlait, quelque chose dans sa langue natale dont Tys n'y comprenait rien. Il n'était pas en état d'utiliser son don pour la traduction, alors même que Nuvem l'avait réveillé rien que pour ça.
Tys restait au sol, sa respiration devenant de moins en moins saccadée. Nuvem se pencha un peu plus au-dessus de lui, baragouinant d'un ton plus pressant. Mais Tys n'en accordait pas la moindre importance. Tout ce qu'il voulait, c'était de se remettre à dormir.
Adan posa une main sur Nuvem et l'obligea à reculer pour prendre sa place.
— Ressaisis-toi ! Il faut que tu nous aides.
Tys grommela. Adan le prit par les épaules pour le redresser et le secouer.
— Allez ! Les pirates vont bientôt nous retrouver.
Tys grogna encore plus fort. Adan, à bout de patience, le gifla sans ménagement. Tys ouvrit enfin les yeux, dévisageant Adan d'un air perplexe. Il a osé ?!
— On va tous mourir, si tu ne te sors pas la tête du cul !
— Hein ? fit Tys avec innocence.
— J'e n'ai pas le temps de t'expliquer. Tout ce que je veux, c'est que tu écoutes ce que le natif a à dire, parce que je crois qu'il a un plan.
— Tu veux que j'utilise mon don... dans cet état ? C'est trop dur...
— Fais un effort, ou on va tous mourir !
Tys soupira en fermant les yeux. Quel dramatique... c'est bien le père de Mishi.
— Très bien. Mais je vais probablement m'évanouir...
— Ce n'est pas grave. Tu ne m'as pas l'air d'être le plus fort, physiquement.
Tys pouffa d'un rire sans joie. S'il n'était pas autant épuisé, il lui aurait retourné sa gifle.
Adan fit signe à Nuvem de s'approcher. Le natif s'agenouilla à côté d'Adan, en face de Tys. Celui-ci prit une grande inspiration, puis ferma les yeux pour mieux se concentrer. Il le sentait ; ça allait être éprouvant.
— Essayer de faire le plus vite possible, OK ? C'est bon... vous pouvez parler.
— Je peux ? fit Nuvem. Vous comprenez enfin ce que je dis ?
— Oui ! s'exclama Adan. C'est quoi, ton plan ?!
— Il y a des plantes carnivores, pas très loin. On se met derrière et les pirates vont tomber dedans.
Adan cligna bêtement des yeux. Il imaginait ses petites plantes qui attrapaient des mouches. En quoi ça les aiderait à venir à bout de leurs ennemis ?
Un bruit de chute fit sursauter Adan et Nuvem, qui se tournèrent de concert vers Tys. Il était étendu au sol et s'était remis à ronfler. Adan le secoua, mais remarqua assez vite que c'était peine perdue. Tys ne se réveillera pas avant le matin.
— Ah, merde ! grogna Adan. Bon, tant pis... elles sont où, tes plantes carnivores ?
Nuvem fit la moue. Qu'est-ce qu'il disait, maintenant ?
Derrière eux, Helm et Ehdi pouffèrent de rire. Nuvem et Adan se tournèrent pour les dévisager.
— Si on fait genre de s'en aller, il va nous guider, proposa Helm.
Adan hocha la tête en soupirant, puis se leva pour abandonner le corps inerte du télépathe et se pencher vers celui de sa fille, qu'il prit tendrement dans ses bras. Puis la fée qu'il balança sans ménagement sur son épaule comme un sac à patates. Helm et Ehdi firent de même pour prendre un ou deux elfes avec eux. Nuvem, qui était resté près de Tys en se demandant ce qui se passait, décida d'imiter les hommes et de prendre Tys dans ses bras avec un peu de difficulté.
Tous étaient prêts pour faire quelques pas de plus dans la forêt. Nuvem comprit alors qu'il devait les guider, puisque tous le regardaient en semblant attendre après lui. Nuvem s'avança, le pas lourd tout en trainant Tys, sa tête appuyée sur son épaule et ronflant à son oreille. Il passa devant Ehdi, qui tenait Leerian dans ses bras. Celui-ci s'agitait, marmonnait dans son sommeil.
Je me demande à quoi il rêve...
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