Chapitre 37

** au ancien lecteur : cette nouvelle version du chapitre 37 regroupe ce qu'était autrefois le chapitre 37 ET 38. Quelques petits trucs ont été modifié, mais l'histoire en général reste la même. Ce n'est pas particulièrement nécessaire de le relire. **

Avec tout ce que le groupe avait vécu ses dernières quarante-huit heures, les pirates étaient partis dans l'oubli depuis un moment. Et d'ailleurs, pourquoi se seraient-ils donné la peine d'y penser ? Ils avaient bien réussi à atteindre un compromis. Ou du moins, Leerian n'avait pas tué le capitaine alors qu'il était sous sa lame, et ça, déjà, c'était beaucoup. Qui serait assez idiot pour tenter la chance une deuxième fois ?

Les pirates, visiblement. Ils étaient là, dans le même village où tous avaient trouvé refuge.

— C'est juste une coïncidence, dit Danayelle, qui s'était précipitée à la fenêtre aux côtés d'Egrim. Ils sont venu pour faire leur livraison.

— Oui, ajouta Mishi. Il suffit qu'on reste caché, ils ne sauront jamais que nous sommes là !

— À moins qu'on prenne l'occasion pour un voyage de retour.

Tous les regards se tournèrent vers Leerian. La tête appuyée contre le mur derrière lui, le teint pâle, il ne semblait pas du tout en mesure de mettre son idée à exécution.

— On profite du fait qu'ils sont tous sortis, et on s'introduit dans la cale... comme la dernière fois.

— Non ! s'exclama Tys. Trouve autre chose. Tout va encore reposer sur mes épaules, et je ne sais pas si tu te souviens, mais... c'était trop dur. Je me suis évanoui, bon sang...

— Tu as une autre idée ?

— Non...

— Tu pourrais t'approcher, les espionner sans qu'ils te voient ?

— Non ! Ils sont trop nombreux ! Ça allait quand nous étions dans la cellule et qu'ils n'étaient que trois à la fois. Mais là... Désolé, mais c'est franchement impossible.

Egrim pinça les lèvres tout en réfléchissant. Il comprenait le problème, mais lui aussi, il souhaitait partir d'ici plus que tout.

— Je peux t'aider. Je sais transmettre de l'énergie. Ça te donnera la force de faire ce que tu as à faire ?

— Bien sûr. Et ensuite, je devrais te trainer dans mes bras, puisque ce sera toi qui seras évanoui.

Cette fois, Egrim n'ajouta rien. Il avait un peu moins envie de jouer la demoiselle en détresse.

— Il nous faut une solution, dit Danayelle. On ne peut pas attendre indéfiniment qu'une meilleure opportunité se présente. Nous n'allons pas rentrer à Nyirdall à la nage, quand même !

Tous se consultèrent du regard. Egrim se leva de son coin et lâcha un gros soupire.

— Ça y est, on a plus d'options ?

— Au point où on en est, fit Danayelle d'un simple haussement d'épaules. Mais nous trouverons bien quelque chose, non ? Comme on le fait toujours ?

Egrim lâcha un petit rire acerbe. Puis il tourna les talons et alla dans la chambre, fermant la porte derrière lui.

Danayelle et Mishi s'échangèrent un coup d'œil, étonné de sa sortie, puis haussèrent les épaules.

— Pourquoi il est parti, ce con ? dit Narsa de son habituel ton d'ennui. Je n'ai pas encore dit mon idée.

*

Egrim était retourné dans la pièce du fond pour s'allonger. Étendu sur le lit de paille, la tête appuyée sur un bras et les yeux fixés au plafond, il essayait comme tous les autres de trouver une solution à leur problème. Il était autant heureux que leur aventure touche à sa fin, autant profondément frustré des décisions de Leerian. Ils avaient fait tout ça pour rien... et il était le seul à en être insulté ! Toute la magie déployée, tous ses évanouissements qui l'avaient fait passer pour un faible aux yeux de ses amis... Enfin, il fallait s'y attendre ! Ils en demandaient tellement, sans prendre en considération qu'il avait commencée son apprentissage il y avait tout juste six mois. Au point où il en était, on pouvait bien dire qu'ils avaient profité de lui.

Pendant une seule seconde, il regretta presque d'être mage. Puis la raison lui vint à nouveau ; une idée désespérée avait surgi dans sa tête. Très désespéré, qui lui apportera un tas de problèmes sur le long terme... mais sur le court, si ça pouvait l'aider à quitter ce pays maudit...

Yerdis, murmura-t-il, attirant sur lui le regard de Jean qui était allongé à ses côtés. Sin... Yerdis...

Egrim ferma les yeux, concentré sur l'image de son maître. Il l'imaginait sévère, les sourcils froncés et les poings sur les hanches ; la même tête qu'il faisait quand Egrim laissait échapper des jurons.

Yerdis ! s'essaya-t-il encore. Allez... Yerdis, Sin.

Un frisson étrange le parcourra soudain. Egrim ouvrit les yeux, dérouté du phénomène.

— Sin ?

Egrim, entendit-il, comme un écho dans son crâne. Tout se passe bien à Stanmore ?

Pendant une seconde, Egrim eut envie de mentir. Il était conscient des problèmes qu'il allait s'attirer si Sin découvrait toutes les décisions stupides qu'il avait prises au courant de ses derniers jours. Mais la raison lui revint rapidement ; il n'avait pas le choix, au risque de rester coincer ici pour toujours. Et ça, il le refusait catégoriquement.

Egrim, répéta Sin qui avait tout entendu de son questionnement intérieur. Qu'est-ce qui se passe ? Tu sais que tu peux tout me dire.

Je ne suis pas à Stanmore, avoua-t-il enfin.

Puis, sans utiliser de mot, il laissa libre cours à ses souvenirs et ses sentiments, les communiquant directement à la tête de son maître. Le tout dura une dizaine de minutes alors qu'il s'efforçait de penser principalement à Leerian et ses idées de partir de Nyirdall, puis comment les pirates l'avaient enlevé autant que les autres pendant qu'il ne faisait que d'aider. Il mettait totalement le blâme sur ses amis.

Ce n'est pas ma faute, j'ai été embarqué dans cette histoire contre mon gré ! insista-t-il pour finir. Mais maintenant... Nous ne savons plus comment faire pour entrer à la maison.

Sin ne répondit pas immédiatement. Cette fois, c'était Egrim qui percevait les émotions du mage. Il essayait de les contenir, mais Egrim le voyait bien ; il n'était pas fier du tout.

Je suis désolé, monsieur, pensa-t-il avec une petite voix d'enfant. Mais j'ai besoin de votre aide.

Encore une fois, Egrim ne perçut aucune réponse. Au contraire, il sentit la présence de Sin s'estomper, puis disparaître totalement.

Egrim ferma les yeux, pinça les lèvres. Même son maître ne voulait rien faire pour lui. Il était livré à lui-même, avec sa bande de bouffons.

On va tous mourir ici.

*

Dans la pièce principal de leur petite maison, tous les regards étaient tourné vers Narsa. Il était déjà rare qu'elle se prête aux conversations ; qu'elle décide par elle-même de dire une idée, elle allait forcément tout déchirer.

Leerian, qui était tout près de s'endormir en position assise, souleva les paupières en deux petites fentes pour fixer la fée. Pour lui, la situation était suffisamment surréaliste pour qu'il doute être toujours en train de rêver. Elle a intérêt à en valoir la peine, dit-il d'un ton grognon.

— Et elle en vaut la peine, ton idée ? dit Mishi.

— Je ne parierais pas dessus... mais c'est le mieux que j'ai trouvé jusqu'à maintenant... C'est un peu fataliste, mais voilà : si on ne peut pas se battre contre les pirates, on peut toujours le faire contre les villageois. Alors on va attendre que les pirates s'en aillent, et je vais les suivre de haut pour qu'ils ne me voient pas. Je communiquerais avec Tys pour vous indiquer la route jusqu'au bateau, pendant que vous, vous venez simplement à pied... en vous frayant un chemin à travers les natifs enragés, s'il le faut.

Tous se consultèrent du regard. Personne n'avait quelque chose à y ajouter.

— Ça me parait déjà plus facile que de tous vous rendre invisibles, dit Tys. Ça entre dans mes cordes. Enfin, seulement si vous vous occupez de la baston, évidemment.

— Bien sûr, dit Leerian.

— Ce n'est certainement pas toi qui vas te battre. Tu tiens à peine debout.

— Voilà ce qu'on va faire ! dit Mishi. Tys va protéger Leerian. Tu vas l'aider. Pendant que Dana, Egrim et moi, on fera ce qu'il faut.

Leerian grogna avec dédain. Il n'aimait pas être celui à protéger, pourtant il ne pouvait qu'admettre qu'en ce moment, il n'était bon à rien. Tys, au contraire, hocha la tête à ce qui lui semblait être une tâche facile.

— Et Nuvem, si tu restes avec nous, alors tu vas m'aider.

Nuvem était toujours assis dans son même coin depuis ce matin. Il leva les yeux vers Tys, sans se prononcer.

— Narsa sortira en premier, dit Danayelle. Tu ne te préoccupes pas de ce qui va se passer avec nous ; tu surveilles les pirates, et c'est tout. Et tiens, tu prendras Jean avec toi. Ensuite, quand les pirates partirons, tu les suivra. Et Egrim, Mishi et moi, on dégage le chemin pour Tys et Leerian. Et Nuvem, évidemment. Il est vraiment là pour rester, lui, hein ?

Tys lança un regard en direction de Nuvem. Il n'écoutait pas la conversation, surtout que Tys ne faisait pas la traduction. Il soupira, puis leva les yeux vers Danayelle. Enfin, il s'approcha d'un pas de Nuvem.

— Je peux te parler, une seconde ?

Nuvem observait Tys sans broncher.

— En privé, insista Tys.

— OK.

— Suis-moi...

Tys alla dans une des pièces du fond. Il attendit que Nuvem le rejoigne, puis ferma le rideau qui servait de porte. Nuvem était nerveux, il était persuadé que Tys s'était lassé de sa présence et qu'il s'apprêtait à le tuer. Tys pouffa malgré lui des émotions qui émanait de Nuvem, puis s'assis sur l'un des deux lits de paille, espérant le mettre plus en confiance ainsi.

— Je suis juste curieux. T'as vraiment l'intention de nous suivre partout ? Je sais qu'on t'as plus ou moins kidnappé, mais tu te rends compte que je t'ai dit que tu pouvais partir depuis ce matin ?

— Je ne peux plus aller chez moi.

— Parce que... ta famille va te manger.

— Ouais.

— Et... il n'y a aucune exagération là-dedans ?

Nuvem secoua la tête. Il était sérieux. Tys soupira en posant son front dans sa main, le coude sur le genou.

— T'es conscient que ton pays est vraiment à chier ?

Cette fois, Nuvem hocha la tête. Tys ricana.

— Je suis presque tenté de te permettre de venir avec nous, si tu le souhaites. Mais je répugne à l'idée de laisser un cannibale entrer dans mon pays.

— Il y a à manger, chez toi ?

— Bien sûr.

— Même en hiver ?

— Les hommes mangent de la viande, non ? Il y a des tas de fermes un peu partout. Sur mon île, on a presque la moitié des terres qui sont habitées par des vaches.

— C'est quoi, des vaches ?

— C'est... eh bien, pour les hommes, il parait que leur chaire est délicieuse.

Tys grimaça, peu convaincu par ses propres mots. L'un de ses amis hommes avait un jour réussi à le persuader de goutter, et il lui avait tout recraché dessus.

— Il n'y a pas de monstre, dans ton pays ?

Tys hésita à répondre. Il tourna la tête vers la porte qui le séparait de la pièce où attendaient les autres. Il pensait surtout à Leerian.

— Oui... il y en a. Mais pas de goule, pour sur. Et c'est plutôt un coup de malchance de tomber sur un. Enfin... t'as de la chance quand t'es pas avec eux. Danayelle, Mishi, Leerian, Egrim... ils ont un certain talent pour attirer toutes sortes de saloperies.

— Pas toi ?

— Moi... je ne crois pas, fit Tys en haussant modestement les épaules.

— Si je viens, je pourrais rester avec toi ?

Tys ouvrit bêtement la bouche à cette question. Il ne savait plus du tout quoi répondre. Lui, prendre un étranger sous son aile ? Et puis quoi, encore ?

— Euh... je... je vais y penser...

— Tu me sauverais la vie.

Tys hocha lentement la tête. Il avait conscience que Nuvem ne parlait pas du tout de métaphore. S'il ne le laissait pas venir avec eux sur Nyirdall, Nuvem allait très probablement mourir.

— Je vais y penser, dit-il avec plus de force. Et pour me convaincre, il faudra que tu fasses tout ce que je dis, d'accord ?

Nuvem hocha la tête avec sérieux. Puis Tys se leva et sortit de la chambre. Nuvem le suivit avec un temps de retard vers la pièce voisine, où Leerian, Mishi, Danayelle et Narsa les attendaient en silence. Tys alla se poster près de la porte, qu'il ouvrit juste assez pour glisser un œil à l'extérieur.

— Alors ? demanda Mishi.

— On peut compter sur Nuvem... Je crois. Enfin... S'il nous trahit, ce sera ma faute.

Mishi échangea un regard avec Danayelle. Elle n'avait pas spécialement envie que ses chances de quitter Thrasryall reposent sur les épaules d'un cannibale.

— On va faire comme prévu, dit Leerian. Et... réveillez-moi quand les pirates seront repartis.

Sans attendre de réponse, Leerian ferma les yeux et s'appuya la tête contre Mishi, à ses côtés. Sa bouche s'ouvrit en une petite fente et il se mit à baver sur la sirène. Mishi grimaça, mais n'essaya pas de le dégager.

— Il s'est endormi ? s'étonna Danayelle.

— Je dois te rappeler quel genre de nuit il vient de passer ? le défendit Mishi.

Danayelle soupira et secoua la tête. Elle se sentait mal pour lui. Enfin, elle se redressa et se tourna vers Narsa, qui regardait toujours dehors sans vraiment s'intéresser des conversations dans la pièce.

— T'es responsable de la première étape, Narsa. Suis les pirates. Et Tys, tu restes en contact avec elle.

Tys et Narsa hochèrent la tête d'un même mouvement. Narsa se pencha vers la fenêtre. Au loin, les pirates étendaient tout un tas de caisses devant eux. Tous les villageois ou presque étaient là, à juger de la marchandise. Aucun ne prêtait attention à ce qui se passait de leur côté.

— Je vais sortir maintenant.

Narsa alla vers la porte, qu'elle ouvrit doucement. Elle regarda à nouveau, par précaution, et sortie sur le balcon pour s'envoler en direction des arbres qui bordaient le campement. Elle déversa une pluie d'étincelle verte sur son passage, qui s'estompa rapidement dans la neige. Jean s'élança à sa suite, et Tys ferma la porte derrière eux.

*

Dehors, Narsa était perché au sommet d'un pin, camouflé par les épines. Jean était à ses côtés, sur une branche voisine. Ils observaient les pirates, faisant étalage de leur marchandise. Des fruits, de la viande, des vêtements. Les natifs les payaient avec ce qui semblait être des pierres précieuses.

— À les voir, on pourrait penser qu'ils nous ont oubliés, murmura Narsa.

— Je les connais bien. Crois-moi, ils ne nous ont aucunement oubliés, répliqua Jean entre ses crocs.

Narsa fit la moue en baissant les yeux vers Jean. Puis elle sauta de sa branche en toute discrétion pour se percher sur l'arbre voisin, s'approchant un peu des pirates. Elle n'avait aucune intention de les perdre de vue. Au moins, elle savait qu'ils n'allaient pas rester très longtemps. Le soleil déclinait rapidement, en décembre, et ses pirates n'étaient pas suffisamment idiots pour passer la nuit sur Thrasryall. Ils allaient vendre aussi vite que possible, puis tout remballer et quitter l'endroit. Peut-être que demain, ils iront ensuite sur un village voisin pour tout recommencer... et ainsi de suite jusqu'à ce que tout sera vendu.

— Eh merde, grommela Narsa pour elle-même. Même avec leur bateau, nous seront coincé ici pour un long moment...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top