Chapitre 33 (2/2)
Ils avaient couru à travers la forêt, même volée pour le cas de Narsa. Mais ils n'avaient eu d'autres choix que de s'adapter à la vitesse de Nuvem qui, régulièrement, avait dû s'arrêter pour s'assurer du chemin à prendre. Évidemment, c'était une route qu'il n'avait jamais empruntée avant. Tout le monde savait qu'il valait mieux l'éviter, au risque de ne jamais revenir vivant.
Normalement, Nuvem aurait simplement refusé de guider ses gens étranges. Il aurait sauté sur la première occasion de s'enfuir. Mais justement, il avait déjà essayé ! L'un d'entre eux l'avait retenu par la force de son esprit. Il avait vu la blonde léviter une épée. Le petit aux cheveux blancs avait fait apparaître une boule de feu de sa paume pour l'agiter sous son nez ! Au point où il en était, Nuvem s'était dit que, peut-être, il ne servait plus à rien de résister.
— Nous y sommes.
Danayelle, Egrim, Mishi et Tys s'arrêtèrent de courir derrière Nuvem, qui s'était abaissé près d'un buisson dont il ne restait plus que des branches. Narsa arriva quelques secondes plus tard en tombant du ciel, secondé de Jean qui vint se percher sur les épaules d'Egrim.
Nuvem s'écarta de l'arbuste et Danayelle s'avança lentement, à quatre pattes dans la neige. Elle se redressa juste assez pour laisser passer ses yeux au-dessus, découvrant le paysage caché derrière. Une large clairière s'étendait devant elle, éclairée par la lueur de la pleine lune. Un seul chêne s'élevait au centre du grand champ. Et tout autour, des trous, des butes de terres et des petits rochers semblaient prendre place n'importe comment.
— Par les djinns, murmura Mishi qui s'était approché à son tour. C'est un cimetière pouillé.
Danayelle se pinça les lèvres pour s'empêcher de gémir. Maintenant que Mishi l'avait dit, elle comprenait mieux ce qu'elle avait sous les yeux ; les trous, c'étaient en fait des tombes. Et les rochers... des pierres tombales.
— C'est ça, la demeure du monstre ?
— Il n'y a plus personne là-dedans, si ce n'est des squelettes, dit Nuvem. Mais elle continue d'emmener ses proies ici avant de les manger. Je suis convaincu que votre ami est dans l'un de ses trous...
Ce fut au tour de Nuvem de se pincer les lèvres. Il avait voulu ajouter quelque chose de terriblement pessimiste, mais il avait réussi à s'en empêcher. Et heureusement, Tys n'avait pas traduit ces pensées-là, même s'il l'avait entendu. Il risqua un regard de biais vers Nuvem, avant de toussoter dans son poing pour ramener l'attention à lui.
— Alors, quel est le plan ? On fonce, on cherche Leerian...
— Non, s'exclama aussitôt Nuvem. Même si le monstre est silencieux... il est là. Pas très loin. Fait un seul pas dans le cimetière et il va te tomber dessus.
— Je vais survoler la zone, dit Narsa. Moi, je vais le trouver.
— Non, dit cette fois Egrim. Tu es tout, sauf subtil, avec tes étincelles. Jean va s'en charger !
Le dragon redressa la tête, étonné d'entendre son prénom. Egrim le pressa une légère tape sur son dos.
— Allez, mon vieux. Tu peux faire ça. Trouve Leerian, et tu reviens tout de suite.
— Trouve-le vivant ! s'empressa d'ajouter Mishi.
Jean lâcha un bref ricanement, avant d'écarter les ailes et de s'envoler dans le ciel nocturne. Tous le suivirent du regard avec angoisses, jusqu'à ce qu'un bruit étrange ramène leur attention au cimetière devant eux. Au loin, tout au fond du champ, ils remarquèrent le monstre. Nuvem avait raison ; il était juste là, pendant tout ce temps. Il sortait d'un trou, se levant sur ses longues jambes pâles et nues. Il était très grand. Et son visage, dont il n'y avait que des yeux, semblait barbouillé de sang et de chair fraiche.
Mishi couina, les mains plaquées sur sa bouche pour s'empêcher de gémir, puis s'abaissa pour se cacher derrière le buisson. Elle en était convaincue ; c'était le sang de Leerian. Il était mort.
Danayelle pressa son bras, s'efforçant de communiquer du courage dans le geste, mais elle n'en menait pas plus large que son amie. Ses yeux étaient fixés sur ce visage pâle et recouvert d'hémoglobine. Le monstre s'était déjà détourné, plongeant à nouveau dans le trou dont il venait d'en sortir. Puis des bruits de mastication emplirent le silence de la nuit. La chair déchiquetée, un os qui craque... et un hurlement, long et empreint de douleur.
Malgré toute la souffrance, presque bestiale, qui émanait de ce cri, tous en furent persuadés ; c'était la voix de Leerian.
Egrim était figé, son sang glacé dans ses veines. Mishi tremblait, de grosses larmes menaçant de tomber sur ses joues. Narsa était bouche bée ; seuls ses yeux bougeaient pour dévisager ses compagnons un à un, s'efforçant de se convaincre qu'elle venait d'halluciner ce bruit. Tys avait toute sa concentration à s'empêcher de vomir.
Et Danayelle serrait les poings, sentant une rage monter rapidement en elle.
— J'ai trouvé Leerian !
Tous levèrent la tête vers Jean, qui s'était perché sur une branche basse d'un arbre près d'eux. Il garda le suspense pendant une longue seconde, avant de déclarer ce que tout le monde avait déjà présagé :
— Il est dans... ce trou.
Il pointa une patte vers le trou. Celui tout au fond du cimetière, à la limite du grand champ. Celui dans lequel était aussi le monstre.
Cette fois, Mishi fut incapable de contenir ses larmes. Elle pressa son visage entre ses mains en coupe, un gémissement s'échappant de ses lèvres. Elle voulut pleurer, hurler, geindre, frapper dans un arbre. Mais elle n'eut le temps de ne rien faire ; Danayelle s'était levée, prenant l'épée d'argent qui pendait à sa taille et la sortant de son fourreau.
— Dana ! s'exclama Egrim derrière elle. Qu'est-ce que...
— Outré, répliqua-t-elle en lui accordant à peine un regard. Couvre mes arrières.
— Quoi ?! Non ! Reste ici !
Trop tard ; elle était déjà partie pour une mission suicide. Tous étaient bouche bée en la voyant courir à travers le champ à pleine vitesse, silencieuse comme une ombre dans la nuit.
— Mais qu'est-ce qui lui prend ? Elle croit sérieusement qu'elle peut vaincre ce machin ?! fit Egrim.
— C'est toujours la même fille qui s'est attaquée à un dragon ancien, dit Mishi dans un murmure.
Egrim dévisagea la sirène, étonné de ses paroles. Il avait oublié ce détail. Probablement parce que, malgré l'avoir entendu, il trouvait cette partie de l'histoire trop absurde pour être vrai. Mais à la voir courir ainsi, il ne pouvait que se rendre à l'évidence ; Danayelle était totalement folle.
Egrim grogna entre ses lèvres, puis s'élança à sont tour derrière la blonde.
— Oh, merde, ils vont se faire tuer, murmura Tys. Et nous, qu'est-ce qu'on fait ?
— Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? s'étonna Mishi.
— On profite de la distraction pour foncer jusqu'à Leerian ?
Mishi aurait de loin préféré rester cacher dans son coin et laisser les elfes faire le sale boulot. Mais rien que mentionner le nom de Leerian la fit trembler de la tête au pied, comme un spasme bref, mais violent. Elle risqua un regard vers le cimetière.
Danayelle et Egrim s'étaient arrêtés, côte à côte à l'extrême droite du grand champ. Comme s'ils avaient justement prévu de servir de distraction, leur permettant ainsi de courir jusqu'au trou où était Leerian en une ligne droite. Mais impossible d'y aller pour l'instant ; malgré l'avertissement de Nuvem, le monstre ne les avait pas encore remarqués.
— Eh ! s'exclama Danayelle en agitant son épée en l'air. Vieille goule !
— Chut ! fit Egrim dans un murmure. Il va nous foncer dessus !
— C'est le but, idiot.
Egrim se détourna de la vision d'horreur que lui procuraient ce cimetière glauque et le monstre tout au fond pour observer, rien qu'une seconde, la grande blonde à sa gauche. Il la savait courageuse ; il ignorait, jusqu'alors, qu'elle était en fait suicidaire.
En reportant son attention sur la goule, Egrim remarqua qu'elle avait la tête sortie de son trou. Son étrange visage pâle sans bouche se fendit soudain, découvrant ses dents pour la première fois. Rouge de sang, longue comme des couteaux. Un bout de chaire y pendouillait, et Egrim dû réprimer un haut-le-cœur. Dans quel état allons-nous retrouver Leerian ?
Un moment de flottement subsista, alors qu'Egrim et Danayelle observaient le monstre droit dans les yeux. L'angoisse montait, une peur qui ne semblait même pas leur appartenir les paralysait. Et quand la goule s'élança sur eux avec un hurlement à glacer le sang, l'instinct de combat prit le dessus ; Danayelle leva l'épée et hurla en retour, sprintant à la rencontre du monstre. Egrim glapit, ravala sa salive, puis courut derrière elle. Ça y est. Je vais mourir.
— Aghes !
Une boule de feu se créa dans sa paume. Avec le peu de confiance qu'il avait en lui, Egrim la lança de toutes ses forces sur la goule, qui esquiva d'un bond de côté. Elle sauta vers lui, ses mains aux longues griffes en avant, et Egrim se téléporta trois mètres plus loin au même moment. Danayelle jaillit à son tour, balançant l'épée avec sa télékinésie en direction de la gorge... mais la goule bondit à nouveau, dans la direction inverse. Puis elle courut à quatre pattes vers Danayelle, reprenant brièvement la forme d'un gros chien.
— Secaertun ! s'exclama cette fois Egrim.
Le sortilège qui aurait dû figer le monstre sur place n'eut aucun effet. Il continuait de s'élancer vers Danayelle à une vitesse ahurissante. Egrim se téléporta alors à ses côtés, lui serra le bras solidement, et l'entraina dans une autre téléportation opposée. Danayelle lâcha un bref couinement de surprise, puis risqua un regard vers son ami qui venait de lui sauver la vie.
— Merci, fit-elle dans un souffle.
— J'ai l'impression que la magie n'est pas très efficace contre ce monstre. Ou bien c'est moi...
— Ce n'est pas toi. J'ai connu la même chose sur Nocksor quand Leerian avait essayé de me dévorer. Sa magie est supérieure à la nôtre. Il...
Danayelle n'eut le temps de continuer les explications ; la goule rappliquait déjà. Egrim avait tout de même compris l'essentiel ; il ne pouvait pas directement envoyer de sort au monstre, mais il pouvait toujours lui balancer ses boules de feu... s'il parvenait à viser plus juste que la première fois.
Danayelle jouait de l'épée d'argent, Egrim faisait de son mieux avec ses boules de feu, sous les yeux écarquillés de Tys, Mishi, Narsa et Nuvem qui observaient la scène de loin.
— Le crétin, il va se faire tuer ! fit Narsa dans un murmure.
Elle s'élança à son tour en direction du monstre pour porter son secours, déversant ses étincelles vertes sur le cimetière.
— Je crois que c'est le moment, dit Tys. J'y vais.
Tys prit une grande inspiration pour un peu de courage, puis sauta au-dessus du buisson. Mishi ne perdit pas une seconde pour le talonner, courant derrière le télépathe aussi vite que ses jambes de sirène le lui permettaient.
Nuvem était maintenant seul dans sa cachette, estomaqué par la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Trois combattaient la goule en simple distraction pour les deux autres qui tentait de sauver leur ami. Nuvem, pourtant, en était parfaitement conscient ; si ça avait été lui, dans la tombe, et sa famille et ses amis pour lui venir en aide... eh bien, il serait mort, car personne n'aurait fait le déplacement.
Tys arriva le premier jusqu'au trou, tout au fond du cimetière. Il fut si rapide qu'il ne prit même pas le temps de ralentir ; il perdit pied et tomba dedans tête première. Il s'effondra deux mètres plus bas en se cognant le genou au coin du cercueil. Il se mordit la lèvre pour s'empêcher de gémir, mais un bruit de grognement le figea sur place. Assis au bord, le dos contre le mur de terre, Tys releva lentement les yeux. Ça y est, il avait trouvé Leerian. Mais dans l'angle qu'il était, il ne l'apercevait pas. Il était à l'intérieur du cercueil.
— Eh... Leerian... ça va ?
Un nouveau grognement lui répondit. Tys sentit l'angoisse monter en lui. Étrangement, Leerian lui faisait plus peur encore que la goule qui s'attaquait à ses deux meilleurs amis. Il se savait égoïste, mais il était incapable de s'empêcher de penser au danger qu'il vivait lui-même présentement. Leerian était un loup-garou, la pleine lune était au-dessus de leur tête. Il était extrêmement dangereux, extrêmement contagieux. Et Tys venait bêtement de s'ouvrir le genou.
Il se leva, posa une main au-dessus de la plait, puis s'avança d'un pas boitillant jusqu'au cercueil. Un haut-le-cœur monta en lui, et il pressa sa deuxième main contre sa bouche pour s'empêcher de vomir.
— Tys ! s'exclama Mishi. Je ne te vois plus ! Tu es tombé dedans ?
— N'approche pas, Mishi ! s'écria Tys.
Trop tard ; elle était arrivée, penchée au bord du trou. Ses yeux s'écarquillèrent, un gémissement sourd s'échappa d'elle, et des larmes glissèrent sur ses joues.
C'était une vision d'horreur. Leerian était là, étendu dans le cercueil aux côtés d'un squelette vêtu de aillons. Leerian s'agitait en de faibles mouvements lents. Il était recouvert de sang. Une large plaie s'ouvrait sur son ventre. Un de ses bras était tordu d'une étrange façon, tout autant que sa jambe gauche. Le bas de son pantalon avait été arraché, et un gros morceau de mollet semblait avoir disparu.
Son visage était grimaçant de douleur, ses yeux rouges roulaient dans ses orbites. Mishi n'arrivait même pas à imaginer toute la souffrance qu'il devait ressentir.
Mishi étouffa un sanglot, ses mains pressées sur sa bouche. Elle prit plusieurs inspirations, s'efforçant de retrouver son sérieux. Ce n'était pas le moment de se laisser aller ; la vie de Leerian était en jeu !
— Sors-le de ce trou ! Tys, sors-le de là !
Tys grimaça, puis secoua la tête de gauche à droite. Il aurait bien voulu, mais comment ? Comment pourrait-il le sortir de ce trou de deux mètres, avec la seule aide de Mishi ? Ils risquaient de le tuer s'il bougeait trop ; la plait sur son ventre atteignait peut-être des organes vitaux, il n'en savait rien ! Et le moindre contact avec son sang contaminé... ferait de lui-même un loup-garou ! Et honnêtement... plutôt crever.
— Seule la télékinésie pourrait nous être utile. Il faut attendre Danayelle et Egrim.
Mishi grogna de frustration tout en se relevant. Une trentaine de mètres plus loin, le combat faisait rage entre la goule et ses amis. Danayelle, armée de l'épée de Leerian, multipliait les pirouettes et les lancers prodigieux pour s'efforcer d'atteindre la goule, mais elle réussissait toujours à éviter les attaques de justesse. Egrim se téléportait de côté tout en envoyant ses boules de feu, empêchant le monstre de se sauver d'un sens ou de l'autre. Et Narsa, depuis le ciel, n'arrivait tout simplement pas à le toucher avec ses rayons laser. Cette goule était d'une rapidité ahurissante ; elle était probablement plus forte que Leerian sur Nocksor.
Mishi serra les poings. Ils n'y allaient pas assez fort. Ils n'avaient pas encore vu dans quel état était Leerian ; Mishi, au contraire, était complètement retourné, et surtout, elle était gonflée à bloc.
Sans prendre la peine d'y réfléchir une seule seconde, Mishi lâcha un cri de guerre à réveiller tous les morts du cimetière, puis sprinta en direction de la bataille, empoignant l'arc et une flèche de Nuvem qu'elle portait toujours en bandoulière. Elle courait vers la goule, qui, autant étonnée que Danayelle, Egrim et Narsa, fit face à la sirène pour l'attaquer à son tour.
Danayelle retint son souffle. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Elle allait se faire tuer ! Danayelle sauta alors sur l'occasion et lança l'épée encore une fois, mêlée à toute la force de sa télékinésie. Mishi banda l'arc au même moment et lâcha la flèche, qui fonça à pleine vitesse pour se ficher bien solidement dans l'œil droit de la goule. La lame d'argent traversa le monstre en pleine poitrine, propulsant une gerbe de sang directement sur Mishi qui était dans sa trajectoire. Le monstre lâcha un ultime hurlement, puis s'effondra au pied de Mishi, qui s'arrêta enfin de courir pour le dévisager. Il était mort, là, juste devant elle.
— Mishi ! fit Danayelle, le souffle court et les poings sur les hanches. Tu étais à ça de te faire tuer ! dit-elle tout en pointant les quelques dizaines de centimètres qui séparait la goule des pieds nus de Mishi. C'est quoi, ton problème ?!
— C'est que t'es trop lente ! s'énerva Mishi à son tour. Leerian a besoin de ton aide, et tout de suite !
Egrim s'avança vers les filles à petits pas, le visage en sueur et les mains sur les genoux. Il observait avec étonnement la flèche dans l'œil du monstre, le manche en or de l'épée qui dépassait de sa poitrine. Il était à bout de force, mais ça n'impressionna pas Mishi qui s'élança aussitôt sur lui.
— Egrim ! Viens, il faut que tu le soignes !
— Laisse-moi une minute...
Mishi lui envoya un coup de poing dans le bras et un hurlement de désespoir dans les oreilles. Egrim sursauta, dévisageant Mishi avec inquiétude.
— OK, OK... tout de suite.
Il échangea un regard perplexe avec Danayelle, puis couru à la suite de Mishi qui s'élançait à nouveau vers la tombe. Danayelle s'élança derrière eux, pendant que Narsa les suivait depuis les airs.
Malgré le monstre mort, l'angoisse était toujours autant présente dans tous les cœurs. Danayelle fit le dernier pas qui la séparait du trou avec appréhension puis, lentement, se pencha pour y lancer un coup d'œil. Sa bouche s'en décrocha quand elle y vit Leerian, couvert de sang et les membres formant des angles anormaux.
— Par les djinns, fit-elle dans un murmure. Il... il est mort ?
— Il respire, répondit Tys, qui s'était un peu approché de Leerian sans oser le toucher. Mais... d'une drôle de façon. Il a peut-être un poumon perforé, ou... je n'en sais rien. Il a besoin de soins au plus vite.
Tys fit un regard suppliant vers Danayelle. Il avait envie de tout, sauf de voir un ami mourir. Celle-ci laissa tomber l'épée ensanglantée dans la neige, leva les mains devant elle et, lentement, le corps mutilé de Leerian se mit à flotter dans les airs. Leerian lâcha alors un gémissement qui fit frémir tout le monde ; ça faisait mal de le voir dans cet état.
Danayelle le posa sur l'herbe. Leerian tenta aussitôt de se relever, mais dès le premier mouvement, il hurla de douleur. Danayelle s'éloigna d'un pas et Egrim s'avança pour prendre sa place. Il observa un moment Leerian à ses pieds, se tortillant en grognant comme un chien.
— La pleine lune agit encore sur lui. Si je m'approche... il va me contaminer.
— Pas tant qu'il n'y a pas de contact de sang, dit Danayelle. Je vais t'aider. Je vais le maintenir immobile.
Tys s'était efforcé de grimper la paroi du trou. Il arriva juste à temps pour remarquer Danayelle lever les mains vers Leerian, alors qu'il s'agitait toujours autant.
— Attendez, dit-il en s'agenouillant près de Leerian. Je vais essayer de le tenir tranquille.
— À trois, on va surement réussir à quelque chose, dit Egrim. Allez-y.
Danayelle et Tys hochèrent la tête de concert, puis s'attaquèrent à Leerian. Danayelle avait du mal ; elle se souvenait, sur Nocksor, comment il était impossible à contenir. Cette fois, c'était un peu plus facile, peut-être parce qu'il était déjà vaincu, ou encore parce qu'il avait pris cette potion. Tys, au contraire, avait une drôle de sensation en s'efforçant de contrôler les émotions de Leerian. Il avait l'impression de faire face à l'esprit d'un animal enragé... et il fallait admettre que c'était plus ou moins le cas.
Ensemble, ils réussirent à empêcher Leerian de bouger. Il était enfin immobile. Egrim prit une grande inspiration, puis s'agenouilla à son tour, Mishi et Narsa derrière lui à l'observer avec angoisse.
Egrim était déjà épuisé par son combat contre la goule. L'adrénaline le lui faisait un peu oublier, mais dès qu'il prit un moment pour regrouper ses forces magiques, il se rendit compte qu'il n'en avait pas beaucoup. Il ignora la sensation, puis lança la formule avec conviction, les paumes à deux centimètres au-dessus du ventre de Leerian. Il voulait le soigner, mais il avait encore plus peur de toucher son sang contaminé.
— Shiernelt !
Ses mains s'illuminèrent d'une faible lueur. Tous retinrent leur respiration, les yeux fixés sur l'énorme plaie qui semblait rétrécir avec lenteur. Leerian s'arrêta même de grimacer. Une longue minute passa ainsi, jusqu'à ce qu'Egrim lâche, s'appuyant sur ses genoux alors qu'il reprenait son souffle.
— Alors ? Tu l'as sauvé ? dit Mishi.
Egrim pinça les lèvres tout en levant le regard vers Danayelle, en face de lui, puis se retourna pour observer Mishi. Debout derrière lui, elle tremblait, les yeux rouges de larme contenue. Egrim en avait presque mal au cœur. Devait-il vraiment le dire ?
Il secoua la tête, puis lança la formule une seconde fois. Il sentait son souffle de plus en plus court, sa concentration lui faisait défaut. Leerian avait beaucoup trop de blessures... mais s'il parvenait au moins à soigner le plus urgent, il pourrait se reposer et reprendre des forces avant de s'attaquer au reste.
Quand Egrim lâcha à nouveau, il s'effondra à quatre pattes, la sueur lui dégoulinant dans les yeux. La plaie de son ventre s'était refermée. Egrim eut un pâle sourire. Il l'avait sauvé, même s'il avait toujours plusieurs os cassés.
— J'ai réussi, fit-il dans un murmure.
Seul un silence lui répondit, et des soupires de soulagement. Il attendit un merci, peut-être même une tape dans le dos, n'importe quoi. Il s'évanouit dans la frustration avant que Mishi ne s'agenouille près de lui, juste à temps pour que ce soi lui qui tombe dans les bras de la sirène.
— Merci, fit-elle, trop tard pour être entendu. Egrim ?
— Il a donné tout ce qu'il avait, dit Tys. Leerian est encore dans un fâcheux état, mais, au moins, sa vie n'est plus en danger. Maintenant, on ne peut pas rester ici, sur le territoire des goules. Et s'il en avait d'autres ?
— Nuvem n'est plus là pour nous guider, évidemment, dit Danayelle. Il aurait pu nous aider. Oh, bon sang... Leerian... il en a bavé, cette nuit. Et Egrim... comment va-t-on faire pour... eh merde, je ne sais même plus ce qu'on doit faire !
Danayelle observa tour à tour Mishi, Tys et Narsa. Puis tourna la tête vers la limite du champ, dans le buisson sans feuille au bord de la forêt. C'était là qu'elle avait vu Nuvem pour la dernière fois. Puis elle réalisa avec étonnement que Nuvem y était toujours. Pas caché ; juste debout, appuyé contre un arbre voisin, les bras croisés comme s'il attendait simplement. Jean était même avec lui, assis sur une branche.
— Je n'y crois pas... il ne s'est pas enfui ?
Tys était autant perplexe qu'elle. Il avait lu dans son esprit à plusieurs reprises ; tout au long de la journée, il n'avait pensé qu'à ça, s'enfuir. Il en aurait largement eu l'occasion, cette fois.
— Nuvem ! Ici ! s'exclama-t-il comme s'il appelait un chien au pied.
Il avait usé de son pouvoir, pourtant il avait des doutes que, peut-être, il lui aurait obéi de toute manière. Mais la situation était trop urgente pour prendre le risque. Nuvem se précipitait déjà vers eux en courant.
— Nuvem, tu dois nous emmener à un endroit sûr. Le village est encore loin ?
— C'est tout près, avoua-t-il après quelque seconde de réflexion. Nous sommes dans leur cimetière...
— Guide-nous. Et aide-moi à le porter, dit Tys en même temps de se lever pour prendre Egrim, toujours dans les bras de Mishi. Dana, tu peux t'occuper de Leerian avec ta télékinésie ?
— Bien sûr.
— Bien. On repart tout de suite.
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