Chapitre 25 (2/2)

Les illusions s'arrêtèrent à l'instant. Même les pirates ne dirent plus un mot, tous étonnés de l'elfe qui venait d'apparaître soudainement au pied de l'escalier. Puis leurs yeux se tournèrent vers Egrim, à ses côtés, qui ne savait plus comment réagir. Puis vers Leerian, qui ressemblait à lui-même et qui n'était pas attaché, ni bâillonné. Puis vers les filles, Narsa et Danayelle, toutes deux sans la moindre égratignure ni la moindre chaine pour les retenir.

Le moment de stupéfaction dura quelques secondes supplémentaires, les matelots tentant tous d'assimiler ce qui se passait. Plus personne ne bougeait. Même les vagues qui ballotaient le bateau semblaient s'être diminuées.

— Est-ce que c'est Celeyste ? s'étonna un pirate au premier rang.

Leerian ressentit la question comme un coup de poing à l'estomac. Un nouveau regard vers Tys, puis vers le pirate. Il déglutit. Ça y est. Ça va dégénérer.

Il n'eut pas à attendre longtemps. Tout juste une seconde plus tard, les exclamations et les cris s'élevèrent sur le pont, les matelots brandirent leurs pistolets. Narsa fut la première à réagir ; elle fit apparaitre les étincelles autour de ses doigts, referma le poing, et envoya le coup dans le vendre de celui qui la tenait toujours par les ailes. Mêlé à la force de sa magie, l'homme fut balancé à plusieurs mètres et bascula au-dessus de la rambarde dans un long hurlement.

Danayelle répliqua ensuite ; grâce à sa télékinésie, elle créa comme une onde de choc qui repoussa tous les pirates et ils s'effondrèrent l'un contre l'autre, n'épargnant que Leerian qui était près d'elle. Lui, bouche bée, incapable de se décider sur la meilleure façon de réagir, restait bêtement debout, à la merci des hommes qui tentaient déjà de se relever pour les pointer à nouveau de leur pistolet.

— Leerian, bouge ! s'énerva Danayelle.

Il hocha la tête, sans plus. Que devait-il faire ? Sortir son épée et les tuer jusqu'au dernier, comme il venait tout juste de s'imaginer ? Et alors, créer une nouvelle polémique autour de sa personne, une raison de plus d'être détesté par Nyirdall tout entier ?

Les pirates étaient debout. Tout un groupe s'était attaqué à Danayelle, qui déviait les balles et arrachait les pistolets par sa télékinésie. Depuis les airs, Narsa envoyait des rayons laser à la tête des hommes et des nains.

Un coup de feu, semblant résonner plus fort que les autres, fit sursauter Leerian, le sortant de son hésitation. On m'a tiré dessus ! s'étonna-t-il, avant de se rendre compte, une seconde plus tard, qu'il ne ressentait aucune douleur. En fait, la balle était là, flottant à hauteur d'yeux. Tous juste trois centimètres le séparaient de sa mort.

LEERIAN ! BOUGE ! hurla encore une fois Danayelle.

Puis, sans lui laisser le temps d'obéir, il sentit une puissance le soulever. Comme s'il volait, il fut projeté à travers le pont jusqu'aux escaliers qui menaient à la cale. Puis la force télékinétique de Danayelle le lâcha et il s'effondra à quatre pattes, une exclamation incrédule s'échappant de sa bouche. Puis, encore une fois, quelque chose d'autre le poussa par en avant, puis sur le côté, le trainant sur quelques mètres vers un coin de mur.

— Je ne te croyais pas aussi idiot.

L'insulte claqua à l'oreille de Leerian. Il releva la tête, apercevant Egrim et Tys. Recroquevillé, une main en l'air comme s'il tenait quelque chose d'invisible, il tapotait les joues de Tys de son autre main, s'efforçant de le réveiller.

— Pourquoi tu ne sors pas ton épée pour tous les exterminer ? continua Egrim. Il reste, quoi, deux jours pour la pleine lune ? Tu dois être en pleine forme, non ?

Une balle ricocha contre le quelque chose d'invisible qu'Egrim retenait. Leerian réalisa alors que c'était un bouclier de télékinésie. Il fut à la fois impressionné d'un tel sort, puis frustré de sa question.

— Justement, je ne veux pas recommencer la même erreur, grommela Leerian.

— Une erreur ?! Ils vont te tuer en premier !

— Et tu crois que c'est ce constat qui empêchera les djinns de me remettre en prison ?

Egrim pinça les lèvres, ses sourcils se froncèrent. Il souffla par le nez, baissa les yeux sur Tys.

— Très bien. Alors, occupe-toi de Tys ; je vais me charger de ses pirates.

— Egrim, s'exclama Leerian aussitôt. Tu auras le même problème que moi, si tu les tues. En pire !

— Tu veux parier ?

Leerian ouvrit la bouche, mais Egrim s'était déjà relevé. Il marmonna des formules entre ses dents, le bouclier s'écarta pour le laisser passer, puis se referma derrière lui, protégeant Leerian et Tys. Puis, d'une nouvelle formule, deux boules de feux apparurent dans chacune de ses paumes, une lueur meurtrière dans le regard. Leerian ne pouvait que l'admettre ; il était impressionnant.

Leerian baissa les yeux vers Tys. Il semblait prêt à dormir une semaine entière. Il s'en rendait compte trop tard ; il en avait beaucoup trop demandé au télépathe. Et même s'il ne le connaissait pas suffisamment pour le considérer comme un ami, Leerian se sentait mal pour lui. Le moins qu'il pouvait faire, c'était de le protéger.

Il leva la tête vers le pont, où une scène de carnage se déroulait. Malgré toutes les balles qui revolaient, les projections de télékinésie de Danayelle, les boules de feu d'Egrim et les rayons laser de Narsa, entrecoupé d'hurlement et d'exclamation de douleur, Leerian ne put s'empêcher regarder un peu plus loin. Ses yeux furent happés par le paysage. La mer, les vagues, une horde d'oiseaux marins, mais surtout, la terre. À plusieurs centaines de mètres de là, un nouveau pays s'étendait sur des kilomètres à la ronde. Les bordures de plages, les forêts de sapins. Les montagnes, énormes et enneigées, dont le sommet disparaissait au-dessus des nuages. C'était Thrasryall.

Leerian était émerveillé. Un sourire étira ses lèvres. Ça y est. J'ai réussi. Nyirdall, c'est du passé. Puis ses yeux s'abaissèrent, juste assez pour voir à nouveau ce qui se déroulait ici, à l'instant même. La guerre n'était pas terminée. Des boules de feu jaillissaient de tout côté, parfois de la gauche, parfois de la droite, par toutes les téléportations d'Egrim qui le menait sur tous les recoins du bateau, n'épargnant personne. Narsa, elle, plongeait sur eux comme un faucon, balançant ses étincelles et colorant la scène de paillettes vertes. Et même si Leerian ne le voyait pas, il avait un doute que, pour chaque homme et nain tombé à l'eau, Mishi se chargeait de les ensorceler pour ensuite les forcer à se noyer.

Un véritable carnage. Leerian déglutit. C'est ma faute. Si ces amis se tiraient de cette situation avec la moindre égratignure, il s'en voudrait à mort.

Et tant pis pour les remords. Il ne pouvait pas rester assis à contempler le spectacle. Un dernier regard vers Tys, puis il se leva, sortant son épée de son fourreau. Ses doigts tremblèrent, mais dès qu'ils rencontrèrent le manche en or serti d'émeraudes, il se sentit calme et déterminé. Il savait ce qu'il était capable d'accomplir au combat. Et la lune était de son côté.

— Je reviens tout de suite, Tys, fit-il dans un murmure.

Il fit un pas, traversa le bouclier d'Egrim qui, par il ne savait quel miracle, tenait toujours malgré son attention qui était clairement ailleurs. Leerian s'avança lentement, l'épée en main, la pointe vers le sol. Il cherchait un adversaire, quelqu'un qui mettait ses amis à mal. Puis son regard croisa celui de quelqu'un qu'il connaissait trop bien ; celui qui, durant trois jours, lui avait balancé des coups de pied dans toutes les parties du corps possible.

Le capitaine. Mêlé au milieu de la foule, protéger par deux de ses hommes, il pointait son pistolet avec précision vers Danayelle qui lui tournait le dos, s'attaquant à d'autres marins.

Leerian sentit son sang se figer, puis la rage monter. Il s'apprêtait à tuer Danayelle. Il sera les poings, puis piqua un sprint avec toute la vitesse surnaturelle qu'un elfe pouvait avoir. Même si le capitaine l'avait aperçu de loin, il ne s'attendit pas à être percuté aussi fort, aussi vite. Son arme lui glissa des doigts, la balle partit un tout petit peu trop à gauche et se ficha dans la hanche de l'un des hommes qui hurla en s'effondrant. Danayelle sursauta, et se retourna pour voir la scène.

Leerian l'avait frappé avec toute la force du loup-garou qui sommeillait en lui. Le capitaine était au sol, haletant, les deux mains pressées contre sa poitrine. Il lui avait cassé trois côtes. Il sentait l'odeur du sang, de puis en plus prononcé, monter de lui. Leerian plissa le nez, puis pointa son arme sous sa gorge. Ses hommes tentèrent aussitôt de l'intercepter et, d'un simple mouvement circulaire, ils leur tranchèrent tous deux la tête pour ensuite remettre son épée à la gorge du capitaine.

Autour d'eux, la bataille s'était arrêtée. Avec l'aisance dont il avait tué ses deux matelots, tous avaient compris que ce n'était même plus la peine d'essayer de sauver le capitaine. Si Leerian voulait le tuer, rien ne l'en empêchera.

— Toi, fit Leerian d'un ton vibrant de colère. Tu me fais royalement chier.

— Vas-y. Tue-moi.

Sa voix était sifflante, empreinte de douleur et de défi. Une goute de sang glissa de ses lèvres entrouvertes. Leerian plissa les yeux, qui s'étaient colorés de rouge tant la haine était présente en lui. Il voulait le faire. Il l'avait frappé ; il avait frappé Egrim ; il avait essayé de tirer dans le dos de Danayelle. Et dans le fond... c'était sa faute à lui, Leerian, si toute cette situation s'était produite.

Egrim apparut près de Danayelle. Il posa une main sur son bras, tout autant perplexe que les autres par la scène qui se déroulait devant eux. Leerian lança un bref regard dans sa direction, l'épée toujours pointée sur la gorge du capitaine.

— Egrim, approche.

Celui-ci hésita pendant une seconde. Qu'est-ce qu'il lui voulait, maintenant ? Il fit quelques pas lents, ses yeux filant de droite à gauche, puis vers le ciel où Narsa survolait le bateau. Il craignait qu'un pirate ne tente de le tuer, mais Danayelle avait la situation en main. Elle surveillait tout le monde, guettant les pistolets, prête à utiliser ses dons.

— Capitaine, dit Leerian d'une voix drôlement grave. Si vous nous donnez un radeau et nous laissez tranquilles pour la suite, mon ami pourra guérir vos blessures et celle de tous vos hommes.

Egrim couina de surprise, dévisageant Leerian avec stupéfaction. Depuis quand la paix était-elle une option ?

— Quoi ?

— Tu en serais capable ? répliqua Leerian.

— Eh... Oui, bien sûr.

Leerian baissa à nouveau les yeux vers le capitaine, toujours au sol à ses pieds. Sa respiration était sifflante, sa peau était rouge par le simple effort de faire entrer un peu d'air dans ses poumons. Sans magie guérisseuse, il était condamné, c'était une évidence pour tout le monde.

— Acceptez, capitaine, fit un homme dans la foule.

— Vous nous laissez partir d'abord, dit Leerian. Ensuite, seulement, il vous soignera.

Le silence perdura quelques instants supplémentaires, alors que tous les regards étaient sur le capitaine. Étendu au sol, les yeux fixés sur le ciel et la bouche ouverte, il ressemblait à un poisson hors de l'eau.

— D'accord, fit-il dans un drôle de gargouillis, et une nouvelle coulisse de sang glissa d'entre ses lèvres.

Il fit un léger signe de doigt en direction d'un homme, grand et baraqué, et celui-ci quitta lentement sa position pour s'approcher de la rambarde, où une manivelle était accrochée contre la ridelle depuis l'un des mâts. Il la fit tourner, le mécanisme produisant un grincement désagréable à l'oreille, et un radeau apparut rapidement.

— Merci, capitaine, dit Leerian d'un ton plus doux, cette fois. Vous avez choisi la vie de votre équipage. Car vous savez que je suis capable de tous vous tuer en à peine une minute.

Avec un dernier sourire carnassier, il rangea son épée dans son fourreau et pivota vers Danayelle. La main devant sa bouche, elle s'était rongé les ongles tous au long de cet échange. Il lui fit signe de grimper sur le bateau, alors que lui-même allait chercher Tys, toujours étendu dans son coin. Les matelots s'écartèrent sur sa route, et Leerian eut du mal à reconnaitre la crainte ou le respect dans leur geste. Ou était-ce un mélange des deux ?

Il prit Tys dans ses bras, puis refit le chemin inverse jusqu'au radeau pour l'y allonger. Danayelle, déjà à l'intérieur, l'aida à l'installer confortablement. Leerian se tourna vers Egrim, maintenant seul au milieu de tous ses pirates.

— Soigne le capitaine, Egrim. Narsa va veiller sur toi. Si tu veux soigner les autres matelots, c'est libre à toi. S'ils profitent du moment pour essayer de te tuer, arrache-leur les tripes à main nue, comme la dernière fois.

Egrim fronça les sourcils. Il n'y avait pas de « dernière fois », mais ce simple sous-entendu refila la crainte chez les pirates, qui s'éloignèrent tous d'un pas d'Egrim. Celui-ci sourit, comprenant le subterfuge. Malin ! pensa-t-il alors qu'il lançait un regard provocateur à la ronde.

Le matelot baraqué fit tourner sa manivelle en sens inverse. Avec une secousse, le radeau se mit à descendre lentement vers la mer. Egrim et les pirates disparurent graduellement à la vue de Leerian, qui soupira en s'asseyant en face de Danayelle, Tys allongé entre eux. Celle-ci était livide, comme si elle n'arrivait toujours pas à assimiler ce qu'il s'était produit.

— Tu m'en veux ? demanda Leerian d'un ton étrangement dur.

— Si je t'en veux ? répéta bêtement Danayelle. À propos de quoi ?

Leerian plissa les yeux. Elle s'était pris un coup sur la tête, ou quoi ? Au moment où il s'apprêtait à réitérer la question, pourtant, elle éclata de rire, un bras serré autour de son ventre.

— Oh, Leerian ! Pourquoi je t'en voudrais, tu peux m'expliquer ?!

Le radeau toucha la mer. À contrecœur, Leerian se détourna de Danayelle pour défaire le nœud de corde qui retenait le radeau contre le trois-mâts. Danayelle fit de même de son côté, alors que Mishi s'approchait à la nage.

— Parce que je ne l'ai pas tué, dit Leerian dans un murmure.

— Et je devrais t'en vouloir...

— Il a torturé Egrim... il m'a torturé en pensant que j'étais lui...

— Leerian. Peu importe la situation, la mort n'est jamais la meilleure solution. Au contraire ! C'est la pire !

— Je sais. C'est pour ça que je ne l'ai pas fait.

— Alors je te le redemande. Pourquoi dois-je t'en vouloir ?

Leerian baissa les yeux sur Tys. Il avait bougé dans son sommeil. Peut-être était-il en train de rêver. Puis Mishi apparut soudain, projetant une gerbe d'eau sur ses amis. Elle s'appuya contre le bord du radeau, le faisant dangereusement tanguer. Leerian se redressa en s'agrippant à son banc, le visage livide.

— J'ai plein de questions, dit-elle. Tellement que je ne sais par où commencer. En bref, je m'attendais à tout, sauf à ce qu'ils vous donnent un radeau. Je rêve où j'ai bien vu l'un des membres de l'équipage le descendre pour vous ?!

Leerian échangea un bref regard avec Danayelle, avant de baisser les yeux. Et comme il s'apprêtait à répondre, ce fut au tour d'Egrim d'apparaître parmi eux. Le radeau tangua dans le sens inverse, faisant encore une fois sursauter Leerian.

— Et si on y allait maintenant, avant qu'ils ne décident de nous tirer dans le dos ? fit Narsa qui s'approchait à tire-d'aile.

— Ouais, bonne idée ! dit Leerian tout en attrapant les pagaies, s'efforçant de ne pas déranger Tys qui était allongé dessus. On reprendra la discussion quand nous serons arrivés à... Thrasryall.

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