Chapitre 22 (1/2)

Tys croyait être tombé dans une histoire compliquée qui prendrait des heures à expliquer. Et même après, qu'il n'y comprendrait toujours rien. Leerian défia tous ses préjugés avec une simple phrase, marmonné en fixant le plancher d'un air coupable :

— Tout le monde me déteste à Nyirdall, donc je m'en vais ailleurs.

Tys garda le silence, attendant la suite. Plus personne ne parlait, comme quoi tout avait déjà été dit.

— C'est tout ? insista Tys.

Leerian haussa banalement les épaules. Tys pouffa de rire, dévisageant Egrim et Danayelle en espérant un peu d'élaboration. Tous deux étaient encore trop mal en point pour se donner la peine de s'exprimer.

— Alors... vous allez où, du coup ?

— Où ce bateau nous conduira, dit Leerian. Ils vont sur un autre pays. J'y serais bien ; quelque part où personne ne me connaît...

— Tu crois sincèrement que tout Nyirdall te hait ? T'es conscient que l'unique raison pour laquelle tu as échappé à la peine capitale, c'était parce que pratiquement tous les elfes de Stanmore avaient voté contre ?

— Ouais, parce qu'ils me prennent pour un objet de musée ! Tout le monde me déteste, répéta Leerian avec hargne. La seule chose qu'ils aiment chez moi, c'est mon nom de famille.

Cette fois, Tys ne trouva rien à répliquer. Après tout, il ne connaissait pas toute l'histoire. Tout ce qu'il savait était le crime qu'il avait commis ; les quarante trolls à Nashintill. Pourtant, à son opinion, il fallait être sacrément en colère pour s'y risquer. Obliger que ses trolls l'eussent bien cherché. Ça, et sa petite bévue sur Nocksor. Mais il n'avait tué ni même blessé personne. Et selon le témoignage d'un nain, il avait demandé à être attaché avec une chaine d'argent.

Tys soupira, puis haussa les épaules. Il avait compris les explications.

— Très bien, dit-il simplement. Tu veux quitter le pays. Et vous tous, ajouta-t-il en dévisageant tour à tout Egrim, Danayelle, Mishi et Narsa, vous voulez tous le suivre ?

— Pas moi, répliqua aussitôt Narsa. Je veux rentrer à Wondor.

— Ton départ soulagerait tout le monde, dit Egrim.

— Et tu viens avec moi !

— Nah, je n'ai pas la force de bouger de mon coin. T'as qu'à me porter en volant.

— T'es trop lourd pour ça. T'es plus grand que moi ! Et tu l'avais dit toi-même ; tu les aides à grimper sur le bateau, et on rentre à Wondor aussitôt après !

— Les circonstances m'ont été défavorables, dit Egrim d'un simple haussement d'épaules.

— Dit plutôt que tu veux échapper à la justice après avoir tué un homme, répliqua Danayelle.

Tous les regards se dévièrent vers la blonde, puis convergèrent à nouveau vers Egrim. Celui-ci, déjà pâle et faible, sembla sur le point de tourner de l'œil. Il inspira par le nez, cligna bêtement des paupières à plusieurs reprises, puis pivota pour se mettre face à Danayelle.

— Tu racontes n'importe quoi.

— Egrim, fit-elle avec sérieux. Les marchands l'ont dit, et tu as avoué. J'ai marché dans la flaque de sang que tu a laissé sur le tapis !

Egrim sera les poings, ses joues virant aux rouges alors que tous le dévisageaient. Il se leva, debout au milieu du cercle que formaient ses amis.

— Je n'ai pas eu le choix ! Il me menaçait avec un pistolet, c'était lui ou moi !

— Egrim, dit Leerian d'un ton étrangement doux. Tu te souviens la dernière fois que j'ai menti sur un bateau. Ne nous refais pas cette scène, s'il te plait. Écoute ; peu importe ce que tu as fait, on sait tous que tu n'es pas le plus mal loti. À moins que tu dises que tu en as tué quarante-et-un, tu ne peux pas faire pire que moi.

Egrim soupira, puis hocha la tête. Les paroles de Leerian lui avaient redonné un peu de confiance. Il s'assit à nouveau, les yeux au sol.

— Le problème, c'est que... oui, je viens de mentir... Voilà, j'aurais pu l'éviter. Facilement. Et ensuite, j'ai pensé à le soigner. Mais je craignais qu'il en remette une couche, alors... je l'ai balancé dans la flotte. (Il soupira, puis avoua le pire, selon lui. Le détail qui faisait de lui un monstre :) À la dernière seconde, je l'ai tué de sang-froid.

Egrim se mordit les lèvres, évitant le regard de ses amis. Les émotions qu'ils ressentaient, pourtant, lui semblaient totalement décalées. Autant il avait honte de son comportement, qu'il se sentait sale et qu'il avait agi comme un véritable psychopathe, il ne put résister à la tentation d'en ajouter une couche :

— Toute façon, je suis encore loin de que vous avez fait, dit-il en levant les yeux vers Mishi, Danayelle, et surtout Leerian. Je paris que vous ignorez le nombre exact de gens que vous avez assassiné, toutes les deux. Et toi encore moins ; tu arrondis à quarante ! Mais dans le fond, on sait tous que c'est plus. Alors, ne me faites pas chier avec mon seul type qui a essayé de me tuer en premier !

Tys siffla entre ses lèvres, attirant l'attention sur lui. Puis il pouffa de rire ; un rire nerveux, alors qu'il se demandait sérieusement sur quel genre de groupe il était tombé.

— Vous avez tous besoin de thérapie. D'une très lourde thérapie. Heureusement pour vous que j'ai quelques compétences dans le domaine. Mais ce n'est pas ce qui urge le plus ; pour l'instant, j'en suis encore à déterminer si je dois vous aider ou non. Il y a des pour et des contre de chaque côté.

— Quels sont les pour ? demanda Mishi, soulagé de changer de sujet.

— Pour ; vous faites pitié. Et en plus, vous m'aviez manqué, dit-il en levant les yeux vers Danayelle et Egrim.

— Les contre ? renchérit Leerian.

— Vous êtes tous complètement cinglés. Sauf toi, ajouta-t-il en pointant un doigt sur Narsa. T'es visiblement la seule qui s'est retrouvée ici contre son gré.

— Merci, t'es bien le premier à me donner un peu considération, dit la fée en plaquant une main sur son cœur.

— Il y a plus de pour que de contre. Donc tu dois nous aider, dit Danayelle.

Tys soupira, puis se leva pour s'approcher de l'espace entre les planches du mur, lui permettant de regarder dehors. Il apercevait les radeaux, déjà presque tous arrivés à hauteur de leur bateau. Ils allaient bientôt emporter toutes ses caisses dans la cale, et ils allaient, inévitablement, passer devant la porte de leur cellule, où ils remarqueront le cadenas cassé.

Au loin, Tys voyait surtout Nocksor. Son île, ses habitants. Son petit coin de paradis. Ses parents et amis, quelque part là-dedans... et son boulot, qu'il n'avait toujours pas fini et qui était à remettre pour demain matin, au plus tard.

Mais ses amis avaient maintenant peur de lui. Ses parents le considéraient comme assez vieux pour voler de ses propres ailes et ils lui laissaient tant de liberté qu'il avait plutôt l'impression, depuis son retour, qu'ils l'ignoraient. Et il se fichait éperdument de son boulot.

Personne ne remarquera mon absence.

— Très bien, dit-il en se tournant à nouveau vers le groupe. Je vais vous aider. Et je vais vous faire une démonstration de mon pouvoir digne d'un grand mage ! Prends-en de la graine, Egrim.

Egrim sourit de toutes ses dents, nullement insulté par son commentaire.

— Pour me faciliter la tâche, je vais vous demander de retourner dans le coin où vous étiez attaché et de ne plus y bouger.

— Et nous ? fit Leerian.

— Vous deux, dit-il pour Leerian et Mishi, mettez-vous près de la porte. Ce que je vais faire, c'est de créer une illusion pour faire comme si rien n'avait changé dans cette pièce... et pour le cadenas aussi. Ce serait plus facile pour moi si vous vous collez. Je veux dire par là que ça ferait une illusion au lieu de deux, parce qu'en dehors de vous, j'en ai, genre, cinq à faire en même temps. (Il compta rapidement sur ses doigts, sourcils froncés, avant de reprendre :) Sept. Bon sang. Je n'en ai jamais fait autant.

— Tu vas tenir le coup ? demanda Danayelle.

— Ouais, t'inquiètes ! Ça parait beaucoup, mais ce ne sera toujours que sur un homme un deux. Je peux gérer.

Tys hocha la tête, s'efforçant de se convaincre qu'il n'était pas entrain de se mentir à lui-même, puis alla s'asseoir au fond de la pièce, face à l'entrée. Comme un signal, tous retournèrent à leur place ; Egrim, Narsa et Danayelle dans chacun des coins, et Leerian et Mishi près de la porte.

— Vous deux, collé collé, dit Tys.

Leerian et Mishi s'échangèrent un regard nerveux, tous deux rouges de honte. Ils avaient laissé une distance de sécurité de dix centimètres entre eux. Leerian se rapprocha de Mishi, alors que celle-ci détournait la tête d'un air embarrassé.

— Et toi, le dragon, dit Tys. Va avec eux.

Jean s'était naturellement posé sur les épaules d'Egrim. Il grogna, projetant de la fumer par les naseaux.

— Il n'aime que moi, expliqua Egrim d'un ton coupable.

— Je ne t'aime pas, je t'endure plus que les autres, fit Jean.

— Ouais, tu m'aimes.

Jean grogna à nouveau, insulté, alors que tous pouffaient de rire. Il s'envola pour aller se poser sur les genoux de Mishi et se roula en boule pour bouder en silence.

— Parfait, dit Tys. Tout est en place. Nous n'avons plus qu'à attendre que mes victimes se pointent... et peu importe ce qui se passe ; pas un geste et pas un mot. Vous êtes des statues. Je m'occupe de tout le reste.

— T'as vachement pris en confiance, depuis l'Institut, dit Egrim tout en s'installant confortablement, la tête contre le mur.

— C'était plus facile sans toi dans mes pattes.

Egrim sourit, nullement insulté par la pique. Il n'avait pas réalisé, avant aujourd'hui, à quel point son ami lui avait manqué.

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La suite demain.

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