Chapitre 21 (1/2)

Voici ce que j'ai récolté cette semaine... À Winglon, la quatre-mille-six-cent-quarante-troisième compétition de magie annuelle va bientôt commencer. Tu veux des informations ?

Bof... T'as autre chose ?

À Dehas, un lutin du nom de Grewar vient d'ouvrir une boite de nuit.

Rien d'étonnant là-dedans.

OK... À Wondor, le mage Sindruid est de retour en fonction pour un temps limité.

Il est toujours limité, celui-là. T'as rien de mieux ?

Il n'y a vraiment rien qui intéresse les gens de Nocksor, hein ?

Dis-moi que les géants de l'ouest nous déclarent la guerre.

Eh bien non, figure-toi. Je te donne ma dernière carte ; le roi Celeyste s'est échappé.

Oh ? Ça, c'est cool.

Non, ce n'est pas cool ! C'est scandaleux !

C'est cool.

Bon sang que tu m'énerves. Ça s'est produit hier, pendant la journée. Les autorités avaient espoir de le retrouver rapidement à Stanmore, mais il a disparu des radars. La chasse s'étend sur tout le pays. Et ça inclut ton île. Je sais que vous avez l'étrange manie de protéger n'importe qui, mais celui-là est dangereux et il faut nous le livrer, si vous le croisez.

Oh, ne t'en fais pas. De ce que j'ai entendu dire de sa dernière visite, ça m'étonnerait qu'il revienne.

Et il s'est passé quoi ?

Un tas de merde.

Spécification ?

Non.

Bon sang, Tys... tu es journaliste. C'est ton devoir de partager les informations !

Et tu veux que je te donne des rumeurs sur quelque chose que j'ai seulement entendu, de nombreux mois après l'évènement ?

Ah... très bien, laisse tomber. C'est tout pour moi. Ton tour, maintenant.

Il ne s'est rien passé ici depuis bien trop longtemps. Je n'ai rien à dire. À la semaine prochaine, mon vieux.

Tys rompit le contact télépathique. Il cligna des yeux, se redressa sur sa chaise. Sans même qu'il ne s'en rende compte, il avait gribouillé les informations récoltées sur une feuille de son calepin. « Winglon, magie, 4643. Dehas, lutin grewar, nuit, sin, wondor, Celeyste. » Le dernier mot avait été surligné à plusieurs reprises. Ce n'étaient pas tous des sujets intéressants, mais il se devait d'en parler tout de même, à la limite d'y écrire un petit paragraphe. Mais son correspondant, un vieux télépathe originaire de la ville de Thooth, avait raison sur une chose ; les gens de Nocksor se foutaient de ce qui se passait sur le pays.

En quittant l'Institut, il y avait à peine plus d'une semaine, Tys avait eu un gros dilemme. Il adorait son île et rêvait d'y retourner depuis aussi longtemps qu'il l'avait abandonné. Mais son don de télépathie, à la fois très utile et le plus rare d'entre tous, était demandé à plusieurs endroits. Toute une liste de travail lui avait été proposée. Thérapeute et psychologue étaient ceux qui payaient le mieux. Exorciste était celui qui l'avait le plus tenté. Mais à Nocksor, il n'y avait qu'un seul poste important à combler ; celui de partager les informations venant du pays. Le problème étant, bien sûr, que les gens de Nocksor se fichaient totalement de l'actualité.

Avec un journal publié par semaine, Tys affrontait son tout premier article. Et pourtant, il en était déjà blasé. Personne ne voudra lire ses conneries, pensa-t-il en regardant ses notes.

Au moins, il y avait un avantage ; c'était l'histoire de quelques heures, un seul jour par semaine. Pas de raison de se plaindre... pas à voix haute, du moins.

Il soupira, sortit une pile de papier d'un tiroir de son bureau, puis tenta d'écrire, avec des phrases un peu plus complètes, cette histoire de compétition de magie. Pour une dizaine de lignes, il lui avait fallu quarante minutes de travail.

Satisfait, il s'avachit dans sa chaise et leva les yeux vers le plafond blanc. Son bureau était une pièce minuscule, tout juste trois mètres carrés. Mais ce qui était bien, c'était surtout qu'il avait une très large fenêtre donnant sur l'une des seules plages de Nocksor qui n'était pas recouverte de galets. Il y apercevait beaucoup de petits voiliers, plusieurs sirènes dont la tête dépassait des vagues, mais personne sur le sable. Après tout, ils étaient en décembre. Il faisait toujours chaud sur Nocksor, grâce à l'île volcanique au loin qui poussait un vent favorable, mais l'eau était tout de même glaciale.

Tys fit pivoter sa chaise pour se mettre face à la vitre. Il fixa son reflet un instant, ce jeune elfe avachi dans son fauteuil et totalement blasé aux cheveux châtain et aux yeux aussi bleus que l'océan, puis leva le regard par-delà les voiliers. Il y avait un trois-mâts. Peut-être le plus gros qu'il n'avait jamais vu. Il avait même assez de classe, pensa Tys, pour accueillir un roi. Tiens, peut-être que le Celeyste est dedans.

Tys lança un coup d'œil à tout le travail qu'il lui restait à faire. Il en avait déjà marre. J'ai jusqu'à demain matin pour le faire, je peux me permettre une pause. Il hocha la tête pour lui-même, comme s'il n'était pas du tout en phase de procrastination, et quitta la pièce. Il traversa un couloir jonché de portes, menant toutes à des bureaux similaires appartenant à d'autres employés du journal tout autant blasé que lui, et sortit dehors, suivant le chemin de pierre en direction de la plage, entre les boutiques du village. Sur sa route, il remarquait du coin de l'œil les elfes, hommes et nains, qui constituaient a part égal la population de l'île, s'éloigner de sa trajectoire et évitant son regard. Depuis une semaine qu'il était revenu, c'était le traitement qu'il subissait au quotidien. La télépathie était un don plutôt compliqué, et surtout, il était très mal vu, du fait qu'il menait Tys à un statut presque équivalent à celui de mage. Il ne pouvait pas lancer de boule de feu ni se téléporter, mais il pouvait facilement manipuler le cerveau des autres pour leur faire croire qu'il y arrivait, ce qui venait pratiquement au même. Tys avait beau leur assurer qu'il était le même qu'avant, un jeune elfe un peu naïf et toujours de bonne humeur – sauf trop tôt le matin -, il était conscient que, même chez ses amis d'enfance, il était laissé de côté. En fait, le seul qui était encore heureux de le voir, c'était Nestor, celui qu'on surnommait affectueusement le petit prince. Il semblait tout simplement impossible d'effrayer ce garçon. C'était un débat sérieux pour déterminer s'il était courageux ou affreusement stupide.

Tys arriva sur la plage. Il s'avança jusqu'aux premières vagues, les mains sur les hanches, puis observa à nouveau le trois-mâts. Cinq ou six radeaux venaient droit sur lui, comptant chacun deux matelots.

Il n'y avait rien d'impressionnant là-dedans. Pas pour quelqu'un vivant sur une île, du moins. Tys haussa les épaules, déjà lassé du spectacle. Il tourna les talons, dans l'idée de retourner aux villages et de se prendre un bon jus de fruits. Mais il n'avait pas fait un pas qu'une sensation étrange l'arrêta dans son geste. Ses oreilles d'elfes se raidirent comme des antennes de station radio. Lentement, il pivota pour lancer un nouveau regard vers le trois-mâts.

Quelqu'un tentait de le contacter. Il reconnaissait bien cette sensation ; après tout, il sortait tout juste de l'Institut, où il avait passé presque sept mois, au total, à perfectionner son don.

— Allo ? fit-il à mi-voix.

Une sirène, au bord de l'eau, l'observait d'un œil intrigué. Puis elle plongea dans la mer, s'éloignant du télépathe qui ne l'avait même pas remarqué. Tys était concentré sur ses sens, ou plutôt sur ce qui semblait être les sens de quelqu'un d'autre. L'angoisse montait en lui, une douleur physique qui le rendait nauséeux. Il baissa le regard vers son bras droit ; il lui faisait si mal, d'un coup, qu'il crut que quelqu'un venait de lui tirer dessus.

Le message était clair ; c'était un appel à l'aide. Mais celui ou celle qui tentait de le contacter semblait tant à bout de force qu'il n'arrivait pas à propager les mots. Rien que des ressentis.

Le tout le produisit en l'espace d'à peine trois secondes, avant que toutes douleurs s'évaporent. Il était à nouveau bien dans sa peau, et pourtant, Tys tremblait toujours. De qui cela pouvait-il provenir ? S'il ne pouvait communiquer ainsi que par des gens qui le connaissaient étroitement, et qui maitrisaient, un tant soit peu, la télépathie... ça faisait très peu de possibilités.

Tys n'eut pas à y réfléchir longtemps ; le premier radeau était presque arrivé à lui. Les deux matelots à son bord sautèrent à l'eau et marchèrent le dernier mètre qui les séparait de la plage. Tous deux bâti comme des armoires à glace ; grands, larges, assez musclé pour broyer des roches à mains nues.
Et tous deux arborant une simple touffe de cheveux roux.

— Hé, l'elfe ! l'appela l'un des deux hommes. Vous avez du stock à vendre, j'espère ! On vient pour remplir notre cale tout entière !

Tys leva les yeux vers l'énorme trois-mâts au loin.

— C'est une plaisanterie ?

Les matelots, probablement des jumeaux, éclatèrent de rire comme s'ils avaient affaire à la meilleure blague de l'année. Tys fronça les sourcils. Avec le ressenti qu'il venait de subir, il n'était pas vraiment d'humeur à rigoler.

— C'est l'hiver, on n'a rien de frais, fit Tys d'un ton grave. Mais je peux vous discuter un bon marché si vous répondez à une simple question.

Les hommes s'échangèrent un regard intrigué, puis haussèrent les épaules d'un même mouvement.

— Y'a un télépathe sur votre bateau ?

Cette fois, ils eurent une réaction à l'opposé ; l'un serra les poings, l'autre recula d'un pas et lança un coup d'œil angoissé en direction du trois-mâts. C'était particulièrement suspect, et Tys le prit comme une invitation. Il s'était fait la promesse de ne jamais user de son pouvoir sans consentement, mais si quelqu'un était en danger, il jugeait que c'était une bonne raison de faire une entorse à ses propres règles.

Tys s'approcha d'un pas de celui qui avait serré les poings, puis regarda droit dans ses yeux noirs. Il sembla happé par le tunnel que formaient ses prunelles ; l'obscurité emplit rapidement sa vision tout entière, jusqu'à ce qu'une nouvelle scène se crée devant lui ; un souvenir du matelot, celui auquel il pensait en ce moment même. Il se vit dans un bureau de capitaine, encerclé de tout plein de gens. Presque tous des hommes. Sauf, droit devant lui... Danayelle.

Le marin lui envoya un puissant coup de poing au visage et elle tomba contre le bureau. Ce fut ensuite Egrim qui en jaillit, l'air fou de rage. Mais il n'eut le temps de réagir de quelques façons, puisqu'un autre matelot lui tira aussitôt dans le bras.

Tys cligna des yeux. Il était de retour à la plage, face aux deux hommes. À peine une seconde s'était écoulée.

C'était Egrim, réalisa alors Tys, passant lentement une main au-dessus de son bras, à l'endroit exact où il avait ressenti une vive douleur... et surtout, là où Egrim avait reçu une balle. Bon sang. Egrim !

Il ne l'avait connu que pendant trois semaines à l'Institut, et il avait été plutôt chiant sur les dernières journées. Mais il éprouvait toujours une grande affection pour l'ami qu'il avait été, malgré son statut de télépathe. Très peu de gens acceptaient encore de l'approcher.

— Ah ! s'exclama soudain l'homme. Qu'est-ce que tu viens de me faire ?!

— Rien du tout ! répliqua aussitôt Tys. Tu n'as rien ressenti. Je n'existe même pas pour toi. T'es de bonne humeur et tu allais au marché. Par là ! fit-il en levant un doigt en direction de la ville, derrière eux.

L'homme eut un moment d'hésitation, semblant étonné de ses paroles. Puis un sourire idiot apparut sur son visage alors qu'il s'éloignait vers la direction indiquée, sautillant et fredonnant une chanson. Son acolyte se tourna vers Tys et serra les poings, mais Tys n'eut qu'à lancer un simple « toi aussi » pour qu'il se calme aussitôt et suive son frère.

— Tu vas aller en enfer pour ça.

Tys frissonna en levant la tête vers la mer. Une sirène aux cheveux brun pâle et aux écailles bleus avait observé toute la scène.

— Je n'ai pas le temps de t'expliquer, Elra, mais c'est une bonne cause, je te jure. Tu veux te faire un peu d'or facile ?

— Tu me prends pour qui, une salope ?!

— Non ! fit Tys d'une voix aigüe. Je dois aller sur leur bateau.

Tys lança un regard au-dessus de son épaule, vers les deux hommes qui s'éloignaient toujours, puis poussa leurs radeaux jusqu'à l'eau et sauta dedans.

— C'est important, continua Tys tout en empoignant des pagaies. Je crois que des gens y sont retenus prisonniers.

Elra semblait s'en foutre royalement. Elle nageait lentement autour du radeau, que Tys faisait avancer aussi vite ses bras maigres le lui permettait.

Egrim... et Danayelle. Ses noms tournaient en boucle dans sa tête. Il avait eu plus de temps pour connaitre Danayelle, et surtout, entendre encore et encore ses histoires d'aventure. Il savait tout sur le groupe étrange qu'ils formaient, avec Leerian et Mishi. Avec un sourire un coin, des gouttes de sueur apparaissant sur son front tant il s'efforçait d'aller le plus vite possible, il joua sa meilleure carte :

— Parmi les prisonniers, il y a probablement une sirène.

Ce simple constat fut suffisant pour changer l'avis d'Elra, qui s'arrêta de tourner autour de son petit bateau comme un requin. Elle dévisagea Tys pendant une seule seconde de ses iris d'un bleu perçant, le temps de prendre sa décision. Puis elle alla à l'arrière du radeau et le poussa avec tant de force que Tys du s'accrocher pour éviter de basculer par-dessus bord. Il croisait la route des autres matelots sur leurs radeaux, qui l'observaient d'un air intrigué, mais Tys n'avait qu'à penser « vous ne me voyez pas ! Je n'existe pas ! » pour qu'ils semblent l'oublier aussitôt. Les vagues d'eau froide l'éclaboussaient, le sel de la mer lui brûlait les yeux. En moins de trente secondes, en revanche, il était déjà arrivé au trois-mâts, à l'endroit exact où une ouverture de tout juste trente centimètres carrés laissait passer le bout d'un canon.

Ce bateau était vraiment énorme. Tys avait souvent été sur des bateaux de toutes sortes, mais celui-là était le plus grand qu'il n'avait jamais vu. Même d'en bas, il devinait la présence d'au moins une quarantaine de personnes sur le pont.

— Bonne chance, fit Elra. Ça fera une pièce d'or.

Tys eut un sourire nerveux. Il enfonça ses doigts dans l'une des poches de son pantalon et en sortie deux pièces d'or et sept d'argents. Mais avant qu'il n'eût le temps de lui donner ce que la sirène réclamait, elle avait déjà plongé sur lui pour lui prendre toutes les pièces et disparaitre sous l'eau aussi vite.

— Hé !

Elra était parti. Tys jura entre ses dents, puis leva les yeux vers le bateau qui le surplombait. Vraiment énorme, pensa Tys encore une fois. Puis il baissa la tête, s'efforçant de regrouper un peu de courage. Au sol, il remarqua une pièce d'argent que la sirène avait fait tomber dans sa précipitation. Il la prit, la remit dans sa poche, puis souffla à nouveau entre ses lèvres.

Qu'est-ce que je fais ici, déjà ? J'ai un tas d'articles à écrire pour demain...

Tys se pencha au bord du radeau, à la recherche d'Elra, quelque part sous les vagues. Il aurait bien aimé avoir une acolyte avec lui. Mais non ; il était seul à jouer les héros. Ah, Egrim... Tu avais le don de me mettre dans des situations étranges, quand nous étions à l'Institut. Clairement, tu n'as pas changé.

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Ce chapitre est énorme, donc vous aurez la suite demain.

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