Chapitre 13
Danayelle et Mishi s'étaient partagé le lit. Leerian et Egrim, eux, s'étaient mérité un matelas gonflable. Et Narsa, pour sa part, s'était contenté de se rouler en boule dans un fauteuil au coin de la pièce, autrefois surmonté d'une pile de vêtements sales.
Tout le monde avait réussi à dormir un peu. Mais pas Leerian, qui fixait éperdument le plafond de la chambre de Danayelle. Il avait peur, mais n'arrivait pas à deviner pourquoi. Un mauvais pressentiment, en quelque sorte. À ses côtés, pourtant, Egrim était de prise dans un rêve qui le faisait marmonner et envoyer des coups de pied. Il lâcha même un « va chier », qui claqua dans le silence de la pièce. Mishi se réveilla pour lui lancer un coup d'œil interrogatif, mais son regard croisa surtout celui de Leerian. Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes, sans qu'aucun ne sache quoi dire. Malgré la noirceur, Leerian voyait parfaitement les joues de Mishi virer au rouge.
Dans un soupire, il se tourna à nouveau vers Egrim pour le secouer doucement à l'épaule. Il lui fallut un moment avant d'émerger et d'arrêter de balancer des coups de pied.
— Hmm ? marmonna-t-il platement.
— Tu sais que tu dors vraiment profond, toi ? Viens, c'est l'heure.
— Oh... déjà ? J'étais tellement bien...
— Ouais, j'ai vu ! T'as une idée du nombre de coup que tu m'as foutu ?
Egrim n'osa pas répondre et se redressa enfin, ses cheveux blancs en épis sur sa tête. Par le bruit de leur petite conversation, Danayelle et Narsa s'étaient éveillées aussi. L'une en bâillant, l'autre en s'étirant les bras et les ailes. Et bien que tous essayaient de combattre la fatigue qui persistait, Leerian arrivait à sentir l'excitation qui montait. Sans qu'aucun ne l'avoue, ça leur avait tous manqué... l'aventure.
— Connaissant ma mère, elle est surement restée debout pour s'assurer que je ne sorte pas pendant la nuit, fit Danayelle dans un murmure. Le mieux, ce serait que tu nous téléportes tous dehors, Egrim.
Celui-ci lâcha un long bâillement, se leva en étirant les bras, puis alla banalement ouvrir la porte de la chambre pour regarder dans toutes les directions.
— Nah. Pas là, ta daronne.
— Mais si elle avait été là...
— J'aurais dit que je voulais juste pisser. Écoute, Dana, fit-il en se mettant face à elle, je ne sais pas combien de saut de téléportation ou autre tour de magie j'aurais besoin de faire ce soir. Je préfère m'économiser dans le temps que je le peux, OK ? Je ne lui serais pas d'une grande aide si je suis dans les pommes.
Danayelle n'eut rien à répondre à cet argument. Pour sa part, il fallait sérieusement qu'elle abuse de son don pour en ressentir une fatigue. Mais il était vrai qu'entre Egrim et elle, ce n'était pas la même catégorie.
Mishi et Narsa s'étaient déjà levés. Aucune n'avait de bagages. Leerian serrait soigneusement la ceinture de son épée à sa taille et enfonça un flacon dans la poche de son pantalon. Danayelle s'avança jusqu'au meuble et mit quelques vêtements dans un sac. Et Egrim, passant ses mains dans ses cheveux pour tenter de se recoiffer un minimum, mit son propre sac sur ses épaules.
— La porte d'entrée craque et ma mère va l'entendre, dit Danayelle. Vous quatre, en sortant, il faudra que ce soit en vous téléportant.
— Et pour toi ? demanda Egrim.
— Eh bien... tu reviendras me chercher.
Egrim soupira en se retournant vers Danayelle, lui lançant un regard ennuyé. Autant il appréciait cette sensation d'être indispensable, autant il avait l'impression qu'il était le seul de la bande à être utile à quelque chose.
— J'aimerais bien avoir des dons pour aider, mais ce n'est pas le genre de chose qui s'apprend, hein, dit Leerian dans un murmure. Tout le monde est prêt ? On y va ?
Tous hochèrent la tête, sauf Danayelle.
— Allez-y, dit-elle. Téléporte-les dehors, et reviens pour moi dans une minute.
Egrim leva un pouce en l'air, puis attrapa Narsa par l'épaule et tous deux disparurent. Au même moment, Danayelle quitta la chambre sur la pointe des pieds, comme un bandit. Leerian et Mishi s'échangèrent un regard.
Pourquoi c'est toujours aussi malaisant, dès qu'elle me regarde ?! s'énerva Leerian. Car la sirène, bien sûr, ne disait rien. Elle avait pu prendre un bain, tout à l'heure, et Leerian retrouvait toute la beauté qu'il lui avait connue. Ce qui ne faisait que renforcer son sentiment d'être une loque, à ses côtés.
Et quand il eut enfin le courage d'ouvrir la bouche, Egrim était déjà revenu, apparaissant entre eux avec Jean sur les épaules.
— Yo, vous deux. Vous permettez ?
Il présenta ses avant-bras pour Leerian et Mishi, qui s'observèrent une dernière fois. Puis ils posèrent leur main sur les bras d'Egrim et, le temps d'un clignement d'yeux, se retrouvèrent dans le corridor des appartements, devant la porte d'entrée qui menait à celle de Danayelle et sa mère.
— Bon, je retourne pour Danayelle...
Et Egrim disparut à nouveau, entrainant un courant d'air frais avec lui. Mishi et Narsa avaient dormi avec leur manteau, pour être prêtes le plus vite possible, mais Leerian n'en avait pas. Il était simplement en jean et tee-shirt.
— Tu ne vas pas avoir froid, toi ? demanda Narsa.
Leerian secoua la tête. Avoir froid, c'était une sensation qu'il avait rarement expérimentée. Mais il se refusait de s'expliquer à voix haute, car il avait déjà eu suffisamment honte pour une vie de parler de son statut de loup-garou.
Mishi, bien sûr, l'observait toujours en silence. Elle connaissait parfaitement la réponse. Leerian leva les yeux en soufflant par le nez, de plus en plus irrité. Il eut envie de dire quelque chose, à la limite de lui demander poliment d'arrêter de le dévisager continuellement. Mais il en fut incapable ; elle l'intimidait totalement.
— Wow, fit Narsa dans un rire incrédule. C'est la première fois que je me retrouve dans un groupe où c'est moi, la plus bavarde.
Son commentaire eut au moins un avantage ; Mishi détourna le regard. Maintenant, c'était la fée qu'elle observait.
*
Pendant ce temps, Egrim avait retrouvé Danayelle à la cuisine, seulement éclairé par la porte du frigo. Elle était en train de le vider complètement, sortant tous les petits pots de fruits et quelques légumes pour les mettre dans son sac.
— Tu veux vraiment apporter tout ça ? fit Egrim dans un murmure. Tu ne vas rien laisser pour ta mère ?
— Elle a un bon salaire. Elle ne va pas mourir de faim pour si peu. Et d'ailleurs, je te signale que c'est l'hiver, dehors. Il y a assez peu de chance qu'on trouve des baies sur notre chemin. Encore moins en bateau !
Egrim soupira en levant les yeux au ciel. Il voulait aider, mais n'avait pas du tout l'intention de faire partie du voyage. Leerian avait besoin de lui et il serait là pour ça, mais ensuite... les vacances seront déjà finies pour lui. Il retournerait à Wondor avec Narsa où l'attendait son maître, nierait en bloc les accusations d'avoir secondé un meurtrier présumé à s'être échappé de sa prison... et ce sera ça. Relaxer pour les semaines à venir, jusqu'à ce que Sin décide de revenir sur leur île et continuer l'entrainement.
— Je croyais que tu avais eu ton quota d'aventure. Je ne pensais pas tu serais volontaire pour y retourner.
— Honnêtement, même si je veux y aller, je n'ai pas vraiment le choix. La dernière fois, c'était Leerian qui ne voulait pas venir, mais il a tout de même été là et il m'a énormément aidé. Cette fois, c'est le contraire. C'est lui qui veut partir. Alors, je me dois d'être à ses côtés pour lui rendre la chandelle. Tu comprends ?
Egrim hocha la tête. Danayelle était du genre beaucoup trop gentille, selon lui.
— Allez, dépêche-toi. Ils vont s'impatienter.
Il poussa vers la blonde un pot de cornichon, qui le mit dans son sac avec tout le reste. Et au moment où elle remontait la fermeture éclair, la lumière de la cuisine s'éclaira soudain.
— Danayelle.
Celle-ci sursauta en pivotant. Sa mère était là, en robe de chambre et les poings sur les hanches. Le visage sérieux, démontrant une colère à peine contenue.
— Maman ! fit Danayelle d'une voix aigüe. Euh... ce n'est pas ce que tu penses...
— Je pense que tu repars à l'aventure avec tes petits amis. Quatre jours seulement après être revenue de l'Institut !
Danayelle eut un sourire nerveux. Sa mère avait mis en plein dans le mille.
Egrim, légèrement en retrait, observait la scène avec une peur grandissante. Son cœur s'était mis à battre à pleine vitesse.
— Viens, Dana, fit-il dans un murmure.
Il lui tendit la main, souhaitant qu'elle le prenne pour qu'ils se téléportent loin d'ici. Mais Danayelle le dévisagea sans faire le moindre geste, étonnée de l'urgence qu'elle percevait dans sa voix. Elle l'ignora pour faire un pas vers sa mère.
— Écoute, maman, je sais que c'est nul, mais... essaie de comprendre... Leerian a tellement fait pour moi ! Il faut que je lui rende la pareille. C'est de la simple politesse !
— Dit plutôt que tu sautes sur l'occasion. Je t'ai bien regardé, depuis que tu es revenu. Tu es blasé. Tu as besoin d'aventure. Mais tu ne te rends même pas compte à quel point c'est dangereux ! Et avec ce Celeyste, en plus... les autorités seront à vos trousses ! Non... je refuse. Tu vas rester ici, un point c'est tout.
— Maman, soupira Danayelle. Je t'aime et je te dois tout mon respect, mais tu ne pourras pas m'empêcher de partir.
Sa mère sentait la colère qui montait. Elle était consciente, depuis tout ce temps qu'elles avaient passé séparer, qu'elle n'avait plus d'emprise sur sa fille. Cette fois, elle en avait la preuve. Elle serra les poings et fit un pas vers Danayelle, s'efforçant d'avoir l'air menaçante. Danayelle n'avait pas peur, elle savait sa mère inoffensive. Elle était seulement triste. Sans s'embêter de sa réaction, elle mit le sac de nourriture sur ses épaules.
Egrim, lui, regardait la mère de son amie s'approcher avec une angoisse grandissante. Il revoyait sa propre mère, qui l'avait frappé tant de fois. Et il en était convaincu ; Danayelle s'apprêtait à vivre la même chose. Il se posta alors devant Danayelle, comme pour la protéger de son corps, et leva une main en signe d'avertissement.
— Pas un pas de plus ! fit-il dans un grognement.
Danayelle s'arrêta dans son geste pour dévisager Egrim. Est-ce qu'il vient de menacer ma mère ?! s'étonna-t-elle. Elle en fut tellement surprise qu'elle ne sut même pas comment réagir. Alors que sa mère, tout aussi perplexe, s'avançait encore.
— Aghes !
Une simple flamme apparut dans le creux de la main d'Egrim. Il pesta contre lui-même ; il avait espéré un véritable jet de feu. Il avait oublié, pendant une seconde, que c'était l'un de ces nombreux sortilèges qu'il n'avait jamais réussi.
Puis il sentit une puissante claque derrière la tête, lui faisant perdre sa concentration. La flamme disparut, et Egrim se retourna vers Danayelle qui semblait bouillir de colère.
— Qu'est-ce que tu fiches ?!
— J'essaie de te protéger !
— Et de quoi, au juste ? Tu t'imagines quoi ?
Egrim rougit, répugnant de dévoiler ses craintes. Il tourna les yeux vers la mère de Danayelle, qui s'était figée depuis l'apparition de la flamme. Tout ce qu'il voyait dans son regard, cette fois, était de la peur.
— Désolé, fit-il dans un murmure.
— Fais-nous sortir d'ici, Egrim...
Celui-ci soupira, sans rien dire. Un mélange d'émotion était monté en lui ; la colère, la tristesse. Quelques autres en plus. Il marmonna de nouvelles excuses, pris Danayelle par le bras et ils se téléportèrent dans le corridor, où attendaient toujours Leerian, Mishi et Narsa. Tous trois étaient enfermés dans un silence malaisant, et l'arrivée de Danayelle et Egrim refila un souffle de soulagement à Leerian.
— Ah, vous voilà enfin ! Vous avez pris votre temps ! Il s'est passé un truc ?
Danayelle et Egrim s'échangèrent un regard, où perçait la honte pour Egrim et la colère pour Danayelle.
— Rien, fit cette dernière. Venez, on y va, maintenant.
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