Chapitre 65

Il avait fallu trois jours à Mishi pour faire tout le chemin, de l'île Nocksor jusqu'à la forêt Celeyste. Elle avait nagé depuis l'océan Maras pour ensuite continuer en ligne droite en travers une rivière qui la mena au village de Buragh, un endroit entièrement habité par des hommes. Elle demanda la direction, ils lui indiquèrent d'aller tout droit. Quand elle découvrit les premiers grands pins de la forêt, elle se permit enfin à ralentir sa course. Elle était presque arrivée à la maison, mais surtout, cet endroit lui rappelait Leerian.

Leerian, qui était un loup-garou. Elle était incapable de se défaire de cette information. Leerian, qui avait tenté de la dévorer à la dernière pleine lune. Leerian... qui avait tué sa mère, trois ans plus tôt.

Elle l'avait tant aimé. Il était si gentil avec elle, souvent même tellement nerveux pour presque rien ! Comment un loup-garou, si fort et puissant, pouvait avoir autant de phobies ? Parce qu'il cachait son jeu, pensa Mishi en serrant les poings. Il n'avait fait que me mentir, depuis le jour de notre rencontre. C'est un monstre !

Les larmes lui montaient régulièrement aux yeux dès que son prénom lui traversait l'esprit. Elle le revoyait, recouvert de fourrure, des crocs immenses lui sortant de la bouche et la bave aux babines, cette lueur sanglante dans le regard. Elle en faisait des cauchemars toutes les nuits.

Il y a longtemps, au tout début de leur aventure, Mishi se souvenait bien avoir raconté son histoire à Leerian. Elle lui avait révélé que sa mère avait été dévorée par un loup-garou. Elle n'avait jamais compris sa réaction étrange, quand il n'avait simplement rien répondu. Il avait clairement été angoissé... mais, en même temps, il l'était presque toujours. Mishi en était convaincu ; il se souvenait l'avoir tué. Et il n'avait rien dit. Évidemment qu'il n'aurait rien avoué. Il aurait au moins pu se garder une gêne !

Mishi s'arrêta de marcher. Elle s'effondra au sol, assise sur un tapis d'épine de sapin. Elle était presque arrivée, elle commençait à reconnaitre le paysage. La forme des arbres. Elle était tout près. Son père était tout près. Mais toutes ses pensées tourbillonnant dans son esprit l'affaiblissaient. Tout ce qui pourrait lui remonter le moral, pour l'instant, était un câlin.

Après plusieurs minutes de pause, Mishi se leva à nouveau, essuya les larmes sur ses joues, et continua sa route. Plus elle avançait, plus sa bonne humeur revenait. Elle serait bientôt à la maison, avec son père qu'elle n'avait pas revu depuis près d'un mois.

Et enfin, elle apparut. La cabane de rondin, au milieu de nulle part, avec son grand balcon et ses deux fauteuils à bascule. Pour la première fois en trois jours, un sourire étira les lèvres de la sirène alors qu'elle courait vers l'habitation.

— Papa ! Papa, je suis revenu !

Des oiseaux et des pixies s'envolèrent de leur branche à son cri. Mishi leur lança un regard, avant de fixer à nouveau la maison. Pourquoi, pendant une seconde, un mauvais pressentiment lui avait tordu l'estomac ? Tout ce temps passé avec Danayelle et ses aventures l'avait rendue nerveuse.

— Papa ?

Elle s'approcha encore, à pas lent cette fois. Maintenant assez près, elle remarqua quelque chose qui acheva de l'angoisser complètement. Sur le perron, devant la porte entrouverte, une flaque de sang séchait au soleil.

— Papa !

Mishi tomba à genoux, les larmes dévalant sur ses joues. Que s'était-il passé ? Est-ce que son père s'était fait attaquer ? Par qui, par quoi ?!

Mishi leva les yeux vers les arbres tout autour. Elle voyait les petites étincelles briller parmi les branches. Des pixies. Des témoins, surtout.

— Aidez-moi ! Dites-moi ce qu'il s'est passé...

Une pixie se détacha de son groupe et s'approcha de la sirène, qui avait enfoncé son visage entre ses mains en coupe. Elle aurait très bien pu se relever et fouiller la maison, mais elle n'en avait plus la force. La simple idée de ce qu'elle risquait de trouver à l'intérieur la faisait trembler de tout son corps. Et elle avait appelé son père, déjà ! Trois fois ! S'il ne l'avait pas entendu, c'était soit qu'il n'y était pas, ou soit... qu'il y était. Mort.

— Ta peur est infondée.

Mishi releva la tête pour remarquer une pixie voler tout près de son visage, faisant du surplace. Elle avait des ailes rouges et des cheveux noir coupé très court. Mishi renifla, puis se pencha un peu plus près de la pixie.

— Infondé ? Il n'est pas mort, alors ? Où est-il ?

— Il s'est passé quelque chose à la dernière pleine lune. Il s'en est sorti indemne ; ceci n'est pas à lui, dit-elle en pointant la flaque. Mais il a pris conscience que vivre seul, en forêt, n'était pas fait pour les hommes. Il est parti.

— Parti ? répéta Mishi dans un murmure.

— Il a laissé quelque chose pour toi sur la table de la cuisine.

À peine sa phrase terminée, Mishi bondit sur ses pieds et s'élança dans la maison, sautant au-dessus de la tache de sang comme si elle n'existait plus. Elle traversa le salon et se retrouva rapidement en cuisine, où le souvenir du premier jour lui revint en mémoire. Quand Leerian avait fait la connaissance de son père. Il avait eu tellement peur...

Sur la table, une note était posée. Le stylo utilisé était tout juste à côté. Mishi tira une chaise et lut la lettre, les larmes montant aux yeux avant même d'avoir commencé.

« Mishi,

J'ignore si tu comptes revenir un jour. Ça fait déjà trois semaines que tu es partie. Voyager avec des amis est bien plus amusant que de vivre en forêt, seul avec son vieux père, non ?

Pendant ton absence, je me suis posé beaucoup de questions. Principalement ; pourquoi je reste obstinément ici, dans cette cabane au milieu de nulle part ? J'ai envie de faire comme toi. Partir sans jamais revenir... mais j'attendais ton retour.

Si tu es bel et bien là, tu as surement remarqué le sang sur le porche. Ne t'en fais pas, ce n'est pas le mien. J'ai été attaqué, mais je m'y étais préparé. Tu sais ce que c'est, les soirs de pleine lune. Tu seras tout de même heureuse d'apprendre que ce type m'a avoué avoir tué ta mère. C'était lui, le responsable. Ne va pas derrière la maison, Mishi, si tu ne veux pas voir que ce j'ai fait de lui ensuite.

C'est trop dangereux, ici. J'ai eu énormément de chance de survivre à cette nuit. Je veux partir, et je crois bien que je vais le faire. Après tout, toi, tu ne reviendras pas. Ou si tu es bel et bien là et que tu lis cette lettre, je te conseille de repartir. Va construire ta vie ailleurs, où tu seras beaucoup plus heureuse et en sécurité.

Et si tu tiens à me retrouver... je suis désolé de t'avouer que je n'ai aucune idée où le vent va me mener.

Ton père, Adan. »

Les larmes avaient inondé ses yeux, rendant sa lecture difficile. Il y avait là des bonnes et de mauvaises nouvelles. Son père était en vie, il y avait de quoi se réjouir ! Mais... il était parti. Le reverrait-elle un jour ? Elle qui avait si hâte de le retrouver, de le serrer dans ses bras et de se confier... Et il avait été attaqué. Par un loup-garou, évidemment. Alors Leerian n'était pas le seul... et il n'avait pas tué sa mère.

Un nouveau sanglot s'échappa de ses lèvres. Elle plaqua une main sur sa bouche, les paupières closes et le corps tremblant. Maintenant, elle s'en voulait. Elle était partie avant de le revoir, avant même d'avoir une explication.

Plusieurs minutes passèrent avant qu'elle reprendre son souffle. Puis elle leva les yeux vers la pixie, assisse sur la table en observant Mishi avec ses iris rouges et brillants.

— Où est-il ?

— Je l'ignore.

— S'il te plait ! Tu as le don de prophétie, non ? Dis-moi tout ce que tu sais !

La pixie sourit, démontrant ses dents drôlement pointues.

— Je sais que, si tu pars seul, tu ne le retrouveras jamais. Tu auras besoin d'aide.

— L'aide de qui ? Je dois trouver quelqu'un d'abord ? Oh, pitié, parle-moi !

La pixie s'envola pour se mettre à la hauteur des yeux de Mishi. Quelques étincelles écarlates s'échappèrent de son corps comme une pluie de paillette.

— Tu as besoin de l'aide de tes amis. Six d'entre eux.

Mishi demeura bouche bée, dévisageant la pixie. Voilà une vraie prophétie. Mais il y avait tout de même un problème ; six amis... Elle fronça les sourcils, puis compta sur ses doigts. Danayelle en était définitivement une. Egrim aussi, il était cool. Leerian ? Elle se répugnait de l'inclure là-dedans... mais elle avait déjà fait le tour de ses connaissances.

— Six ? Tu es sur ? Euh... il faut vraiment que ce soit des humains, ou, genres, un dragon pourrait faire l'affaire ? Jean, par exemple ? Ou toi, tu viendrais avec moi ?

La pixie pouffa de rire pour toute réponse, puis s'envola par la fenêtre ouverte de la cuisine.

— Non, attends ! s'exclama Mishi.

Mais trop tard, elle avait déjà disparu. Et Mishi était seul dans la maison de rondin, sans père, sans amis.

Mishi essuya une nouvelle larme au coin de son œil. Que pouvait-elle faire ? Si elle ne pouvait pas partir seule... devait-elle attendre ici que ses six mystérieux amis ne la trouvent ? Ou devait-elle elle-même partir à leur recherche ? Et si elle partait seul à leur recherche, était-elle d'avance vouée à l'échec ?

— Qu'est-ce que je fais, maintenant... ?

À suivre...

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