Chapitre 60
— Vous êtes sûr de vous ?
Leerian hocha la tête. C'était la cinquième fois que le nain lui posait la question. En même temps, comment lui en vouloir ? Ce n'était pas tous les jours qu'on demandait à un inconnu de l'attacher à un arbre avec une chaine d'argent.
— Je vous l'ai dit... c'est juste une expérience.
— Oui, oui. Vous voulez voir si vous êtes capable de vous détacher vous-même. C'est quand même très bizarre.
— J'ai déjà été enlevé par des pirates, vous savez.
— Ouais, j'en ai entendu parler. Il parait que vous valez cher.
Leerian hocha à nouveau la tête. Puis il grimaça, ses bras nus entrant en contact avec la chaine. Il était assis contre un palmier, les yeux fermés, pendant que le nain terminait de l'attacher solidement. Il préférait ne pas ouvrir les yeux, puisque les effets de la pleine lune lui refilaient des hallucinations. Il apercevait Mishi et Danayelle, tout juste devant lui, chuchoter des commentaires qui ne voulaient rien dire. Il savait qu'elles n'étaient pas réelles, car, la dernière fois qu'il s'était risqué à regarder, il voyait en travers comme des spectres. Ça lui avait fait un tel choc qu'il valait mieux ne plus se fier à sa vue. Il entendait encore les murmures, comme le souffle du vent contre ses longues oreilles, mais il n'arrivait pas à en distinguer des mots.
— Voilà, vous êtes solidement attaché.
— Merci, fit Leerian d'un ton étrangement rauque. Maintenant... regardez dans ma poche, là.
Le nain s'agenouilla pour atteindre la poche droite de son pantalon. Il y inséra ses gros doigts boudinés et en ressortit avec trois petites pierres précieuses trouvées sur Ashgar, toutes vertes. Par le souffle saccadé qu'il lui envoya à la figure, Leerian n'avait pas de doute que celui-ci était heureux de son payement.
— Oh ! Merci énormément, l'elfe !
— Pas de quoi. Tu peux me laisser, maintenant. Tu reviendras demain, quand le soleil sera réapparu... pas avant.
— D'accord. À demain !
Leerian lui fit un mince sourire, s'efforçant de paraitre d'une bien meilleure humeur de ce qu'il était vraiment. Il ouvrit même les yeux pour l'occasion, mais le regretta aussitôt en apercevant le décor de palmiers géants, derrière le nain, se distordre et se pencher dans tous les sens. Et le ciel, où se mêlaient d'étranges teintes de rose, de vert et de violet, semblait plus foncé que la dernière fois.
— Encore une chose... Il est quelle heure ?
— À peu près vingt heures. Le soleil va bientôt se coucher ! Bonne nuit, l'elfe.
Le nain tourna les talons et disparut derrière les palmiers. Leerian, lui, avait été incapable de lui répondre. Il était évident qu'il n'allait pas passer une bonne nuit.
À sa droite, l'hallucination de Mishi fit un commentaire. Celui de Danayelle pouffa de rire. Et derrière eux apparurent d'autres gens, auxquels Leerian se dépêcha de fermer à nouveau les yeux. Il savait trop bien qui risquait de lui rendre visite cette nuit, et ça suffisait à le rendre fou à chaque fois.
Ses parents.
Leerian prit une grande inspiration, tête baissée, se tortillant tout en s'efforçant de ne pas toucher ses bras nus sur la chaine d'argent. Le mal de crâne qu'il ressentait depuis un moment déjà montait progressivement, devenant de plus en plus douloureux. Il se sentait lourd, nauséeux. Et il avait faim. Tellement faim...
Ça va aller... je suis solidement attaché, je ne blesserais personne. Tout va bien se passer...
*
La nuit était tombée depuis à peine quelques minutes. La pleine lune demeurait obstinément cachée derrière des nuages épais, plongeant le paysage dans la pénombre. Danayelle voyait très bien autour d'elle, mais Mishi restait collée à son bras, tremblante de nervosité. Elle avait un mauvais pressentiment.
Même si Nocksor n'était qu'une île, elle paraissait très grande quand on y cherchait quelqu'un. Ça faisait déjà une heure qu'elles ratissaient chaque recoin. Elles avaient regardé dans l'une des forêts en premier, comme prévu, celle qui contenait plus d'arbres que de palmier. Mishi et Danayelle s'étaient mises d'accord que, peut-être, Celeyste lui manquait trop et qu'il espérait retrouver un peu son environnement. Mais il n'y était pas. Elles avaient donc continué leur investigation parmi les maisons, demandant à chaque habitant s'ils avaient vu cet elfe qui se baladait toujours avec une épée pendant à sa hanche. Tous avaient secoué négativement la tête.
Ce ne fut qu'une heure plus tard que Mishi lança l'idée qu'il était peut-être bel et bien dans une forêt, mais pas celle avec des arbres. Plutôt la forêt de palmier, qui dévorait tout le côté est de l'île. C'était aussi là que les animaux de bétails vivaient. Pourquoi pas ? Ça valait la peine d'y jeter un coup d'œil.
Les deux filles marchaient en silence dans cette direction. Mishi angoissait, mais Danayelle, comme toujours depuis l'acquisition de la pierre d'Omins, était confiante.
— Ça va aller, Mishi. Il avait juste envie d'être seul. Peut-être qu'on devrait laisser tomber. Il reviendra de lui-même demain matin.
— Non, il faut le trouver ! Tu étais d'accord avec moi, tout à l'heure. C'est très louche, ce qu'il a fait.
Danayelle inclina la tête, sans rien ajouter. Mishi avait raison, mais elle avait simplement voulu la réconforter.
Elle s'arrêta soudain de marcher. Mishi, qui la suivait de près, lui fonça dedans, lâchant un léger couinement de surprise en s'écrasant le nez contre son épaule. Danayelle avait capté un son étrange, s'apparentant à un grognement. Elle tourna lentement sur elle-même, regardant dans toutes les directions. Tout ce qu'elle percevait était des palmiers et l'herbe au sol. Quelques oiseaux nocturnes. Et la noirceur ambiante. Un vent frisquet la fit frissonner alors qu'elle se remettait droite.
— J'ai entendu quelque chose.
— C'était Leerian ?
— Je n'en sais rien...
— Il faut qu'on aille voir !
Mishi voulut courir dans cette direction, mais elle ignorait vers où aller. Danayelle la prit par la main et l'entraina avec elle, sentant un début de nervosité monter. Plus elles avançaient, plus ce bruit, ce grognement, augmentait en volume. Même Danayelle, cette fois, commençait à angoisser légèrement.
Au bout de cinq minutes de marche, guidées par ses sons inquiétants à travers les grands palmiers, elles le trouvèrent enfin. Recroquevillé au pied d'un arbre, la tête tombante sur sa poitrine. Il tremblait, gémissait. Une épaisse chaine lui encerclait le corps, le retenant prisonnier.
— Oh, bon sang ! Leerian !
Mishi se dégagea de Danayelle pour courir vers son petit elfe. Elle s'agenouilla devant lui, relevant son menton pour croiser son regard. Mais il ne semblait pas la voir ; ses yeux roulaient dans ses orbites, sans jamais s'arrêter sur elle. Il marmonnait, la bave aux lèvres, mais Mishi n'arrivait pas à capter ce qu'il racontait. Elle se pencha un peu plus, rapprochant son oreille de sa bouche.
— Quoi ? Qui t'a fait ça, Leerian ?
— Mishi, fit Danayelle derrière elle. Tu devrais peut-être reculer.
Mishi, au contraire, s'avança encore plus. À genoux près de Leerian, elle tirait sur les chaines pour tenter de le libérer. Leerian grogna plus fort, prit une grande inspiration, et parvint, au prix d'un terrible effort, à dire un simple mot : « non ». Puis il se remit à grogner, son visage déformé par la douleur.
Il lui en manquait très peu pour se transformer. Il le sentait, c'était tout près, ça montait en lui comme le mercure d'un thermomètre. Qu'est-ce que les filles faisaient là ? Où était-ce toujours ses hallucinations ? Il n'arrivait plus à différencier ce qui était réel ou pas. Son esprit était sur le point de lâcher prise.
Et Mishi avait trouvé le bout de la chaine, qu'elle s'efforçait de désentortiller.
— Qui t'a fait ça, Leerian ? Dis-moi un nom. Un indice, n'importe quoi ! Oh, bon sang...
Elle se retourna vers Danayelle, debout à quelque pas de distance sans rien faire pour l'aider. Cette fois, c'était elle qui avait un mauvais pressentiment.
— Je crois qu'ils l'ont empoisonné. Pour te tendre un piège ! C'est la seule explication !
— Non, Mishi... ce n'est pas la seule explication.
Tout un tas de souvenirs revenait en mémoire à Danayelle. Des moments qui lui avaient semblé sans importance sur le coup, mais maintenant qu'elle y repensait... avec Leerian, attaché comme un animal, tout juste devant elle...
Toutes ses fois où il s'était inquiété du temps qu'allait prendre leur aventure. Quand elle le surprenait à regarder la lune, et qu'il était toujours de plus en plus nerveux. Cette force impressionnante qu'il avait en lui, et tous ses secrets qu'il gardait... Les deux cicatrices sur sa joue, ressemblant drôlement à des marques de griffes.
Et tout à l'heure, quand il l'avait presque supplié de quitter Nocksor. Qu'avait-il dit, exactement ? Que si on partait maintenant... On arriverait surement avant la nuit.
Danayelle leva les yeux au ciel, une boule d'inquiétude lui nouant les tripes. Un gros nuage se dégagea au même moment, dévoilant enfin la pleine lune. Ronde et brillante, sa lumière pâle éclaira le paysage. Les faibles grognements de Leerian devinrent aussitôt un horrible hurlement, alors qu'il se tortillait contre ses liens, le visage déformé par une douleur atroce.
Danayelle empoigna l'épée qui pendait à sa hanche, la remontant de quelque centimètre pour observer la lame et son éclat d'argent, puis revint à Leerian et ses chaines. Elles brillaient de la même lueur... et la peau de ses bras, où le métal entrait en contact avec son épiderme, était rouge et boursoufflée.
— Mishi ! Arrête !
Mishi ne l'écoutait pas, les larmes aux yeux de voir son petit elfe souffrir à ce point. Elle n'avait pas remarqué la lune, elle n'avait pas encore fait le lien... Elle continuait de désentortiller la chaine. Danayelle, rongée par l'angoisse et la peur, leva une main vers son amie. Celle-ci se sentit alors tirée vers l'arrière. La force télékinétique de Danayelle la reposa au sol à ses côtés, et aussitôt qu'elle la relâcha, Mishi se retourna pour lui faire face.
— Qu'est-ce que tu fais ? J'avais presque réussi à retirer ses chaines ! Oh, non, le pauvre...
— Oh, idiote ! explosa Danayelle. Il faut quitter cet endroit au plus vite !
— Pas sans Leerian !
— Oui, surtout sans Leerian ! C'est un loup-garou !
Mishi demeura bouche bée de l'accusation. Lentement, son regard se retourna vers Leerian, qui hurlait si fort qu'il allait forcément se déchirer les cordes vocales. Et c'est alors qu'elle remarqua... ses dents qui s'allongeaient. Ses bras qui grossissaient, ses poils qui se multipliaient. Ses jambes s'étiraient, se déformaient, ressemblant de plus en plus à des pattes de loups. Et son visage... sa bouche devint une gueule, la bave aux lèvres. Ses yeux d'or étaient maintenant aussi rouges que le sang. Le sang dont il avait si soif, la chair dont il avait si faim.
Ce n'était plus Leerian. Ni de corps ni d'esprit. Il ne se ressemblait plus ; c'était un loup-garou. Mi-elfe, mi-loup, recouvert d'une fourrure à la couleur de l'argent, comme l'étaient autrefois ses cheveux. Il s'arrêta de hurler... et son regard d'ambre se braqua sur Mishi et Danayelle. Il entendait leur cœur battre à toute vitesse, le sang aller et venir dans cet organe qui le faisait saliver.
Les filles étaient pétrifiées. La transformation s'était produite en moins d'une minute et elles avaient été incapables de s'empêcher d'observer. Toutes deux pensaient à la même chose ; comment avaient-elles pu ne pas le remarquer plus tôt ? Maintenant que la vérité était là, sous leurs yeux, elles réalisaient à quel point c'était évident.
Danayelle prit Mishi par la main. Elle recula d'un pas, puis un autre. Peut-être que, si elles évitaient les mouvements brusques, il les ignorerait ? Danayelle savait à quel point son raisonnement était stupide, pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer.
— On devrait peut-être courir, fit Mishi dans un murmure.
Danayelle était d'accord, mais elle continuait de reculer lentement. Le lycanthrope ne bougeait toujours pas. Il les observait de son regard rouge, un grondement grave s'échappant de ses lèvres... et soudain, il rejeta sa tête monstrueuse vers l'arrière et lâcha un horrible hurlement, si fort que les filles sursautèrent. Le loup-garou tenta alors de se relever, ses chaines d'argent tombèrent... Danayelle réagit aussitôt ; elle leva la main et, de sa télékinésie, ordonna à la chaine de le retenir contre le palmier. Mais il l'envoya balader d'un simple coup de patte. Danayelle écarquilla les yeux, déglutit et recula d'un nouveau pas. Sa force brute était supérieure à sa magie.
— Fais quelque chose, la supplia Mishi. Tu as tué un dragon les doigts dans le nez, tu te souviens ? Fais quelque chose !
— Et puis quoi, je ne vais pas le tuer... c'est Leerian !
— Pas en ce moment, non !
Il était libre. Droit devant eux, debout sur ses pattes arrière, il avançait lentement, les babines remontées et les griffes en avant. Il portait encore son pantalon beige, qui semblait atrocement serré sur ses jambes musclées. Derrière lui, elles apercevaient une queue battre en rythme avec ses pas.
Danayelle s'essaya à nouveau. Elle voulut le retenir en place, l'empêcher de bouger. Elle y mettait toute sa volonté, mais le loup s'approchait toujours, sa gueule déformée par un sourire. Et soudain... avec un dernier hurlement, il se mit à courir.
Mishi hurla à son tour, de pure terreur. Elle lâcha la main de Danayelle et prit ses jambes à son coup, mais il était trop rapide pour elle. Il allait la rattraper en trois secondes. Danayelle demeura figée, la scène se jouant dans son esprit avant même qu'elle ne se produise. Il allait la démembrer, dévorer son cœur... Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Elle seule avait une chance.
Elle savait que sa télékinésie n'était pas suffisante contre le monstre, mais elle l'était pour Mishi. D'un mouvement de main, elle fit léviter la sirène à plusieurs mètres du sol, qui lâcha un hurlement de peur si aiguë qu'il raisonna dans la nuit jusqu'aux quatre coins de l'île, extirpant les habitants de leurs sommeils.
Mishi flottait au-dessus du loup-garou. Celui-ci s'arrêta de courir, étonné du phénomène, et sauta pour tenter de l'attraper. Il fit un bond prodigieux, mais Mishi, pleurant et tremblant panique, se souleva encore plus haut, comme un fantôme.
— Je te tiens, Mishi ! fit Danayelle. Tout va bien aller...
Elle n'en croyait pas un mot, mais que pouvait-elle dire de plus ? Prie les djinns pour moi, parce que ça va barder ? Danayelle se souvint de l'épisode des trolls, quand Leerian était venu à bout de quarante d'entre eux pendant une lune gibbeuse. Il n'était qu'au quart de sa puissance, à ce moment-là. Alors que maintenant... comment pouvait-elle ne serait-ce qu'envisager avoir une minuscule chance ? Rien qu'une toute petite, contre ce monstre ?!
Le dragon était bien plus simple à tuer, pourtant. Ce sont des animaux, d'une intelligence quasi humaine et dotée d'une impressionnante force de feu, certes, mais c'étaient toujours des animaux. Alors que les loups-garous, eux, étaient des êtres créés par pure magie. C'était forcément la raison pourquoi sa télékinésie ne valait rien. Aussi puissant son don pouvait être, il était inutile contre lui.
S'il y avait bel et bien une seule chance pour survivre à cette nuit, c'était Leerian lui-même qui le lui avait procuré. Il savait ce qui allait se passer. Il l'avait craint, il avait tenté de l'empêcher. Danayelle serra les poings ; il n'avait pas essayé assez fort. Pourquoi n'avait-il pas dit la vérité ? En ce moment, elle le détestait. Du plus profond de son cœur... mais pas suffisamment pour le tuer.
Dans le fond, elle avait mal pour lui. Elle s'y connaissait un peu, en loup-garou, elle avait déjà lu sur le sujet. C'était une malédiction ; rares étaient ceux qui choisissait d'en être un. Mais il fallait qu'il paye pour son idiotie, qui était de ne pas avoir parlé plus tôt. Maintenant, par sa faute, elles allaient peut-être lui succomber toutes les deux, ce soir. Si Danayelle meurt, sa force télékinétique qui retenait Mishi hors de sa portée lâchera et elle mourra à son tour.
Toutes ses pensées avaient traversé son esprit en une seconde, le temps d'un souffle d'angoisse. Le lycanthrope, devant elle, abandonna Mishi et se tourna vers la cible qui était toujours au sol, tout près de lui. Danayelle extirpa l'épée de son fourreau, la lumière de la lune s'accrochant à la lame d'argent. Le monstre gronda entre ses dents, et fonça vers Danayelle.
Le temps sembla ralentir autour d'elle, alors qu'elle pointait l'arme sur le loup-garou. S'il continuait à ce rythme, il allait simplement s'empaler et mourir. L'angoisse fit battre son cœur à toute vitesse. Elle ne voulait pas le tuer. C'était Leerian ! Leerian, ce petit elfe peureux de tout, qui aime Mishi et qui a la phobie de l'eau. C'était son ami. Elle ne pouvait pas faire ça !
D'une poussée télékinétique, elle se fit reculer pour quitter sa trajectoire, mais l'épée resta en place, s'abaissant légèrement pour atteindre sa cuisse. Le monstre tomba à genoux, hurlant sa colère et sa douleur. L'arme l'avait traversé de bord en bord, s'enfonçant jusqu'à la garde et ressortant à l'arrière sur toute sa longueur. Un étrange fumé semblait s'échapper de la blessure par la réaction de l'argent contre son sang empoisonné.
— Arrête de te battre, fit Danayelle dans un murmure. Reste à terre.
Malgré la souffrance visible dans ses yeux rouges, il se relevait tout de même, à quatre pattes. Il gronda entre ses crocs, puis bondit vers Danayelle, ses énormes griffes en avant. Mishi, en simple spectatrice, hurla de peur. Elle était convaincue d'assister à la mort de son amie.
Danayelle eut tout juste le temps de faire un pas de côté pour lui échapper. Par sa blessure à la cuisse, il était plus lent et il avait du mal à tourner. Mais elle le savait ; si elle reprenait l'épée, la plait allait guérir rapidement et elle serait de retour au point de départ. Et que pouvait-elle faire de plus, sinon la lui planter en plein cœur ? Non, elle s'y refusait.
— Dana ! Utilise la chaine !
Danayelle risqua un coup d'œil vers Mishi, puis la chaine près du palmier. Mais elle n'eut le temps de faire quoi que ce soit, que déjà le loup-garou sautait sur elle. Encore une fois, elle parvint à l'éviter de justesse en s'abaissant à temps, puis leva la main vers la chaine d'argent. Elle se souleva, fonça droit vers elle, puis dévia pour prendre la direction du monstre. Elle tenta de l'entortiller autour de son corps, mais il l'évita à son tour d'un bond de côté. La chaine roula d'elle-même, se retourna et, alors que le loup-garou avait ses yeux luisants de haine et de faim braquée sur Danayelle, elle s'enroula sur ses chevilles, remontant le long de ses cuisses pour le saucissonner. Il tomba à plat au sol, hurla et gronda de colère. Il se tortillait en tentant de lui échapper, pendant que Danayelle, de ses deux mains en l'air, y mettait toute sa force pour la maintenir en place.
Deux larmes coulèrent sous chacun de ses yeux. Jamais elle n'allait survivre à cette nuit, à ce rythme. C'était un miracle qu'elle soit encore en vie. Peut-être devrait-elle se résoudre à lui planter cette épée en plein cœur...
Danayelle leva le regard vers Mishi. Flottant au-dessus de la scène comme une fée sans ailes, elle pleurait toujours, tremblante d'angoisse. Elles allaient mourir... de la même façon que sa mère.
Malgré ses jambes entravées, le monstre se relevait. Il était infatigable. Et il avait faim. Il voulait le cœur de Danayelle, il voulait croquer cet organe gorgé d'hémoglobine. C'était ce qui l'obsédait.
Et soudain, une puissante détonation vrilla les oreilles de Danayelle. En un flash de lumière, le loup-garou s'effondra à ses pieds dans un dernier hurlement. De son épaule parsemée de fourrure grise s'échappait une épaisse coulisse de sang poisseux. Danayelle écarquilla les yeux, perplexe, puis releva le regard au loin. Une foule d'hommes, d'elfes, de nains et de fées s'avançaient vers eux ; la quasi-totalité des habitants de l'île. Tous avaient été tirés de leur sommeil par les hurlements et les grognements, et tous avaient accouru pour lui venir en aide.
Alors que le loup-garou essayait une nouvelle fois de se lever, un homme s'extirpa du groupe, pistolet en position, et envoya, dans une détonation assourdissante, un second projectile dans le corps du monstre, qui tomba encore une fois au sol. Par la fumée s'échappant des plait, Danayelle comprit que c'étaient des balles d'argents.
Aucune de ses blessures n'avait été mortelle. L'homme s'avança encore, rechargea son arme et visa avec plus de précision, cette fois. Il voulait l'atteindre en pleine tête.
Danayelle se précipita devant lui, les bras écartés et les larmes aux yeux.
— Ne le tuez pas ! C'est mon ami !
L'homme, perplexe, abaissa légèrement son pistolet. Danayelle le reconnut alors, lui et l'autre qui le suivait de près. C'étaient les envoyés de Stanmore, qui étaient là pour les conduire à la capitale. Ils étaient restés ici pendant tout ce temps.
— Vous ne pouvez pas le tuer, reprit Danayelle, des larmes de stress glissant en cascades sur ses joues. C'est Leerian Celeyste.
Un souffle de stupéfaction parcouru la foule, particulièrement chez les elfes. Mais personne ne savait quoi penser du phénomène ; tous étaient sous le choc.
Derrière elle, le monstre essayait encore de se remettre à l'attaque. Il grondait, hurlait comme un loup. Danayelle se retourna, les yeux écarquillés, l'observant se relever à quatre pattes. Jusqu'à ce qu'une nouvelle détonation, en provenance du pistolet de l'homme, ne lui explose le genou et qu'il retombe face contre terre.
— Il va s'en sortir, dit l'homme en s'avançant jusqu'à Danayelle. Mais pas ce soir, et c'est tout ce qui importe.
— J'espère que vous allez nous suivre, maintenant, ajouta son acolyte. Car il m'étonnerait que les habitants de l'île acceptent de vous héberger une journée de plus, étant donné les circonstances.
Danayelle leva les yeux vers la foule, derrière eux. Tous avaient secoué la tête de gauche à droite à ses mots. Ils avaient raison ; il était temps de partir.
D'un mouvement de main, elle fit redescendre Mishi, qui était encore en suspension au-dessus de la scène. Elle atterrit aux côtés de son amie, qui se tourna pour se mettre droite devant la sirène. Toutes deux avaient le visage parsemé de larmes, mais Mishi semblait toujours en état de choc. Les bras étroitement serrés contre sa poitrine, elle tremblait, les yeux fixés sur le loup-garou qui gisait trois mètres plus loin.
— Est-ce que tu savais ? fit-elle dans un murmure.
— Bien sûr que non...
— Il a failli te tuer. Nous tuer toutes les deux. Leerian... il était si gentil, pourtant...
— Ça va aller...
Mishi explosa soudain, sortant enfin de sa torpeur. Elle dévisagea Danayelle avec étonnement, choqué de ses paroles.
— Non ! Ça ne va pas aller, Dana ! Est-ce que tu réalises seulement ce que ça veut dire ?! Leerian... est un loup-garou ! Et tu sais quoi, encore ?! Hein ?
Danayelle secoua la tête, perplexe. Mishi continua :
— Ma mère a été tuée par un loup-garou. C'est Leerian qui l'a tué.
Danayelle demeura bouche bée de l'accusation. Totalement pétrifié, alors que les deux hommes s'étaient avancés pour lui passer les menottes.
— On vous amène à notre bateau, les filles.
— Et lui ? fit Danayelle dans un murmure.
— Le loup-garou ? On s'en occupe. Il faut faire extrêmement attention, car la moindre goutte de sang est suffisante pour transmettre sa maladie. Mais ne vous en faites pas, ajouta-t-il devant la mine choquée de ses interlocutrices, il est contagieux uniquement à la pleine lune. Lennar, tu peux te charger d'elles ?
Lennar, son acolyte, hocha la tête tout en s'avançant vers Danayelle et Mishi. Il les prit par les menottes qui les entravaient et les entraina avec lui vers la foule, qui se divisa pour les laisser passer.
— Tout va bien aller pour vous, fit Lennar dans un murmure. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
Danayelle et Mishi échangèrent un regard, avant que leurs yeux ne retombent au sol. La suite des choses leur semblait pourtant très inquiétante.
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Je pouvais pas me résoudre à couper ce chapitre en deux. Désolé si c'était long.
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