Chapitre 57
Danayelle observait Leerian avec une impatience grandissante. Elle ne savait pas depuis quand ils étaient dans cette grotte, si c'étaient des heures ou des jours, mais elle le sentait bien ; c'était beaucoup trop long.
Leerian continuait de frapper la paroi, son poing couvert de sang et son front luisant de sueur. Entre chaque coup, il prenait un moment de pause, pendant lequel il s'appuyait contre le mur en respirant fort comme s'il risquait l'évanouissement. Mishi était assisse à ses côtés, l'air de s'ennuyer solidement tout en marmonnant des encouragements. Et Danayelle le suivait de près, rependant son souffle chaud dans sa nuque. Il lui avait dit plusieurs fois de reculer, mais elle finissait toujours par s'avancer à nouveau. Cette sensation étrange qu'elle ressentait jusque dans ses tripes, semblable à la hâte, grandissait aussi surement que le trou dans le mur. Tout un tas de pierres précieuses avait été découvert ; dès qu'elles tombaient au sol, Mishi s'occupait de les ramasser. Quand elle en trouvait une de couleur orange ou rouge, elle le présentait à Danayelle avec espoir. Mais celle-ci secouait la tête en lui accordant à peine un regard. Elle savait que ce n'était pas l'Omins. Elle le sentirait.
Leerian prit une nouvelle pause, s'agenouillant près de Mishi. Son visage était couvert de sueur, son corps entier tremblait. Ce n'était pas tant l'effort physique que la chaleur dans laquelle il travaillait qui l'épuisait. Il le ressentait en lui ; le nuage de cendre, dans le ciel, jouait pour quelque chose. Il était si épais que les pouvoirs de la lune peinaient à l'atteindre.
Mishi passa doucement une main contre son bras pour l'encourager, ce qu'il sembla à peine remarquer. Les yeux fermés tout en s'efforçant de réguler sa respiration, il n'avait pas vu que Danayelle s'était mise devant lui pour observer la paroi. Quand, au bout d'une trentaine de secondes, il ouvrit à nouveau les yeux, il fut surpris de découvrir que tout son champ de vision était occupé par les fesses de la blonde.
— Oh ! Dana, qu'est-ce que tu fiches ?
Danayelle se retourna, étonnée du ton de son ami. Celui-ci baissa la tête en rougissant sévèrement. Mishi, elle, fronçait les sourcils, comme si elle avait été témoin d'une scène compromettante.
— Désolé... je voulais voir de plus près. Je n'arrive pas à m'empêcher de m'y approcher !
Comme pour prouver ses propos, elle se tourna à nouveau vers le mur, passant ses doigts dans le trou creusé par la force de Leerian. Depuis les heures qu'il travaillait dessus, il n'avait qu'une vingtaine de centimètres de profondeur. Danayelle lança un regard de côté vers le poing de son ami, couvert de sang. Ses blessures prenaient de plus en plus de temps à guérir. Il était épuisé, des cernes énormes sous ses yeux en témoignaient, et pourtant, il se levait déjà pour s'y remettre.
— Pousse-toi, ma pause est finie...
— Non, tu en as assez fait pour moi. Je vais continuer.
— Quoi ? Comment ? intervint Mishi. Tu n'es pas forte comme lui.
— Ah, merci de ta confiance, ça me touche ! répliqua Danayelle d'un ton sarcastique. (Elle se tourna encore une fois vers le mur, l'air grave.) Je ne suis pas forte, mais ma télékinésie est puissante.
Leerian fit un petit gémissement comme seule protestation. Il était trop fatigué pour faire valoir son point de vue, mais il en était conscient ; à chaque fois qu'elle utilisait son don, ça se terminait en catastrophe. Danayelle le savait autant que lui, pourtant, elle sentait que c'était à elle de faire le boulot. Elle ne pouvait pas tout relayer sur les épaules de Leerian.
Lui et Mishi observaient Danayelle avec appréhension, mais personne ne tenta de l'arrêter. Elle posa une main contre la paroi et ferma les yeux ; cette sensation, vibrant jusque dans ses tripes, était encore plus forte que tout à l'heure. L'Omins était juste là, c'était obligé. Quelques centimètres plus loin, à peine. Elle sentait son pouvoir agir sur ses facultés.
La pierre était très compacte. Ce n'était pas de la télékinésie qu'il lui aurait fallu, mais la maitrise de la Terre. Ces dotés parvenaient à modeler les minéraux aussi simplement que de la pâte. Mais elle le savait ; elle pouvait le faire. Ce serait même facile. Alors, sans faire durer le suspense une seconde de plus, elle ferma les yeux et se rencontra. Elle prit une grande inspiration, se remémorant tous les conseils appris à l'Institut. Faire le calme dans son esprit, visualiser et tout ça. Et enfin, elle appela l'Omins à se déloger du mur et à venir à elle.
Cette « délicatesse » fit trembler le volcan en entier. Leerian et Mishi se serrèrent dans les bras l'un de l'autre, tous deux convaincus qu'ils étaient en train de mourir. La grotte entière sembla hurler de protestation, produisant un son horrible de grincement. La paroi vibrait, s'effondrait sur lui-même... et une minuscule pierre précieuse s'extirpa de la crevasse pour se poser dans la main de Danayelle.
Celle-ci demeura bouche bée en observant le minéral. Pas plus gros que l'ongle d'un pouce, il brillait de sa couleur orangée, parsemée de zébrure rouge. À son toucher, Danayelle se sentait bien. Mieux qu'elle ne l'avait jamais été. Un sourire béat étirait ses lèvres. Elle avait l'impression qu'un liquide tout autre que son sang parcourait ses veines ; de la magie pure. Sans même penser à ce qu'elle faisait, elle fit léviter l'Omins au-dessus de sa main. Elle se souleva de quelques centimètres, tournoyant lentement sur elle-même. C'était un geste simple que, pourtant, elle n'avait jamais réussi à accomplir. Et voilà qu'elle y parvenait.
— Dana !
Danayelle sursauta à l'entente de son surnom. Une bulle éclata autour de sa tête, la ramenant au moment présent. Leerian et Mishi étaient devant elle, l'air alarmé. Avait-elle été dans la lune pendant un peu trop longtemps ? Ils semblaient vraiment angoissés. Et alors seulement, elle réalisa que la rivière de lave, à leur côté, s'écoulait beaucoup plus vite qu'une minute plus tôt. Le volcan tremblait tout autour d'eux. Une stalactite se décrocha du plafond et tomba à leurs pieds ; Mishi hurla sous la surprise.
— Il faut sortir d'ici ! dit Leerian. Je crois que le volcan est sur le point d'entrer en éruption.
Danayelle demeura choquée d'une telle menace. Elle avait enfin trouvé ce qu'elle cherchait depuis si longtemps ; elle n'allait tout de même pas mourir dans la minute ! Ce serait ridicule, non ?
Leerian, impatient de son manque de réaction, l'empoigna solidement et l'attira avec elle vers le tunnel, poussant Mishi en premier dans le passage. Tout autour d'eux, les parois tremblaient, des bouts de pierres se décrochaient et menaçaient de leur tomber sur la tête. Mais plus inquiétant encore, la rivière de lave, sur leur gauche, grossissait à vu d'œil. Elle débordait de son lit, s'écoulait rapidement. Et par conséquent, leur espace diminuait également.
Mishi avançait aussi vite qu'elle le pouvait. Leerian la suivait de près, et Danayelle, toujours en état de choc, terminait la marche. Il ne leur fallut que quelques minutes pour sortir de la grotte, mais l'angoisse était à son apogée pour chacun d'entre eux. Quand ils furent enfin à l'air libre, grimpés à mi-hauteur du volcan, ils découvrirent une scène d'horreur. Une énorme quantité de lave s'était échappée du cratère, s'écoulant tout autour d'eux. La chaleur torride, pire encore que ce qu'elle était un peu plus tôt, réussi presque à avoir raison d'eux. Ils devaient faire de réel effort pour avoir ne serait-ce que la force de rester debout. Elle brûlait leur peau, irritait leur gorge, agressait leur sens. C'était un véritable enfer.
La lave s'écoulait tout autour d'eux. Seul un mince passage demeurait intact, droit devant. La pierre presque noire du volcan semblait onduler, un effet d'optique créer par cette insupportable température. Leerian, possédé par l'instinct de survie, prit les filles chacune par un bras et s'élança dans une course effrénée pour quitter le volcan au plus vite. Sur leur chemin, ils croisaient des salamandres, totalement indifférentes par la catastrophe naturelle qui se jouait autour d'eux. Dans le ciel, des boules de feu tombaient de tout côté avec un bruit de tonnerre.
Ils descendirent la pente en moins de cinq minutes, mais ils étaient encore très loin de la plage, où leur petit radeau les attendait. Plusieurs centaines de mètres les séparaient. Ils étaient tous prêts à parcourir cette distance à pleine vitesse, mais un nouvel obstacle les en empêcha ; le dragon.
Le grand dragon ancien, cette énorme bête de dix mètres de long, avait été réveillé par les grondements du volcan. Il volait dans le ciel de ses ailes membraneuses de chauve-souris, crachait des gerbes de feu à tout vas et semblait produire le son le plus angoissant que Leerian n'avait jamais entendu ; un rire. Cet enfer le faisait marrer !
Il passa tout juste au-dessus d'eux. Tous trois s'accroupirent derrière un grand rocher, leur cœur pompant à une vitesse folle. Heureusement, ils s'étaient cachés à temps et le monstre ne les avait pas vus. Mais que pouvaient-ils faire ? D'un côté, le volcan qui se déchaine, et de l'autre, ce dragon qui guettait dans le ciel.
— Oh, bon sang, on va mourir, marmonna Leerian. Cette fois, c'est sûr.
Danayelle lui envoya une claque sur le bras de la main droite. Sa gauche, étroitement fermée en un poing, renfermait toujours la pierre d'Omins. Malgré l'urgence de la situation, un énorme sourire dévorait la moitié de son visage. Elle se sentait dans une pêche d'enfer !
— Il suffit de courir jusqu'à la plage, elle n'est pas si loin. Et si le dragon nous attaque, je le tuerais !
Mishi pouffa d'un rire nerveux à cette promesse. Danayelle, tuer un dragon ? Il était vrai qu'elle avait déjà tué des gens sans même essayer, mais tout de même !
— Dana, dit-elle pour tenter de la raisonner. Il va nous cracher du feu jusqu'à en faire fondre notre chair, et la télékinésie ne peut pas contrôler le feu ! Je comprends que tu te sentes puissante avec ta pierre magique, mais tu n'as même pas encore utilisé ton don avec. Je crois que c'est trop tôt pour affirmer être de taille contre un monstre pareil !
À ses côtés, Leerian hochait la tête à tout ce qu'elle disait, le visage grimaçant d'angoisse. Danayelle grogna, n'ayant aucun argument, puis leva les yeux vers le dragon. Il se dirigeait vers le cratère du volcan, ignorant les gerbes de lave qui s'en éjectait.
— Eh bien, il s'éloigne ! C'est le moment ou jamais de courir jusqu'à la plage !
Mishi et Leerian s'échangèrent un regard nerveux, puis hochèrent la tête. Danayelle avait au moins raison là-dessus ; s'ils avaient une chance de quitter cette île infernale sans se faire avaler par un dragon en cours de route, c'était maintenant.
Avec un dernier coup d'œil vers la bête qui ne leur accordait aucune attention, ils s'élancèrent tous à pleine vitesse vers leur radeau, slalomant entre les rochers sur le sol de pierres inégaux. Leur destination était à plusieurs centaines de mètres, mais l'urgence rallongeait la distance en kilomètres. Mishi courait aussi vite qu'elle le pouvait, et Leerian, malgré la terreur qui le compressait, restait derrière elle. Et Danayelle, toujours alimentée par l'Omins qu'elle serrait dans sa main, ne ressentait aucune peur. Elle terminait la marche, sans crainte. Elle se surprit même à rire de la situation.
Et soudain, Leerian tomba. Les elfes avaient un sens de l'équilibre impressionnant, mais ils n'étaient pas immunisés contre les crevasses, où son pied s'était coincé. Un grondement de douleur lui échappa, mais il essayait déjà de se relever. Or, il était bel et bien prisonnier. Ses grognements se transformèrent en gémissement alors qu'il tirait de toutes ses forces pour se déprendre, sans réussir à rien d'autre qu'à s'écorcher la peau autour de la cheville.
Mishi s'arrêta de courir pour se retourner vers lui, les yeux agrandis par la terreur. Elle voyait, droit devant, celui qu'elle aimait, retenu en otage par une stupide crevasse dans ce sol inégal. Et juste au-dessus, dans le ciel d'une étrange teinte orangée et enflammée, le dragon contourner le volcan et revenir vers eux.
— Il arrive !
Leerian tourna la tête dans la direction qu'elle pointait. Le monstre fonçait vers la plage et volait de plus en plus bas. Ses ailes grises et membraneuses devaient bien mesurer vingt mètres d'envergure. Malgré la distance qui les séparait toujours, la puissance de ses ailes produisait un souffle de vent si intense que l'air brûlant lui piquait les yeux et plaquait ses cheveux vers l'arrière.
— Va-t'en ! s'écria Leerian en se retournant vers Mishi. Tu peux encore atteindre le bateau.
— Je ne pars pas sans toi !
— Ça ne te mènera à rien de mourir pour moi. Allez, sauve-toi !
Deux grosses larmes coulèrent au coin de ses cils alors qu'elle restait bien plantée sur ses pieds. Elle refusait de l'abandonner à son sort. C'était sa faute ; c'était elle qui l'avait convaincu de quitter le confort de sa forêt. Elle s'en souvenait parfaitement ; Leerian avait dit avoir envie de faire part de cette aventure, mais elle n'était pas dupe. Il était venu rien que pour être près d'elle.
Voyant qu'elle ne voulait pas partir, Leerian se mit à tirer plus fort pour se déprendre de la crevasse, s'écorchant la peau contre la pierre tranchante et brûlante. La douleur lui arrachait des grognements. Comment avait-il réussi à se coincer aussi solidement ?!
Danayelle tenta de lui venir en aide, mais tout ce qu'elle pouvait faire était de tirer sur sa jambe et lui faire encore plus mal. Leerian secoua la tête, résigné.
— Partez sans moi, toutes les deux.
— Hors de question, dirent Mishi et Danayelle à l'unisson.
— Je n'abandonnerais pas mon roi, ajouta Danayelle.
Leerian pouffa d'un léger rire nerveux. Elle remettait cette histoire sur le tapis, dans une situation aussi critique ? Pourtant, il le voyait bien à son regard sérieux ; elle le pensait vraiment.
Dans le ciel, le dragon était déjà presque sur eux. Il distinguait parfaitement ses trois êtres étranges, à mi-chemin de la plage. Et la seule et unique chose qui traversa son esprit fut, de toute évidence : un repas. Alors, il fondit sur eux, son ventre grondant d'avance.
Danayelle leva ses yeux vers le monstre. Son regard vert croisa celui, rouge comme le feu, de la bête. Il approchait à grande vitesse ; c'était une question de secondes avant qu'il ne plonge sur eux. Derrière elle, Mishi, incapable de contrôler sa peur, se cacha contre un gros rocher. Leerian, toujours dans l'impossibilité de bouger, replia ses mains au-dessus de la tête en serrant les dents. Ils étaient convaincus qu'ils allaient bientôt mourir.
Mais pas Danayelle. Le sourire aux lèvres, elle était confiante. Peut-être un peu trop. Le dragon, maintenant assez près, cracha un puissant jet de flemme sur eux trois. Danayelle serra l'Omins dans son poing gauche et, de la droite, fit un simple mouvement de poignet. Autour d'eux, cinq grands rochers se déplacèrent, lévitèrent et formèrent une barrière devant eux, bloquant le feu du dragon. Un sixième rocher, celui derrière lequel Mishi était caché, se souleva à pleine vitesse et, tel un boulet de canon, percuta le monstre en pleine gueule. Il gronda, à peine de douleur et surtout de frustration, et ses yeux d'ambres se braquèrent sur Danayelle, qui rigolait comme une gamine. Elle se mit ensuite à sautiller en agitant les bras au ciel.
— Hé, c'est moi que tu veux, hein ? Viens me chercher !
Elle courut vers la droite, s'éloignant de Mishi et Leerian qui, tous deux, étaient tout bonnement bouche bée de son culot.
— Cette pierre la rend complètement folle, fit Leerian. Oh, bon sang, elle va se faire tuer.
— Oui, mais pour l'heure, elle nous a sauvé la vie, répliqua Mishi. Alors on en profite pour te décoincer une bonne fois pour toutes ?
Leerian hocha la tête, le corps parcouru de frisson tant il était angoissé. Il lança un regard vers Danayelle, qui courait encore. Le dragon la suivait de près, essayant de lui cracher son feu, mais une énorme pierre qui lévitait entre eux servait de barrière. Soudain, Danayelle s'arrêta, se retourna vers Leerian qui écarquilla les yeux, et leva la main dans sa direction. Il sentit quelque chose le tirer sur son flanc et réalisa trop tard que c'était son épée qui sortait d'elle-même de son fourreau. Elle s'envola, la garde en avant, jusqu'à Danayelle à une vitesse telle que ce n'était plus qu'une tache floue de couleur or et argent. Elle atterrit dans la main de la blonde et, aussitôt, elle continua de courir.
— Non, mais... L'Omins lui donne vraiment beaucoup trop de culot ! s'exclama Leerian.
Mishi lui envoya une claque sur la cuisse pour le ramener à ce qui était plus important pour l'heure, puis tira sur sa jambe pour essayer, encore une fois, de le déprendre de la crevasse. Leerian serra les dents, s'attendant à s'écorcher la peau sur les parois... mais il se retira sans aucun problème.
— Quoi... tu n'étais même pas coincé ? s'étonna Mishi.
Tous deux restèrent bêtes pendant une seconde, se dévisageant sans comprendre. Puis, d'un seul mouvement, ils tournèrent la tête vers Danayelle qui courait encore pour éloigner d'eux le dragon autant que possible. L'évidence les frappa alors en même temps : c'était Danayelle. De sa télékinésie, elle avait guidé son pied dans la crevasse, puis resserré la pierre tout autour. Et elle l'avait fait parce qu'elle voulait se battre contre un dragon !
— Cette fille est folle, murmura Mishi, abasourdie.
Au loin, Danayelle riait aux éclats. Elle trouvait cette situation complètement tordante. L'épée de Leerian à la main, elle s'arrêta enfin de courir pour refaire face au monstre, un énorme sourire au visage. Malgré toute la confiance démesurée qu'elle avait, elle n'avait pas voulu tenter quoi que ce soit avec ses amis à proximité. Maintenant qu'elle était assez éloignée, elle était prête à mettre son plan, pourtant simple, à exécution.
Devant elle, le dragon arriva à sa hauteur. Il replia les ailes et se posa au sol, avec tant de lourdeur que l'île tout entière vibra sous ses grosses pattes. Il émit ce qui semblait être un rire.
— Tu as du culot, jeune elfe, gronda la bête de sa voix caverneuse. C'est presque dommage de te tuer... mais j'ai faim.
— Merci, répliqua Danayelle avec un large sourire. Mais il se trouve que je n'ai pas tellement envie d'être dévoré.
Le dragon lâcha un dernier rire, puis lança un nouveau de jet de flemme sur Danayelle. Encore une fois, elle envoya plusieurs de ses grands rochers pour faire barrière, puis balança l'épée d'argent. De sa télékinésie, elle la guida à pleine vitesse vers sa gueule. Il eux à peine le temps d'écarquiller les yeux en comprenant ce qu'elle faisait ; l'arme entra droit dans sa bouche et ressortit par en haut, traversant sa tête et son cerveau. La lame pointa au sommet de son crâne, entre ses deux grosses cornes de bœuf, suivies d'une longue gerbe de sang. Le dragon figea aussitôt, étonné de ce qui venait de se passer, puis s'effondra comme une masse, ses yeux roulant dans ses orbites. Puis... il était mort.
Danayelle rappela l'épée, qui se posa docilement dans sa main. Elle regarda l'énorme cadavre de dix mètres de long qui s'étendait à ses pieds, éclata à nouveau de rire, puis revint sur ses pas pour retrouver Leerian et Mishi en sautillant, toute guillerette.
— Eh, vous avez vu ?! s'exclama-t-elle assez fort pour être entendue malgré les quelques centaines de mètres qui les séparaient. J'ai tué un dragon, les doigts dans le nez ! Ha, ha ! Ça fera joli sur mon curriculum vitae !
Ni Leerian ni Mishi ne répondirent quoi que ce soit. Ils étaient bouche bée, presque scandalisés. Mais Danayelle ne se laissait pas démoraliser, son sourire énorme dévorant toujours la moitié de son visage. Arrivée à leur hauteur, elle pointa l'épée sur Leerian, qui recula d'un pas en grimaçant.
— Tiens, ton épée ! Reprend-là !
— Donne-là moi par la garde, idiote !
Son sourire diminua d'un cran, étonné de se faire insulter aussi gratuitement. Elle fit léviter l'arme, qui quitta sa main pour se présenter dans le bon sens à son propriétaire. Leerian l'attrapa enfin, sans cacher son dégout. Elle était recouverte du sang poisseux du dragon.
— Qui tu traites d'idiote ?
— C'est toi ! Idiote ! s'enflamma Leerian en pointant un doigt menaçant sur Danayelle. C'est toi qui as coincé mon pied, hein ? Tu as fait exprès parce que tu voulais te battre contre un dragon ?! Mais c'est nous qui aurions pu nous faire tuer, et ç'aurait été entièrement ta faute !
— Oh, on trouve ça dangereux ?! répliqua Danayelle, les poings sur ses hanches. Tu n'étais pas contre de me suivre dans un volcan, pourtant. En quoi, maintenant, ça poserait problème ?
— Mais je rêve ?! Tu ne réalises même pas ce que tu as fait ? Tu m'as utilisé pour attirer un dragon ! Je m'en fiche que ce soit simplement dangereux ; ce qui m'embête, là-dedans, est qu'on aurait pu se sauver sans avoir à le tuer. C'était un meurtre gratuit ! Et surtout, surtout, que tu t'es servie de moi comme appât !
Danayelle demeura bête devant le discourt de Leerian. Pour échapper à son regard noir, elle tourna la tête vers Mishi, à ses côtés. Un peu derrière Leerian, les mains sur son bras comme si elle cherchait à s'en faire un bouclier. Parmi la crasse causée par la cendre qui tombait constatant du ciel, des sillons de larmes parcouraient ses joues. Elle avait craint pour Leerian, elle croyait vraiment qu'il allait mourir. Et ç'aurait été sa faute.
Cette fois, Danayelle se sentait mal. Elle réalisait enfin ce qu'elle avait fait. Elle n'aurait jamais dû coincer le pied de Leerian rien que pour prouver qu'elle pouvait tuer un dragon ! Elle voulut s'excuser, mais au même moment, un bruit assourdissant les fit tous sursauter. Une éruption venait de s'échapper du volcan, où une nouvelle coulée de lave semblait passer juste devant l'entrée de la grotte qu'ils voyaient de là. La terre trembla et Mishi enfonça ses ongles dans le bras de Leerian pour s'empêcher de tomber.
— On devrait reprendre la dispute pour tard et quitter cet endroit, dit-elle.
Leerian approuva d'un hochement de tête, lança un dernier regard noir sur Danayelle, et reprit la route vers le bateau, entrainant Mishi avec lui.
Danayelle soupira, puis baissa les yeux vers sa main ouverte où reposait la pierre d'Omins. Une petite bille rugueuse orange et rouge. Celle pour qui elle avait fait toute cette aventure... elle avait failli tuer son ami par sa faute.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top