Chapitre 50

À la fin de leur repas, Nestor se leva d'un bon de sa chaise, ramassa les paniers d'osier et fit signe à Leerian, Danayelle et Mishi de venir avec lui. Un léger mouvement de tête, un roulement des doigts, et le garçon s'élançait déjà dans les rues achalandées de la ville Nocksor. Quelque peu ragaillardit par leur estomac plein, ils le suivirent facilement jusqu'au bout de la partie « urbaine » de l'île, et ils continuèrent leur route entre les sillons d'un champ d'ananas. Tout au bout, une mince forêt de palmier découpait le paysage. Et parmi eux, plusieurs petites maisons, ou même des cabanes s'étendaient un peu n'importe comment, sans aucun alignement. Ils rencontrèrent des hommes et des femmes, des elfes également, auquel Nestor criait toujours haut et fort un énergique « bonjour ! », se récoltant des sourires et des signes de mains à leurs passages. Des fées coloraient le ciel, volant de gauche à droite en répandant une légère pluie d'étincelle de leurs magies.

Aux yeux des trois compagnons, Nocksor avait vraiment tout d'une île paradisiaque.

— Venez ! C'est juste ici, vous voyez ! s'exclama Nestor, à plusieurs mètres devant eux, pointant du doigt la plus grande des habitations. C'est chez mon grand-papa !

Ils s'arrêtèrent à la maison en question. C'était une cabane de bois en toit de pailles, avec des trous aux murs en guise de fenêtre, sans vitre. Un simple rideau au motif fleuri faisait office de porte d'entrée. Et le balcon, lui, était énorme, parsemé de chaises longues, de tables et de parasol. Plusieurs personnes y étaient installées, principalement des hommes et des femmes âgés. Parmi eux, il y avait trois elfes, en apparence dans la trentaine, mais faisant probablement partie de la même génération. Et tous discutaient, rigolaient entre eux, un cocktail surmonté de tranche d'ananas dans leurs mains.

— Youhou ! Salut ! s'exclama Nestor tout en grimpant les marches du balcon quatre à quatre.

Une vieille femme l'accueillit en écartant les bras et le garçon s'élança sur elle pour un câlin. Ils riaient, comme si c'était la chose la plus hilarante du monde, alors que Danayelle, Leerian et Mishi restaient en retrait, sans vraiment savoir ce qu'ils faisaient ici.

— Oh ! Regardez ! fit Nestor en s'éloignant enfin. Eux, ce sont des naufragés que j'ai trouvés ! dit-il en pointant une main en direction des trois amis. Je les ai ramenés pour qu'ils puissent se reposer. C'est OK ?

— Oh, oui, bien sûr ! dit la femme en se retournant sur sa chaise pour dévisager Leerian, Danayelle et Mishi. Venez, venez ! Faites comme chez vous ! Il y a trois chambres à l'intérieur, vous pourrez vous y allonger.

Leerian était un peu nerveux de s'approcher d'une telle foule, mais puisque c'étaient majoritairement des personnes âgées, il refoula ses sentiments et, courageusement, s'avança le premier pour grimper le balcon. Mishi le retint avant qu'il ne fasse le moindre pas, le tirant par la main. Il s'arrêta et se retourna vers sa sirène, intrigué.

— Moi, je ne suis pas fatigué. Absolument pas, même. J'ai plutôt envie d'explorer l'île.

— Seule ? C'est peut-être dangereux...

— Oh, s'il te plait, Leerian. Tu sais que je ne risque rien, ici.

— Elle a raison, laisse-là s'amuser, intervint Danayelle.

Les deux filles s'échangèrent un sourire complice, puis Danayelle monta les marches, un rictus timide aux lèvres. Leerian piétina quelques instants, se balançant d'un pied sur l'autre. Puis il soupira en hochant la tête. Ça lui faisait mal de s'éloigner de Mishi, mais il ne pouvait pas la tenir en laisse non plus !

Les femmes sur le balcon avaient entendu leur conversation murmurée. L'une d'entre elles sortit un minuscule sac de cuir d'une poche, et le présenta à Mishi.

— Prend ça, sirène !

Elle la lança dans sa direction, mais ce fut Leerian qui l'attrapa pour ensuite le donner à Mishi. Elle vida la petite bourse dans sa main, découvrant cinq pièces d'or. Mishi ouvrit bêtement la bouche en levant les yeux vers les femmes.

— C'est pour t'acheter des vêtements, expliqua celle-ci.

Mishi esquissa un sourire gêné. Elle savait qu'elle n'avait pas particulièrement de classe avec le manteau en guise de pantalon, mais elle n'avait même pas songé à la possibilité de se faire un relooking.

— Merci beaucoup, dit-elle avec un temps de retard.

Leerian, à ses côtés, commençait à avoir du mal à maintenir ses yeux ouverts tant il était fatigué. Il n'avait pourtant déployé aucun effort physique, sur leur petit bateau, mais ce voyage l'avait vraiment épuisé. Sans plus attendre, il posa doucement ses lèvres sur celle de Mishi.

— À plus tard, ma belle. Fais attention.

Mishi répondit à son baisé, puis hocha la tête, le regard brillant. Elle observa Leerian grimper le balcon à son tour, où Danayelle patientait en haut, près de la porte de rideau. Elle se fit la réflexion qu'elle devrait acheter des nouvelles tenues pour eux aussi. Leerian ne portait ni plus ni moins qu'un pantalon taché et déchiré. Danayelle était toujours vêtue du chandail que lui avait donné Elzor, si grand qu'il descendait sur ses cuisses comme une robe. Vraiment, ils faisaient tous pitié à voir.

Leerian et Danayelle entrèrent enfin dans la maison. Nestor les attendait à l'intérieur, en compagnie d'un vieil homme qui était fort probablement son grand-père. Ils préparaient une limonade, l'un coupant des citrons et l'autre touillant le jus avec une cuiller de bois.

— Salut ! fit Nestor comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des lustres, son sourire toujours aussi éclatant. Tout droit, c'est ma chambre. Et à côté, c'est celle pour les invités. Faites comme chez vous !

Leerian et Danayelle hochèrent la tête d'un seul mouvement, puis disparurent derrière les portes. Moins d'une minute plus tard, ils ronflaient déjà tous les deux.

Et Mishi, resté dehors, fit un dernier au revoir de la main à toutes ses femmes qui se prélassaient sur le balcon et tourna les talons pour retourner en ville. Elle marcha lentement dans le champ d'ananas, serrant la bourse dans son poing, sifflotant joyeusement. Elle était à peine arrivée à Nocksor, mais elle aimait déjà cet endroit. En dehors du nain qu'ils avaient croisé ce matin, tout le monde était très gentil. La vue était splendide, avec ses palmiers et ses collines, ses maisons simples. L'odeur marine qui flottait dans l'air. Le chant des goélands et des pélicans. Et les fées, même. Il y en avait toujours au moins une pour voler dans le ciel, visible du coin de l'œil. De tous les endroits qu'ils avaient visités au cours de leur périple, Nocksor était de loin la plus magnifique.

En un rien de temps, Mishi était de retour sur la route de brique de la ville. Des gens passaient près d'elle, lui faisant des sourires polis ou des « bonjours », comme s'ils se connaissaient. Progressivement, les boutiques réapparaissaient. Contrairement à tous à l'heure, elle y accorda un peu plus de son attention. Elles ressemblaient beaucoup aux maisons dans la forêt de palmier, comme celle des grands-parents de Nestor, à quelques différences près ; le mur de devant n'était, pour la plupart, qu'une grande vitrine, et elles n'avaient pas de balcon. Des affiches étaient accrochées au-dessus de l'entrée, présentant le nom des magasins.

Mishi s'arrêta soudain devant un en particulier. Le panneau indiquait : « chez Miatz » et, plus bas en sous-titre, on y voyait « boutique de vêtements pour sirène ». Mishi, intrigué, s'aventura à l'intérieur. La porte était retenue ouverte par un gros caillou au sol. Ici, étrangement, l'odeur iodée de la brise marine se faisait plus prononcer. Le nez en l'air, elle s'avança entre les rangées de tissus qui s'alignaient sur des supports. Mishi ne comprenait pas ce que ses vêtements pouvaient avoir en particulier, en dehors qu'elles étaient toutes à la mode féminine. Elle ne remarqua aucun pantalon ; rien que des robes ou des jupes, de toutes les couleurs.

— Bonjour ! Vous avez besoin d'aide ?

Mishi leva les yeux pour croiser le regard le plus bleu qu'elle n'avait jamais vu. Deux iris d'un magnifique bleu cyan, surmonté un mince trait de Kohl l'observaient. Quelques écailles de la même couleur tapissaient les tempes et les joues de la sirène qui lui faisait face, attendant poliment une réponse.

— Wow !

— Pardon ? s'étonna celle-ci, son sourire faiblissant pendant une seconde.

— Oh ! Désolé ! fit Mishi en rougissant, détournant aussitôt le regard pour fixer la robe qui était devant elle. C'est que... désolé. Oui, j'aimerai un peu d'aide...

L'employé pouffa, balançant ses cheveux brun pâle derrière ses épaules. Mishi, le nez toujours dans les vêtements présentés devant elle, l'observait à la dérobée. Ce n'est clairement pas une sauvage, celle-là. Un rire plutôt haut-perché, mais elle a l'air gentille. C'est une domestique, comme moi !

Mishi toussota dans son poing, essayant de reprendre contenance. En dehors de sa mère ou d'elle-même, c'était la première fois qu'elle rencontrait quelqu'un de son espèce. Et les sauvages ne comptaient pas ; elles se ressemblaient, mais à l'intérieur, c'était totalement différent !

— Oui, je sais ! J'ai de beaux yeux, on me le dit souvent, fit-elle sans aucune modestie. Je m'appelle Elra. Alors, je peux t'aider ?

— Oui... euh, moi, c'est Mishi. J'ai juste une question, en fait. Est-ce que ses vêtements ont vraiment quelque chose de particulier ?

Le sourire d'Elra se tordit alors qu'elle lorgnait Mishi de haut en bas. Ses cheveux sales et emmêlés, son banal teeshirt noir et tâché, une manche déchirée, et le manteau entortillé autour de ses hanches, dévoilant une cuisse où étaient encore collés plusieurs grains de sable. Et pour terminer le tout, des pieds nus aux ongles d'orteils cassés pour certains, trop longs pour d'autres.

— Euh... ouais, dit simplement la serveuse. C'est sûr que tu en as vraiment besoin, de ces vêtements. Enfin, pour répondre à ta question ; oui, ils sont spéciaux ! Regarde !

Elle retira de son cintre la robe que Mishi avait entre les doigts pour la lui montrer. Elle était violet foncé, surmontée de quelques motifs en arabesque noir, mais subtil. Le bas était fait très court, Mishi l'imaginait à peine suffisante pour couvrir l'essentiel. Elra la remonta, présentant l'intérieur, et c'est là que Mishi comprit ce qu'elle avait vraiment d'original. Un bout de tissus supplémentaire était disponible avec, tout au bout, deux boutons. En l'attachant, le bas de la robe pouvait alors se transformer en short.

— Oh ! fit Mishi, impressionnée. Ah oui, c'est pratique !

— Eh oui ! approuva Elra, un sourire fier au visage. Et regarde, j'en porte une moi-même. (Elle releva sa robe blanche et bleu, présentant le short qui était caché en dessous.) Il suffit de retirer les boutons pour aller nager un peu. Et en plus, c'est un matériel qui sèche très vite.

— Ouah ! Il me la faut !

— Va l'essayer d'abord ! Les cabines sont par là.

Mishi reprit lentement le vêtement, n'en croyant pas ses yeux. Puis, sans attendre une seconde de plus, s'élança vers le fond du magasin en direction de la porte indiqué par l'employée. Aussitôt arrivé, Mishi se débarrassa de ses guenilles et enfila la robe. Quand elle se retourna, elle croisa son reflet dans un miroir, lui renvoyant l'image d'une jeune fille aux cheveux complètement pétée, mais ravissante dans sa tenue parfaitement ajustée. Elle mit les boutons en place, puis se regarda plus attentivement sous chaque angle. C'était tellement court qu'elle avait peur que cette robe en dévoile un peu trop. Mais sa crainte était injustifiée. Elle lui allait comme un gant.

Mishi sortit de la cabine cinq minutes plus tard, le sourire éclatant et ses vieilles loques roulés en boule serrée contre son ventre. Elle trouva Elra appuyé sur un long comptoir de bois, discutant avec deux autres sirènes. Quand elle tourna les yeux vers Mishi, s'avançant timidement entre les rangées de vêtements exposés, elle leva les bras au ciel d'un geste théâtral avant de s'exclamer :

— Ah, ouais ! Elle te va à merveille ! Elle était faite pour toi. Pas vrai ?

Ses amies approuvèrent aussitôt par des hochements de têtes et des sourires. Mishi rougit, à la fois embarrassée et flattée. Elle rejoignit Elra près du comptoir et celle-ci redressa le dos, se donnant une prestance un peu plus professionnelle.

— Je vais l'acheter. C'est combien ?

— Six pièces d'or.

Mishi vida le contenu de sa bourse dans sa main. Cinq pièces d'or. Elle se mordit la lèvre, repoussant les pièces du bout de l'index en espérant en trouver une autre cacher quelque part. Elra fit la moue en regardant son manège. Il ne lui en manquait une. Une seule ! Mishi jura entre ses dents. Elle voulait vraiment ce vêtement. Elle était si confortablement dedans !

Elra se pencha au-dessus du comptoir, prit la main de Mishi entre les siennes et referma son poing.

— Non, garde ton or. Et garde la robe, c'est gratuit !

— Quoi ? Mais non, je... il faut payer...

— Écoute, ma vieille. Te voir vêtu de ce teeshirt déchiré, et... cette chose, là ! C'était un manteau, vraiment ?! C'était de la torture visuelle ! Alors tu vas accepter mon cadeau, me faire un beau sourire, et dire merci.

Mishi rougissait tellement que la couleur de sa peau camouflait ses écailles sur ses joues. Elle inspira longuement, s'efforçant de reprendre contenance, puis lui fit un sourire gêné.

— Merci, Elra. Merci beaucoup !

— Maintenant, tu es habillé, c'est un bon début. Mais tu es toujours très loin d'être présentable. Ça tombe bien, parce que mes amies, juste ici, sont coiffeuses et esthéticiennes !

Elle montra les deux sirènes qui, jusqu'à présent, n'avaient rien dit. Elles levèrent la main en signe de salut, auquel Mishi répondit, encore plus gêné qu'elle ne l'était déjà. Elles étaient rousses toutes les deux, surmontées d'écailles orange sur le visage et les bras. Elles se ressemblaient comme des jumelles ; précisément de la même taille, la même coupe de cheveux, le même nez aquilin.

— Viens avec nous, dit l'une d'entre elles, on va te refaire une beauté dont tu as grandement besoin.

C'est vrai que les gens de Nocksor sont gentils, pensa Mishi.

Et sans plus d'hésitation, elle suivit ses nouvelles amies.

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