Chapitre 41

Leerian et Mishi étaient seuls, au centre d'une ile déserte... si on excluait les trois autres personnes qui étaient en bordure de la même ile. Entourés des quelques arbres, du moins, ils avaient l'impression d'être seuls. Pour la première fois depuis que Danayelle était entrée dans leur vie, ils étaient ensemble, sans interférence. Ce fait frappa Leerian de plein fouet, alors qu'il observait, presque hypnotisé, les yeux violets de Mishi. Avant l'arrivée de la télékinésiste, ils ne se connaissaient que depuis une semaine, tout juste. À l'époque, Mishi lui avait avoué son désir de partir à l'aventure. Et Leerian avait été catégorique là-dessus ; c'était un non pur et simple.

Malgré tous les hauts et les bas de leur épopée, Leerian était heureux d'avoir suivi Mishi jusqu'ici. Rien qu'aujourd'hui, il s'était fait enlever par des pirates, attaqué par un kraken et noyé au milieu de la mer. Mais il ne regrettait rien, puisqu'il était avec Mishi.

Mishi, pour sa part, pensait exactement pareil. Elle était heureuse que Leerian l'ait suivi, même s'ils avaient failli en mourir à quelques reprises. Mais si c'était à recommencer, elle serait restée tranquillement à la maison. Toute cette aventure était beaucoup plus dangereuse que ce qu'elle s'était d'abord imaginé !

— Je me sens mal... je ne sais plus si je t'ai dit merci.

Mishi pencha la tête, revenant brutalement à la réalité. Elle était perdue dans ses pensées, et surtout, dans les yeux d'or de Leerian.

— À quel propos ?

— De m'avoir sauvé la vie, évidemment. Sans toi, je serais mort, à l'heure qu'il est.

— Oh...

Mishi rougit, braquant son regard sur les touffes d'herbes hautes autour d'eux. Comment oublier ? Il l'avait remercié d'un baiser !

— Je veux dire, continua Leerian, est-ce que j'ai... explicitement dit « merci » ? Enfin... (Il rougit à son tour, lâchant même un léger rire.) Je me souviens de ce que j'ai fait. Pas de ce que j'ai dit après.

— Tu as bien dit merci, fit Mishi. Entre autres.

Sa peau avait prit une teinte pivoine tant elle était nerveuse. Elle revoyait les lèvres de Leerian se poser sur les siennes, avec tant de délicatesse... encore, et encore, et encore...

— Précisément, tu as dit « merci de m'avoir sauvé la vie ». Alors ça va, tu n'as pas besoin de le répéter.

— Oh, je n'ai pas l'intention de m'arrêter ! Je te dois la vie, Mishi... ma vie entière. Tu comprends, j'espère... tu savais que j'avais un frère ? Il est mort avant ma naissance...

— Oui... mort noyé.

— J'en suis presque venu à me demander s'il ce n'était pas une malédiction sur ma famille. Pourquoi... tout le monde meurt...

Mishi demeura muette, perplexe par ce nouveau sujet. Elle observa Leerian du coin de l'œil, alors qu'il fixait bêtement le vide devant lui. Après un cinq secondes de silence, il éclata d'un léger rire et reporta son attention sur la sirène.

— Désolé, je ne voulais pas... je m'égards. Ce n'était pas de ça que j'avais envie de parler. En fait... oh, excuse-moi, je ne sais pas pourquoi j'ai autant de mal à le dire...

Mishi esquissa un sourire. Il était mignon, son petit elfe. Il avait encore du sang plein le bras, mais elle était incapable de ne voir autre chose que son visage empourpré par la nervosité. Elle fut tentée de garder le silence et de le laisser prendre son temps, mais elle savait surtout que, quand un elfe voulait « prendre son temps », ils étaient pires que des tortues. Il pouvait facilement rester planté là, à fixer un point devant lui jusqu'au lendemain matin, avant de finalement dire un mot. Mishi l'avait déjà vu faire plusieurs fois.

— Tu veux parler... du fait que tu m'as embrassé ?

Leerian sentit son cœur s'emballer. Ça y est, le sujet était lancé.

— Oui... (Il prit une grande inspiration, avant de se tourner légèrement pour faire face à Mishi.) Écoute, je suis désolé. C'était sur le coup de l'émotion. Mais si tu veux qu'on oublie, ce n'est pas un problème. On peut faire comme si rien ne s'était produit. Mais je ne veux pas que tu t'éloignes à cause du malaise, Mishi. Tu es...

Les derniers mots moururent dans sa bouche, remplacée par un léger soupir. Tu es ma meilleure amie. Pourquoi avait-il du mal à le dire ?

Mishi, au contraire, s'approcha un peu plus. Il n'y avait plus qu'une dizaine de centimètres qui les séparaient.

— Je peux être honnête avec toi, Leerian ?

— Oui, évidemment.

— Je n'ai pas envie de l'oublier.

Leerian se mit aussitôt à envisager toute sorte de scénarios catastrophes. Peut-être voulait-elle garder le souvenir pour le faire chanter ? Ou pour se moquer de lui ? Pour le lui renvoyer à la figure si, et quand, ils se disputeront ?

Mishi éclata d'un rire cristallin. Elle voyait l'angoisse dans les yeux félins de l'elfe. Mais le pauvre était complètement à côté de la plaque.

— Leerian, j'en rêvais depuis un long moment, déjà.

— Un... hein... un long moment ? bredouilla Leerian.

Ce fut au tour de Mishi de rougir, alors qu'elle détournait le regard. Elle avait honte des sentiments qu'elle avait éprouvés, mais l'heure des révélations était arrivée. Il fallait aller jusqu'au bout des choses.

— Tu sais, quand Danayelle s'est cassé le pied. Et que tu la portais toujours sur ton dos. C'est la première fois que... j'ai été jalouse. Je l'ai vraiment été ! Et ensuite, chez les lutins... je cherchais tant à t'impressionner que... je t'ai ensorcelé. Et ça a tellement dégénéré, à partir de là, que j'ai préféré ignorer mes sentiments.

Leerian prit un moment pour digérer l'information. Était-elle en train de dire... qu'elle l'aimait ? Lui, le pathétique héritier de Celeyste lycanthrope mythomane ? Pourquoi ?!

— Leerian... ça me coute de le dire, alors crois bien que je suis on ne peut plus sérieuse. Peut-être que je ne sais pas de quoi je parle, que je suis jeune, et tout ce que tu voudras, mais... je suis tombé amoureuse de toi.

Son cœur pompait à toute vitesse. Ça y est, elle l'avait dit. Elle se sentait à la fois libérée d'un énorme poids, et prisonnière d'un autre encore plus lourd, alors que Leerian, les sourcils légèrement froncés, fixait le vide en réfléchissant. Pourquoi prenait-il autant de temps à répondre ? Pourquoi les elfes devaient-ils toujours être aussi lents ?!

— Mishi... je t'aime. C'est clair, je t'aime beaucoup. Mais je ne sais pas si c'est de l'amour.

Mishi en ressentit un coup de poing à l'estomac. Il venait de dire qu'il l'aimait. Beaucoup, même. Pourquoi est-ce que ça lui faisait mal ?

— Tu l'as dit, nous sommes jeunes... nous ne connaissons pratiquement rien sur le sujet. Je n'ai plus de parents... Toi, tu n'en as qu'un. Je ne sais rien de ce mode de vie, et toi non plus...

— Oh, Leerian... ce n'est pas un « mode de vie ». C'est juste... être deux.

Mishi haussa les épaules, s'efforçant de banaliser le sujet. Elle le voyait bien, Leerian angoissait pour rien. Comme si c'était nouveau ! La peur qu'elle avait elle-même ressentie, une minute plut tôt, s'était déjà envolé. Elle était confiante pour la suite, alors qu'elle s'approchait encore un peu plus, un léger sourire aux lèvres.

— J'ai un petit truc simple pour savoir si tu es amoureux ou non. Ça pourra peut-être régler tes tracas.

Leerian déglutit. Il était beaucoup trop nerveux.

— Ouais... qu'est-ce que c'est ?

— Deux questions. Il faut que tu sois honnête et que tu agisses en conséquence.

— OK... Envoie. Je suis prêt.

Mishi pouffa de rire, incapable de se retenir. Il s'imaginait quoi, qu'elle allait lui passer un interrogatoire de police ?

— Est-ce que tu as déjà eu envie de m'embrasser ?

Ce fut au tour de Leerian de rire. Avait-elle oublié ce qu'il s'était produit aujourd'hui ?

— Oui ! fit-il, de but en blanc.

— Et en ce moment, est-ce que tu as encore envie de m'embrasser ?

— Ah, carrément...

— Alors, qu'est-ce que tu attends ?

Leerian demeura bête pendant une seconde. C'était ça, son test ? Il lui semblait quand même un peu bancal ! Mais bon, elle voulait qu'il l'embrasse ; pourquoi s'en priver ? Et à quoi bon s'emmêler les pinceaux avec les sentiments ? S'il croyait seulement être amoureux... le croire était peut-être tout ce dont il avait besoin, de toute façon.

Il laissa son habituelle nervosité de côté. Confiant, il prit le visage de Mishi entre ses mains en coupe et fondit sur ses lèvres avec passion, pour toutes les fois qu'il avait rêvé de le faire.

Tout ce qu'il pouvait espérer était qu'il n'était pas en train de lui baver partout sur la figure. Mais il s'inquiétait pour rien, ou bien Mishi n'avait pas plus d'expérience que lui en la matière. Car elle se sentait aux anges, alors qu'elle renvoyait les baisser, qui se faisait de plus en plus fougueux.

*

Depuis le coin nord de leur ile minuscule, Danayelle était couchée dans le sable, les yeux fixés sur le ciel nuageux. Il s'était enfin arrêté de pleuvoir, et à quelques endroits, le bleu foncé était visible, et les premières étoiles apparaissaient.

Elle souriait d'une oreille à l'autre, car elle avait tout entendu.

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