Chapitre 40
Mishi avait poussé les planches jusqu'à l'ile, sur plusieurs kilomètres de vagues immenses. Ça lui avait pris au moins une heure, pendant laquelle Leerian s'était à nouveau réveillé. Épuisé, il était resté couché, à fixer le ciel et la pluie tomber, observant un dragon haut dans les nuages, à essayer de comprendre tout ce qui s'était passé en si peu de temps. Il s'était noyé. Il avait coulé vers les profondeurs de l'océan. À partir de maintenant, il devait sa vie entière à Mishi. Mais... Est-ce que je l'ai embrassé ? J'ai vraiment fait ça ?!
L'ile était minuscule. Quelques arbres, un peu d'herbe, et beaucoup de sable. Elle ne faisait que quelques centaines de mètres carrés, sans plus. Egrim et Danayelle quittèrent leur radeau de fortunes pour s'y avancer. Leur invité, le semi-elfe, les suivit. Leerian, lui, dû s'y prendre à plusieurs fois avant d'avoir la force de se lever. Et aussitôt sur pieds, sa tête se mit à tourner atrocement. Il ferma les yeux, inspira longuement, et sauta à l'eau. Elle monta à peine plus haut que ses chevilles, mais il en fut tout de même angoissé. Je me suis noyé. Ses mots se répétaient à son esprit dès qu'il voyait de l'eau. Et ils étaient au milieu de l'océan.
— Ça va ?
Mishi, toujours vêtu de sa queue de poisson, nageait lentement près de lui. Il lui fit un sourire et un hochement de tête, mais son teint pâle et les cernes ne la trompaient pas.
— Viens... mets des jambes et viens sur l'ile. J'en suis malade de toute cette eau.
— Eh bien...
Mishi rougit sévèrement en détournant le regard. Leerian comprit le problème une seconde avant qu'elle ne le dise.
— J'ai perdu mon pantalon. Dans le feu de l'action, tu vois !
Leerian pouffa de rire. Puis il pressa une main contre sa poitrine en grimaçant, alors que son rire se transformait en une quinte de toux. Il avait encore les poumons en feu.
Ils avaient perdu toutes leurs affaires. Plus aucun vêtement de rechange n'était à disposition. Mishi n'avait plus de pantalon, Leerian et Danayelle n'avaient plus de teeshirt.
Tous les regards se tournèrent alors vers le semi-elfe. Lui était habillé de plusieurs couches de vêtements, tous plus noirs les uns que les autres. Sans se faire demander, il retira son manteau et le tendit à Mishi. Puis l'un de ses chandails – il en avait au moins trois – à Danayelle. Celle-ci l'enfila, si grand qu'il flottait au-dessus d'elle comme une robe. Mishi se transforma et enroula le manteau autour de ses jambes. Enfin, elle se leva et sortit de l'eau. On aurait dit qu'elle portait une longue jupe.
— Ça fera l'affaire... merci, dit Mishi avec un sourire chaleureux.
— Tout le plaisir est pour moi, répondit-il en inclinant poliment la tête.
Ils s'enfoncèrent sous les quelques arbres de l'ile. Elle n'était même pas assez grosse pour appeler ça une forêt. Leerian s'assit dans l'herbe, vite imité par tous les autres. Il fut tenté de faire un feu, mais sous la pluie, c'était impossible. Et pourtant, il aurait donné cher pour un peu de chaleur.
— Bon, il est temps pour moi de parler, je crois bien, dit le semi-elfe. Je m'appelle Elzor... et je suis un voyageur. Je ne reste jamais plus de deux jours au même endroit. Hier, au pub, j'ai pris la décision de vous aider contre les pirates qui planifiaient de vous enlever. Et je dois avouer que c'était surtout pour toi, dit-il en fixant son attention sur Leerian, pour ensuite incliner la tête comme dans une petite révérence. Mon roi.
Tous les regards se braquèrent aussitôt sur Leerian, qui déglutit bruyamment. Ils en étaient tous conscients ; il détestait se faire appeler ainsi. Même venant de Mishi, ça lui tapait solidement sur les nerfs. Alors d'un parfait inconnu...
— Eh, vous savez, ce n'est pas conseiller de dire ça, fit Danayelle d'un ton timide.
— Dire quoi ? s'étonna Elzor. Mon roi ?
Leerian grinça des dents. Il détourna le regard, sentant son cœur s'emballer. Pourquoi fallait-il toujours que tout le ramène à ça ?
— Évitez, continua Danayelle. Avant qu'il ne pète une durite.
— Mais... pourquoi ?...
— Vous êtes un voyageur ! s'exclama Leerian, lui coupant la parole. Expliquez-en plus. Je suis sûr que vous avez des histoires intéressantes.
Elzor demeura bête pendant une seconde, pris de court. Egrim, Danayelle et Mishi s'échangèrent un regard ennuyé.
— Oh, eh bien... vous savez, je ne fais que me promener d'un sens et de l'autre du continent.
Leerian inclina la tête. Continent. C'était la première fois qu'il entendait ce mot.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un continent ? s'étonna Elzor. C'est... eh bien, c'est un rassemblement de pays, en quelque sorte...
— Vous voulez dire qu'il y a plusieurs pays ? Autre que Nyirdall ?
Encore une fois, Elzor en demeura muet. Était-ce possible que le roi de Celeyste fût à ce point idiot ? C'était peut-être pourquoi il était resté caché aussi longtemps.
— Évidemment, dit-il enfin. Tout un tas ! Et ils sont tous différents. Par exemple, en ce moment, nous sommes quelque part au milieu de la mer Maras. Il faudrait aller à l'ouest pour retrouver rapidement Nyirdall. Mais si vous preniez l'est, en quelques jours, vous trouveriez Thrasryall. J'y suis déjà allé plusieurs fois. C'est... un endroit particulier.
Leerian en était émerveillé. Des pays nouveaux, que ses parents ne lui avaient jamais appris. Peut-être l'ignoraient-ils eux aussi. Peut-être était-ce un secret d'État !
Leerian tourna la tête vers ses amis, l'un après l'autre, un large sourire au visage. Tous étaient sérieux, l'air de le prendre pour le dernier des crétins.
— Bon sang, ton innocence me fait mal, Leerian, dit Egrim d'un ton neutre. Je souffre. Je ne suis pas le seul, j'en suis sur ! Qui veut des soins ? Je fais la tournée.
Tous levèrent la main, Leerian en premier. Egrim soupira – lui qui essayait de détourner l'attention de sa personne ! - puis s'approcha de Leerian. Il l'examina rapidement, cherchant les blessures. Il se rappelait la balle dans son épaule, des brûlures et les coupures du dragon. Et pourtant, il ne remarqua pas la moindre égratignure.
— Heum... qu'est-ce que je dois soigner ?
— Mon épaule.
Il pointa la zone, où il n'y avait qu'une peau lisse et parfaite. Egrim, à bout de patience, s'écria aussitôt :
— Bon sang, tu guéris à toute vitesse. Ça n'en vaut même pas la peine ! Et comment c'est possible, au juste ? Oh, et puis, n'essaie pas de me répondre, tu vas encore me mentir en pleine figure. (Il se tourna pour faire face à ses amies, désignant toujours Leerian de sa main ouverte.) C'est lui qui a attiré le kraken sur nous, vous savez ? C'est qu'un mytho.
Danayelle et Mishi dévisagèrent Leerian, toutes deux intriguées. Leerian, lui, se contenta de soupirer. Que pouvait-il répondre à ça... autre que des mensonges ?
— Est-ce que c'est vrai ? demanda Danayelle.
Leerian hocha la tête, les yeux au sol. Le silence perdura alors. Même Elzor était perplexe.
— Je suis désolé, dit simplement Leerian au bout d'un moment.
— Ce n'est pas ta faute, dit Mishi en posant une main sur son épaule.
— Tu n'as pas entendu ce que je viens de dire ? s'emporta Egrim. C'est entièrement sa faute.
— Il n'a pas attiré le monstre parce qu'il le voulait, répliqua Mishi. C'était un accident, et c'est tout ! Et il est parti, maintenant. On peut tourner la page et passer à autre chose ? Soigne-moi, et c'est tout !
Mishi leva le bras, où une longue estafilade parcourait sa peau, du coude jusqu'au poignet. Leerian détourna le regard en grimaçant. C'était lui qui avait fait ça avec son épée, en tentant de trancher ses cordes.
Egrim soupira, s'avouant vécu... pour l'instant. Il s'agenouilla devant la sirène, posa ses deux mains au-dessus de la coupure et murmura : « Shiernelt ». L'habituelle lueur blanche jaillit de ses mains et entoura l'avant-bras de Mishi. Quand il le lâcha une dizaine de secondes plus tard, il n'y restait qu'une peau beige, parcourue d'écailles violettes.
— Oh !
Tous les regards convergèrent vers Elzor. Il eut un petit rire nerveux, se sentant obligé d'expliquer sa réaction.
— Tu es un mage, alors... je croyais que c'était ton don.
— Ouais.
Toujours de mauvaise humeur, Egrim laissa les explications de côté. Il n'avait pas envie de s'éterniser. Au lieu de quoi, il s'approcha de Danayelle. Elle avait encore un bleu sur le front, un autre sur l'épaule, et la lèvre fendue. Il dut lancer la formule trois fois pour tout soigner etil sentit qu'un début d'étourdissement n'était pas loin. Il ne laissa rien paraitreet se tourna à nouveau vers Leerian, qui avait les yeux baissés avec un air coupable.
— Il reste plus que toi. Ce n'est pas parce que j'en ai envie, mais je suis du genre serviable. T'as de la chance.
Leerian esquissa un sourire blasé.
— La balle est toujours dans mon épaule. Et ce n'est pas avec shiernelt que tu vas réussir à la sortir de là.
— Qu'est-ce que je dois faire, alors ?
— Venge-toi.
Egrim inclina la tête, sans comprendre. Leerian soupira.
— Tu vas devoir m'ouvrir.
Un moment de silence plana autour du groupe, alors que tous dévisageaient Leerian et Egrim. Le premier était sérieux ; le deuxième était complètement dégouté.
— T'ouvrir l'épaule ? répéta bêtement Egrim. Comment je dois faire ça ?
— Avec un couteau, pardi. Quelqu'un a un couteau ?
Personne ne se prononça, pas même le semi-elfe. Le canif qu'il portait toujours sur lui était resté dans la mer.
— Prends ton épée, proposa alors Danayelle.
— Non, fit aussitôt Leerian. C'est... trop gros. Il faut un minimum de précision, quand même. Je ne veux pas me faire couper le bras en entier.
Tous réfléchissaient à une option. Egrim était même tenté de ne rien faire du tout ; qu'il vive avec cette balle, et tant pis pour lui. Ce serait ça, sa vengeance. Mais alors qu'ils cherchaient toujours, un bruit les fit tous sursauter. Parmi les hautes herbes, quelque chose bougeait, s'avançait lentement. Mishi sauta sur ses pieds, serrant le manteau noir autour de ses jambes nues. Danayelle prit une position de défense, les poings en avant. Egrim était prêt à se téléporter à l'autre bout de leur ile minuscule. Et Leerian, lui, resta simplement assis, trop fatigué pour s'inquiéter.
L'animal jailli hors de sa cachette. Bien campé sur ses quatre pattes reptiliennes, les ailes déployées pour lui donner l'impression d'être plus grand, il grognait d'un air menaçant. Mishi hurla de surprise et de peur et se précipita derrière Leerian.
— Un dragon ! s'exclama-t-elle d'une voix suraigüe. Oh, bon sang ! Tue-le, Leerian !
Leerian pouffa de rire pour toute réponse.
— Ne t'affole pas ; c'est juste un miniature. Regarde-le, il fait à peine la taille d'un chaticorne. Il n'est pas menaçant pour deux sous.
— Je ne suis pas menaçant ?! s'exclama le dragon en s'avançant vers Leerian.
Il avait une voix masculine, mais plutôt aigüe. Elle avait pourtant une tonalité étrange, qui démontrait clairement qu'il n'était pas humain.
— Si je peux me permettre, intervint Elzor, ses petites bêtes savent être de vraie peste, quand elles le veulent.
Le dragon grogna à nouveau, de la fumée jaillissant de ses naseaux, ce qui ne réussit qu'à faire rire Leerian encore plus fort.
— J'ai eu ma dose de sensation forte. Plus rien ne pourra me faire peur aujourd'hui, lézard. Mais si je vois la moindre étincelle sortir de ta gueule, je te tranche la tête.
Enfin, le dragon sembla se calmer. Il s'assit sur ses pattes arrière, changeant radicalement de ton :
— Oh, je m'excuse ! Je ne carboniserais personne, c'est une promesse ! Ayez pitié de moi, mon maitre et mort et je suis seul au monde !
— Quel mélodramatique, pouffa Egrim. Tu cherche quoi, alors ? Je croyais que les dragons étaient plutôt du genre indépendant.
— Je n'ai jamais été seul... Mormen, mon maitre – paix à son âme – a pris soin de moi alors que j'étais encore dans un œuf ! Oh, bien sûr, il a tué ma mère pour m'avoir... mais où serais-je sans lui ?!
Leerian et Mishi échangèrent un regard perplexe. Décidément, ce petit reptile était tout un phénomène.
— On va me prendre pour une extrémiste, dit soudain Danayelle, mais je viens d'avoir une idée tordue. Il faut encore chercher un moyen pour retirer la balle dans l'épaule de Leerian ? Eh bien, le dragon a des griffes plutôt pointues.
Leerian perdit son sourire en dévisageant Danayelle. Il fit un bête « hein ?! », sans parvenir à dire quelque chose d'un minimum plus intelligent. Egrim, lui, sauta sur l'occasion. Il se téléporta derrière le dragon, si rapidement qu'il n'eut le temps de se sauver. Il l'attrapa, une main autour de son ventre et l'autre sur son long cou de serpent. La créature se mit aussitôt à se débattre, balançant des pattes pour essayer de le griffer, battant désespérément des ailes, mais Egrim teint bon. Il le pointa en direction de Leerian avec un rictus carnassier.
— Lâche-moi, stupide elfe ! Lâche-moi tout de suite !
— Ce n'est pas vraiment un couteau, mais avec ça, c'est sûr que je vais réussir à t'ouvrir l'épaule !
— Lâche-moi !
— Mais calme-toi ; je veux t'utiliser pour blesser le type qui t'a étranglé !
Le dragon s'arrêta aussitôt de gigoter. Ses yeux aux pupilles d'un rouge sanglant se fixèrent sur Leerian. Tous deux se souvenaient parfaitement de la scène ; Leerian était vraiment passé près de lui broyer la gorge.
Tant qu'à permettre à Egrim de se venger... aussi bien laisser le dragon également.
— OK, dit-il d'un ton détaché. Vas-y, alors.
Il allongea le bras et pencha la tête de côté. Egrim s'avança, se plantant tout juste devant lui.
— Non ! s'exclama Mishi. C'est bien trop dangereux ! On peut attendre de trouver un autre moyen pour retirer cette balle...
— Ça va, Mishi. J'ai vraiment été idiot, sur ce coup, je mérite bien de souffrir un peu...
— Tu t'es noyé, bon sang ! Comment veux-tu souffrir plus que ça ?!
Le dragon allongeait déjà ses pattes vers Leerian, ses griffes de trois centimètres toutes dehors. Il avait hâte de les plonger dans la chaire de l'elfe.
— Je suis du côté de Mishi, dit Danayelle. Même si c'était mon idée, au départ. C'est complètement idiot.
— Merci ! Soutiens-moi !
— Bon, alors, je le fais ou pas ? s'impatienta Egrim.
— Oui, vas-y ! fit Leerian.
— Non, ne le fais pas ! s'énerva Mishi.
Egrim haussa innocemment les épaules. S'il ne pouvait plaire à tout le monde, aussi bien faire ce qu'il avait envie de faire. Il relâcha le dragon, qui sauta aussitôt sur Leerian. Son poids le fit tomber par en arrière, et la bête planta ses griffes sans ménagement dans la peau de Leerian. Il grogna de douleur, mais ne chercha pas à se débattre. Mishi, Danayelle, Egrim et Elzor observaient la scène morbide avec horreur, alors que le reptile le charcutait. Il creusait dans sa chaire aussi surement qu'une taupe ferait un trou dans le sol. Le sang coulait à flots, et rapidement, Leerian sentit son esprit s'envoler. Ça faisait si mal qu'il n'arrivait plus à comprendre ce qui se passait vraiment.
C'est presque autant douloureux que de se transformer en loup-garou...
— Oh, par les djinns, fit Danayelle, les mains plaquées sur sa bouche pour s'empêcher de vomir.
— Fais quelque chose, Egrim, dit Mishi d'une voix pâle. Il va le tuer.
— Ça va, je ne suis pas mort, marmonna Leerian.
Enfin, le dragon s'arrêta de gratter. Il se redressa sur ses deux pattes de derrière, debout sur le ventre de Leerian, et fit un sourire fier pour Egrim.
— Elle est juste là, votre balle. Je la vois.
Egrim s'avança à son tour, le poing pressé sur ses lèvres. C'était dégueulasse. Une mare de sang s'était écoulée de la blessure. On aurait dit qu'une grenade avait explosé à l'intérieur de l'épaule de Leerian tant elle était charcutée. Lui était étendu au sol, les yeux dans le vide et le souffle court. Il avait perdu tellement d'hémoglobine qu'il était sur le point de tomber dans l'inconscience.
Et au centre de tout ça, quelque chose de rond et dur était bien planté dans sa chaire. Egrim s'agenouilla, prit une grande inspiration, puis y plongea les doigts. La sensation mouillée et molle de ses muscles en charpie lui fit monter la bile dans la gorge, et il ferma étroitement les paupières et serra les lèvres. Sous les yeux écarquillés de Mishi, elle vit la peau du téléporteur passer de pâle à un blanc fantomatique.
Et enfin, il retira sa main, rouge de sang. Une balle de fer bien ronde et gluante roula dans sa paume.
— Soigne-le, maintenant. Il est en train de tomber dans les pommes !
— Ouais, euh... moi aussi, hein...
Il balança la bille derrière lui et le dragon s'élança aussitôt dans cette direction, comme un chien cherchant la balle. Puis il posa la main au-dessus du trou béant qu'était l'épaule gauche de Leerian et lança la formule. C'était la première fois qu'il soignait autre chose que des égratignures ou des bleus ; cette fois, c'était un vrai travail de précision. Pire encore qu'un os fêlé. La magie agissait d'elle-même, mais elle puisait énormément dans les réserves d'énergie d'Egrim. Par le temps que la plaie se soit totalement refermée, Egrim en avait sérieusement la tête qui tournait. Il retourna dans son coin, s'appuyant à un arbre en soupirant. Leerian était toujours couvert de sang, mais au moins, il n'avait plus de blessure.
— Vous êtes des malades, fit Elzor, à la fois impressionné et dégouté.
Leerian se redressa en position assise. Son côté gauche était complètement rouge. Mishi fut tenté de lui balancer une claque, mais jugea qu'il en avait déjà assez bavé pour aujourd'hui.
— Merci, Egrim...
Celui-ci lui renvoya une grimace. Il en avait marre de lui ; il était vraiment temps qu'il retourne à Stanmore. Sauf, évidemment, qu'ils étaient coincés sur une ile déserte.
— Ouais, c'est ça, grommela-t-il en regardant ailleurs. Comment on part d'ici, maintenant ?
Seul le silence lui répondit. Il risqua un coup d'œil vert Leerian, puis Mishi, Danayelle, et même Elzor. Personne n'avait la moindre idée de ce qu'il convenait de faire.
Le dragon revint, sautillant joyeusement sur ses pattes et les ailes grandement déployées, la balle pleine de sang entre ses crocs.
— Eh, le dragon ! s'exclama Danayelle. Tu pourrais aller haut dans le ciel et chercher des bateaux !
— J'ai un nom, petite blonde, gronda-t-il d'un ton faussement menaçant. C'est Jean !
Mishi explosa instantanément de rire. Elle plaqua ses mains sur sa bouche, sa peau virant au rouge. Jean le dragon plissa des yeux en tournant la tête vers elle.
— Quoi ? C'est très exotique, comme prénom. Il inspire la peur !
— Oh, oui, je suis terrorisé, fit Mishi avec sarcasme.
— Alors, Jean, est-ce que tu pourrais faire ça pour nous ? continua Danayelle.
Jean grogna, exhalant une fumée noirâtre de sa gueule. Pourquoi les aiderait-il ? Il n'avait absolument aucun intérêt à le faire. Ou bien... peut-être en avait-il un. Il tourna la tête vers Egrim qui, comme tous les autres, l'observait en silence, attendant son verdict. Il semblait fatigué par la magie qu'il avait déployée en soignant Leerian. Mais justement ; ce petit gars avait de la magie. En s'alliant avec lui, il serait en sécurité. Et il pourrait avoir tout ce qu'il voudrait. Jamais plus il ne connaitrait la faim ! Jamais plus il n'aurait à se nourrir des rats, cachés dans la cale d'un navire de pirate !
Et si tout ce qu'il devait faire pour le conquérir, c'était de chercher un bateau... c'était gagné d'avance.
— Oh, d'accord ! dit-il modestement. Je m'y mets tout de suite !
Jean déploya les ailes et s'élança vers le ciel, disparaissant rapidement de leur vue.
— Tu parles d'un dragon serviable, dit Egrim. Qui l'eût cru.
— Il a une idée derrière la tête, dit Leerian. Les dragons en ont toujours une. Ils sont vicieux.
— Oh, tu sais... tant qu'il n'est pas du genre mythomane.
Egrim et Leerian s'échangèrent un long regard. Derrière leur dos, Mishi et Danayelle les observaient, se demandant toutes les deux pourquoi il semblait y avoir un sous-entendu.
— Bon, il se fait tard, hein ! dit Danayelle. On devrait peut-être aller dormir ?
— Tard ? répéta Mishi. Même avec ses gros nuages gris, il fait encore clair.
— Ouais, mais la journée a été longue et j'ai hâte qu'elle se termine. Moi, je vais me coucher, en espérant ne pas faire trop de cauchemars. Je m'approprie le côté est de l'ile, c'est chez moi et ne venez pas me déranger !
Danayelle hocha la tête pour elle-même, balança ses cheveux au-dessus de son épaule et quitta le groupe, disparaissant derrière les quelques arbres.
— Elle est consciente qu'elle va vers le nord ? demanda Elzor d'un ton timide.
— L'orientation n'a jamais été son point fort, dit Egrim. En tout cas, j'aime son idée. Je vais me coucher, moi aussi. Vers l'est. Le vrai. Bonne nuit, Mishi. Bonne nuit, Elzor...
Egrim partit à son tour. Leerian plissa les yeux en l'observant s'éloigner. Il prenait personnel le fait qu'il ne lui avait pas souhaité bonne nuit comme les autres.
— Je suppose que je vais suivre la tendance et m'approprier un coin de l'ile pour m'y reposer, dit Elzor. Dison... le sud. Ouais. Si vous me cherchez, je serais au sud. Aurevoir, Mishi. Mon roi...
Leerian grimaça en grommelant un « bonne nuit ». Il les quitta à son tour, ne laissant plus que Leerian et Mishi.
Leerian et Mishi, seuls. Tous deux s'échangèrent un regard.
Ils en avaient long à se dire.
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