Chapitre 4 (1/2)

Leerian et Mishi passèrent le reste de la journée ensemble. Leerian avait surmonté sa peur pour le père de Mishi, et avait enfin admis qu'il était très gentil.

Leerian repartit chez lui dans la soirée ; s'il lui avait fallu cinq heures pour faire l'aller en trainant les pieds, il n'eut besoin que d'une demi-heure pour faire le retour en courant, avec la ferme intention d'y revenir le lendemain.

Au cours de la semaine, l'amitié entre Leerian et Mishi avait considérablement grandi, et tous deux flottaient sur un nuage de bonheur.

Danayelle, en revanche, à une centaine de kilomètres, avait passé la même semaine à redoubler d'ardeur à contrôler sa télékinésie, le moral dans les chaussettes. Elle s'efforçait de prouver autant à elle-même qu'à tous les autres qu'elle n'était pas un danger public.

En cours, elle n'arrivait à rien. Quand elle ne faisait que flâner dans les couloirs, certains objets explosaient sans crier gare. Le lundi, elle faillit crever l'œil à un jeune elfe avec un bout de verre. Le mardi, elle déchiqueta le livre qu'elle était paisiblement en train de lire. Le mercredi, elle décapita la tête d'un poisson, dans l'étang de la cour de l'Institut, en essayant de le nourrir. Le jeudi, en désespoir, elle se tint éloignée de toute forme de vie, enfermée dans sa chambre au dernier étage de l'édifice, enfoncée sous ses couvertures... jusqu'à ce que les quatre pattes du lit craquèrent et lâchèrent, toutes en même temps.

Danayelle n'avait même pas réagi. Elle savait que c'était encore sa faute.

Le vendredi matin, après avoir passé plus de vingt-quatre heures sous les draps, elle sécha à nouveau les cours. Elle y était depuis cinq fois plus longtemps que tout le monde, de toute façon ; les professeurs n'avaient plus rien à lui apprendre... ou à essayer de lui apprendre.

Les corridors étaient déserts quand elle sortit enfin de son lit, des baskets aux pieds et vêtue d'un jean et teeshirt qui lui aurait valu des regards de travers de la part les autres elfes. Elle avait besoin de réfléchir à la dernière option qu'il lui restait ; aller à Yglas... seule et à pied. C'était surtout cette partie qui la répugnait.

D'un pas léger, Danayelle traversa le couloir du cinquième étage de l'Institut, celui qui servait de dortoir pour les quelques étudiants, et trouva les escaliers pour les descendre jusqu'au rez-de-chaussée. Là, ce n'était qu'une vaste entrée, tout en bois sombre et en petites statues. Ça démontrait bien la prestance et l'importance de l'établissement, pourtant Danayelle y accorda à peine un regard alors qu'elle courait vers la sortie. Elle se doutait que, si elle s'y attardait, l'une de ses têtes de marbre allait probablement exploser.

Une fois dehors, elle se permit enfin de respirer. La rosée du matin mouillait la semelle de ses chaussures. Les oiseaux chantaient au loin. C'était un endroit magnifique et paisible... c'était dommage qu'il soit, pour elle, la source de tant de mauvais souvenirs.

Danayelle enfonça ses mains dans ses poches et marcha jusqu'au chenil, une simple cabane en bois tout au fond de la cour. À l'intérieur, il n'y avait pas des chiens, mais plutôt des grimbles. C'étaient de petites bêtes ressemblant vaguement à des écureuils volants ; légèrement plus grosses, elles étaient d'une couleur caramel avec deux lignes d'un brun plus foncé sur le dos, et avaient aussi une queue excessivement longue pour la taille de leur corps, faisant près de cinquante centimètres de long. C'étaient des animaux très affectueux, et en plus, ils savaient parler. Ou plutôt, répéter quelques mots.

Enfin arrivé devant la porte, Danayelle fut surprise de se rendre compte que celle-ci était déjà entrebâillée. Bien sûr, les grimbles n'étaient en aucun point enfermé, mais ils avaient leur propre moyen de sortie, une petite ouverture sur le toit pour empêcher les nuisibles d'entrer.

— Il y a quelqu'un ? fit Danayelle en passant lentement la tête dans le chenil.

Les grimbles répondirent à sa question en lançant des petits grognements, plus mignons que menaçants. En s'avançant dans la cabane, elle les aperçut sautiller et planer entre les poutres qui étaient installées n'importe comment, créant un espace de jeux parfait pour les animaux. Parmi eux, au centre de la pièce, un elfe versait de la nourriture dans une grande gamelle. C'était un jeune étudiant aux cheveux aussi blancs que la neige fraiche. C'était un nouveau ; il était ici que depuis deux semaines seulement. Il ne devait pas avoir plus de douze ou treize ans.

— Il y a moi, répondit celui-ci en terminant de vider le sac et se levant pour faire face à Danayelle.

Son sourire poli s'évanouit quand il la reconnut.

— Oh, non, c'est la cinglée, fit-il à mi-voix.

Danayelle serra les poings, mais s'efforça de rester calme. Ne surtout pas laisser ses émotions prendre le dessus, ou le toit de la cabane allait leur tomber sur la tête.

Elle l'ignora et, la tête haute, s'avança vers un grimble. Elle tendit la main et l'animal grimpa aussitôt sur son épaule en ronronnant comme un chat.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? continua l'elfe aux cheveux blancs. T'es venu chercher de l'affection chez les seuls êtres qui sont assez idiots pour t'en donner ?

— Et toi ? répliqua Danayelle. Tu veux te faire torturer ? Tu m'en donnes envie.

— Envie ou pas, ça va probablement t'échapper, comme d'habitude.

Danayelle lui lança un regard noir et l'autre recula d'un pas, déglutissant. Il reprit le sac de nourriture vide et l'enroula autour de son poing.

— Désolé, en fait. C'est vrai que la télékinésie est le don le plus difficile à contrôler, à ce qu'il parait. Ma mère fait de la télékinésie, et quand elle s'énerve contre toi, oh, je te jure... tu finis ta salade et t'arrêtes de chialer.

Danayelle pouffa de rire, flattant le grimble qui ronronnait comme un tracteur sous ses gratouilles. Sa longue queue s'était enroulée autour de son cou et ses pattes griffues s'agrippaient à son teeshirt.

— Tu as quoi comme don, alors ?

— Téléportation, dit-il fièrement. Enfin ; un jour, j'y arriverai. Pour l'instant, le mieux que je peux faire, c'est de me déplacer à un mètre. C'est pas grand-chose...

— Tu pourrais t'échapper de cet endroit facilement ?

L'elfe haussa les sourcils sous l'étrangeté de la question.

— M'échapper ? Mais je suis pas prisonnier, dit-il en pouffant de rire. Je suis ici pour apprendre à maitriser mon don. Aussitôt fait, je retourne chez moi !

Parle pour toi, pensa tristement Danayelle. Contrairement à lui, elle n'était pas sur la veille de revoir sa famille.

L'autre sembla comprendre ce qui traversait l'esprit de Danayelle. Tout le monde à l'Institut connaissait son histoire ; elle était comme une légende vivante. L'elfe le plus pathétique du pays. Il y avait même des paris entre les étudiants, gageant sur le moment où Danayelle réussira enfin à maitriser son don. La majorité était convaincue que ce n'était simplement jamais.

— Toi, tu veux t'enfuir ?

Danayelle ne répondit pas, mais son silence était tout autant révélateur.

— Et tu irais où, au juste ? Pas à Stanmore, j'espère.

— À Yglas.

— Pourquoi Yglas ?

— Et pourquoi tu poses autant de questions, d'abord ? T'as l'intention de m'aider ? En plus, je ne sais même pas comment tu t'appelles.

— Tu ne sais pas ? s'étonna-t-il. Je suis outré !

— Oh, toutes mes excuses, Outré.

— Je m'appelle Egrim.

— Trop tard. Tu es Outré, maintenant.

Egrim plissa les yeux. Pourquoi perdait-il son temps à parler avec cette barjo ? Il avait été désigné pour nourrir les grimbles, c'était la seule raison de sa présence ici. S'il trainait, le professeur allait le questionner. Et il préférait en poser que d'y répondre.

— Peu importe ! dit Egrim en tournant les talons. Oublie-moi. Je vais encore être de corvée si je tarde à revenir en cours.

— Et si je te dis que c'est le professeur Muglow qui m'a conseillé de partir ?

Egrim se retourna à nouveau pour faire face à Danayelle. Elle était sérieuse, même presque en colère. En réalité, Danayelle usait de toute sa force mentale pour rester calme. C'était la première fois qu'elle parlait de sa petite conversation avec le professeur, et la situation lui semblait bien plus réelle maintenant. Surtout, elle lui semblait désespérée.

— Je dois quitter l'Institut. Des gens vont venir me chercher pour m'enfermer à Werisor si je ne parviens pas à maitriser mon don... Je ne sais pas quand ils seront là, mais c'est bientôt. Le professeur m'a dit qu'à Yglas, il y a une pierre magique très rare qui pourra m'aider.

Egrim demeura muet, étonné de la confidence. Il avait complètement oublié qu'il devait retourner en cours. Pour la première fois, il se rendait compte que Danayelle la barjo était aussi humaine qu'eux tous.

— Pourquoi tu me racontes tout ça ?

Danayelle baissa les yeux vers le grimble. Il était si agrippé à elle qu'on aurait dit une grosse sangsue poilue et ronronnante.

— Je n'en sais rien. Je suis désolée... Depuis que je suis ici, j'ai rarement eu l'occasion de parler avec... quelqu'un qui est gentil avec moi.

Encore une fois, Egrim n'ajouta rien. Il réfléchissait. Est-ce que c'était vrai que Danayelle risquait de se faire enfermer rien que parce qu'elle ne maitrisait pas son don ? Oui, c'était parfaitement possible. La télékinésie peut être dangereuse ; lui-même avait été témoin des quelques pertes de contrôle de Danayelle. À son premier jour à l'Institut, à l'heure du diner, elle avait cassé la table sur laquelle elle était assise et s'était retrouvée sur le cul devant tous les autres étudiants. Egrim avait ri comme tout le monde, mais dans le fond, il s'était senti mal pour elle.

— Apprendre par toi-même est impossible, alors ?

— Ça fait un an que je suis ici, Outré. Un an.

— T'as pas à m'appeler Outré, fit Egrim en plissant les yeux.

— J'arrête si tu acceptes de m'aider.

Egrim pouffa, faussement impressionné par ses menaces. Danayelle le regardait avec intensité, espérant qu'il dise oui. Si au début elle n'était pas encore tout à fait convaincue de la décision à prendre, elle savait maintenant qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Et même si elle avait peut-être pu grimper la muraille qui entourait l'Institut – avec beaucoup d'effort et une agilité qu'elle n'avait pas – elle souhaitait avoir l'aide d'Egrim. Simplement parce qu'elle voulait recevoir de l'aide, rien qu'une fois... Comme un ami l'aurait fait.

— Je te laisse y réfléchir, Outré. Ma chambre est au cinquième, c'est la numéro sept. Viens dès la nuit tombée. Si non... je saurais que je devrais me débrouiller seule.

— J'y penserais, alors.

En réalité, il avait déjà envie de dire oui. La meuf venait bien de l'inviter dans sa chambre à la nuit tombée, c'était difficile de refuser. Reste mystérieux, elle aime peut-être les bad boys !

— Et te fais pas d'idée, surtout. Je veux juste faire un aller-retour à Yglas.

— Oui, bien sûr, dit Egrim en levant ses yeux gris pâle au plafond.

Sur ce, il fit un sourire et quitta le chenil, laissant Danayelle en plan. Celle-ci, tout en flattant le grimble qui avait enfoncé son petit visage dans son cou, réfléchissait à ce qui venait de lui arriver. Il a été gentil avec moi. Enfin un mec qui ne se prend pas pour un bad boy !

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Puisque ce chapitre est très long, je l'ai coupé en deux. Vous aurez la suite demain 😉

(Egrim en photo)

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