Chapitre 38 (1/2)
Au-dessus d'une vingtaine de matelots s'activaient sur le bateau. Le capitaine était à la barre. Alors que certains fermaient les voiles qui battaient sous la pluie, d'autres plaçaient des sceaux un peu partout pour la récolter. Quelques-uns, armés d'un filet, tentaient de pêcher un repas. D'autres aiguisaient la lame de leur coutelas en se partageant une grosse pierre. Et un autre, portant une tuque noire et gardant les yeux au sol en toute circonstance, passait la serpillière, repoussant l'eau par le bord du navire.
À la ridelle d'un mètre de haut qui contournait le pont du trois-mâts, deux elfes étaient attachés en position assise, étroitement saucissonnés. Les cordes les traversaient entièrement, s'enroulant autour de leur cheville pour monter le long de leur corps jusqu'au cou, les mains plaquées contre leurs cuisses sans la moindre possibilité de mouvement. L'un était conscient, mais ses yeux étaient bandés. Le même tissu passait au-dessus de ses longues oreilles, qui les collaient contre son crâne.
Egrim ne voyait rien, et il n'entendait pas bien. Ses deux sens qui faisaient la réputation des elfes, tellement supérieurs à ceux des autres races humaines, étaient réduits à néant. Il percevait tout de même le roulis des vagues, le bateau semblant tanguer continuellement de tous les côtés. Ça lui procurait une sensation dérangeante jusque dans les tripes, comme si son corps n'arrivait pas à se décider s'il devait être malade ou non.
— Danayelle ? murmura-t-il du bout des lèvres. Leerian ? Mishi ?
Personne ne lui répondit. Pour ce qu'il en savait, il était seul au milieu d'une bande de pirates. Il s'efforçait de garder son calme et de rester raisonnable ; s'ils voulaient récupérer la rançon sur sa tête, ils ne le tueraient pas ! C'était logique ! Pourtant, il revoyait Leerian en sang et gémissant de douleur. S'ils avaient osé blesser aussi gravement celui qui valait quatre-cents pièces d'or, qu'en avait-il à faire de celui qui n'en valait que trente ?
— Danayelle, réponds-moi...
Son bandeau, bien serré devant ses yeux, était ce qui empêchait ses larmes de déborder, et ses cordes de trembler. Il ne s'était jamais senti à ce point démuni et seul. Il n'avait aucun moyen de savoir qu'en réalité, Leerian était attaché tout près de lui, à moins d'un mètre et inconscient. Sa plaie s'était à peine refermée sur son épaule, mais la balle toujours logée à l'intérieur faisait obstacle à sa pleine guérison.
L'homme à la serpillère s'approchait progressivement d'eux après chaque mouvement de son instrument contre le sol de bois. Mine de rien, il envoya un coup solide contre le pied nu de Leerian, et continua son chemin sans s'arrêter dans son travail. Leerian sursauta, cliquant bêtement des yeux à plusieurs reprises, chassant la pluie de ses cils. Un hoquet d'horreur lui échappa alors qu'il assimilait peu à peu son nouvel environnement ; il n'y comprenait rien. Il n'avait jamais vu un bateau de l'intérieur, et cette sensation de vagues, écœurantes, lui était inconnue. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il était entouré d'hommes, qu'il était ficelé comme une grosse saucisse, et qu'une douleur atroce lui transperçait l'épaule.
Des bruits de pleurs et de gémissement le poussèrent à tourner la tête à gauche, autant qu'il en était capable tant il était solidement attaché. Il remarqua alors Egrim, semblant misérable et recouvert de cordes. Par le large bandeau qui lui cachait la partie supérieure de son visage, il n'apercevait que le bout de son nez et ses lèvres tremblantes.
— Egrim ?
Celui-ci sursauta en entendant sa voix. Il tenta de se pencher vers lui, sans parvenir à bouger d'un seul centimètre.
— Leerian ? C'est toi ?
— Oui, c'est moi, dit-il dans un chuchotement.
— Où est-ce qu'on est ? Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que Danayelle et Mishi sont là aussi ?
Leerian réfléchissait à toutes ses questions pendant que son regard se promenait à nouveau en direction des pirates qui s'activaient sur le pont. Il avait de plus en plus conscience de son environnement, la peur prenant le dessus sur la douleur. Aucun n'avait remarqué qu'il s'était réveillé, mais il savait que ça n'allait pas durer. Il suffisait qu'un seul risque un coup d'œil dans sa direction. Il voulut alors baisser la tête et faire semblant de dormir pour repousser la torture qui allait probablement suivre, mais au même moment, il vit quelque chose qui lui coupa le souffle.
Il avait trouvé Danayelle. Elle était solidement attachée à l'un des mâts, juste devant eux, suspendue à plusieurs centimètres du sol et les pieds dans le vide. Ce qui acheva de lui lever le cœur, ce fut de constater que les pirates avaient retiré son haut, ne laissant que son soutien-gorge. Une petite troupe était autour de son corps inconscient.
Leerian détourna le regard, serrant les dents pour s'empêcher de vomir. Il était bien content qu'Egrim avait les yeux bandés ; il préférait ne pas s'imaginer ce qu'il ferait s'il savait ce qui était en train de se passer.
— Nous sommes sur un bateau, dit-il enfin. Ils veulent la rançon sur nos têtes. Ils... ils ne nous feront aucun mal.
— Ouais, mais ils t'ont tiré dessus. Et Mishi ? Il n'y avait pas de prix, pour elle. Est-ce qu'elle est là ?
Leerian sentit la panique monter pour de bon en réalisant qu'il ne la voyait nulle part. Et s'ils l'avaient déjà tué ? Il était bien connu que les pirates détestaient les sirènes !
Egrim regretta sa question en remarquant que Leerian ne répondait plus. Il n'avait réussi qu'à l'angoisser plus que de raison.
— Mais tu vois Danayelle, n'est-ce pas ?
— Oui, fit Leerian dans un filet de voix. Elle... Elle est là.
— Est-ce qu'elle va bien ?
Si elle était éveillée, elle se rendrait alors compte qu'elle est en train de vivre un horrible cauchemar.
— Elle est inconsciente. Mais... ouais. Elle va bien.
— Génial. Quand elle se réveillera, elle pourra faire péter le bateau. Nous n'aurons qu'à nager jusqu'à la rive. S'ils avaient l'intention de se rendre à Stanmore, ils seront restés assez près de la côte.
Leerian préféra ne pas mentionner que, aussitôt qu'elle reprendra connaissance, un pirate s'occupera probablement de la remettre K.O. aussi vite. Et il était inutile de dire que son séjour dans l'eau avec Mishi, quelques jours plus tôt, l'avait traumatisé, et l'idée de parcourir une telle distance lui refilait des sueurs froides. Encore plus qu'il était tout simplement incapable de nager. Que pouvaient-ils faire alors ? Il était impossible de s'échapper du bateau ; détruire les cordes en libérant sa force de loup-garou ne le mènerait à rien. Il avait déjà tué toute une bande de trolls ainsi, et il avait envie de tout, sauf recommencer. Et de toute façon, réussirait-il vraiment à faire quelque chose de bon ? Il était revenu au même problème qu'hier au soir ; c'était la nouvelle lune. Il le ressentait jusque dans son cœur, qui battait anormalement vite par la peur. Il ne parviendrait pas à se transformer et son esprit demeurerait le sien. Il ne serait pas envahi par ses envies de meurtre qui le pousserait à commettre le pire. Il serait toujours Leerian, le petit elfe angoissé et traumatisé à la vue du sang.
— Ouais, peut-être, dit-il à la place de tout le reste.
Leerian baissa la tête, préférant terminer là leur conversation. Sans le regarder, Egrim comprit ses intentions par le ton de sa voix ; même s'il aimait parler, parfois un peu trop, il savait quand les gens voulaient être au calme. Et étant donné de leur situation, il l'accorda à Leerian. Lui, autant qu'il souffrît toujours par la balle solidement logée dans son épaule, il angoissait totalement. Il avait beau regarder dans toutes les directions, il ne voyait Mishi nulle part. Il n'y avait que des pirates. La plupart étaient des hommes, mais deux ou trois parmi eux étaient des nains. L'un tourna la tête vers Leerian en passant devant lui ; il s'était rasé la barbe et le crâne, un look plutôt original venant de cette race. Il fit un sourire carnassier à Leerian, comme s'il avait l'intention de le manger au petit déjeuner. Celui-ci baissa les yeux, intimidé malgré lui. Les nains, autant que les hommes, n'étaient pas amis avec les elfes. D'aussi loin que ses connaissances en histoires pouvaient remonter, ses deux races avaient toujours été dans un genre de guerre froide. Ils ne s'étaient jamais entre-tués ni rien de ce genre, mais ils s'étaient encore moins aidés. C'était tout simplement dans leur nature ; ils étaient trop différents. Les elfes aimaient les terrains plats, alors que les nains aimaient les montagnes ou les souterrains. Les elfes aimaient le jour, la chaleur de l'été ; les nains étaient souvent nocturnes, ils avaient même une vision parfaite dans l'obscurité. Et la liste pouvait continuer ainsi longtemps.
— Tiens, ils sont réveillés, les elfes !
Leerian leva à nouveau les yeux. Le nain était toujours là, mais il était maintenant accompagné de quelques hommes. Celui qui avait parlé, à la tête de la petite troupe, avait des cheveux noirs et une barbe assortie. Des muscles énormes jaillissaient de ses bras, malgré son ventre qui semblait large et flasque. Contrairement aux autres matelots, tous habillés modestement de teeshirts et pantalons, pour la plupart déchirés à quelques endroits, celui-ci portait une veste de couleur marine, et des boutons d'or brillaient à ses manches. C'était le capitaine. Et surtout, c'était lui qui, la veille, leur avait ouvert la porte de l'auberge.
Il était cliché de dire qu'il aurait pu avoir un perroquet sur l'épaule, jacassant des insultes du genre « marin d'eau douce ! » ou « rat de cale ! ». Celui-ci, il fallait admettre que, au moins, il avait essayé. Il n'avait pas d'oiseau comme fidèle compagnon, mais bien un dragon miniature, son long corps de serpent enroulé autour de son cou et ses pattes griffues bien plantés sur son manteau. Il devait faire à peine une trentaine de centimètres, ses écailles rouges et lisses luisaient sous la pluie. Il ouvrit la gueule en un rictus démoniaque, sa langue de reptile entrant et sortant rapidement entre ses dents pointues.
— Nous avons quelques présentations à faire, l'ami, dit le capitaine avec un sourire qui refila la chaire poule à Leerian. Je m'appelle Mormen, et toi et tes compagnons êtes sur mon bateau. Ceux que tu vois derrière moi, et ailleurs sur le pont, ce sont mes matelots. Tu reconnaitras Muel, c'est lui qui t'a tiré dessus ce matin, haha ! C'est mon second, d'ailleurs.
Leerian décrocha son regard du dragon pour le porter à l'homme roux, aux côtés de Mormen. Celui-ci ricanait en imitant des fusils avec ses doigts.
— Qu'est-ce que vous avez fait de Mishi ?
— Qui ?... Ah, tu veux parler de la sirène ? On l'a remise à sa place !
Tous les matelots éclatèrent aussitôt de rire, comme si c'était la meilleure blague du monde. Leerian du prendre sur lui pour garder son sang-froid.
À ses côtés, Egrim suivait la conversation. Un frisson d'horreur le parcourut ; il avait déjà lu des histoires de pirates, par le passé, et une de leur croyance, particulièrement odieuse, impliquait les sirènes, et... de les mettre « à leur place ».
— Le mât de beaupré.
Tous les regards se tournèrent vers Egrim. Lui, inconscient de l'attention qui était rivé sur lui, déglutit difficilement, s'efforçant sans grand succès de calmer la panique qui montait.
— Vous l'avez attaché sur le mat, à l'avant du bateau. Et vous avez l'intention de la laisser là jusqu'à ce qu'elle meure de faim.
Leerian faillit défaillir en entendant ses mots. Mais les pirates, encore une fois, se contentèrent de rire.
— C'est exact ! dit Mormen. Ça porte bonheur. Ça éloigne les autres sirènes, vous comprenez ? Oh, il est évident que votre amie est de la race des domestiques, mais physiquement, il n'y a pratiquement aucune différence avec les sauvages et celles qui la verront sauront qu'il ne faut pas nous approcher. Les sauvages, ce sont des monstres. Et je suis sûr que vous n'en avez jamais rencontré, vous deux. Je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi.
— Détachez-là ! s'exclama Leerian.
— Ce n'est pas dans mes intentions. Comme le petit à dit ; elle mourra de faim avant qu'on la décroche.
Leerian sentait ses yeux s'humidifier à la panique qui montait. Il ne ressentait plus la balle dans son épaule ni les cordes trop serrées sur son corps ; il ne pensait plus qu'à Mishi. Si la lune avait été de son côté, il se serait transformé sur le champ et tuer tous ses stupides marins jusqu'au dernier pour sauver sa sirène. Mais il avait beau se débattre contre ses liens, il n'arrivait à rien, sauf à faire rire les pirates encore plus fort.
— D'abord, nous ne détacherons pas votre amie, continua le capitaine. Elle demeurera sur le mât, alors que vous deux et la jolie blonde, vous irez à Stanmore. Nous voulons simplement la rançon, et nous ne vous ferrons pas plus mal que de raison... ou du moins, vous aurez toujours vos deux bras et deux jambes quand vous quitterez mon bateau.
Le roux pouffa à nouveau d'un rire haut perché. Celui-ci s'avança d'un pas et se pencha légèrement vers les elfes, assis au sol.
— Pour la blonde, on a bien l'intention de s'amuser un peu avec elle avant !
D'autres pirates éclatèrent de rire à ses mots. Egrim, pour sa part, se mit à gigoter à son tour en grognant et lâchant des commentaires obscènes contre ses ravisseurs. Il venait seulement de comprendre quel était le sort de Danayelle.
— Ne t'inquiète pas, le petit ; on t'en laissera un bout !
— Je vous souhaite de vous faire dévorer par le kraken, bande de barbares !
Egrim cracha sur les pieds du capitaine. Les rires s'arrêtèrent enfin, tous étonnés de son culot. Mormen s'avança pour se mettre devant Egrim et essuya la pointe de sa botte souillée contre la jambe de l'elfe.
— Mais tu sais que ça n'arrivera pas. Tout ce monologue que je vous ai fait, ça éloigne la bête.
Il pouffa à nouveau, puis donna un puissant coup de pied contre Egrim qui gémit de douleur. Enfin, les matelots retournèrent à leur tâche. Egrim et Leerian demeurèrent dans le silence un long moment, tous deux choqués de ce qu'ils venaient d'apprendre. Mishi allait mourir de faim et Danayelle allait se faire violer par des pirates. Et eux, ils étaient solidement saucissonnés, incapables de remuer le petit doigt. Leerian s'en fichait de se retrouver à Stanmore ; tout ce qui le préoccupait, c'étaient les filles. Il fallait faire quelque chose... mais quoi ?
Le cerveau complètement en bouillit, Leerian n'arrivait pas à se faire de plan d'action. Il n'y avait que les questions les plus inutiles qui lui traversaient l'esprit, comme si son subconscient, ne pouvant en prendre plus, essayait de le faire détourner de ce qui était réellement important.
— C'est quoi, un kraken ? demanda-t-il d'une voix morne.
Egrim renifla. Malgré lui, il avait été incapable de s'empêcher de pleurer.
— C'est un monstre... qui ressemble un peu à un croisement entre une grosse pieuvre et un calamar géant. Il a été créé par des djinns, il y a de nombreuses années, dans le but de mettre un frein à la piraterie... comme tu peux le constater, ça n'a pas marché... le truc, tu vois, c'est que les pirates sont tous des menteurs, des voleurs, des tueurs... des violeurs. (Sa voix monta dans les aigües aux derniers mots.) C'est ce genre de personne qui attire le monstre. Mais il ne viendra pas. Il faut commettre tous ses crimes sur le bateau... Tuer Mishi n'aura pas d'importance ; les sirènes – sauvages – sont une calamité. Danayelle... ils s'amuseront quand ils seront sur terre, probablement. Ils ne sont pas des menteurs non plus, puisqu'ils nous ont dit tout ce qu'ils vont faire. Et des voleurs... est-ce qu'ils ont pris ton épée ?
Leerian réalisa soudain qu'il avait raison ; son arme était encore attachée contre sa hanche. Mais ses mains solidement collées à ses cuisses, il lui était impossible d'atteindre le manche. Même sa bague d'émeraude était à son doigt.
— Ouais, elle est toujours là.
— Il y a au moins ça de bon, dit Egrim dont la voix perçait à la fois l'espoir et la désolation. On ne se fera pas dévorer par un monstre légendaire aujourd'hui.
Leerian leva les yeux vers le capitaine qui s'éloignait. Son dragon miniature était perché sur ses épaules, comme un petit reptile rouge et ailé, et il le fixait d'un regard carnassier, comme s'il rêvait de le manger.
— Tu n'aurais pas une botte secrète ? demanda soudain Egrim. Comme quand tu avais gagné seul contre une quarantaine de trolls ? Allez ; ce ne sont qu'une trentaine d'hommes... c'est beaucoup plus facile.
Comment expliquer ? Leerian pinça les lèvres en levant les yeux vers le ciel nuageux. « Désolé, la lune n'est pas assez grosse » ? Encore une fois, il n'avait pas le choix de mentir, même d'inventer complètement une histoire sur le tas.
— C'est impossible, commença-t-il d'une voix hésitante. Parce que... En fait, je n'étais pas seul contre les trolls... quelqu'un m'avait aidé, mais il m'avait fait promettre de ne rien dire à propos de lui. Il veut garder l'anonymat.
Si Egrim n'avait pas eu ce bandeau devant les yeux, il aurait soulevé un sourcil d'incrédulité.
— C'était qui, cette personne ?
— Un troll.
— Un troll... t'a aidé contre d'autres trolls ?
— Ouais.
— Mais pourquoi ?
— Je n'en sais rien... parce qu'il n'aimait pas les trolls.
— Il en était un lui-même.
— Ouais. Il ne les aimait quand même pas.
— OK... Il a fait comment, alors ?
— Il les a eus par surprise.
— Quarante d'un coup ?
— Ouais.
— OK...
Egrim secoua la tête sans rien ajouter. Il préférait ne pas poser les cinq-mille questions qu'il avait encore sur le sujet pour éviter de se prendre d'autres mensonges aussi grotesques à la figure.
****
Ça coupe vraiment au milieu, désolé, mais ce chapitre est énorme... alors vous aurez la suite dès demain, promit ! (Mais la suite vaut la peine d'attendre, je vous jure...)
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