Chapitre 34

Le lendemain matin, tous furent réveillés par Leerian alors que le soleil n'était même pas encore visible à l'horizon. Celui-ci était déjà prêt, son sac sur l'épaule et l'épée à la hanche. Il avait hâte de partir ; il en avait marre du sable qui entrait dans tous les petits recoins et qui grattait atrocement. Il avait épuisé tous ses vêtements de rechange ; sur trois habits qu'il avait emportés avec lui, l'une gisait dans le fond d'un étang de la forêt Nashintill, la seconde était toujours trempé de sa baignade de la veille, et la dernière, celle qu'il portait, il avait dormi à même le sable avec.

— Allez, on se lève ! s'énerva-t-il tout en marchant en cercle autour de ses amis. Plus vite on part, plus vite on arrive ! Et je vous rappelle qu'on est tous des fugitifs, alors ce serait bien de s'y mettre avant de croiser la route d'autres voyageurs !

— Il est quelle heure ? grommela Danayelle.

— C'est l'aurore.

— Et en chiffre, ça fait quoi ?

— Je n'en sais rien, moi ! Lève-toi !

— Il va continuer comme ça longtemps ? fit Egrim.

— Ouaip, marmonna à son tour Mishi.

Leerian serra les poings, frustré. Ils m'appellent « moi roi », mais dès que je lance un ordre, plus personne ne m'écoute ! Il tourna la tête vers la mer et alors, son regard s'illumina. Un sourire malicieux au coin des lèvres, il s'éloigna de ses amis, qui lâchèrent tous un soupir de soulagement.

Près de l'eau, où le sable était humide, un gros crabe marchait sur ses huit pattes d'araignée. Son corps était large comme le poing de l'elfe, et Leerian l'attrapa par le dos pour revenir vers la bande. Il mit ensuite le crustacé entre eux, puis recula d'un pas pour profiter du spectacle. L'animal, affolé de s'être fait transporter ainsi, s'élança sur Egrim pour lui pincer les fesses. Celui-ci sursauta, étonné, puis se retourna. Le crabe s'avança en même temps, et il se retrouva tout près du visage d'Egrim, qui fit un bruit étrange sous la surprise en se levant d'un bond, une sorte de gémissement mêlé d'un hoquet. Le crabe continua de l'attaquer aux orteils, et Egrim l'envoya valdinguer d'un coup de pied et se téléporta dernière Leerian pour s'en servir de bouclier. Le crabe s'envola dans les airs et tomba sur Danayelle, qui cria à son tour tout en balançant des claques pour l'éloigner. Une onde télékinétique lui échappa alors, repoussant l'animal droit sur Mishi. Celle-ci, encore somnolente, attrapa le crustacé à deux mains et, sans en faire plus de cas, lui arracha les pattes une à une sous le regard médusé de ses amis. Elle en porta une à sa bouche pour en sucer la chaire, ce qui acheva de réveiller Egrim et Danayelle qui détournèrent la tête en gémissant. Leerian était le plus dégouté du lot, et pourtant, il était incapable de s'empêcher de rire.

— Merci d'avoir fourni le déjeuner, dit Mishi avec innocence.

— Oh, c'est dégueu ! gémit Egrim.

Il était caché derrière Leerian, debout sur la pointe des pieds pour que ses yeux dépassent au-dessus de son épaule. Celui-ci souriait fièrement, même s'il regardait vers la plage, ne pouvant supporter le spectacle qu'offrait Mishi en suçant les pattes du crabe une à une.

— Maintenant que vous êtes réveillé, on peut y aller ?

Danayelle lui lança une poignée de sable par pure vengeance, mais le vent le ramena sur elle.

— Laisse-nous au moins quelques minutes, s'énerva-t-elle.

— Cinq, pas plus.

— Est-ce que je pourrais nager un peu, avant ? demanda Mishi.

Leerian fit la grimace tout en soupirant. Il n'avait pas envie de lui dire non.

— Désolé... il ne vaudrait mieux pas. Tu prendrais trop de temps. On a un horaire à respecter ; le mage nous avait donné dix jours pour nous rendre aux îles. Alors techniquement, il ne nous en reste que neuf, et on est encore plus éloigné qu'avant. On est complètement au sud du pays, et il faut remonter complètement au nord !

Cette fois, personne n'osa argumenter. Ils savaient tous que Leerian avait raison ; Sin avait bien dit qu'il viendrait personnellement s'occuper de leur cas si, en dix jours, ils n'avaient pas réglé eux-mêmes leurs problèmes. Pour Danayelle, il fallait trouver la pierre d'Omins. Et pour Leerian, il fallait se cacher dans la forêt Celeyste et ne plus jamais en ressortir !

Évidemment, Leerian ne pouvait pas abandonner Danayelle dans sa quête. Il avait donc deux fois plus de routes à parcourir de toute urgence ; de la mer Gardas, jusqu'aux îles Maras, pour ensuite retourner à Celeyste. Mais selon la carte de Danayelle, une ligne droite entre Maras et Celeyste consistait à traverser Stanmore, et pour Leerian, il en était tout simplement hors de question. Il avait eu du mal à supporter Wondor, une ville d'un format plutôt ordinaire, alors que Stanmore était énormément plus grande et bourrée d'une technologie futuriste telle que des gratte-ciels et des voitures volantes. Rien que l'idée d'y mettre un jour les pieds lui refilait des frissons désagréables dans le dos.

Les cinq minutes accordées passèrent avec une lenteur infinie pour Leerian. Pendantque Danayelle se débarbouillait du restant de maquillage de la veille, il avait eu le temps d'aller récolter quelques racines comestibles pour lui, Danayelle et Egrim, et il avait avalé sa part à toute vitesse. Enfin, ils reprirent la route par le petit chemin de terre battu par lequel ils étaient arrivés la veille, marchant en silence en direction du nord. Mishi soupira platement, avançant à reculons et regardant la mer qui s'éloignait. Un si grand espace pour nager allait lui manquer... mais elle savait que les îles Maras allaient être mille fois mieux. C'était là que sa mère était née.

Au bout de quelques minutes, le groupe s'arrêta à une bifurcation. Une pancarte indiquait Wondor droit devant, et Magdron et Nafar à droite.

— Cap vers la droite ? proposa Danayelle.

— Je crois plutôt que nous devrions prendre au centre, dit Leerian.

Tous se tournèrent vers lui, sans comprendre. Celui-ci avait la main levée pour pointer le nord-est, où des bois s'étendaient devant eux.

— Encore une forêt... ? gémit Danayelle.

— Il faut éviter les routes.

— Il a raison, ajouta Mishi. Vers la forêt, c'est mieux. Et tu n'as pas à t'inquiéter ; celle-ci est si petite qu'elle n'a même pas de nom ! On aura vite fait de la traverser.

— Et tout au bout, on atterrira tout près de la ville de Nafar, fit Egrim. Je n'y suis jamais allé, mais j'avais un ami originaire de là. Ce n'est pas très grand. Plus un village qu'une ville.

— Il faudra l'éviter aussi, dit Leerian.

Egrim soupira en détournant le regard. Il avait beau être le dernier arrivé dans le groupe, il avait déjà hâte de retrouver la civilisation... et d'affronter la justice. Mais au moins, après tout ça, il pourra débuter son apprentissage de la magie. Et ça, il en avait vraiment très, très hâte !

Leerian s'aventura le premier hors du sentier battu. Tout autour, ce n'était que des herbes hautes et des petits arbres. Plus il s'avançait, plus la forêt devenait dense, et au bout de quelques minutes de marche, il était déjà enseveli par la végétation. Leerian soupira d'aise, et se tourna vers ses amis pour leur montrer un sourire de pure joie. Personne ne le lui rendit.

— Faites pas ces têtes ! s'exclama-t-il dans un rire. Vous savez autant que moi qu'il est dangereux qu'on se fasse remarquer !

— J'ai encore du mal à réaliser que nous sommes des fugitifs, fit Danayelle, crachant le dernier mot comme du poison. Tu ne trouves pas que la vie est injuste, parfois ?

Leerian répondit d'un rire sans joie. Il se retourna pour se remettre à marcher vers le nord-est, enjambant les racines et baissant la tête pour éviter les branches. Tu trouves que ta vie est injuste, Dana ? On échange, si tu veux ! Tu vas voir comment c'est amusant d'être un loup-garou, descendant d'une longue lignée de monarque disparu, classé tueur de masse et recherché pour la modique somme de quatre-cents pièces d'or. C'est trop drôle, vraiment ! À mourir de rire !

Même si Leerian n'avait rien dit de ce qu'il pensait, il était communicatif de sa soudaine mauvaise humeur. Plus personne ne voulait parler, et le silence s'installa progressivement parmi de quatuor. Ils avançaient à la queue leu leu dans la petite forêt, Leerian en tête et Mishi à la fin.

À peine cinq minutes s'étaient écoulées quand Egrim, avant-dernier dans la file, balança une branche de son chemin avec un peu trop d'entrain. Elle se plia à son passage, mais dès qu'il la lâcha, elle partit vers l'arrière avec tant de force qu'elle atteint Mishi en plein visage. La sirène cria de surprise et de douleur, s'effondrant au sol sur le coup. Tout le monde s'arrêta pour la dévisager. Elle avait une entaille sanglante sur la joue.

Leerian se précipita à son secours, mais Egrim fut plus rapide. Il n'avait même pas pris la peine de parcourir les deux mètres qui les séparaient ; il se téléporta devant elle, à genoux aux près de la brune qui se tâtait la pommette en grimaçant.

— Désolé, je n'ai pas fait attention ! s'exclama Egrim. Mais si tu permets, je peux essayer de te soigner.

— Il vaut mieux éviter, intervint Leerian. Sans vouloir te vexer, on ne peut pas dire que tu sois très doué en magie.

— Oh, ça va, hein ! grommela Egrim tout en lui lançant un regard au-dessus de son épaule. J'ai bien soigné le pied cassé de Danayelle. Là, c'est juste une entaille. Je peux ? dit-il en reportant son attention à Mishi.

Celle-ci leva les yeux vers Leerian, une mince coulisse de sang s'étendant jusqu'à son menton. Elle n'aimait pas particulièrement désobéir à ses recommandations, mais elle aimait encore moins l'idée d'être défiguré. Mishi se mordit la lèvre en détournant le regard, réalisant alors que Leerian lui-même était plutôt bien défiguré, avec ses deux cicatrices au coin de sa mâchoire. Ce n'est pas ce qui l'empêche d'être mignon, pourtant.

— Fais-toi plaisir, Egrim.

Egrim sourit, heureux de l'opportunité de s'entrainer un peu à la magie. Puis il grimaça, grogna dans sa barbe, et se tourna à demi vers Leerian.

— J'ai oublié le mot.

Danayelle pouffa de rire. Leerian plaqua une main sur son visage.

— C'est Shiernelt, idiot.

Egrim dut prendre sur lui pour ne rien répliquer face à l'insulte. Pour une fois, je ne me suis pas fait appeler « outré ».

Il reporta son attention à Mishi, posant doucement sa paume contre sa joue. Leerian fronça les sourcils. Il n'aimait pas du tout sa façon de la toucher.

Shiernelt.

Une pâle lumière apparut entre ses doigts, éclairant l'entaille de Mishi. Celle-ci regardait Egrim droit dans les yeux, reconnaissante. C'était lui qui l'avait blessé, mais il l'avait aussi guéri. La lueur s'évapora, Egrim retira lentement sa main, et la coupure avait complètement disparu. Même la goute de sang n'était plus là. Egrim déglutit en avisant le charmant sourire de Mishi. Puis il rougit sévèrement en détournant la tête, sentant son cœur s'emballer. C'est une sirène. Elle va m'ensorceler. Il se leva et s'éloigna sans un mot, allant se poster près de Danayelle comme pour s'en servir de bouclier.

Leerian l'observait toujours avec un petit regard en coin. Pourquoi il rougit comme ça, celui-là ? Il a une idée derrière la tête, j'en suis sûr !

— Merci ! fit Mishi tout en se levant et époussetant la terre sur ses vêtements. Je t'en dois une.

— Oh non, ce n'est rien... Ça me fait de la pratique, dit Egrim avec modestie.

— On peut s'y remettre, maintenant ? s'impatienta Leerian.

Tous tournèrent les yeux vers lui, étonné de son ton dur. Pour une raison qui leur échappait, Leerian semblait être de mauvaises humeurs, même réellement en colère.

Danayelle fut la seule à comprendre. Elle pressa le poing contre sa bouche pour camoufler son sourire espiègle. Il est jaloux.

Leerian continua la marche sans attendre les autres. Tous se précipitèrent à sa suite avec un peu de retard. Mishi et Danayelle trainèrent à l'arrière, toutes deux émerveillés du tour de magie, alors qu'Egrim s'était avancé pour se mettre au côté de Leerian.

— Je peux essayer sur toi aussi, si tu veux !

— Je ne suis pas blessé, fit Leerian d'un ton dur.

Il marchait rapidement, forçant Egrim à jogger pour rester à sa hauteur.

— Non, je sais ! Mais je pourrais faire disparaitre tes cicatrices. Enfin... est-ce que je peux ? Ça vaudrait la peine de tenter le coup !

— Pas avec shiernelt. Ça veut dire « soigner ». Et je ne suis pas blessé !

— Eh bien, il y a peut-être un autre mot pour ça.

— Je n'en sais rien ! s'énerva Leerian en levant les bras au ciel. Je ne veux pas être ton cobaye.

— Oh, tant pis, alors ! Ça ne regarde que toi si tu veux te la jouer Harry Potter !

Loin derrière, l'éclat de rire de Danayelle fut si violent qu'il fit sursauter les deux garçons. Leerian en fut suffisamment insulté pour ne pas se donner la peine de demander qui était ce type. Egrim, paré d'un grand sourire, lança tout de même les explications.

— C'est un puissant sorcier, tu sais !

— Un sorcier ? fit Leerian en grimaçant. Comme un... homme qui fait de la magie ?

— C'est ce que signifie le mot, oui, dit Egrim d'un air évident. L'équivalent homme pour les mages. En fait, c'est dommage que les hommes soient si peu nombreux à Nyirdall ! Il y aurait peut-être eu plus de sorciers. Ils sont tout aussi rares que les mages, alors qu'ils sont... nous sommes, haha ! déjà très rare. Et pourtant, la race des elfes représente près de soixante pour cent de tous les humains du pays. Les hommes, à peine plus de cinq pour cent ! C'est fou, hein ?! En même temps, ça, c'est la faute des djinns...

— La faute des djinns ? répéta Leerian dans une grimace. Ils l'ont bien cherché, tu veux dire. C'est grâce aux djinns.

— Ça dépend du point de vue.

— Pour moi, c'est déjà cinq pour cent de trop. Ou quatre virgule neuf, ajouta-t-il en se retournant pour faire une petite courbette en direction de Mishi, trois mètres derrière. Mes respects pour ton père. C'est le seul qui le mérite.

Mishi pouffa de rire.

— Tu sais, les hommes que tu détestes tant se disaient exactement la même chose de nous ! continua Egrim. Soixante pour cent, quand on y pense, ça fait beaucoup.

— Ça justifie leur envie de nous tuer, tu crois ? fit Leerian d'un ton dur.

— La justifier, non ! Mais je les comprends... d'une certaine façon.

Leerian lui lança un regard dégouté. Egrim jugea préférable de changer de sujet.

— Sinooooooon... on en a encore pour longtemps, dans cette forêt ?

— On vient à peine d'y entrer.

— Je sais, mais j'ai quand même hâte d'en ressortir.

— Pas moi.

— J'ai l'impression que tu ne m'aimes pas beaucoup, je me trompe ?

— Tu parles trop.

— Toi, tu ne parles pas assez. Allez, raconte-moi une blague !

— Je n'en connais pas.

— C'est drôle, ça ne m'étonne pas de toi. T'es du genre un peu coincé, non ?

Ce fut au tour de Mishi d'éclater de rire. Leerian s'arrêta pour se retourner vers elle, communiquant un « sérieusement ?! » d'un simple regard. La sirène haussa innocemment les épaules, un large sourire aux lèvres.

— Ce qui est drôle, c'est qu'au départ, tu donnais vraiment l'impression de me lécher le cul. Tu étais gentil... et silencieux ! Pendant un instant, je t'ai considéré comme un ami. Mais là, tu me tapes sur les nerfs !

Egrim en demeura bouche bée pendant cinq longues secondes. Puis il pouffa, avant de répliquer :

— Ouais, au début, j'essayais d'être ton ami ! J'ai abandonné la cause parce que depuis que je suis arrivé, tu agis comme si t'avais un balai dans le cul.

Nouvel éclat de rire de la part des filles. Leerian serra les poings, puis lâcha un long soupir pour garder son calme.

— En plus, à chacun de mes efforts, tu me renvoyais toujours ce même regard bête, comme si j'étais la personne la plus stupide que tu n'avais jamais rencontrée, continua Egrim. C'est frustrant, à la longue !

Leerian se refusa de répondre. À quel moment Egrim était-il passé des blagues aux insultes ? Et surtout... est-ce qu'il disait vrai ? Leerian n'avait pas souvenir de lui avoir lancé de regard stupide, ou d'avoir été foncièrement méchant envers lui. Oui, il l'avait bien traité d'idiot à quelques reprises, mais dans sa tête, ça se pardonnait, parce qu'il avait réellement agi comme un idiot à ces moments-là. Ou peut-être aurait-il dû se taire tout de même ? Honnêtement, il n'en savait rien.

Le silence s'éternisa alors que Leerian restait enfermé dans ses pensées. Egrim se mordit la lèvre, songeant qu'il était peut-être allé trop loin. Il tourna la tête vers les filles, en quête de soutiens. Ce fut Mishi qui s'avança la première vers Leerian, passant une main sur son bras.

— Il n'a jamais eu l'intention d'être méchant avec toi, Egrim. Pas vrai, Leerian ?

— Ouais, marmonna Leerian d'une voix morne.

— Il manque un peu de tact, c'est tout ! Il a, disons... une certaine lacune en communication.

— Ouais...

— Il faut apprendre à l'aimer ! Ça ne vient pas dès le premier jour.

Leerian souleva un sourcil en reportant son attention sur Mishi.

— Mais nous sommes amis depuis le premier jour, nous deux... non ?

Mishi rougit en détournant les yeux.

— J'étais tout autant désespéré que toi, en matière d'amitié. Au départ, il était vraiment question de te supporter. Mais maintenant, je t'aime beaucoup ! Enfin... je veux dire par là que je t'apprécie.

Mishi et Leerian échangèrent un regard perplexe. Tous deux étaient incapables de comprendre ce que pensait l'autre.

Un peu en retrait, Egrim et Danayelle échangeaient eut aussi un regard, partageant cette fois l'hilarité qu'ils réprimaient tous les deux. Mais aucun n'avait assez de courage pour dire ce qu'ils imaginaient à voix haute ; ils risquaient encore d'énerver Leerian.

Le silence s'éternisa dans le groupe alors qu'ils marchaient simplement en direction du nord-est. Rapidement, le terrain devint irrégulier ; il était souvent question de monter et descendre des buttes. Puis les buttes se transformèrent des petites collines. Leerian s'obstinait ; il voulait faire une ligne droite pour arriver à destination le plus vite possible. Mais ça avait l'effet contraire, puisque ça les épuisait inutilement.

Des rochers dépassaient du sol. Parfois, il fallait se soutenir aux arbres pour éviter de dévaler des pentes. Sans même qu'ils ne s'en rendent compte, ils avaient déjà monté à plusieurs centaines de mètres d'altitude. Les trois elfes avaient les oreilles qui bourdonnaient désagréablement. Mishi avait du mal à suivre, et pourtant elle refusait de se plaindre ; elle savait qu'elle était, étrangement, la plus adaptée dans ce genre de terrain. Elle avait les jambes molles à force de grimper et descendre, mais au moins, elle n'avait pas les tympans en feu.

— Je pense que nous sommes sur les collines qui bordent Wondor, dit Danayelle au bout d'un moment.

— Tu te goures, ma vieille, répliqua Egrim d'un ton sarcastique. Ce ne sont pas des collines, ça. Ce sont de foutues montagnes.

— Je croyais qu'on devait les éviter !

— Les éviter nous ferait faire un détour, dit Leerian.

— Les traverser nous prend tout autant de temps, si ce n'est plus !

Egrim s'arrêta, à bout de force. Il leva la tête vers le sommet de la pente qu'ils étaient entrain de monter... et il y fut. Leerian, Danayelle et Mishi eurent tous un léger sursaut en avisant que le téléporteur avait disparu, pour réapparaitre vingt mètres plus loin, assis contre un arbre en attendant les autres.

— Tu ne pourrais pas nous transporter directement aux îles ? se plaignit Mishi en désespoir.

— Si je le pouvais, compte sur moi, ce serait déjà fait !

Danayelle dérapa contre la pierre qui se délogea sous ses pieds. Elle lâcha un cri aigu tout en balançant les bras pour récupérer son équilibre, tomba à la renverse, et se réceptionna avec un salto arrière comme si ce n'était rien. Mishi demeura bouche bée devant tant de souplesse, alors que Leerian et Egrim lui avaient à peine accordé un coup d'œil.

— OK, j'en ai marre ! gronda Danayelle. Plus on avance, plus on monte. C'est stupide de continuer dans cette direction ! Il faut redescendre.

— Ouais ! firent Mishi et Egrim d'une seule voix.

Tous tournèrent la tête vers Leerian, qui soupira en détournant le regard. Ça lui coutait d'avouer qu'ils avaient raison et qu'il était dans le tort.

— Redescendons, dit-il à regret.

Ses amis ne se firent pas prier ; Danayelle et Mishi s'élancèrent en direction inverse, alors qu'Egrim avait choisi de se téléporter quelques dizaines de mètres plus loin pour se mettre en début de file. Leerian soupira, levant les yeux au ciel et secouant désespérément la tête de gauche à droite, puis suivit la bande qui partait sans lui. Selon lui, c'était ça, la perte de temps ; rebrousser chemin. Oui, le terrain ici était plein d'obstacles, mais il était convaincu qu'ils auraient bientôt traversé la moitié de la montagne, d'après ce qu'il en avait vu la veille depuis Wondor. Mais à quoi bon se battre, seul contre ses trois entêtés ? Tout ce qu'il réussirait à se récolter, encore une fois, était de se faire appeler « mon roi » par pure moquerie. Et Leerian n'en avait pas envie.

S'il avait su ce qui les attendait, il aurait un peu plus insisté.

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