Chapitre 31
Les quatre amis avaient du mal à se regarder dans les yeux. Plus personne ne se ressemblait. Egrim, le garçon aux cheveux blancs, portait une perruque noire, détonnant étrangement avec sa peau trop pâle. Ça lui donnait des allures de vampires, et les lunettes de soleil qui pendaient sur son nez n'aidaient en rien sa cause.
Danayelle aussi avait des lunettes, mais elle avait encore sa tignasse blonde. Son maquillage, cependant, changeait complètement les traits de son visage.
Mishi était toujours Mishi, les écailles en moins... sauf pour ses bras. Elle avait enfilé un chandail à manches longues qu'elle avait trouvé dans son sac, et le tour était joué.
Et Leerian, les cheveux pleins de boue et les lentilles dans les yeux, n'arrêtait pas de cligner des paupières à toute vitesse. Ses cicatrices avaient disparu, et maintenant, il était barbu. Ça le révoltait rien qu'à y songer.
Le quatuor descendit l'un des deux escaliers menant au salon et ils s'avancèrent jusqu'au mur du fond, où la bibliothèque camouflait le passage vers la boutique du mage. Mishi, Danayelle et Leerian étaient tous équipés de leurs effets personnels.
— Comment on ouvre le passage ? demanda Egrim tout en se grattant pensivement la tête, sa perruque penchant d'un sens et de l'autre. Attendez, je vais essayer. Sin avait dit quelque chose du genre, euh... Mae... Mév...
Leerian lui plaqua la main sur la bouche avant tant de force qu'il partit par en arrière, bousculant Mishi au passage. Egrim lança un regard traumatisé à Leerian.
— Ne sois pas idiot ! Tu ne vas réussir qu'à exploser le mur !
— Je pourrais faire ça ? s'étonna Egrim en se dégageant de sa prise.
— Tu es un mage. Évidemment que tu le peux.
— Cool... eh bien, dis-moi quel est le bon mot !
— Non ! Bouger le mur, c'est une forme de télékinésie. T'as qu'à demander à Danayelle de le faire, elle a plus d'expérience que toi.
Tous les regards convergèrent sur la blonde, qui rougit sévèrement. Il était clair que si Danayelle avait plus de chance de réussir qu'Egrim, il valait mieux pour tout le monde qu'il ne s'essaye pas !
— Bah, on sort comment, alors ? Je nous téléporte dehors ?
— Tu es déguisé en homme, dit Leerian qui commençait à perdre patience. Les hommes n'ont pas cette capacité.
— Ah oui, c'est vrai...
Soudain, le mur se mit à pivoter de lui-même. Tous s'écartèrent d'un bond au passage qui s'ouvrait devant eux. Sin était debout de l'autre côté, imposant par sa taille tout en flattant son petit chaticorne qui ronronnait paisiblement. Sin balaya sur les quatre enfants son regard inquisiteur, avant de craquer en pouffant de rire et plaquant une main sur sa bouche, les yeux plissés par l'hilarité qu'il tentait de réprimer.
— Oh, par les djinns, vous êtes beau à voir ! fit-il dans un étrange couinement. Oh, oh ! Désolé !
Il explosa carrément, sa voix se répercutant en écho dans le vaste salon qui s'étendait derrière eux. Tous les quatre s'échangèrent des coups d'œil nerveux et quand même un peu insulté. Mais ils avaient affaire à un puissant mage ; mieux valait le laisser rire tranquille.
Il s'arrêta enfin au bout d'une longue minute. Reprenant contenance, il se remit à les examiner, cette fois avec plus de professionnalisme.
— Oh, désolé, c'était le choc. Je ne m'attendais pas à vous voir comme ça ! Oui... Narsa a fait du bon boulot. Oui, vraiment ! Si je ne vous connaissais pas déjà, je ne vous aurais pas reconnu. Vous ressemblez tous à des hommes... des hommes et des femmes, haha ! Euh... ah non, ça, ça ne passe pas, dit-il en se tapotant le menton du bout de l'index.
— Quoi ? dirent les quatre enfants d'une seule voix.
Le mage inclina le doigt pour le pointer sur Leerian. Celui-ci soupira platement en détournant le regard. Évidemment, il faut toujours que ce soit moi.
— Tu vas vraiment essayer de te faufiler à la « ni vue ni connue » dans une grande ville avec une épée qui pend à ta hanche ?
Leerian baissa la tête vers son fourreau. La taie d'oreiller s'était partiellement décrochée, et presque toute la garde, autant que son or et ses nombreuses pierres d'émeraude, était parfaitement visible.
— Je n'irai nulle part sans mon épée ! grogna Leerian en serrant les poings.
Derrière lui, les filles s'échangèrent un regard désespéré. Il faut toujours qu'il s'emporte, pensèrent-elles toutes les deux.
— Je pourrais t'aider à...
— Non.
— La cacher ici...
— Non !
— J'en prendrais grand soin !
— NON !
Le mage s'arrêta enfin, perturbé. Lui, autant que les trois autres avaient tous entendu la même chose, mais sans se consulter, tous crurent avoir halluciné pendant une seconde.
On aurait dit le grondement d'un animal sauvage.
— D'accord, d'accord... relax, Leerian. Je peux la rendre invisible, si tu veux !
Leerian prit une grande inspiration, s'efforçant de retrouver son calme. Son cœur battait à toute vitesse alors qu'il essayait de le cacher, et heureusement pour lui, l'épaisseur de maquillage qu'il avait au visage camouflait ses joues qui s'étaient empourprées.
J'espère que personne n'a entendu ça.
— Tu peux... tu peux la rendre invisible ? répéta Leerian lentement.
— Oui... je peux.
— Trop cool, fit Egrim, des paillettes dans les yeux.
— Mais le sort ne durera pas longtemps, encore moins quand vous vous éloignerez de moi. Je ne vous laisse pas plus de dix minutes pour quitter la ville. Je sais que votre destination vous demande de remonter par le nord-est, mais Wondor est conçu dans une vallée, comme vous l'avez déjà remarqué. Les seules issues sont le nord ou le sud ; je vous conseille vivement le sud, pour ainsi contourner les collines et petites montagnes qui vous ralentiront.
— Plein sud, répéta Mishi. J'aime cette idée. La mer n'est pas loin.
Sin lança un regard derrière lui, dans la boutique. Il leur fit signe de s'avancer, puis referma le passage des bibliothèques. Sin se tourna vers Leerian, la main tendue vers l'épée. Celui-ci recula en grimaçant.
— Laisse-moi faire, je ne veux pas te la voler. J'ai juste besoin de la toucher.
Leerian dut se faire violence pour ne pas reculer davantage alors que le mage s'approchait toujours, un petit pas à la fois, comme s'il avait affaire à un chaton craintif. Enfin, il enroula ses doigts autour de la garde. De son autre main, il l'a parcourut lentement jusqu'à la pointe de cuir du fourreau.
— Uorcasbulr.
Au début, il ne se produit rien. Mais au bout du troisième passage de sa main, faisant d'incessant vas et viens de haut en bat du fourreau, celui-ci sembla s'éclaircir, les couleurs prenant une teinte étrangement plus scintillante. Le noir devint gris, puis blanc, puis de plus en plus transparent. La garde en or devint jaune mat, les pierres d'émeraudes devinrent d'un vert si clair qu'il rappelait celui des feuilles d'arbres.
En dix secondes de plus, l'épée avait disparu. Leerian y passa la main, la peur de l'avoir perdue à nouveau lui compressant la gorge. Mais elle était bien là, sous ses doigts. Il sentait son poids à sa taille, il sentait le fourreau percuter sa cuisse au moindre mouvement. Et pourtant... il n'y avait strictement rien à y voir.
— Wow ! s'étonna Mishi. Je croyais qu'il n'y avait que les lutins qui pouvaient devenir invisibles !
— C'est la magie de l'air, lui apprit le mage. Une forme extrêmement déviée de la magie de l'air ; par ce fait, c'est aussi un sortilège très difficile à exécuter. Toi, ajouta-t-il en levant un doigt menaçant sur Egrim, ne t'essaye même pas !
— OK, fit Egrim d'une petite voix. Je n'ai rien compris de la formule, de toute façon. Long mot bizarre... Mais pourquoi tu ne nous as pas tous rendus invisibles, plutôt que son épée ?
— Trop compliqué. Vraiment, c'est très compliqué ! insista-t-il devant la moue de son futur apprenti. Allez, filez avant que le sort ne s'efface.
— Merci pour tout ! dit Danayelle.
— Et désolé de m'être emporté, ajouta Leerian.
Sin inclina poliment la tête tout en leur tenant la porte ouverte. Dehors, un lutin attendait déjà de pouvoir entrer à son tour. Il figea et écarquilla les yeux en voyant les quatre hommes et femmes, debout dans la boutique. Le petit lutin fit quelque pas de côté, ses joues pâles s'empourprant d'une légère panique.
Mishi fut la première à sortir, dévisageant le lutin autant que celui-ci la dévisageait. Est-ce qu'il a peur de moi ? s'étonna-t-elle alors que ses amis la suivaient. Elle leva les yeux vers la rue qui s'étendait droit devant, tournant vers la gauche en direction du sud. Sur son chemin, elle voyait les elfes détourner le regard, les fées s'envoler au loin, les lutins s'enfuir rapidement ou même disparaitre soudainement. Seuls les trolls ne semblaient pas avoir peur, et les nains. En même temps, il fallait le faire pour donner la frousse à un nain ; ils étaient tous dotés d'un courage totalement démesuré.
— Je te l'avais dit.
Mishi tourna la tête, son nez rencontrant l'odeur forte de terre retournée. Leerian s'était avancé pour marcher à ses côtés.
— Je ne suis pas plus peureux qu'un autre. Tout le monde a peur des hommes. Ils sont comme les dragons ; plus petits, mais ils compensent par leur nombre. Et ils sont sournois, d'une intelligence malsaine et ils sont toujours armés... bon, moi aussi, mais eux, c'est vraiment pour tuer tout ce qui bouge ! Et tout détruire sur leur passage ! Comme les dragons !
— Leerian ? Tu peux te la fermer, deux minutes ?
— Désolé...
Un mètre derrière, Danayelle et Egrim les suivaient en silence, chacun regardant dans une direction opposée. Danayelle pour s'imprégner d'une ville qu'elle ne reverra pas de sitôt, et Egrim pour s'efforcer d'apprendre un peu le coin pour quand il reviendra. Il se faisait des repaires, comme des balises mentales. Si je me perds, le bord de cette fontaine en forme de gros poisson serait un bel endroit pour me téléporter.
Soudain, Danayelle s'arrêta de marcher, les yeux écarquillés. Elle attrapa Egrim par le poignet et celui-ci sursauta en se retournant vers son amie.
— Oh, par les djinns, Outré ! fit Danayelle d'une voix aigüe.
— Quoi ?! s'exclama-t-il en regardant dans toutes les directions, s'imaginant le pire.
Danayelle lâcha son poignet pour se prendre la tête à deux mains, le visage déformé d'horreur. Un peu devant eux, Mishi et Leerian s'étaient aussi arrêtés.
— Elle fait quoi ? demanda Mishi. Dana, est-ce que tu vas bien ? Danayelle ?
— Oh, non, oh non...
Danayelle gémissait, les larmes coulant derrière ses lunettes de soleil et produisant des sillons sur son maquillage. Et inexplicablement, ses cheveux s'étaient mis à flotter. Egrim, tout près d'elle, ressentit une force étrange qui semblait le repousser. Il recula vers Mishi et Leerian.
— Oh, non, fit-il à son tour. C'est le sort de Sin... Celui qu'il avait lancé, tout à l'heure dans la cuisine pour la maintenir tranquille. Il est terminé... et maintenant, l'affreuse vérité la prend comme une claque en plein visage.
— Calme-toi, Danayelle ! s'exclama alors Mishi.
Elle s'avança vers la blonde, lui prit le poignet et l'entraina avec elle pour s'éloigner. Leerian et Egrim les suivirent avec empressement.
— Je suis accusé de meurtre ! Ma vie ne sera plus jamais normale !
— Ne le crie pas à tue-tête ! s'indigna cette fois Leerian. Ferme-là !
Danayelle se tut alors, mais les larmes continuaient toujours de couler. Elle ferma les yeux, se laissant aveuglément guider par la sirène à travers les rues de Wondor. Un sanglot la secoua et elle pressa sa paume contre sa bouche. Sa télékinésie s'évadait de son corps et Mishi peinait à la trainer. La magie tentait de la repousser.
Remarquant la difficulté, Leerian prit son autre main, avec tant de force qu'il fit gémir Danayelle. Il s'était imaginé, avec raison, que la télékinésie la rendait presque impossible à toucher, mais il avait tout de même mal calculé la puissance de sa poigne. Danayelle tira pour tenter d'échapper à Leerian.
— Je te rendrais ta liberté quand on sera sortis de la ville, pas avant ! grommela Leerian.
— Peut-être que je devrais aller chercher Sin ? proposa Egrim.
— Non, on gère...
Danayelle donna un second coup tout en pleurant cette fois à chaudes larmes, incapable de se contrôler. Leerian tint bon, mais Mishi fut brusquement tiré vers l'arrière avant de s'effondrer durement sur le sol de brique. Elle grommela de douleur, et Leerian s'arrêta enfin pour faire face à la blonde, rouge de rage.
— Fais attention, merde ! Mais qu'est-ce qui te prend ?! Tu as fait tomber Mishi !
C'était la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Sa télékinésie repoussa Leerian, qui bascula à son tour à la renverse. Derrière lui, d'autres passants tombaient comme des dominos, tous happés par la vague de magie qui s'échappait de Danayelle... jusqu'à ce qu'elle atteigne une petite boutique d'apothicaire. La bâtisse de brique, haute de trois étages et lugubre par sa désolante couleur grise, trembla sur ses fondations. La vitrine explosa, balançant des éclats de verre dans toute la rue.
Mishi et Leerian, toujours assis au sol, regardaient avec angoisse le magasin vaciller. Des briques s'échappèrent des murs, un effroyable grincement accompagnant les mouvements. Des passants hurlèrent et s'enfuirent en courant.
Danayelle, totalement impuissante, observait la scène avec horreur. La boutique tanguait dangereusement, elle penchait de plus en plus vers eux.
— Je suis désolé d'avoir crié, fit Leerian qui tremblait devant le spectacle. Tu peux te calmer, Danayelle.
— J'essaye, dit-elle, incapable de s'arrêter de pleurer.
— Empêche-là de tomber, s'il te plait...
— J'essaye !
Une nouvelle onde s'échappa de son corps, si violente que Leerian et Mishi furent plaqués au sol. La boutique avait commencé à s'effondrer avec une lenteur angoissante.
— Je vais chercher Sin, dit Egrim.
— Non, pas le temps. Dans cinq secondes, elle sera tombée... Désolé, Dana, tu ne me laisses pas le choix !
Leerian serra les dents et se leva malgré la force qui tentait de le maintenir au sol. Il fit face à la blonde, son maquillage souillé par tant de larmes. Il murmura une nouvelle excuse, puis lui balança son poing en pleine tempe. La magie disparut aussitôt autour d'eux, alors que Danayelle s'écroulait à son tour. Leerian l'attrapa dans ses bras avant qu'elle ne s'écrase.
— Oh, mais... Leerian ! bredouilla Egrim. Tu l'as frappé !
Derrière lui, le magasin s'effondrait. Mishi, toujours assisse, regardait avec horreur les gens qui couraient en tout sens pour échapper à la mort.
— Je vais chercher Sin, dit encore Egrim.
— Non, Egrim ! s'énerva Leerian. Il n'arrivera pas à temps. Concentre-toi fort et répète après moi : Secaertun.
Egrim écarquilla les yeux. Il voulait qu'il fasse de la magie ? Lui qui était totalement inexpérimenté ? Et Sin qui lui avait dit à plusieurs reprises de ne surtout rien essayer ?
Mais comment est-ce que ça pourrait mal tourner ? Des gens allaient peut-être mourir s'il ne tentait rien !
Egrim retira ses lunettes, le regard fixé sur la boutique en pleine destruction, s'efforçant de se souvenir de ce qu'il avait vu à l'Institut, quand les élèves télékinétiques pratiquaient leur don. Il leva un doigt en direction du magasin, prit une grande inspiration, et cria de toutes ses forces :
— Secaertun !
Les briques, les morceaux de verre, les poutres de bois, tout s'arrêta soudain de bouger, suspendu dans le vide par une puissance invisible. La boutique ne tanguait plus... à croire que le temps lui-même s'était arrêté.
Les gens continuaient de courir. Ils étaient tous conscients que ça n'allait pas durer.
Leerian et Mishi lancèrent tous deux un regard étonné vers Egrim. Celui-ci aussi était parfaitement immobile, sa main toujours en l'air pointée sur le magasin. Il craignait que le moindre mouvement ne réussisse à le déconcentrer. C'était difficile ; une sueur froide avait envahi sa peau, son souffle était court. Son cœur battait si fort qu'une sourde envie de vomir montait progressivement à sa gorge. La sensation lui rappelait la première fois qu'il avait fait la course d'obstacles. Ça avait été si exigeant... mais c'était son don, la téléportation. Aussi compliqué que ça pût être, il était adapté. Mais ça, en revanche, ça n'avait rien à voir. Il faisait de la télékinésie. Pour la toute première fois de sa vie... et il n'avait pas commencé en faisant léviter un caillou comme n'importe qui. Il s'attaquait direct au niveau expert.
— Je ne vais pas tenir longtemps, fit-il dans un filet de voix. Courez...
— Courez ! répéta Leerian avec plus de force.
Les gens n'avaient pas besoin qu'on leur dise cette évidence. Ils fuyaient déjà d'un sens ou de l'autre, s'éloignant autant qu'ils pouvaient de la boutique en suspension. Celle-ci glissa sur un mètre alors qu'Egrim grognait en serrant les dents. Un hurlement s'échappa de la bâtisse, une voix drôlement grave qui appartenait de toute évidence à un nain.
— Quelqu'un est là-dedans ! s'affola Mishi.
— Tant pis pour lui ! Je ne tiens plus ! fit Egrim.
Leerian balança le corps inanimé de Danayelle dans les bras de la sirène et courut vers la boutique.
— Non ! Leerian ! s'exclama Mishi.
Mais il était déjà parti loin, disparaissant derrière l'épais nuage de poussière.
— Oh, par les djinns... ne lâche surtout pas, Egrim !
De grosses larmes coulèrent sous chacun des yeux d'Egrim. Il n'avait jamais déployé autant d'effort de sa vie. Oui, par les djinns, se répéta-t-il mentalement, à bout de force. Aidez-moi !
Sans qu'il ne s'en fût rendu compte, un petit attroupement s'était formé derrière lui. Tous les regards étaient braqués soit sur la boutique, soit sur son dos. Certains avaient remarqué le badge qu'il avait sur la poitrine, et du même fait, son déguisement d'homme ne bernait plus personne. Mais la rumeur s'était répandue parmi les badauds ; son badge, c'était celui des téléporteurs. Pas des télékinésistes. Qu'est-ce que cela signifiait-il donc ?
Leerian était arrivé au pied de la boutique. Il slalomait à toute vitesse entre les briques et les bouts de verre en suspension. Il défonça la porte d'un coup d'épaule, qui s'ouvrit tout juste en grinçant horriblement. Au loin, un nouveau hurlement s'éleva. Tout autour de lui, il n'y avait qu'un épais nuage de poussière. Même sa parfaite vision d'elfe avait du mal à se repérer.
— Où êtes-vous ?!
Un couinement de douleur lui répondit. Les longues oreilles de Leerian se détachèrent soudain de leur bout de scotch pour pivoter vers le bruit. Il se laissa guider par son ouïe, trébuchant contre les objets rependus au sol. Un pas à la fois, la bâtisse vibrait sous ses pieds. Il le savait ; c'était Egrim qui allait bientôt lâcher. Il n'avait pas une seconde à perdre.
Et soudain, il le vit. Au fond de la salle, un large meuble semblait faire office de comptoir où une énorme caisse enregistreuse à l'ancienne s'était effondrée. Il n'apercevait que les courtes jambes du nain, aplati sous le gros objet comme une crêpe. Cet engin devait peser une tonne, alors que le nain s'efforçait de le repousser sans le moindre résultat. Leerian accourut vers lui, empoigna la caisse d'une seule main et la balança à l'autre bout de la pièce, allant s'encastrer dans le mur opposé.
Le nain soupira, parvenant enfin à respirer avec ce poids en moins sur la poitrine. Leerian le prit par les épaules pour le relever et courut avec lui vers la sortie.
— Comment avez-vous soulevé ce truc ? demanda le nain d'une voix sifflante.
— L'adrénaline.
Le nain ne le crut pas une seule seconde. Mais puisque sa vie était toujours en danger tant qu'ils étaient dans la boutique, il préféra ne pas insister et courir sur ses petites jambes vers l'air libre.
Alors qu'ils fuyaient, Egrim, une vingtaine de mètres plus loin, était à bout de force. Sa main retomba sur son flanc, ses yeux se révulsèrent et il s'effondra comme une pierre, sans prévenir. Comme si son cerveau avait soudain décidé qu'il ne supporterait pas une seconde de plus cette torture et qu'il avait appuyé sur le bouton d'arrêt d'urgence. La foule derrière lui eut un hoquet d'horreur, et Mishi se retourna vers son ami, en pleine panique. Danayelle était inconsciente dans ses bras, et maintenant c'était Egrim qui était évanoui. Son regard pivota vers la boutique, qui s'était remise à tomber. Le nuage de poussière en suspension s'était remis à s'étendre alors que les matériaux volaient d'un sens et de l'autre. Les larmes lui montèrent aux yeux, soudain convaincue que Leerian ne s'en sortirait pas.
Un sanglot lui échappa quand elle vit deux formes apparaitre. Leerian, accompagné d'un nain, courraient tous deux vers eux. Et derrière leur dos, la boutique acheva de s'effondrer.
— Leerian ! fit Mishi d'une voix faible.
— Pas le temps, murmura-t-il à regret.
Il baissa les yeux, remarquant alors Egrim étendu sur le sol, les membres en étoile. Sa peau était excessivement pâle et luisante de sueur froide. Leerian se pencha pour le balancer sur ses épaules ; sa perruque de cheveux noirs resta à terre, où était autrefois sa tête.
— Viens, on se casse.
— Bonne idée, souffla Mishi.
Et sans attendre, Leerian et Mishi, tous deux soutenant Danayelle et Egrim, quittèrent la ville de Wondor, laissant derrière eux une foule traumatisée.
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