Chapitre 24 (1/2)

Sans avoir la moindre idée de ce qui s'était passé dans un autre coin de la forêt Nashintill, Danayelle, Mishi et Egrim avançaient à bon train tout en parlant d'un peu n'importe quoi. Egrim avait expliqué dans tous les détails comment il avait su que Muglow avait peut-être des intentions tordues, comment il avait convaincu son ami télépathe de mener l'enquête et comment il était parvenu, en un éclair, à maitriser son don pour ensuite quitter l'Institut. Il ne se gênait pas d'enjoliver les choses, disant par exemple à quel point c'était facile et qu'il ne comprenait pas pourquoi, à d'autre, ça pouvait prendre autant de temps. Sur ce, il s'était mérité des claques derrière la tête par Danayelle, ce qui n'avait réussi qu'à le faire rire.

— Pourquoi il n'y a pas d'Institut comme ça pour les sirènes ? maugréa Mishi qui s'en voulait encore pour Leerian.

— La magie des elfes et des sirènes est complètement différente, fit Egrim, fier d'étaler sa science. Chez les elfes, il faut apprendre à l'utiliser. Pour les sirènes, c'est plutôt instinctif. Ou du moins, en général, c'est la mère qui s'occupe de tout enseigner à sa fille.

— Ma mère est morte.

Le sourire d'Egrim figea aussitôt.

— Oh, euh... j'admets que ça puisse causer quelques problèmes. On peut faire une pause ? dit-il soudain pour changer de sujet.

Sans attendre l'avis de ses compagnons, Egrim se pencha pour que Danayelle descende de ses épaules, puis il s'assit au sol en soufflant. Il se prendrait surement plein d'autres claques s'il disait la chose à voix haute, mais Danayelle était vraiment lourde. Elle était plus grande que lui, quand même ! D'au moins cinq centimètres ! Egrim ne s'était pas douté, en volant à sa rescousse, qu'il devrait la porter.

Mishi observait le téléporteur d'un air à peine subtil. Elle voyait bien qu'il avait de la difficulté, mais ça ne réussissait qu'à lui faire admirer Leerian encore plus, lui qui avait soutenu Danayelle une journée entière, plus de douze heures, et qu'il rouspétait quand elle demandait des pauses ! C'est vrai qu'il est fort, ma parole...

Danayelle s'assit près d'Egrim, lui fit un sourire désolé, puis sortit la carte de son sac à dos, le laissant ouvert entre eux.

— Regardez, on n'est plus très loin de Wondor, dit Danayelle en englobant la région de son doigt. Je dirais... une heure ou deux. Mais c'est drôle, je n'avais jamais remarqué les taches d'encre avant ! J'avais bien vu qu'il y en avait une au-dessus de Lunacader, mais... je croyais que ce n'était vraiment rien qu'une petite tache.

— Et pourtant, elles sont bien pratiques, fit Egrim en se penchant légèrement. Elle est ici, maintenant... Ça ne doit pas être trop loin de la clairière des lutins. C'est là qu'est l'autre... le Celeyste.

— Ne l'appelle pas comme ça, fit Mishi. C'est Leerian, son prénom. Il va s'énerver sinon.

— Ne t'inquiète pas, dit cette fois Danayelle. Il a peut-être un peu de caractère, quand il veut, mais vraiment, il ne ferait pas de mal à une mouche.

— J'espère qu'il ne va pas se faire défoncer par les trolls... Peut-être qu'on n'aurait pas dû le laisser partir. On devrait retourner le chercher.

— Oh non, on est presque arrivé ! s'indigna Egrim. Je ne vais pas revenir sur mes pas avec l'autre sur mes épaules. Je vous dépose à Wondor et je retournerai voir, OK ?

— Je vais y aller toute seule, dit Mishi.

— Et tu vas te perdre, s'exclama aussitôt Danayelle. On a que deux cartes ; on ne va pas se séparer en trois groupes !

Mishi croisa les bras avec frustration. Elle était partagée entre la peur qu'il arrive quoi que ce soit à Leerian, et la peur encore plus grande de s'égarer dans une vaste forêt.

— Je vous dépose à Wondor et je reviendrais le chercher, dit encore une fois Egrim. Allez, la pause est finie.

Danayelle replia la carte et la mit dans son sac. Egrim la regardait faire, se sentant un peu nerveux. Il avait l'impression d'être le héros de ses dames, alors qu'il était loin d'en avoir la capacité. Il ne pouvait que se téléporter, mais courir était toujours plus rapide et moins épuisant. Il avait bien eu son moment de gloire, hier soir, mais en dehors de ça... qu'est-ce qu'il faisait là ?

Au moment où Danayelle refermait son sac, Egrim remarqua soudain un gros livre à l'intérieur. Il en fut d'abord frustré, prêt à faire son commentaire ; ça ajoutait du poids qu'il devait porter sur ses épaules. Mais une impression étrange l'empêcha de parler. Il était perplexe, sans vraiment comprendre pourquoi.

Ce n'est pas le moment de s'attarder, se raisonna-t-il. Je regarderais plus tard.

*

Tout au long de la marche, Egrim n'avait pas arrêté de penser au livre qu'il avait aperçu dans le sac de Danayelle. Même, il ne l'avait pas vu ; c'était à peine s'il avait remarqué un coin de la couverture. Il n'avait aucun indice pour deviner ce que c'était – des comptes ? Un livre de cuisine, peut-être ? –, et pourtant, son esprit le ramenait continuellement à cet ouvrage, au point qu'il en oublia complètement le poids de Danayelle sur son dos.

Il se reconnecta enfin à la réalité quand, ne regardant plus du tout où il allait, il se cogna contre l'épaule de Mishi. Tous trois lâchèrent une exclamation de douleur en même temps, avant d'éclater de rire.

— Pourquoi tu t'es arrêté ? demanda Egrim.

Mishi leva le bras pour toute réponse. Egrim et Danayelle suivirent des yeux le doigt de la sirène qui s'élevait vers l'horizon. À quelques mètres, les derniers arbres de la forêt n'étaient suffisants pour camoufler le vide qui semblait s'étendre au-delà.

Egrim se pencha pour inciter Danayelle à descendre, puis s'avança lentement. Il dépassa le dernier arbre et aussitôt, un vent violent lui ébouriffa les cheveux. Il se retint de justesse à une branche, le souffle court.

Ce n'était pas une illusion d'optique comme il l'avait d'abord pensé. La forêt prenait fin sur une falaise à pic qui devait bien faire trente mètres de haut. Un pas de plus et Egrim aurait fait une chute magnifique !

— Faites attention ! s'exclama-t-il en remarquant les filles s'approcher. Je ne crois pas que vous sachiez voler.

— Façon de parler, répliqua Danayelle.

Celle-ci s'était avancée en sautillant à cloche-pied, un bras autour des épaules de Mishi. Si elle avait pu maitriser sa télékinésie, elle n'aurait eu qu'à léviter jusqu'en bas.

Trente mètres en bas de la falaise, la ville de Wondor prenait lieu dans ce qui semblait être une vallée entre deux petites montagnes. Elle était traversée de part et d'autre par une large rivière, et de chaque côté s'étendait des habitations aux toits rouges de terre cuite. Ce n'était rien, comparé à Stanmore, mais pour Mishi qui n'avait jamais vu la capitale, elle était émerveillée. Enfin, une ville ! La civilisation ! Malgré la distance, elle devinait la présence des gens dans les rues, elle apercevait les animaux dans les champs et les fermes autour.

Quand elle décrocha finalement son regard pétillant de la cité, elle remarqua Egrim et Danayelle qui la fixaient avec un petit sourire mesquin. Mishi baissa la tête, se sentant rougir.

— Quoi ? fit-elle avec gêne.

— J'ai trop hâte de te faire visiter Stanmore, dit Danayelle.

— Une étape à la fois, avant qu'elle ne fasse une crise cardiaque, dit Egrim. Commençons avec Wondor. Tu permets ?

Il tendit sa main vers Mishi. Celle-ci y posa la sienne, s'efforçant de cacher son excitation.

— Je te reviens dans trois secondes, Barjo, dit Egrim pour Danayelle.

— Toi-même, Outré !

Mais il avait déjà disparu, entrainant Mishi avec lui.

Tous deux apparurent au milieu d'une rue achalandée. Le bruit des conversations explosa aux oreilles de la sirène, qui se cramponna par réflexe au bras du téléporteur. Celui-ci éclata de rire à sa réaction, puis lui prit les mains pour l'obliger à la lâcher.

— Ne bouge pas de là, je reviens avec Dana.

Il disparut aussitôt, abandonnant Mishi dans un décor nouveau. Le sol était en pierre, des boutiques s'alignaient de chaque côté de la rue. Des gens de toutes sortes marchaient autour d'elle. Des elfes, des nains et des lutins, qui semblaient bien plus civilisés que ceux de la forêt. Des trolls, même, et elle fut soulagée de voir qu'aucun ne portait d'arme. Des fées volaient au-dessus des foules. Mishi fut étonné de leur apparence ; elle croyait que ce n'était que des pixies en beaucoup plus grand. En réalité, elles avaient la taille de lutins, et leurs ailes étaient celles des libellules, vibrant si fort qu'elles produisaient un son plutôt agaçant. Mais ce qui frappa surtout Mishi fut leurs vêtements. Elles portaient toutes des pantalons ou des shorts. On était loin des pixies qui se faisaient toujours des robes avec les pétales de fleurs, même les mâles !

— Bouh !

Mishi hurla en se retournant. Egrim et Danayelle étaient là, riant de la réaction de la sirène. Danayelle n'était plus grimpée sur son dos, s'appuyant simplement d'un bras sur ses épaules.

— Ne regarde pas les fées comme ça, elles peuvent être facilement susceptibles, avertit-elle. Et surtout, ne les compare pas aux pixies ! Ce sont deux espèces complètement différentes et elles vont s'énerver si elles t'entendent.

— Comment t'as deviné que je pensais à ça ? s'offusqua Mishi.

— Tout le monde le pense quand on voit une fée pour la première fois. Allez, suis-nous ; on a une mission de la plus haute importance à accomplir... trouver un guérisseur.

— Ou un hôpital, ajouta Egrim. L'un vient rarement sans l'autre.

— Ça ressemble à quoi, un hôpital ?

Danayelle et Egrim échangèrent une œillade ennuyée.

— Oh, contente-toi de nous suivre, dit Danayelle. Et de ne pas te perdre.

Mishi hocha solennellement la tête et Egrim et Danayelle engagèrent la marche, du moins autant qu'elle pouvait pour Danayelle. Ils prirent des directions au hasard, essayant de poser des questions aux gens.

En dix minutes déjà, ils n'avaient encore trouvé personne pour les aider. Egrim, naturellement sociable, était celui qui y mettait le plus d'effort. Mais il n'avait qu'à faire un pas vers une personne et dire « Bonjour, est-ce que... » pour aussitôt se faire couper la parole par un rude « pas intéressé ! ».

— Ils me prennent pour un vendeur d'aspirateur ou quoi ?! s'exclama-t-il soudain, à bout de patience.

Danayelle se tourna vers Egrim pour juger de la question. Puis elle pouffa de rire en réalisant où était le problème.

— Bien pire qu'un vendeur d'aspirateur, dit Danayelle d'un ton mystérieux. Ils te prennent pour un doté !

Egrim leva un sourcil, sans comprendre, puis baissa la tête vers le badge qui brillait sur sa poitrine.

— Ils croient que tu cherches à leur rendre toutes sortes de petits services en échange de pièce d'or.

— Mais c'est moi qui cherche un service ! gronda Egrim.

— Pourquoi tu n'essaies pas de demander à une fée ?

Egrim et Danayelle se retournèrent vers Mishi, qui regardait toujours de tous côtés avec curiosité.

— Les fées ont plus de pouvoir que toi, et en plus, elles peuvent voler, continua Mishi. Ça coule de sens que tu n'irais pas quémander des services auprès d'elles... alors elles te laisseront bien terminer ta phrase !

— Drôle de logique, mais pourquoi pas, marmonna Egrim dans un haussement d'épaules.

Il leva la tête et se mit sur la pointe des pieds, observant les quelques fées qui filaient dans le ciel à pleine vitesse. Certaines volaient à plusieurs mètres d'altitude, mais d'autres se contentaient du strict minimum, tout juste au-dessus des passants.

— Hé ! Bonjour !

Une fée s'arrêta pour lui lancer un regard intrigué. La différence avec les pixies frappa encore une fois Mishi ; celle-ci, contrairement aux pixies, n'avait pas l'air gentille. Elle avait une moue au visage, contrarié par l'interruption d'Egrim. Elle était vêtue d'une sorte de haut de bikini, ne recouvrant que ses seins et descendant légèrement en un voile sur son ventre, accompagné de short en jean. Ses pieds étaient recouverts de sandale à lacet, style égyptien. Elle avait les cheveux bruns et très longs, attachés en une queue de cheval, et ses yeux, autant que ses ailes, étaient d'un vert intense.

— On cherche un guérisseur !

— Je ne fais pas ce genre de magie.

La fée s'apprêtait déjà à repartir, mais Egrim hurla sa question, frustré de se prendre autant de refus :

— Je le sais bien, bon sang, je cherche un guérisseur ! Est-ce que tu sais où je pourrais en trouver un ?!

La fée ne dit rien, observant tour à tour Egrim, Mishi et Danayelle. Elle s'attarda sur cette dernière, remarquant son pied qui ne touchait pas le sol.

— Un guérisseur ? répéta-t-elle enfin. Désolée. Personne n'a ce don, ici.

Elle s'apprêtait déjà à repartir, pour la plus grande frustration d'Egrim, quand son regard croisa celui de Mishi, légèrement en retrait derrière le téléporteur. Ses yeux verts s'élargirent aussitôt d'étonnement.

— Vous êtes une sirène ? fit-elle d'un ton incrédule.

— Euh, oui, fit Mishi en rougissant.

La fée ouvrit la bouche pour poser une nouvelle question, sa bonne humeur remontant d'un cran. Elle n'avait jamais rencontré de sirène avant, n'ayant pratiquement jamais quitté sa ville natale. Mais alors qu'elle s'apprêtait à continuer la conversation, son regard dévia vers Danayelle, s'appuyant sur son ami avec une moue de douleur et un pied en l'air.

— Vous voulez un guérisseur, hein ? En fait... un mage, ça ferait l'affaire ?

Danayelle en perdit le souffle instantanément. Un mage ! Allait-elle enfin rencontrer celui qu'elle cherchait depuis plusieurs jours ?

— Vous pouvez nous y conduire ? s'exclama-t-elle aussitôt. Je vous en prie !

La fée leur démontra un sourire bienveillant. Elle se positionna bien droite dans le ciel et rangea rapidement ses ailes derrière son dos. Elle tomba ensuite au sol, prenant pied devant le trio. Mishi dut se mordre la lèvre pour s'empêcher de montrer à quel point elle était impressionnée. Elle paraissait encore plus grande en étant debout, même si elle semblait avoir la taille d'un enfant de sept ans.

La fée croisa à nouveau le regard de Mishi. Son sourire s'illumina.

— Suivez-moi, je vais vous conduire au mage.

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